DĂ©fixion
Une tablette de dĂ©fixion (defixio en latin, ÎșαÏΏΎΔÏÎŒÎżÏ / katĂĄdesmos en grec ancien), appelĂ©e aussi tablette de malĂ©diction ou tablette dâenvoĂ»tement, est une inscription et son support, destinĂ©s Ă nuire Ă une personne ou Ă plusieurs. Il s'agit du type de tĂ©moignage le plus rĂ©pandu qui nous soit parvenu de la magie antique. En effet, environ 2 000 exemplaires sont recensĂ©s Ă lâheure actuelle, sâĂ©talant du VIe siĂšcle av. J.-C. pour le document le plus ancien au VIe siĂšcle, et cela dans lâensemble du monde grĂ©co-romain.
AttestĂ©e dans la littĂ©rature, la pratique consiste littĂ©ralement à « clouer », « lier », une personne ou parfois un animal. Comme le prĂ©cise Fritz Graf : « Lâobjectif habituel de la dĂ©fixion est donc de soumettre un autre ĂȘtre humain Ă sa volontĂ©, de le rendre incapable dâagir selon son propre grĂ©. », pratique appelĂ©e dorĂ©navant envoĂ»tement.
Artefacts utilisés
MalgrĂ© une variĂ©tĂ© somme toute normale vu le nombre important dâexemples Ă la disposition de lâhistorien, les tablettes de dĂ©fixion rĂ©pondent gĂ©nĂ©ralement Ă un certain nombre dâimpĂ©ratifs et reprennent des formes prĂ©Ă©tablies. Ainsi, sâil nâest pas le seul Ă avoir Ă©tĂ© utilisĂ©, câest toutefois le plomb qui semble avoir eu la prĂ©fĂ©rence des magiciens comme support[1]. Les raisons de ce choix sont multiples et relĂšvent aussi bien de la pratique que de la symbolique. En effet, mĂ©tal froid et sombre, il se trouvait notamment liĂ© par sympathie aux mondes cachĂ©s. Mais plus encore, le plomb est mallĂ©able, facile Ă graver et rĂ©sistant bien aux outrages du temps qui passe, Ă lâimage de la pratique qui se veut bien souvent Ă©ternelle. Il Ă©tait de plus dâun coĂ»t relativement faible, Ă©tant le plus souvent dĂ©robĂ© aux canalisations servant Ă alimenter les citĂ©s en eau. Mais des tablettes sur papyrus en Ăgypte, bronze, Ă©tain, etc., ont aussi Ă©tĂ© dĂ©couvertes ce qui prouve bien lâimportance de la parole Ă©crite devenue opĂ©rante plus que le support en lui-mĂȘme.
Les sĂ©pultures ont fourni un nombre important de textes, que ce soit Ă AthĂšnes au CĂ©ramique, en Sicile ou mĂȘme Ă Carthage. Les exĂ©cutants allaient jusquâĂ utiliser le tuyau Ă libation de terre cuite qui reliait les cippes funĂ©raires Ă lâextĂ©rieur pour y introduire les tablettes, obligeant les familles des dĂ©funts Ă une certaine vigilance. Les puits et les sources Ă©taient aussi tout particuliĂšrement prisĂ©s comme le souligne dâailleurs le manuscrit VII des Papyrus grecs magiques, Ă lâimage de la source des Roches Ă ChamaliĂšres oĂč fut dĂ©couverte une tablette rĂ©digĂ©e en langue gauloise ou encore Ă Bath oĂč des dizaines de tablettes ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es dans la source sacrĂ©e.
Dâautres objets aux caractĂšres dĂ©libĂ©rĂ©ment magiques pouvaient Ă©ventuellement accompagner les feuilles de plomb ou de papyrus. Le cas le plus frĂ©quemment attestĂ© est celui de clous comme signalĂ© plus haut. Plus rarement, des morceaux dâĂ©toffe, des cheveux ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s, restes de ce qui constituait lâousia, ce matĂ©riel magique provenant de la personne visĂ©e. Mais le cas le plus intĂ©ressant est peut-ĂȘtre celui de figurines dâenvoĂ»tement dont plusieurs exemples ont Ă©tĂ© dĂ©couverts le plus souvent en compagnie de tablettes. Celles-ci pouvaient ĂȘtre schĂ©matiques Ă lâimage de celles provenant de Karystos ou Tell-Sandhahana ou plus rĂ©alistes. Faites alors en terre cuite, elles Ă©taient transpercĂ©es dâaiguilles en diffĂ©rentes parties anatomiques et la personne Ă©tait reprĂ©sentĂ©e liĂ©e, entravĂ©e par souci de sympathie.
Domaines d'action
Le domaine dâaction des tablettes Ă©tait trĂšs vaste. Il touchait tous les domaines des passions humaines. Il est cependant possible de distinguer quatre grandes familles :
- les defixiones iudicariae, courantes dans lâAthĂšnes des Ve et IVe siĂšcles av. J.-C., qui tentaient de nuire aux adversaires dans le cadre dâun procĂšs. LâĂ©tude menĂ©e par G. Ottone, sâappuyant entre autres sur le fait que câest le plus souvent la partie adverse qui est mise en cause et rarement les juges, laisse penser quâelles appartiennent Ă la phase dâinstruction et sont donc antĂ©rieures au procĂšs lui-mĂȘme ;
- les defixiones amatoriae visent à attirer une personne aimée, le plus souvent de maniÚre définitive et immédiate, ou causer tort à un rival en amour : l'une des plus célÚbres est la tablette de Pella, rédigée en ancien macédonien au IVe siÚcle av. J.-C. ;
- les defixiones agonisticae, attestĂ©es essentiellement Ă lâĂ©poque impĂ©riale, dont le contexte est clairement celui du thĂ©Ăątre ou du cirque. Ă ce groupe, il est possible dâadjoindre les defixiones contre des concurrents Ă©conomiques et qui relĂšvent de la mĂȘme logique ;
- enfin les défixions visant un voleur ou un calomniateur.
