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El Aleph engordado

El Aleph engordado, qui peut ĂȘtre traduit par L'Aleph grossi[1], est un livre de l’écrivain argentin Pablo Katchadjian, Ă©ditĂ© Ă  200 exemplaires[2] en 2009. Il s’agit d’une amplification de la nouvelle Ă©ponyme de Jorge Luis Borges. El Aleph engordado est un cas littĂ©raire et juridique en Argentine, oĂč il donne lieu Ă  des procĂšs et est interdit de diffusion. Pour des raisons de droits d'auteur, cette amplification n'a jamais vu le jour en français[1].

L'Aleph grossi
Format
Auteur
Basé sur
The Aleph (en)
Date de parution

Présentation

Processus de composition

El Aleph engordado reproduit l'intégralité du texte de L'Aleph de Jorge Luis Borges à l'identique (ordre, vocabulaire, ponctuation) en l'enrichissant de 4600 nouveaux mots[3] :

« Le travail de grossissement n’a suivi qu’une seule rĂšgle : ne rien supprimer ni modifier du texte original, ni les mots, ni les virgules, ni les points, ni l’ordre. Ce qui signifie que le texte de Borges est intact, mais traversĂ© de part en part par le mien, en sorte que, si quelqu’un le souhaitait, il pourrait revenir au texte de Borges Ă  partir de celui-ci[4]. »

Dans El Aleph engordado, Pablo Katchadjian affirme ne pas recourir aux registres traditionnels de la littĂ©rature au second degrĂ©, mais s'ĂȘtre contentĂ© d'ajouts neutres[3]:

« En ce qui concerne mon Ă©criture, bien que je n’aie pas cherchĂ© Ă  me cacher dans le style de Borges, je n’ai pas non plus Ă©crit dans l’idĂ©e de me rendre trop visible : les meilleurs passages, me semble-t-il, sont ceux oĂč l’on ne peut pas savoir avec certitude qui est qui[5]. »

La postface de la nouvelle de Jorge Luis Borges est la seule partie qu'il n'ait pas modifiée[3] :

« La postface du ne figure pas dans le manuscrit original de l’Aleph ; postĂ©rieure Ă  la premiĂšre rĂ©daction du conte, c’est le premier ajout et la premiĂšre lecture de Borges. Cette postface est la seule partie que j’ai laissĂ© intacte dans ce grossissement. Le reste, approximativement 4000 mots, a fini par en compter plus de 9600[5]. »

Incipit

Le premier paragraphe d'El Aleph engordado est traduit en français par Guillaume Contré. Le traducteur marque les interventions de Pablo Katchadjian en italique, prenant appui sur le texte du traducteur original, René L.-F. Durand :

« La brĂ»lante et humide matinĂ©e au cours de laquelle mourut finalement Beatriz Viterbo, aprĂšs une impĂ©rieuse et longue agonie qui pas un seul instant ne se rabaissa au sentimentalisme ni Ă  la peur, mais pas non plus Ă  l’abandon ni Ă  l’indiffĂ©rence, je remarquai que sur les horribles porte-affiches en fer et plastique de la place de la Constitution, Ă  cĂŽtĂ© de la bouche du mĂ©tro, on avait renouvelĂ© je ne sais quelle annonce de cigarettes mentholĂ©es de tabac blond ; ou alors si, je sais ou ai su lesquelles, mais je me rappelle m’ĂȘtre efforcĂ© de mĂ©priser le son irritant de la marque ; le fait me peina, car je compris que l’incessant et vaste univers s’éloignait dĂ©sormais d’elle, Beatriz, et que ce changement Ă©tait le premier d’une sĂ©rie infinie de changements qui finiraient par me dĂ©truire moi aussi[1]. »

Prolongements

Cas juridique

En 2011, Maria Kodama porte plainte pour atteinte aux droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, en invoquant les articles 72 et 73 du code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle argentin[6]. Le tribunal de premiĂšre instance puis la cour d’appel dĂ©cident d'un non-lieu. Mais Maria Kodama se pourvoit en cassation et obtient le renvoi du dossier en premiĂšre instance[7]. Le 18 juin 2015, Pablo Katchadjian est mis en examen pour atteinte aux droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et risque six ans de prison. Le juge d’instruction, Guillermo Carvajal, ordonne la saisie conservatoire de ses biens Ă  hauteur de 80 000 pesos argentins[8]. Le , l'Ă©crivain et son avocat, Ricardo Strafacce, font appel et, en aoĂ»t 2015, la justice ordonne une expertise[9]. À sa suite, le juge ordonne le maintien du procĂšs[10]. Une nouvelle saisie conservatoire est prononcĂ©e Ă  hauteur de 30 000 pesos argentins[11]. Le 15 mai 2017, aprĂšs un nouvel appel, l’écrivain et son avocat obtiennent un troisiĂšme non-lieu[12]. Le juge de la cour d'appel, Ricardo MatĂ­as Pinto, aprĂšs avoir citĂ© le tĂ©moignage de plusieurs universitaires internationaux, Ă©tablit Ă  la page 14 de son ordonnance :

