Crise politique de 2022 au Pakistan
La crise politique de 2022 au Pakistan dĂ©bute lorsque le Premier ministre Imran Khan perd sa majoritĂ© absolue Ă l'AssemblĂ©e nationale en mars 2022 et se transforme en crise constitutionnelle. Le 3 avril, le vice-prĂ©sident de l'AssemblĂ©e nationale Qasim Khan Suri (en) refuse de mettre au vote une motion de censure contre le Premier ministre dĂ©posĂ©e par lâopposition. Dans la foulĂ©e, le prĂ©sident de la RĂ©publique Arif Alvi dissout l'AssemblĂ©e nationale sur conseil du Premier ministre et convoque des Ă©lections anticipĂ©es.
Le , la Cour suprĂȘme dĂ©clare inconstitutionnelle la dĂ©cision du vice-prĂ©sident de l'AssemblĂ©e nationale et restaure cette derniĂšre, grĂące Ă laquelle l'opposition espĂšre prendre le contrĂŽle du gouvernement. Le , Imran Khan devient le premier chef du gouvernement Ă ĂȘtre dĂ©mis de ses fonctions par une motion de censure. Le lendemain, le chef de l'opposition Shehbaz Sharif est Ă©lu par l'AssemblĂ©e pour le remplacer.
Contexte
Victoire du PTI aux législatives de 2018 et formation du gouvernement
Pour les élections législatives de 2018, le Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) fait partie des deux favoris avec le pouvoir sortant de la Ligue musulmane du Pakistan (N). Imran Khan établit d'ailleurs à l'occasion de celles-ci un virage plus conservateur, indiquant par exemple vouloir sauvegarder la loi interdisant le blasphÚme[1] - [2]. Ses opposants lui reprochent de vouloir ainsi s'attirer le vote des conservateurs religieux[3]. En revanche, son programme accorde une place signifiative à l'écologie et il promet des investissements dans l'éducation et la santé[4].
Durant la campagne, le clan Sharif accuse la puissante armĂ©e pakistanaise de comploter contre lui et de favoriser le PTI, alors que certains mĂ©dias et fonctionnaires notent une rĂ©pression Ă l'encontre du parti sortant et dĂ©noncent des censures[5] - [6]. Le , il arrive largement en tĂȘte des lĂ©gislatives mais sans obtenir de majoritĂ© absolue, bien que ses rivaux dĂ©noncent des fraudes Ă©lectorales. Il entame alors des nĂ©gociations pour former un gouvernement de coalition avec des petits partis et des indĂ©pendants[7].
Le , le PTI annonce avoir trouvé un accord en vue de former un gouvernement de coalition, ralliant des candidats indépendants, la Ligue musulmane du Pakistan (Q), le Parti baloutche Awami et la Grande alliance démocratique ainsi que le Mouvement Muttahida Qaumi[8] - [7]. Imran Khan reçoit le l'investiture de l'Assemblée nationale par 176 voix favorables, soit quatre de plus que la majorité requise. En arrivant au pouvoir, il interrompt l'alternance traditionnelle entre le Parti du peuple pakistanais et les factions de la Ligue musulmane du Pakistan, notamment celle de Nawaz[9].
Contestation d'Imran Khan par l'opposition
Fazal-ur-Rehman, dirigeant du parti islamiste JUI-F prend la tĂȘte d'une manifestation anti-gouvernementale de 20 000 partisans en novembre 2019[10]. Le , le Mouvement dĂ©mocratique pakistanais est fondĂ© par la Ligue musulmane du Pakistan (N) et le Parti du peuple pakistanais (PPP) ainsi que neuf autres partis de l'opposition parmi ses membres[11]. Fazal-ur-Rehman est nommĂ© Ă la tĂȘte de l'alliance, un choix consensuel alors qu'il Ă©vite de choisir entre les deux principaux partis[10].
