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Dynastie Zhou du Nord

La dynastie des Zhou du Nord (北周, běi zhōu) régna en Chine du nord-ouest de 557 à 577 puis en Chine du nord de 577 à 581 lors de la période des dynasties du Sud et du Nord. Elle fut précédée par la dynastie des Wei de l'Ouest (西魏, xī wèi) et suivie par la dynastie des Sui, qui réunifia la Chine en 589.

Dynastie Zhou du Nord
(zh) 北周

557–581

Description de cette image, également commentée ci-après
La Chine en 560, avec l'Ă©tendue du territoire de la dynastie des Zhou du Nord (bleu clair).
Informations générales
Statut Monarchie
Capitale Chang'an
Histoire et événements
557 Fondation
577 Conquête des Qi du Nord : réunification de la Chine du Nord
581 Sui Wendi dépose l'empereur Jingdi et fonde la dynastie Sui
Empereurs
557 Xiaomindi
557-561 Mingdi
561-578 Wudi
578-579 Xuandi
579-581 Jingdi

Entités précédentes :

Entités suivantes :

Cette dynastie a joué un rôle capital dans la fin de la longue période de division de la Chine, posant les bases de la réunification. Les États des Wei de l'Ouest et des Zhou du Nord furent une même entité politique, fondée et dominée par un groupe de généraux d'origine xianbei issus des garnisons frontalières de l'époque des Wei du Nord, organisé autour de Yuwen Tai, qui domina les Wei de l'Ouest sans monter sur le trône, tandis que ses descendants furent les empereurs des Zhou du Nord.

En s'associant avec les Ă©lites locales de la rĂ©gion de Chang'an (l'actuelle Xi'an), l'« IntĂ©rieur des passes Â» (Guanzhong), jusqu'alors une rĂ©gion pĂ©riphĂ©rique peu prospère Ă©conomiquement, ces gĂ©nĂ©raux Ă©difièrent une organisation militaire et administrative efficace qui leur permit de supplanter progressivement leurs rivaux orientaux, les Wei de l'Ouest/Qi du Nord, et d'amorcer la conquĂŞte des rĂ©gions mĂ©ridionales, qui fut parachevĂ©e par le fondateur de la dynastie Sui, un gĂ©nĂ©ral des Zhou du Nord qui assura la continuitĂ© et le succès des accomplissements de ces derniers. De fait, les structures de l'empire des Sui et de celui des Tang qui lui succĂ©da peu après reprirent directement celles des Zhou du Nord, leur Ă©lite politique Ă©tant dominĂ©e par les descendants des grandes familles militaires de l'ère des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord. A contrario, cette dynastie ne fut pas marquante du point de vue culturel, n'ayant pas laissĂ© de lettrĂ©s ou d'artistes de grand renom, ses traditions artistiques Ă©tant vite supplantĂ©es par celles des rĂ©gions orientales et mĂ©ridionales après leur conquĂŞte, jugĂ©es plus raffinĂ©es par les Ă©lites politiques et intellectuelles des Sui et des Tang.

Histoire

La période de la dynastie Zhou du Nord est indissociable de celle qui la précède directement, la dynastie Wei du Nord, car les deux constituent le même État, dominé par Yuwen Tai, ses descendants et les familles militaires qui étaient leurs alliées et engagé dans les mêmes politiques intérieures et extérieures, la seule différence étant que Yuwen Tai décida de ne pas devenir empereur, préférant préserver la fiction de la survie de la dynastie Wei tout en choisissant ses empereurs. Les deux grands objectifs furent de consolider l’État dans la région de Chang'an où il avait été créé au gré des circonstances militaires chaotiques de la fin des Wei du Nord par des personnes qui n'en étaient pas originaires, tout en conduisant la lutte contre l'autre État revendiquant l'héritage des Wei du Nord, les Wei de l'Est, devenus en 550 les Qi du Nord, là encore en fait une seule et même structure politique, dominée par Gao Huan et ses descendants. Les Wei de l'Ouest connurent cependant leurs premiers grands succès militaires contre la dynastie méridionale des Liang dans les années 550, avant que, sous les Zhou du Nord, soit constituée une armée en mesure de vaincre les Qi du Nord, dans les années 570. La dynastie fut cependant renversée par le fondateur de la dynastie Sui avant d'avoir pu mener à bien la conquête de l’État méridional restant, celui des Chen, qui fut accomplie peu de temps après.

Chronologie politique de la période

La période de désunion
« Trois Royaumes » 220-280 : 60 ans
Chine du Nord : Wei Ă  LuoyangChine du Sud-Ouest: Shu, Chine du Sud-Est : Wu
brève réunification : Jin occidentaux à Luoyang 265-316 : 51 ans
nouvelles fragmentations
au Nord : « Seize Royaumes » : 304-439 : 135 ansau Sud : Jin orientaux 317-420 : 103 ans
« Dynasties du Nord » et« Dynasties du Sud »
Wei du Nord 386-534 : 148 ansLiu Song 420-479 : 59 ans
Wei de l'Est 534-550 : 16 ansQi ou Qi du Sud 479-502 : 23 ans
Wei de l'Ouest 535-556 : 21 ansLiang 502-557 : 55 ans
Qi du Nord 550-577 : 27 ansLiang postérieurs, ou Liang du Sud 555-587 : 32 ans
Zhou du Nord 557-581 : 24 ansChen 557-589 : 32 ans

La division de l'empire des Wei du Nord : Ouest contre Est

La situation politique de la Chine vers 546, après la division du Nord entre les Wei de l'Est et les Wei de l'Ouest et les conflits les ayant opposés.