« Il ressort clairement de l’avis des experts qu'El Aleph engordado reprĂ©sente la crĂ©ation d’un texte nouveau, engendrĂ© au moyen d’un procĂ©dĂ© littĂ©raire reconnu dans le paradigme qui oriente la littĂ©rature contemporaine et que des classiques tels que Borges lui-mĂȘme ont acceptĂ©[13]. »

En novembre 2016, le juge d'instruction Guillermo Carvajal conclut quant Ă  lui :

« L'altĂ©ration du texte de l'Ɠuvre de Borges est mise en Ă©vidence de façon tangible dans le rapport, ce qui ruine l'argumentation Ă  dĂ©charge dĂ©ployĂ©e par celui-ci, quand il prĂ©tend expliquer que la publication d'El Aleph engordado relĂšve de la simple expĂ©rimentation littĂ©raire[14]. »

La plainte initialement dĂ©posĂ©e par Maria Kodama Ă©voque des dĂ©formations, la substitution de certains mots pour d'autres au cours de la rĂ©Ă©criture[6]. Son avocat, Fernando Soto, parle quant Ă  lui de « dĂ©naturation de l'Ɠuvre »[15]. Ces remarques entrent en contradiction avec la postface du , mais une erreur d'impression aurait permis aux demandeurs de soutenir cette ligne d'argumentation devant les tribunaux[16].

Maria Kodama et son avocat, Fernando Soto, offrent l'abandon des poursuites en échange d'une rétractation de l'écrivain et d'un peso argentin symbolique, mais celui-ci refuse la proposition[16].

Enjeux d'une appropriation littéraire

La mise en examen de Pablo Katchadjian pour fraude le provoque l'Ă©moi du milieu littĂ©raire et culturel en Argentine et au-delĂ . Le 20 juin 2015, un groupe de soutien est crĂ©Ă© sur Facebook. Ricardo Piglia, Claudia Piñeiro, Damian Tabarovsky ou encore Margo Glantz manifestent leur solidaritĂ© dans une lettre ouverte[17]. Le 3 juillet 2015, un rassemblement est organisĂ©e Ă  la BibliothĂšque nationale de Buenos Aires, avec la participation de CĂ©sar Aira. À cette occasion, Pablo Katchadjian rĂ©cuse l'accusation de plagiat :

« El Aleph engordado n'est pas un plagiat car aucun plagiat n'exhibe ouvertement ses sources. [...] Ce n'est pas non plus une plaisanterie ratée, ni une plaisanterie réussie. C'est un livre. Un livre que j'ai écrit en prenant appui sur un texte préexistant[18]. »

Dans la ligne de dĂ©fense de Pablo Katchadjian et de son avocat, l'Ă©crivain Ricardo Strafacce, la notion d'intertextualitĂ© est mise en avant[19]. Il ne manque pas d'observateurs pour faire remarquer l'affinitĂ© du geste de l'Ă©crivain avec celui des hĂ©ros de Jorge Luis Borges lui-mĂȘme, par exemple Pierre MĂ©nard, auteur du Quichotte[20]. Certains avancent qu'au fond, on pourrait voir Katchadjian comme le vĂ©ritable reprĂ©sentant de l'hĂ©ritage littĂ©raire de Borges[21]. À l'inverse, d'autres marquent la diffĂ©rence entre le geste du personnage de Pierre MĂ©nard et celui de l'Argentin. Selon Maria Kodama, MĂ©nard rĂ©Ă©labore l'original, tandis que Pablo Katchadjian copie et ajoute[22]. On trouve un argument similaire dans le manuel d'Ă©criture « non-crĂ©ative » de Kenneth Goldsmith, Ă©crivain aux conceptions rapprochĂ©es de celles de Pablo Katchadjian[23]. Kenneth Goldsmith Ă©crit en effet :

« With all of the twentieth century’s twisting and pulverizing of language and the hundreds of new forms proposed for fiction and poetry, it never occured to anybody to grab somebody else’s words and present them as their own. Borges proposed it in the form of Pierre Menard, but even Menard didn’t copy – he just happened to write the same book that Cervantes did without prior knowledge of it. It was sheer coincidence, a fantastic stroke of genius combined with a tragically bad sense of timing [24]. »

