Daphnis et Alcimadure
Daphnis et Alcimadure est la vingt-quatrième fable du livre XII de Jean de La Fontaine situé dans le troisième et dernier recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1693 mais daté de 1694. Il est aussi le sujet de l'opéra du même nom par Mondonville.
Daphnis et Alcimadure | |
Gravure de Benoît-Louis Prévost d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759 | |
Auteur | Jean de La Fontaine |
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Pays | France |
Genre | Fable |
Éditeur | Claude Barbin |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 1693 |
Chronologie | |
Texte
Aimable fille d'une mère
À qui seule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Et quelques-uns encor que vous garde l'Amour,
Je ne puis qu'en cette préface
Je ne partage entre elle et vous
Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse[N 1],
Et que j'ai le secret de rendre exquis et doux.
Je vous dirai donc... Mais tout dire,
Ce serait trop; il faut choisir,
MĂ©nageant ma voix et ma lyre,
Qui bientĂ´t vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'Ă©loge rejaillit.
Gardez d'environner ces roses
De trop d'Ă©pines, si jamais
L'Amour vous dit les mĂŞmes choses :
Il les dit mieux que je ne fais,
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
A ses conseils. Vous l'allez voir.
Jadis une jeune merveille
MĂ©prisait de ce dieu le souverain pouvoir :
On l'appelait Alcimadure :
Fier et farouche objet, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste, Ă©galant les plus belles,
Et surpassant les plus cruelles ;
N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs :
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs ?
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu'Ă mourir.
Le désespoir le fit courir
A la porte de l'inhumaine.
HĂ©las! ce fut au vent qu'il raconta sa peine ;
On ne daigna lui faire ouvrir
Cette maison fatale, oĂą, parmi ses compagnes,
L'ingrate, pour le jour de sa nativité ,
Joignait aux fleurs de sa beauté
Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
« J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux ;
Mais je vous suis trop odieux,
Et ne m'Ă©tonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez mĂŞme un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé,
Doit mettre à vos pieds l'héritage
Que votre cœur a négligé.
Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien,
Et que du reste de mon bien
Mes compagnons fondent un temple
OĂą votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel Ă tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument ;
On gravera sur la bordure :
Daphnis mourut d'amour. Passant, arrĂŞte-toi,
Pleure, et dis : Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure.»
A ces mots, par la Parque[N 2] il se sentit atteint :
Il aurait poursuivi ; la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée.
On voulut, mais en vain, l'arrĂŞter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son amant.
Elle insulta toujours au fils de Cythérée[N 3],
Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compagnes danser autour de sa statue.
Le dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids :
Une voix sortit de la nue,
Echo redit ces mots dans les airs Ă©pandus :
«Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus.»
Cependant de Daphnis l'ombre au Styx descendue
Frémit et s'étonna la voyant accourir.
Tout l'Erèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouĂŻr
Non plus qu'Ajax Ulysse, et Didon son perfide.
— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Daphnis et Alcimadure, texte établi par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 500
Notes
- Montagne de Grèce consacrée à Apollon, symbole de la poésie
- Dininité chargée de couper le trame de la vie humaine
- Autre nom de VĂ©nus