Le mouvement mĂšne diffĂ©rentes actions Ă travers les quatre provinces du pays, souvent dirigĂ©es par le chef du PPP Bilawal Bhutto Zardari et la vice-prĂ©sidente de la Ligue Maryam Nawaz Sharif. Son premier rassemblement le 16 octobre 2020 Ă Gujranwala regroupe jusqu'Ă 60 000 sympathisants dans le stade de la ville[12]. Un second rassemblement menĂ© le 18 octobre Ă Karachi rĂ©unit entre 60 000 personnes selon les autoritĂ©s et 150 000 selon le PPP[13] - [14]. Le mouvement rassemble ensuite prĂšs de 20 000 personnes Ă Quetta le 25 octobre, sous la surveillance de 5 000 policiers[15] - [16]. Le 22 novembre, c'est Ă Peshawar que le mouvement mĂšne sa quatriĂšme action en revendiquant 100 000 participants[17]. Le 30 novembre, un nouveau rassemblement Ă Multan est menĂ© par Maryam Nawaz et Asifa Zardari, sĆur de Bilawal[18].
Le mouvement démocratique pakistanais critique le pouvoir exorbitant des militaires au Pakistan, réclame des élections anticipées en 2021 et le départ du gouvernement d'Imran Khan, « choisi par l'armée » selon l'alliance. Il dénonce des fraudes lors des élections législatives de 2018. Si selon les observateurs internationaux, les militaires n'ont pas directement interféré dans le processus de vote, de nombreux analystes estiment qu'ils ont activement soutenu certains partis et isolé leurs détracteurs. Dans une charte en douze points, le mouvement demande notamment l'indépendance du Parlement et de la justice, la liberté de la presse, une réforme électorale et la fin de l'interférence de l'armée[19].
Imran Khan dénonce le mouvement comme un chantage de ses dirigeants, qui chercheraient selon lui à échapper aux poursuites pour corruption et à obtenir une amnistie, à l'instar de l'ordonnance nationale de réconciliation de 2007[20]. Le clan Sharif, dont Nawaz Sharif, son frÚre Shehbaz Sharif et sa fille Maryam Nawaz Sharif font ainsi l'objet de poursuites depuis les révélations des Panama Papers, alors que le premier est en « exil » à l'étranger et le second emprisonné[21].
Effondrement de la coalition au pouvoir
Dans le contexte d'une crise économique persistante, le gouvernement du Premier ministre Imran Khan, élu aprÚs les élections de 2018, fait face à des critiques de plus en plus virulentes de la part de ses partenaires de coalition. Le , l'unique député du Jamhoori Wattan annonce quitter la coalition gouvernementale[22]. Le lendemain, quatre des cinq députés du Parti baloutche Awami, un allié clé du parti au pouvoir, annoncent à leur tour rejoindre les rangs de l'opposition. Le 30 mars, les sept élus du Mouvement Muttahida Qaumi et ses deux ministres fédéraux quittent également l'alliance[23].
Imran Khan accuse l'opposition d'ĂȘtre manipulĂ©e par les Ătats-Unis, qui lui reprocherait sa visite Ă Vladimir Poutine en Russie le , premier jour de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022, ainsi que sa neutralitĂ© dans le conflit. Il met notamment en avant une prĂ©tendue « lettre de menace » envoyĂ©e par des diplomates amĂ©ricains indiquant que les relations entre les deux pays dĂ©pendront du rĂ©sultat de la motion de censure. Les Ătats-Unis dĂ©mentent toute ingĂ©rence[24]. L'opposante Maryam Nawaz Sharif dĂ©nonce un faux du Premier ministre, qui chercherait Ă s'attirer les faveurs de l'opinion publique en se posant comme le dĂ©fenseur des intĂ©rĂȘts nationaux[25].