La dynastie Wei du Nord, fondĂ©e par le clan Tuoba/Tabghach, du peuple Xianbei, qui dominait la Chine du Nord depuis les premières dĂ©cennies du IVe siècle, fit face en 523-525 Ă  la rĂ©volte des Six garnisons, initiĂ©e dans les garnisons de sa frontière nord, dont une partie des troupes se sentait dĂ©laissĂ©e par la cour impĂ©riale depuis qu'elle s'Ă©tait dĂ©placĂ©e Ă  Luoyang, dans la plaine du fleuve Jaune, loin des bases septentrionales de la dynastie, et s'Ă©tait tournĂ©e vers les traditions chinoises en lieu et place de celles du peuple Xianbei. Cette rĂ©volte fut rĂ©duite en quelques annĂ©es, mais avait causĂ© de nombreux dĂ©placements de populations, et profondĂ©ment dĂ©stabilisĂ© l'Ă©quilibre du pouvoir. La cour impĂ©riale se dĂ©chira dans des luttes pour le pouvoir, dont profita le gĂ©nĂ©ral Erzhu Rong, puis son neveu et successeur Erzhu Zhao, qui plaça la cour impĂ©riale sous leur coupe, après avoir saccagĂ© la capitale, avant d'ĂŞtre vaincu en 530 par un de ses anciens subordonnĂ©s, Gao Huan, un gouverneur militaire d'origine Han qui avait Ă©tĂ© formĂ© dans les Six garnisons. Un autre chef militaire qui avait servi dans ces postes frontaliers, Yuwen Tai, qui avait des origines Xiongnu, avait pris le contrĂ´le d'une armĂ©e qui avait Ă©tĂ© au service d'Erzhu Rong pour le compte duquel elle avait conquis la vallĂ©e de la rivière Wei, Ă  l'Ouest de l'empire (l'« IntĂ©rieur des passes Â», Guanzhong), et contesta l'autoritĂ© de Gao Huan. Il accueillit en 534 l'empereur des Wei du Nord, Xiaowudi, qui s'installa dans la ville de Chang'an. En rĂ©plique, Gao Huan installa sur le trĂ´ne impĂ©rial des Wei un autre empereur. Le Nord Ă©tait dès lors divisĂ© entre deux dynasties rivales portant le nom de Wei, les Wei de l'Ouest et les Wei de l'Est, chacune dirigĂ©e de fait par des gĂ©nĂ©raux[1].

Gao Huan disposait de troupes plus nombreuses que son rival occidental, pouvant mobiliser une armĂ©e de 100 000 hommes, et prit l'initiative des premières campagnes de grande envergure, en 537. Une première offensive fut arrĂŞtĂ©e Ă  la passe de Tong, puis quelques mois plus tard une autre put pĂ©nĂ©trer dans le territoire ennemi mais fut stoppĂ©e Ă  Shayuan sur la rivière Wei par une armĂ©e largement infĂ©rieure en nombre, mais qui rĂ©ussit Ă  lui tendre une embuscade meurtrière. Ayant capturĂ© de nombreux soldats puis repris plusieurs territoires Ă  l'est, Yuwen Tai avait consolidĂ© ses positions et assurĂ© la survie du rĂ©gime des Wei de l'Ouest. Mais la contre-attaque qui fut menĂ©e par la suite dans le territoire des Wei de l'Est connut Ă  son tour un Ă©chec. La dĂ©cennie qui suivit fut marquĂ©e par d'autres tentatives d'offensives d'un cĂ´tĂ© comme de l'autre, qui ne modifièrent pas les positions. Afin de parer aux attaques de son adversaire, Tuoba Tao avait Ă©tabli son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Huazhou, Ă  l'est de Chang'an, et plusieurs garnisons verrouillant l'accès Ă  la vallĂ©e de la Wei : Yubi sur le cours infĂ©rieur la Fen, faisant face aux garnisons des Wei de l'Est (Pingyang, et le quartier gĂ©nĂ©ral des armĂ©es Ă  Taiyuan) et Puban vers la passe de Tong[2].

La fondation et la consolidation des Zhou du Nord

Yuwen Yong, l'empereur Wu des Zhou du Nord, d'après le Manuscrit des treize Empereurs du peintre Yan Liben (v. 600-673), début de la dynastie Tang.
L'extension approximative des empires se partageant la Chine vers 572, avec la localisation des principales villes.

En 550, le fils de Gao Huan, Gao Yang, avait mis fin Ă  la fiction du pouvoir des Wei de l'Est et fondĂ© sa propre dynastie, les Qi (du Nord). Yuwen Tai ne le suivit pas, et resta dirigeant de fait de l’État jusqu'Ă  sa mort en 556. Son fils Yuwen Jue prit la relève, se faisant nommer conseiller en chef (da zhouzai) de l'empereur, puis prenant le titre de Duc de Zhou, hautement symbolique puisqu'il avait Ă©tĂ© portĂ© par un personnage antique idĂ©alisĂ© par la tradition confucĂ©enne, Ji Dan. En 557, il destitua finalement l'empereur Wei et fonda une nouvelle dynastie, nommĂ©e Zhou, que l'on dĂ©signe par convention comme « Zhou du Nord Â» pour la distinguer de la dynastie antique du mĂŞme nom. De fait, la cour impĂ©riale Ă©tait placĂ©e sous la coupe de son cousin, Yuwen Hu. Celui-ci triompha en 557 de plusieurs intrigues Ă  la cour, se dĂ©barrassant d'autres gĂ©nĂ©raux influents, Dugu Xin et Zhao Gui, puis il fit dĂ©poser et tuer Yuwen Jue, qu'il remplaça par Yuwen Yu, qu'il fit Ă  son tour dĂ©poser en 561 pour le remplacer par Yuwen Yong, l'empereur Wu des Zhou. Ce dernier accepta cette situation pendant une dizaine d'annĂ©es, puis il renversa Yuwen Hu en 572, le tuant de ses propres mains[3].

Durant ces annĂ©es, le pouvoir des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord s'Ă©tait renforcĂ©, notamment Ă  la suite de plusieurs rĂ©formes militaires. MalgrĂ© leurs Ă©checs contre leur rival oriental, leurs troupes avaient connu une meilleure fortune en direction du Sud, face Ă  la dynastie Liang, qui avait prospĂ©rĂ© pendant les annĂ©es de conflits qui avaient dĂ©chirĂ© le Nord, mais s'Ă©tait Ă  son tour retrouvĂ©e plongĂ©e dans une guerre civile dĂ©vastatrice en 548, causĂ©e par Hou Jing, un gĂ©nĂ©ral qui avait auparavant servi les Wei de l'Est et de l'Ouest. Un prince de la dynastie Liang en avait profitĂ© pour faire sĂ©cession dans la rĂ©gion du Sichuan, qui bordait le territoire des Wei de l'Ouest. Les Wei de l'Ouest s'Ă©taient alliĂ©s Ă  son frère, Xiao Yi, pour le vaincre, et en avaient profitĂ© pour annexer le Sichuan, ce qui fut un gain territorial de grande importance. Puis ils accueillirent un autre prince Liang, Xiao Cha, qu'ils aidèrent contre Xiao Yi. En 554, ils prirent la ville de Jiangling, point stratĂ©gique de la moyenne vallĂ©e du Yangzi, oĂą Xiao Yi s'Ă©tait rĂ©fugiĂ©, et le mirent Ă  mort. Ils installèrent Ă  sa place Xiao Cha, qui fonda la dynastie des Liang postĂ©rieurs, rivale de la dynastie Liang qui restait Ă©tablie dans le Bas Yangzi. Cette victoire se solda par la dĂ©portation de 100 000 personnes depuis le Moyen Yangzi vers la rĂ©gion de Chang'an, permettant d'augmenter sa population et de faire venir des Ă©lites lettrĂ©es des Liang pour consolider l'administration, tandis qu'une grande partie de la riche vallĂ©e de la Han passait sous le contrĂ´le des Wei de l'Ouest, qui furent donc Ă  nouveau renforcĂ©s après une campagne mĂ©ridionale[4]. En 557, la dynastie Liang aux abois fut renversĂ©e par la dynastie Chen, qui Ă©tait ennemie des Qi du Nord, et fut donc plutĂ´t une alliĂ©e de circonstance pour les Zhou du Nord dans un premier temps.