Selon Germån Abel Ledesma, l'affaire semble opposer les adeptes du copier-coller et des pratiques d'écriture à l'Úre d'internet, et les défenseurs de la conception juridique de l'auteur, avec le code de la propriété intellectuelle qui lui correspond[23]. L'affaire révélerait aussi un contraste important entre les pratiques admises dans le monde de l'art et les us et coutumes littéraires. Selon Amir Hamed :

« Si cette affaire permet de comprendre une chose, c'est bien que la pratique littéraire est plus réfractaire au ready-made que l'image, résistance qu'il faudrait chercher, précisément, dans le fait que la lettre est dÚs son origine utilisée non seulement pour la fabulation et le chant poétique mais aussi pour légiférer[25]. »

Références

  1. Guillaume Contré, « L'escalier des aveugles: Pablo Katchadjian - El Aleph engordado », sur L'escalier des aveugles, (consulté le )
  2. (es) « ¿Se puede engordar 'El Aleph'? », sur ELMUNDO, (consulté le )
  3. (es) Pablo Katchadjian, El Aleph engordado, Imprenta Argentina de PoesĂ­a, (lire en ligne), Postface du 1er novembre 2008
  4. « Pablo Katchadjian, L’Aleph engrossĂ© », sur cahiers fantĂŽmes, (consultĂ© le )
  5. « Pablo Katchadjian, L’Aleph engrossĂ© », sur cahiers fantĂŽmes, (consultĂ© le )
  6. (es) « Pablo Katchadjian, el hombre que doblegó a María Kodama », sur www.diarioarmenia.org.ar (consulté le )
  7. (es) « Procesan nuevamente al escritor Pablo Katchadjian por El Aleph engordado », sur Notas, (consulté le )
  8. (es) « Revés para el autor de El Aleph engordado », sur www.lanacion.com.ar, (consulté le )
  9. (es) « Justicia ordena peritaje por palgio de "El Aleph" de Borges », sur El Universal, (consulté le )
  10. (es) « Procesan al autor de El Aleph engordado por "defraudación " », sur www.lanacion.com.ar, (consulté le )
  11. (es) « Kodama estå de fiesta: Pablo Katchadjian, procesado por plagio », sur www.tiempoar.com.ar (consulté le )
  12. PĂĄgina12, « El autor de “El Aleph engordado”, sobreseĂ­do | RevĂ©s para la viuda de Borges », sur PAGINA12, (consultĂ© le )
  13. ModĂšle {{Lien web}} : paramĂštre « titre » manquant. http://public.diariojudicial.com/documentos/000/074/079/000074079.pdf
  14. (es) null, « El caso del escritor sentenciado por alterar un cuento de Borges », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consultĂ© le )
  15. (es) Catalina Oquendo B, « El escritor argentino enjuiciado por haber "engordado" con 5.600 palabras "El Aleph", una de las grandes obras de Jorge Luis Borges », BBC News Mundo,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  16. (es) Carlos E. CuĂ©, « La viuda de Borges denuncia a un autor por experimentar con ‘El Aleph’ », El PaĂ­s,‎ (ISSN 1134-6582, lire en ligne, consultĂ© le )
  17. (es) « Procesan a Katchadjian por “El Aleph engordado” », sur La Tempestad, (consultĂ© le )
  18. « "El Aleph engordado no es un plagio porque ningĂșn plagio es abierto sobre sus fuentes" » (consultĂ© le )
  19. « La intertextualidad, "una presencia incomprendida por la ley" », sur www.telam.com.ar (consulté le )
  20. (en-GB) Fernando Sdrigotti, « Re-working Borges is a legitimate experiment, not a crime », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consultĂ© le )
  21. Martín Kohan, « Lectura borgeana », sur www.perfil.com (consulté le )
  22. (es) ClarĂ­n.com, « Las razones de Kodama: “No voy a permitir un plagio irreverente” », sur www.clarin.com (consultĂ© le )
  23. Ledesma, G., « CuestiĂłn de peso: Pablo Katchadjian y su “Aleph engordado” », Badebec,‎ (lire en ligne)
  24. Kenneth Goldsmith, Uncreative Writing. Managing Language in the Digital Age., Columbia University Press, , chap. 5 : « Why appropriation ? »
  25. (es) « Angustias del intertexto. A propósito del caso Katchadjian », sur Revista Otra Parte, (consulté le )

Voir aussi

Les deux Ɠuvres

Bibliographie

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