DĂ©roulement
Tentative de censure du gouvernement
Le 28 mars, 161 dĂ©putĂ©s de l'opposition menĂ©s par leur chef Ă l'AssemblĂ©e nationale Shehbaz Sharif dĂ©posent une demande de censure contre le gouvernement. Le 3 avril, au dĂ©but de la session de l'AssemblĂ©e nationale, le ministre de l'Information Fawad Chaudhry a pris la parole en dĂ©clarant que la loyautĂ© envers l'Ătat Ă©tait le devoir fondamental de tout citoyen en vertu de l'article 5 de la Constitution. Il a rĂ©itĂ©rĂ© les affirmations antĂ©rieures d'Imran Khan selon lesquelles un complot Ă©tranger avait Ă©tĂ© ourdi pour renverser le gouvernement. Chaudhry a ensuite appelĂ© le vice-prĂ©sident Ă dĂ©cider de la constitutionnalitĂ© de la motion de censure. Par consĂ©quent, Suri a qualifiĂ© la motion de violation de l'article 5 de la Constitution en raison d'un « complot Ă©tranger » Ă l'appui de la motion[26]. Peu de temps aprĂšs, Khan, dans un discours Ă la nation, a annoncĂ© qu'il avait conseillĂ© au prĂ©sident Arif Alvi de dissoudre les assemblĂ©es Ă la suite du rejet de la motion de censure Ă son encontre. Ainsi, le mĂȘme jour, le PrĂ©sident a dissous l'AssemblĂ©e nationale en vertu de l'article 58 de la Constitution[27].
Le 4 avril, le SecrĂ©tariat du gouvernement a publiĂ© une notification indiquant qu'Imran Khan avait « cessĂ© d'occuper le poste de Premier ministre du Pakistan avec effet immĂ©diat ». Cependant, selon une notification publiĂ©e par le bureau du prĂ©sident le mĂȘme jour, Imran Khan continuera d'exercer ses fonctions de Premier ministre jusqu'Ă la nomination d'un premier ministre par intĂ©rim[28].
DĂ©cision de la Cour suprĂȘme
La dĂ©cision de dissoudre l'assemblĂ©e est particuliĂšrement controversĂ©e en raison de la mention explicite dans l'article 58 du fait qu'un Premier ministre « contre lequel un avis de rĂ©solution de vote de dĂ©fiance a Ă©tĂ© donnĂ© Ă l'AssemblĂ©e nationale mais n'a pas Ă©tĂ© votĂ© » n'a pas le pouvoir mentionnĂ© ci-dessus de conseiller au PrĂ©sident de rĂ©voquer l'AssemblĂ©e[29]. Plus tard dans la journĂ©e, un banc de trois membres de la Cour suprĂȘme comprenant le juge en chef du Pakistan (en) Umar Ata Bandial (en) ainsi que les juges Ijazul Ahsan (en) et Muhammad Ali Mazhar (en) a dĂ©clarĂ© que la juridiction examinerait les actions du vice-prĂ©sident[30]. Le mĂȘme jour, la coalition d'opposition du Mouvement dĂ©mocratique pakistanais a tenu une session non-officielle Ă l'AssemblĂ©e nationale aprĂšs que la chambre a Ă©tĂ© ajournĂ©e et a passĂ© le vote de dĂ©fiance contre Imran Khan, le dĂ©clarant rĂ©ussi avec 197 voix pour 172 nĂ©cessaires[31].
La Cour suprĂȘme examine du 3 au 7 avril un recours dĂ©posĂ© par l'opposition. Le 7 avril, elle dĂ©clare inconstitutionnelle le rejet de la motion de censure et invalide par consĂ©quent la dissolution, Ă l'unanimitĂ© des cinq juges. La Cour ordonne Ă©galement Ă l'AssemblĂ©e nationale de se rĂ©unir le 9 avril pour voter la motion de censure[32] - [33].
Renversement d'Imran Khan
Imran Khan est finalement renversé par la motion de censure, votée le lendemain peu aprÚs minuit par 174 députés, soit deux voix de plus que le minimum requis. Ce vote fait suite à la démission du président et du vice-président de l'Assemblée. Alors que la session chaotique avait débuté la veille à 10 heures du matin, elle a été ajourné à plusieurs reprises, alors que des députés des deux camps se sont échangés des invectives et que des ministres ont retardé le vote par des discours-fleuve en guise d'obstruction parlementaire[34] - [35].