L'unification du Nord

Les rĂ©formes administratives et militaires ainsi que les conquĂŞtes mĂ©ridionales des Zhou du Nord avaient considĂ©rablement renforcĂ© leur puissance. Dès qu'il eut repris en main le pouvoir impĂ©rial et son armĂ©e, l'empereur Wu commença Ă  organiser de nouvelles campagnes contre les Qi du Nord, qui s'Ă©taient enfoncĂ©s dans des troubles internes et n'Ă©taient plus en mesure de le menacer sĂ©rieusement. En 575, fut levĂ©e une armĂ©e de 170 000 hommes, illustration des nouvelles capacitĂ©s dont disposaient les Zhou, mais cela ne suffit pas Ă  atteindre Luoyang, et les troupes durent battre en retraite, subissant une contre-attaque lors de son retour, lancĂ©e depuis la puissante garnison de Taiyuan, sur la rivière Fen, une base du pouvoir des empereurs Qi. L'annĂ©e suivante, elle fut donc dĂ©signĂ©e comme cible prioritaire de la nouvelle offensive des Zhou, Ă  la fin de l'annĂ©e 576. Mais les troupes durent d'abord batailler plusieurs semaines pour capturer la garnison frontalière de Pingyang, et après une victoire Ă  l'arrachĂ© Wu prit la dĂ©cision de continuer vers Taiyuan, oĂą il infligea Ă  nouveau une dĂ©faite aux armĂ©es Qi. Ă€ ce stade, ces dernières n'Ă©taient plus en mesure d'arrĂŞter la progression des armĂ©es Zhou Ă  l'intĂ©rieur de leur territoire. Leur capitale, Ye, tomba en deux jours. L'empereur des Qi, Gao Wei, s'enfuit vers l'est, mais il fut capturĂ© et mis Ă  mort Ă  la fin de l'annĂ©e 577. Le Nord de la Chine Ă©tait Ă  nouveau rĂ©unifiĂ©[5].

La fin de la dynastie des Zhou du Nord

Dans les plans de l'empereur Wu, il est probable qu'à la conquête des Qi devait succéder celle des Chen, et donc l'unification de la Chine entière. Les Chen avaient profité de la chute des Qi pour s'emparer d'une partie de leurs provinces les plus au Sud, mais ils furent aussitôt délogés par des troupes Zhou[6]. Wu trouva la mort en 578, ce qui leur offrit un répit. Son successeur, Yuwen Yun, l'empereur Xuan, a laissé l'image d'un souverain peu intéressé par les affaires du royaume, mais dont le caractère colérique pouvait être funeste pour ses conseillers. En fait, il semblerait avoir cherché à renforcer le pouvoir impérial en éliminant les membres puissants de la cour qu'il percevait comme une menace, et choisit de devenir un empereur retiré dès 579, sans doute pour faciliter le passage de pouvoir à son héritier présomptif. Mais il fut renversé par une coterie de hauts dignitaires l'année suivante, qui intronisèrent son frère Yuwen Chan (l'empereur Jing). Par la suite, la cour passa sous la coupe du général Yang Jian. En 581, il détrôna puis fit mettre à mort l'empereur, mettant fin à la dynastie Zhou du Nord. Il fonda la dynastie Sui (581-618), qui devait mener à bien la réunification de la Chine[7].

Les Ă©lites

Une des spécificités des dynasties des Wei de l'Ouest et des Zhou du Nord est d'avoir été dominée par une élite guerrière, constituant une véritable oligarchie dans laquelle les empereurs n'avaient pas une position aussi prééminente que dans les autres dynasties du Haut Moyen-Âge chinois, sans doute un héritage de la camaraderie guerrière entre les généraux qui s'étaient implantés à Chang'an pour constituer cet État, renforcé par les alliances matrimoniales qui assurèrent la cohésion du groupe après la chute de la dynastie. Afin d'organiser leur État, ils durent coopérer avec les élites locales de la région de l'Intérieur des passes, qui occupait une position périphérique dans la Chine de l'époque, étant économiquement moins riche et culturellement moins raffinée que le Sud ou le Nord-Est. Les élites marchandes originaires des pays situés à l'autre extrémité de la Route de la Soie, en premier lieu les Sogdiens, furent également associées à l'administration. Cette période vit ainsi la constitution d'un groupe aristocratique aux origines diverses qui devait former le cœur de l'élite des empires Sui et Tang, dont les futures familles impériales ont alors émergé.

Une oligarchie guerrière

Le groupe des fondateurs des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord Ă©tait originaire du milieu des garnisons frontalières situĂ©es sur la frontières septentrionale de l'empire des Wei du Nord, les « Six garnisons Â», souvent issus des peuples du Nord (Xianbei, Xiongnu), mais Ă©voluant depuis longtemps au contact des populations chinoises (Han), avec lesquelles des alliances matrimoniales avaient Ă©tĂ© conclues, constituant un contexte ethnique « hybride Â». Les Ă©lites des Zhou du Nord venaient plus prĂ©cisĂ©ment de la garnison de Wuchuan (Mongolie IntĂ©rieure de nos jours). Après avoir Ă©tĂ© dissipĂ© durant l'Ă©poque de la rĂ©volte des Six garnisons, ils s'Ă©taient retrouvĂ©s au service du gĂ©nĂ©ral Erzhu Rong, et organisĂ©s autour de Heba Yue, qui Ă©tait devenu leur chef militaire. Quand il fut chargĂ© par Erzhu Rong de reprendre la rĂ©gion de l'IntĂ©rieur des passes, ils le suivirent, et lorsqu'il mourut ils dĂ©signèrent pour le remplacer celui qui Ă©tait jugĂ© le plus capable d'entre eux, Yuwen Tai[8].