Historiographie
Il est donc facile de saisir lâintĂ©rĂȘt que reprĂ©sentent pour les historiens de tels documents qui renseignent Ă la fois sur les pratiques magiques, mais aussi sur la vie des sociĂ©tĂ©s qui nâhĂ©sitaient pas Ă y recourir[1], et cela dans toutes les classes sociales puisque, selon ce que rapporte Tacite, Cn. Calpurnius Pison fut accusĂ© d'avoir utilisĂ© des malĂ©fices contre Germanicus[2], tandis que dans le sable d'une tombe de la nĂ©cropole d'Ostie, une lamelle de plomb percĂ©e de cinq trous portait les noms de neuf femmes, toutes esclaves et coiffeuses[3].
- Tablette d'EyguiĂšres, Bouches-du-RhĂŽne
- Tablette de l'Hospitalet-du-Larzac conservée au musée de Millau (Aveyron).
- Fragment de la tablette de l'Hospitalet-du-Larzac, conservé au musée de Millau (Aveyron).
- Tablette de plomb provenant de l'oppidum de La GranĂšde (Aveyron).
- Tablette de défixion trouvée à Tongres et conservée au Musée gallo-romain de Tongres (Belgique).
Notes et références
- Catherine Virlouvet (dir.) et StĂ©phane Bourdin, Rome, naissance d'un empire : De Romulus Ă PompĂ©e 753-70 av. J.-C, Paris, Ăditions Belin, coll. « Mondes anciens », , 796 p. (ISBN 978-2-7011-6495-3), chap. 10 (« La religion et la citĂ© de Rome »), p. 552
- Tacite, Annales, III, 13
- CIL 5306, Mireille CĂ©beillac-Gervasoni, Maria Letizia Caldelli, Fausto Zevi, Ăpigraphie latine, Armand Colin, 2006, (ISBN 2200217749), pp. 120-121.
Bibliographie
- Auguste Audollent, Defixionum tabellae quotquot innotuerunt tam in Graecis Orientis quam in totius occidentis partibus praeter Atticas in corpore inscriptionum Atticarum editas, ThĂšse de doctorat dâĂtat, Paris, A. Fontemoing, 1904 ; rĂ©Ă©d. Francfort, 1967.
- Fritz Graf, La magie dans lâantiquitĂ© grĂ©co-romaine, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
- Amor LĂłpez Jimeno, Les tabellae Defixionis de la SicĂlia grega, ed. Hakkert, Amsterdam, 1991
- Amor LĂłpez Jimeno, Noves tabellae defixionis Ă tiques, ed. Hakkert, Amsterdam 1998
- Amor LĂłpez Jimeno, Textos grecs de malefici, ed. Akal, Madrid, 2001,
- Amor LĂłpez Jimeno, La mĂ gia malĂšfica en l'Antiguitat Grega: Les tabellae Defixionis d'Ăšpoca clĂ ssica i d'Ăšpoca Imperial, al dĂ©u que encisa i encanta. MĂ gia i Astrologia al mĂłn clĂ ssic i helâąlenĂstic, (J.PelĂĄez, ed.) CĂČrdoba 2002, 103-120.
- Amor LĂłpez Jimeno,"ÎΔÏÎčÎșÎŹ ΎηΌÏΎη ÏÏÎżÎčÏΔία (Umgangsprache) ÏÎ·Ï ÎłÎ»ÏÏÏÎ±Ï ÏÏÎœ αÏÏαίÏÎœ ΔλληΜÎčÎșÏÎœ ΔλαÏÎŒÎŹÏÏÎœ ÎșαÏÎŹÏαÏ" Proceedings of the XIth. Congress of FIEC, ed. Parnassos Literary Society, tom 3, Atenes 2004, 156-175
- Amor LĂłpez Jimeno, "Defixion aus Selinunt (SEG XXVI, 1113)", ZPE 73, 1988, 119 -
- Amor LĂłpez Jimeno, "Nova lectura a una defixio de Selinunte (SEG XXVII, 1115)", Meerita 57, 1989, 325-327.
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- Amor LĂłpez Jimeno, "Zu einer Fluchtafel des Athener Kerameikos" ZPE 91,1992, 201-202.
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- Amor LĂłpez Jimeno, "La finalitat dels textos grecs de malefici (defixiones)" Estudis clĂ ssics 112, 1997, 25-34. <http://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=7006&orden=147773&info = link>
- Amor LĂłpez Jimeno, "Textos de mĂ gia professional de Xipre" MHNH 11, 2011, pp. 159-174.
- Michaël Martin, La magie et ses praticiens dans le monde gréco-romain, Paris, Errance, 2005.
- Michaël Martin, Sois maudit ! Malédictions et envoûtements dans l'Antiquité, Paris, Errance, 2010.
- Gabriella Ottone, Tre note sulle "defixiones iudiciariae" greche di età arcaica e classica, « Sandalion. Quaderni di cultura classica, cristiana e medievale », XV (1992), 39-51.