Ce groupe de gĂ©nĂ©raux dirigea de fait les Wei du Nord autour de Yuwen Tai, choisi pour ses qualitĂ©s de meneur d'homme suivant les habitudes des peuples nomades du Nord, mais qui semble avoir considĂ©rĂ© les autres membres de sa clique comme des pairs ; l'empereur des Wei n'avait qu'un rĂ´le honorifique. Cette Ă©lite militaire Ă©tait gĂ©nĂ©ralement originaire de groupes de peuples du Nord installĂ©s depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations au service des Wei du Nord. La tribu des Yuwen Ă©tait ainsi d'origine Xiongnu, mais depuis longtemps assimilĂ©e aux Xianbei[9]. Elle continua Ă  exercer sa domination sur l’État tant que ses membres se rĂ©vĂ©lèrent suffisamment forts pour le conserver : Yuwen Hu qui domina la cour de 556 Ă  572, lors de la fondation de la dynastie, sans monter sur le trĂ´ne (ce qui indique un certain respect du principe dynastique)[10], puis Yuwen Yong, l'empereur Wu[11] ; d'autres membres du clan jouèrent un rĂ´le important, comme Yuwen Xin (523-586) qui fut un des gĂ©nĂ©raux menant Ă  bien la conquĂŞte des Qi, avant de soutenir la chute de son propre lignage en appuyant Yang Jian dans sa prise de pouvoir[11]. Mais les jeunes successeurs de Yuwen Yong/Wu s'avĂ©rant moins vigoureux que celui-ci, ils ne purent conserver leur position : l'exercice du pouvoir reposait parmi cette Ă©lite militaire sur les qualitĂ©s de commandement de celui qui l'exerçait. Dans ce milieu, l'autoritĂ© « charismatique Â» prenait largement le pas sur le principe de lĂ©gitimitĂ© dynastique. La cohĂ©sion de ce groupe explique sans doute pourquoi le changement dynastique ne s'est pas traduit par l'Ă©limination du clan Yuwen, dont plusieurs membres exercèrent des fonctions importantes sous les Sui, comme Yuwen Kai, frère de Yuwen Xin, architecte de la reconstruction de Chang'an et du creusement du Grand Canal[12], et au dĂ©but des Tang.

Les membres du cercle de Yuwen Tai Ă©taient surnommĂ©s les « piliers de l’État Â» (zhuguo) et avaient reçu le vieux titre honorifique de « Duc Â» (gong). S'y trouvaient les autres grandes figures de la vie politique et militaire des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord, issues des rangs de la garnison de Wuchuan, comme le gĂ©nĂ©ral Dugu Xin, qui fut par la suite acculĂ© au suicide par Yuwen Hu[13] ; Yang Zhong, Ă©levĂ© au rang honorifique de Duc de Sui[14] ; Li He, fait Duc de Tang[15]. Ce groupe avait renforcĂ© sa cohĂ©sion par des alliances matrimoniales, puisque Dugu Xin avait mariĂ© ses filles Ă  Yuwen Yu, l'empereur Mingdi, fils de Yuwen Tai, Ă  Yang Jian, fils de Yang Zhong et premier empereur Sui, et Ă  Li Bing, fils de Li He, union de laquelle naquit Li Yuan, premier empereur Tang[16] - [17].

L'historien Chen Yinke a proposé que l'élite dirigeante contrôlant les empires des Zhou du Nord, des Sui et des premiers Tang (jusqu'à la fin du VIIe siècle) soit fondamentalement la même, construite autour de sa base établie dans le Guangzhong sous la direction des Yuwen et de leur clique. En fait plusieurs incidents éclatant entre proches de Yuwen Tai dès sa mort montrent que ce groupe n'est pas si soudé que cela. Les recherches suivantes ont montré que le personnel politique connaît dans l'ensemble un renouvellement important entre le début et la fin des Zhou du Nord, et même si l'élite dirigeant ensuite l'empire des Sui comprend une forte proportion de gens originaires du nord-ouest, il y a eu beaucoup de changements dans sa composition, et aux débuts des Tang les liens personnels et politiques priment sur le régionalisme[18].

L'épitaphe de la tombe de l'empereur Wu des Zhou du Nord. Musée d'Histoire du Shaanxi.

La proximité de statut entre les membres du clan Yuwen et les autres hauts dignitaires des Zhou du Nord se voit également dans leurs sépultures, situées au nord-ouest de Xianyang, là où se trouvaient déjà des tombes impériales des Han, et où les Sui devaient également se faire inhumer. Le mausolée de Xiaoling, la tombe de l'empereur Wu et de son épouse l'impératrice Ashina (morte en 582), fille d'un khan turc, a été dégagée. Elle comprend un couloir d'entrée comprenant des niches, scellé par des portes, ouvrant sur la chambre funéraire (5,5 × 3,8 m), au sol pavé et aux murs en terre damée, ouvrant sur une petite salle arrière. L'essentiel du matériel funéraire a été mis au jour dans les niches du couloir d'accès, témoignant sans grande surprise d'un mélange entre les traditions chinoises et nomades : environ 150 figurines en céramique (serviteurs, fantassins, cavaliers, porte-enseignes, musiciens, gardiens de tombes humains et animaux, des bâtiments, etc.), quelques bijoux en or et jade, le sceau de l'impératrice, une ceinture en bronze, des jarres caractéristiques de la culture des steppes. Sa taille modeste, l'absence de décor mural, de tumulus et de statues à l'extérieur la singularisent par rapport aux tombes des dynasties chinoises contemporaines. Cela résulte d'un choix de l'empereur, qui voulait une sépulture simple. Surtout, elle ne se distinguait apparemment pas des tombes des grands dignitaires, qui comprennent un matériel funéraire identique et suivent une organisation architecturale similaire, comprenant une chambre à laquelle était parfois ajoutée à l'arrière une plus petite chambre funéraire, avec une rampe d'accès disposant parfois de niches pour les offrandes funéraires. Cela reflète manifestement une absence de volonté de la famille impériale de se distinguer de ses pairs en émettant des lois somptuaires, comme il en existait notamment dans le Sud, et illustre là encore la proximité entre les membres du clan Yuwen et les élites militaires de leur empire[19].

L'Ă©mergence d'une Ă©lite administrative aux origines diverses

Isolés dans une région d'où ils n'étaient pas originaires et où ils n'avait pas d'appui, les généraux originaires des garnisons du Nord avaient dû s'appuyer sur les élites locales pour organiser leur administration et leur armée, et leur confièrent des charges et titres honorifiques en échange de leur appui[20]. Une des politiques les plus intrigantes des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord vis-à-vis des populations de leur région d'accueil se présente d'abord comme le contre-pied des lois de sinisation prises par les Wei du Nord à la fin du Ve siècle, qui avaient joué un rôle dans les révoltes causant leur chute, par l'abrogation en 549 de la pratique de donner des noms en chinois aux Xianbei, et à l'inverse la mise en place du don de noms xianbei à des membres d'autres ethnies, notamment celui du lignage Yuwen, souvent en guise de gratification, ce qui devait d'une certaine manière répondre à une volonté d'inclure ces personnes dans le nouvel État et son appareil militaire[21]. De fait, fut privilégiée une politique d'intégration vis-à-vis des élites originaires de la région de Chang'an, que ce soit dans l'administration civile ou dans l'armée (ce qui était plutôt inhabituel vu que les Han étaient souvent exclus des responsabilités militaires dans le Nord). Cela fut d'autant plus aisé que cette région, plutôt excentrée et isolée par rapport au reste de la Chine du Nord sous les Wei du Nord, n'avait pas d'élite locale puissante contrairement aux régions orientales, leur lignages majeurs ne constituant donc pas une menace potentielle pour les arrivants. Du reste, cette région aussi avait connu sa propre hybridation entre les lignages Han et ceux issus des peuples venus de l'Ouest, en premier lieu les Qiang[22]. Les fouilles des tombes aristocratiques provinciales permettent de mieux connaître d'autres membres du groupe des élites des Zhou du Nord, comme la tombe du général et gouverneur Li Xian (mort en 569) et de son épouse Wu Hui (morte en 547), mise au jour à Guyuan dans le Ningxia, à l'ouest de l'empire. Il s'agit de la plus grande sépulture de la période mise au jour en dehors du voisinage de Chang'an, constituée d'une seule chambre funéraire à plafond en forme de dôme et d'une rampe d'accès comprenant trois conduits à air verticaux[23]. Elle a livré, en plus des figurines funéraires caractéristiques de l'époque, un bol en verre et un broc en argent doré d'inspiration occidentale (la forme est d'inspiration sassanide et les motifs renvoient à des modèles centre-asiatiques ou gréco-romains), ce qui reflète à l'importance culturelle et commerciale de la Route de la Soie à cette période[24].

Cela n'empĂŞcha pas Yuwen Tai de s'appuyer sur des lettrĂ©s profondĂ©ment ancrĂ©s dans la tradition chinoise, en premier lieu Su Chuo (498-546), qui avait servi dans l'administration des Wei du Nord, et fut un acteur majeur des rĂ©formes administratives et fiscales sous les Wei de l'Ouest[25] ; il employa par la suite Lu Bian (mort en 577), qui Ă©tait en revanche originaire des rĂ©gions orientales, et avait suivi l'empereur des Wei lorsqu'il s'Ă©tait rĂ©fugiĂ© Ă  Chang'an[26]. Cet apport extĂ©rieur fut essentiel pour l'essor de l’État des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord. Mais il eut le plus grand mal Ă  attirer et Ă  conserver les Ă©lites lettrĂ©es chinoises, qui prĂ©fĂ©raient Ă©voluer Ă  la cour des Qi du Nord et des Chen, plus rĂ©putĂ©es intellectuellement, que dans le Nord-Ouest qui n'Ă©tait vu que comme une contrĂ©e reculĂ©e et inculte, le Nord-Ouest ne formant pas de lettrĂ©s de renom. Mais des efforts furent entrepris pour promouvoir les Ă©tudes lettrĂ©es, Ă  l'initiative lĂ  encore de Yuwen Tai et Su Chuo, ce qui fit qu'Ă  partir de la fin des Zhou du Nord, l'Ă©lite du Nord-Ouest avait gagnĂ© en qualitĂ© dans les arts littĂ©raires. Elle fut aidĂ©e en cela par ses victoires militaires, notamment la prise de Jiangling aux Liang et la capture des lettrĂ©s qui s'y trouvaient, qui permit de renforcer l'administration et de vivifier la vie intellectuelle et littĂ©raire. Parmi les « prises Â» de qualitĂ©, se trouvaient Pei Zheng qui fut employĂ© pour la rĂ©forme de l'administration, et surtout Yu Xin, un des plus grands poètes de l'Ă©poque, dont les princes Yuwen You et Yuwen Zhao furent les mĂ©cènes et les Ă©lèves, et qui fut Ă©galement employĂ© par l'empereur Wu pour rĂ©diger des hymnes rituels pour les sacrifices ancestraux impĂ©riaux. Mais d'autres comme Yan Zhitui prĂ©fĂ©rèrent fuir chez les Qi, oĂą la vie intellectuelle Ă©tait plus Ă©levĂ©e. La conquĂŞte des Qi par les Zhou devait faire venir plus de lettrĂ©s Ă  Chang'an, dont le mĂŞme Yan Zhitui qui revint de force, puis celle des Chen par les Sui paracheva le phĂ©nomène, qui permit de faire de cette ville une vĂ©ritable capitale culturelle[27]. De la mĂŞme manière, la culture matĂ©rielle des Zhou du Nord, telle qu'attestĂ©e dans les sĂ©pultures, devait progressivement ĂŞtre supplantĂ©e par celle issue des Qi du Nord, sans doute jugĂ©e plus raffinĂ©e par les Ă©lites, après la capture d'artistes des rĂ©gions du Nord-Est[28]. Se constitua ainsi progressivement une Ă©lite hybride, dont les valeurs combinaient l'esprit martial des Ă©lites xianbei issus des garnisons du Nord, apprĂ©ciant la guerre et la chasse, et la culture lettrĂ©e chinoise, qui devait fournir le socle de l'Ă©lite des empires Sui et Tang[29].

Le portail et la couche funéraire sculptée de la sépulture d'An Qie, dignitaire sogdien ayant servi les Zhou du Nord. Musée d'Histoire du Shaanxi.

Les fouilles de sĂ©pultures permettent Ă©galement d'apprĂ©hender le milieu des Ă©lites d'origine occidentale, venues grâce Ă  l'essor de la Route de la Soie[30]. Il s'agit avant tout de Sogdiens ayant servi la cour des Wei de l'Ouest/Zhou du Nord, dont les tombes ont Ă©tĂ© mises au jour dans le voisinage de Chang'an. L'un d'eux, An Qie (mort en 579), portait le titre de sabao, qui semble ĂŞtre la transcription en chinois du terme sogdien signifiant « chef de caravane Â», donc le chef de la communautĂ© des marchands sogdiens installĂ©s dans l'empire, servant de relais entre ceux-ci et le pouvoir impĂ©rial ; sa couche funĂ©raire en dalles de pierres sculptĂ©es le reprĂ©sente par ailleurs accomplissant une mission diplomatique chez les Turcs. Un autre de ces personnages, Kang Ye (mort en 571), portait le titre de « MaĂ®tre cĂ©leste Â» (datianzu), manifestement une fonction religieuse (liĂ©e peut-ĂŞtre au zoroastrisme ?)[31]. Ă€ proximitĂ© a Ă©galement Ă©tĂ© exhumĂ©e la tombe de Li Dan (mort en 564), qui Ă©tait quant Ă  lui originaire du Cachemire et fut accueilli Ă  la cour de Chang'an.

Gouvernement et administration

Si les empires des Wei de l'Ouest et des Zhou du Nord reposèrent sur des bases économiques plus fragiles que celles de leurs rivaux orientaux et méridionaux, et que leurs accomplissements culturels furent pareillement plus modestes, ils mirent en place une organisation militaire et administrative d'une efficacité redoutable, qui devait leur permettre de réaliser progressivement d'importantes conquêtes, face à des adversaires pourtant au départ mieux dotés en moyens militaires, démographiques et économiques. Cette organisation posa les bases des empires des Sui et des Tang, qui la prolongèrent.

La formation d'une puissance militaire

Yuwen Tai et sa clique durent donc rapidement organiser la mise en place d'un appareil administratif et militaire en s'associant aux Ă©lites locales. Le groupe issu des garnisons du Nord n'Ă©tait pas assez nombreux pour assurer la dĂ©fense de leur territoire face aux troupes nettement plus nombreuses de Gao Huan. Ils mobilisèrent d'abord les milices dont disposaient les notables locaux, recrutĂ©es parmi les dĂ©pendants de leurs domaines et circonscriptions administratives, les « troupes locales Â» (xiang bing). Cela explique l'entente rapide avec les Ă©lites de la rĂ©gion de Chang'an, cette première organisation comprenant une hiĂ©rarchie, dont l'encadrement des unitĂ©s de base fut confiĂ© Ă  ces notables en fonction de leur influence sociale et de leurs talents militaires. Par la suite fut organisĂ© le système des « Vingt-quatre armĂ©es Â», appelĂ© aussi fubing. Les « piliers de l’État Â» (six en principe, mais leur nombre a crĂ» avec le temps) conservaient l'Ă©tat-major, puis en dessous venaient douze grands gĂ©nĂ©raux (da jiangjun) qui commandaient chacun deux corps d'armĂ©e dirigĂ©s par des gĂ©nĂ©raux, soit en tout vingt-quatre armĂ©es, elles-mĂŞmes divisĂ©es en un nombre indĂ©terminĂ© de bataillons. Les soldats Ă©taient enregistrĂ©s dans des unitĂ©s appelĂ©es fubing, des circonscriptions militaires, et bĂ©nĂ©ficiaient en Ă©change d'exemptions de taxes et de corvĂ©es. Dans les dĂ©tails, on ignore comment le recrutement de ces troupes fut effectuĂ©, et quel rĂ´le ont jouĂ© les milices locales dans leur formation, si elles y ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es ou non, de mĂŞme qu'il n'est pas clair si les soldats inscrits dans les fubing devaient aussi cultiver la terre - et donc si ces unitĂ©s Ă©taient des colonies militaires agricoles (sur le modèle de celles des Cao-Wei et des Wei du Nord). Il est en tout cas Ă©vident que les moyens militaires augmentèrent considĂ©rablement, avec la constitution de troupes d'infanterie nombreuses, et que les familles enregistrĂ©es sur les registres militaires constituaient une grande partie de la population de l’État. Cette armĂ©e avait des origines ethniques diverses, et son encadrement Ă©tait fait par des membres des Ă©lites locales, n'ayant pas de liens de clientèle avec l'Ă©tat-major militaire, qui restait d'origine xianbei et d'implantation rĂ©cente dans la rĂ©gion, ce qui explique pourquoi il n'y avait pas de « seigneurs de guerre Â» chez les Zhou du Nord. De fait, le mĂ©tier des armes ne fut plus monopolisĂ© par les peuples non-chinois, et ouvert aux gens du commun (min) de toutes origines, ce qui constitua sans doute un grand changement. Par la suite l'empereur Wu renforça son contrĂ´le sur les Vingt-quatre armĂ©es en les intĂ©grant dans la garde impĂ©riale. Ă€ l'issue de ses rĂ©formes militaires il pouvait mobiliser 170 000 soldats pour envahir les Qi. C'est sur cette base que les Sui et les Tang unifièrent la Chine puis Ă©tendirent son territoire, en reprenant l'organisation militaire des Zhou du Nord, avec le système des fubing qui fut en place jusqu'au VIIIe siècle[32].

Des réformes administratives d'inspiration archaïsante

D'autres importantes rĂ©formes furent entreprises durant le « règne Â» de Yuwen Tai, sous la direction de ses ministres, en premier lieu Su Chuo auquel la tradition historiographique chinoise attribue un rĂ´le crucial[33]. Celui-ci avait rĂ©digĂ© un Édit des six points (Liutiao zhaoshu) devant servir de ligne directive Ă  la rĂ©forme de l'administration, qui Ă©tait destinĂ© Ă  ĂŞtre Ă©tudiĂ© par ceux qui souhaitaient la servir ; ces six principes Ă©taient d'avoir un cĹ“ur pur, un comportement honnĂŞte servant de modèle Ă©ducatif, d'utiliser toutes les terres agraires, de promouvoir les gens compĂ©tents, d'avoir de la compassion dans les affaires de justice, et de construire un système Ă©quitable de taxes et de corvĂ©es. Su Chuo rĂ©digea Ă©galement Ă  la demande de Yuwen Tai la Grande proclamation (Dagao), une apologie de Yuwen Tai et une lĂ©gitimation de son rĂ´le en tant que dirigeant de fait de la cour des Wei du Nord, dont le style littĂ©raire, repris du Classique des documents, devait servir de modèle aux textes officiels. De fait ces annĂ©es virent une organisation de l'appareil administratif, du système de taxation et de recensement de la population, rĂ©formes poursuivies par le ministre Lu Bian après la mort de Su Chuo en 547, puis assistĂ© Ă  partir de 554 par Pei Zheng, un lettrĂ© mĂ©ridional dĂ©portĂ© depuis les territoires des Liang. Comme on entendait simplifier l'appareil bureaucratique, qui reposait jusqu'alors sur le DĂ©partement des Affaires d’État (shangshu sheng) supervisant divers ministères, comme dans les autres empires de la pĂ©riode de division, et souvent tenus par l'oligarchie militaire, le gouvernement central fut rĂ©organisĂ© suivant le modèle qu'on voulait inspirĂ© de l'antique dynastie Zhou, tel que prĂ©sentĂ© dans un classique d'importance mineure datĂ© en rĂ©alitĂ© de l'Ă©poque Han, L'administration des Zhou (Zhouguan ; aussi connu sous le nom de Rites des Zhou, Zhouli), qui reflĂ©tait plutĂ´t une conception centralisĂ©e et hiĂ©rarchisĂ©e du pouvoir. On instaura en 556, après de longs atermoiements, le système des « Six administrations Â» (liuguan) inspirĂ© de ce texte, soit : l'« administration du Ciel Â» (tianguan), qui consistait en la chancellerie autour du premier ministre ; l'« administration de la Terre Â» (diguan) qui gĂ©rait les affaires publiques et Ă©ducatives ; l'« administration du Printemps Â» (chunguan) qui supervisait les rites ; l'« administration de l’ÉtĂ© Â» (xiaguan) qui s'occupait des affaires militaires ; l'« administration de l'Automne Â» (qiuguan) chargĂ©e de la justice ; l'« administration de l'Hiver Â» (donguan) pour les travaux publics[34]. Cette rĂ©forme « archaĂŻsante Â» fut accompagnĂ©e par d'autres de mĂŞme inspiration, comme l'octroi de titres repris de l'Ă©poque antique des Zhou aux grands personnages de la cour, puis l'adoption de rituels impĂ©riaux inspirĂ©s par les textes de l'Ă©poque des Zhou antiques. Yuwen Tai fut nommĂ© premier ministre afin de diriger la politique de l’État, poste repris aux dĂ©buts des Zhou du Nord par son neveu Yuwen Hu qui dirigea Ă  son tour l’État. Mais après son Ă©viction par l'empereur Wu ce poste perdit ses prĂ©rogatives importantes afin de ne pas menacer le monarque, jusqu'Ă  son attribution Ă  Yang Jian qui lui confĂ©ra plus de pouvoir et s'en servit pour prĂ©parer sa prise de pouvoir. Il apparaĂ®t donc que les Ă©volutions de la structure administrative n'empĂŞchèrent pas les rapports de force d'Ă©voluer suivant la personnalitĂ© des dĂ©tenteurs des diffĂ©rentes charges majeures, tous issus du mĂŞme groupe[35].

La capitale de l'empire, Chang'an, connut de nombreux travaux visant à lui redonner son lustre d'antan (quand elle était la capitale de la dynastie Han). Son organisation n'est connue que par les textes, car elle fut profondément remaniée par les grands travaux de l'époque Sui. Le plan général de la ville devait suivre celui de l'époque tardive des Han, avec une muraille percée de douze portes. La ville était marquée par la présence d'une vaste ville-palais impériale qui occupait sa partie nord, bordée par un autre complexe palatial à l'est, destiné au prince héritier. L'agencement de la ville-palais suivait un modèle qui se voulait là encore inspiré des Zhou antiques, dont le palais aurait été marqué par la présence de cinq portes et de trois grandes cours. Le palais des Zhou du Nord était en fait organisé autour d'une vaste cour principale, la Cour de la Rosée ou Cour extérieure, bordée par la Porte de la Rosée, un pavillon qui servait pour les audiences impériales. D'autres palais avaient été érigés dans d'autres quartiers de la capitale ainsi que dans ses faubourgs, de même que de vastes jardins impériaux, suivant une habitude classique dans les capitales impériales chinoises[36].

Les Wei de l'Ouest et les Zhou du Nord promulguèrent par ailleurs chacun un nouveau code pĂ©nal, reposant largement sur ceux des dynasties les ayant prĂ©cĂ©dĂ©. La rĂ©glementation agraire instaurĂ©e par les Wei du Nord (juntian, le système des « champs Ă©galitaires Â»[37], lui aussi inspirĂ© des textes antiques relatifs Ă  la première dynastie Zhou idĂ©alisĂ©e) fut poursuivie, afin d'assurer une distribution des terres disponibles (prises par l’État parce qu'incultes ou bien Ă  la suite de confiscations) Ă  tous les foyers d'agriculteurs, Ă©valuĂ©e en fonction de leur taille, Ă  condition qu'ils payent des taxes Ă  l’État, sans quoi les terres leur Ă©taient retirĂ©es. Mais, comme auparavant, elle ne put ĂŞtre mise en place de façon efficace. Parallèlement, des travaux d'amĂ©nagements hydrauliques furent conduits afin d'augmenter la surface en culture, autour de Chang'an et dans la rĂ©gion du cours moyen du fleuve Jaune. Les mesures contre les monastères bouddhistes et taoĂŻstes entreprises sous le règne de Wu (voir plus bas) eurent aussi un volet administratif et Ă©conomique puisqu'elles se soldèrent par des confiscations de terres qui furent redistribuĂ©es, et celles des trĂ©sors des temples, en plus du retour forcĂ© Ă  la vie laĂŻque des moines, qui les privait des exemptions fiscales dont ils bĂ©nĂ©ficiaient auparavant.

Politique religieuse

Statue de Bouddha debout sur un piédestal en forme de lotus, période des Zhou du Nord, musée de la forêt de stèles de Xi'an (Shaanxi).

Bien que le bouddhisme ait eu une grande popularité, dans la continuité de l'époque des Wei du Nord, les empereurs des Zhou du Nord ont plutôt penché en faveur du taoïsme. Déjà la cour des Wei de l'Ouest avait accueilli le maître taoïste Chen Baochi, puis son disciple Li Shunxing, qui fut placé à la tête de l'Ermitage du pavillon à étage (Louguan), la principale institution taoïste de Chang'an[38]. Wu des Zhou du Nord, qui avait patronné en 563 la compilation d'un canon bouddhique, se tourna résolument dans les années qui suivirent vers le taoïsme. En 567, il reçut une initiation taoïste du maître Wei Jingsi, installé au Mont Hua et représentant de l'école du Maoshan. Dans les années qui suivirent, il organisa des débats entre les trois enseignements (confucianisme, taoïsme et bouddhisme), qui proclamèrent d'abord la suprématie du taoïsme, mais l'empereur commandita également des traités à des moines bouddhistes qui affirmèrent la prééminence de leur religion. En 574, Wu prit finalement la décision radicale d'interdire le bouddhisme et le taoïsme, avec le retour à la vie laïque des moines, la destruction des monastères, de leurs écrits et leurs statues, et la confiscation de leurs richesses (dont leurs vastes domaines). Mais quelques jours plus tard il promulgua un décret fondant un monastère taoïste, l'Ermitage pour communiquer avec le Tao (Tongdao guan), afin de servir de centre d'étude et d'enseignement du taoïsme, qui devenait la religion officielle de l’État. C'est probablement aux membres de cet ermitage qu'il faut attribuer la paternité d'une vaste encyclopédie sur le taoïsme, l’Essentiel des secrets suprêmes (Wushang biao), dans laquelle on trouvait notamment des textes rituels qui auraient été rédigés par l'empereur. Wu confirma sa défiance envers le bouddhisme après la conquête des Qi du Nord (en 577), où le bouddhisme avait les faveurs des élites, en étendant à celui-ci les mesures anti-bouddhiques déjà prises dans son empire, mais sa mort peu après signa l'arrêt de cette politique. Son successeur Xuandi autorisa à nouveau le bouddhisme, religion qui avait les faveurs de l'homme fort de la cour et futur fondateur de la dynastie Sui, Yang Jian[39].

Liste des empereurs

  1. Xiaomindi (Yumen Jue) (557 - 557)
  2. Mingdi (Yumen Yu) (557 - 561)
  3. Wudi (Yumen Yong), empereur de Chine du Nord-Ouest (561 - 577) puis de Chine du Nord (577 - 578)
  4. Xuandi (Yumen Yun) (578 - 579)
  5. Jingdi (Yumen Chan) (579 - 581)

Références

  1. Graff 2002, p. 100-103
  2. Graff 2002, p. 104-106
  3. Xiong 2009, p. 24-25
  4. Xiong 2009, p. 19
  5. Graff 2002, p. 111-113
  6. Xiong 2009, p. 20
  7. Xiong 2009, p. 25
  8. Graff 2002, p. 102-103
  9. Xiong 2009, p. 653-654
  10. Xiong 2009, p. 654
  11. Xiong 2009, p. 656
  12. Xiong 2009, p. 655
  13. Xiong 2009, p. 137
  14. Xiong 2009, p. 543
  15. Xiong 2009, p. 27
  16. (en) H. J. Wechsler, « The founding of the T'ang dynasty: Kao-tsu (reign 618–26) Â», dans D. C. Twitchett et J. K. Fairbank (dir.), The Cambridge History of China: Sui and T'ang China, 589–906, vol. 3, Cambridge, 1979, p. 150-151
  17. Sur l'importance de l'héritage des Xianbei chez les premiers Tang : (en) S. Chen, Multicultural China in the Early Middle Ages, Philadelphie, 2012, p. 4-38.
  18. Dien 2019, p. 235-236.
  19. Dien 2007, p. 188-189 et 94-95
  20. Graff 2002, p. 108
  21. Les finalités exactes de cette politique sont depuis longtemps débattues. Cf. (en) A. E. Dien, « The Bestowal of Surnames under the Western Wei-Northern Chou: A Case of Counter-Acculturation », dans T'oung Pao, Second Series 63 2/3, 1977, p. 137-177
  22. Graff 2002, p. 115-116
  23. Dien 2007, p. 95
  24. (en) J. C. Y. Watt (dir.), China: Dawn of a Golden Age, 200-750 AD, New York, New Haven et Londres, Metropolitan Museum of Art et Yale University Press, 2004, p. 255-258
  25. Xiong 2009, p. 477
  26. Xiong 2009, p. 340
  27. (en) X. Tian, « From the Eastern Jin through the early Tang (317–649) », dans Kang-i Sun Chang et S. Owen (dir.), The Cambridge History of Chinese Literature, Volume 1: To 1375, Cambridge, 2010, p. 281-282
  28. (en) J. C. Y. Watt (dir.), China: Dawn of a Golden Age, 200-750 AD, New York, New Haven et Londres, Metropolitan Museum of Art et Yale University Press, 2004, introduction p. xxii
  29. Graff 2002, p. 116
  30. Cf. par exemple (en) J. A. Lerner, Aspects of Assimilation: The Funerary Practices and Furnishings of Central Asians in China, Sino-Platonic Papers 168, Philadelphie, 2005
  31. (en) Xi’an Municipal Institute of Archaeology and Preservation of Cultural Relics, « Tomb of Kang Ye of the Northern Zhou in Xi’an, Shaanxi », Chinese Archaeology, vol. 9,‎ , p. 23-38 (lire en ligne) ; (en) Zheng Y., « Notes on the Stone Couch Pictures from the Tomb of Kang Ye in Northern Zhou », Chinese Archaeology, vol. 9,‎ , p. 39-46 (lire en ligne)
  32. Graff 2002, p. 107-111
  33. Cf. la traduction de sa biographie issue du Livre des Zhou : (en) C. Goodrich, The Biography of Su Ch'o, Berkeley, 1961.
  34. Xiong 2009, p. 332
  35. Sur les rĂ©formes de cette pĂ©riode et leurs motivations, voir (en) S. Pearce, « Archaizing Reform in Sixth-Century China Â», dans S. Pearce, A. Spiro, et P. B. Ebrey (dir.), Culture and Power in the Reconstitution of the Chinese Realm, 200–600, Cambridge (Mass.), 2001, p. 149-178
  36. (en) V. C. Xiong, Sui-Tang Chang'an: a study in the urban history of medieval China, Ann Arbor, 2000, p. 25-28
  37. Xiong 2009, p. 144
  38. J. Lagerwey, « Religion et politique pendant la période de Division », dans Id. (dir.), Religion et société en Chine ancienne et médiévale, Paris, 2009, p. 415.
  39. Ibid., p. 420-422

Bibliographie

  • (en) Victor Cunrui Xiong, Historical Dictionary of Medieval China, Lanham, Scarecrow Press, coll. « Historical dictionaries of ancient civilizations and historical eras », , 731 p. (ISBN 978-0-8108-6053-7, lire en ligne)
  • (en) David A. Graff, Medieval Chinese Warfare, 300-900, Londres et New York, Routledge, coll. « Warfare & History »,
  • (en) Albert E. Dien, Six Dynasties Civilization, New Haven, Yale University Press, coll. « Early Chinese civilization series »,
  • (en) Mark Edward Lewis, China Between Empires : The Northern and Southern Dynasties, Cambridge et Londres, Belknap Press of Harvard University Press, coll. « History of imperial China »,
  • (en) Andrew Eisenberg, Kingship in Early Medieval China, Leyde, Brill, , « The Northern Zhou Case », p. 127-165
  • (en) Albert E. Dien, « Western Wei-Northern Zhou », dans Albert E. Dien et Keith N. Knapp (dir.), The Cambridge history of China, Volume 2, The Six dynasties, 220-589, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 210-236
  • François Martin et Damien Chaussende (dir.), Dictionnaire biographique du haut Moyen Ă‚ge chinois, Paris, Les Belles Lettres,
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