L'ex-premier ministre est cependant toujours populaire auprĂšs de larges pans de la population, et ceux-ci se rassemblent Ă la demande de l'homme politique[36].
Conséquences
Formation d'un nouveau gouvernement
L'Assemblée nationale se réunit dÚs le pour élire un nouveau Premier ministre. Shehbaz Sharif se présente pour succéder à Imran Khan en tant que candidat commun de l'opposition. Face à lui, le ministre des Affaires étrangÚres d'Imran Khan, Shah Mehmood Qureshi, tente de lui faire barrage. Finalement, les soutiens d'Imran Khan boycottent massivement la session, au cours de laquelle Shehbaz Sharif est élu sans opposition avec 174 voix en sa faveur, sur un total de 342 siÚges, soit deux de plus que la majorité absolue[37].
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « 2022 Pakistani constitutional crisis » (voir la liste des auteurs).
- (en) Au Pakistan, Imran Khan met du people rigoriste dans la politique sur Libération, le 19 février 2018
- Le Pakistan sâapprĂȘte Ă Ă©lire un Trump bis Ă sa tĂȘte sur Slate.fr, le 19 juillet 2018
- (en) Imran Khan criticised for defence of Pakistan blasphemy laws sur The Guardian, le 9 juillet 2018
- Le Point, magazine, « Pakistan: l'ex-champion de cricket Imran Khan élu Premier ministre », sur Le Point (consulté le )
- Pakistan: pas de docteur personnel pour l'ex-Premier ministre Nawaz Sharif emprisonné et souffrant sur L'Express, le 23 juillet 2018
- Avant des élections au Pakistan, l'ombre de l'armée sur la presse sur L'Express, le 29 juin 2018
- (en) Pakistan election: Imran Khan begins coalition talks as opposition parties protest 'rigged' vote sur independent.co.uk, le 28 juillet 2018
- « Pakistan : le parti d'Imran Khan affirme pouvoir former une coalition à l'Assemblée », sur L'Orient-Le Jour (consulté le )
- (en) Pakistan. Lâex-champion de cricket Imran Khan devient Premier ministre sur ouest-france.fr, le 17 aoĂ»t 2018
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- (en) Pakistan Democratic Movement (PDM): All you need to know sur jagranjosh.com, le 29 octobre 2020
- (en) FIR registered against PDM Gujranwala jalsa management over violation of coronavirus SOPs: sources sur geo.tv, le 20 octobre 2020
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- (en) PM Imran terms PDM Lahore public meeting 'pathetic', rules out NRO again sur Dawn.com, le 13 décembre 2020
- Arrestation de Shehbaz Sharif, leader de lâopposition au Pakistan sur Le Courrier international, le 28 septembre 2020
- (en) Shahzain Bugti quits federal cabinet, joins PDM sur brecorder.com, le 28 mars 2022
- (en) No-trust vote: MQM-P formally breaks rank with govt 'in interest of Pakistan' sur Dawn.com
- (en) PM discloses contents of âthreat letterâ sur Dawn.com, le 31 mars 2022
- (en) Envoyâs transfer exposes âthreat letterâ drama, claims Maryam sur Dawn.com, le 6 avril 2022
- (en) « NA speaker dismisses no-trust move against PM Imran, terms it contradictory to Article 5 », sur Dawn,
- (en) « President Alvi dissolves National Assembly on PM Imran's advice », sur Dawn,
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- (en) Imran Khan loses no-trust vote, prime ministerial term comes to unceremonious end sur Dawn.com, le 9 avril 2022
- « Le Premier ministre pakistanais Imran Khan renversé par une motion de censure », sur RFI,
- (en) Shehbaz Sharif elected prime minister of Pakistan sur Dawn.com, le 11 avril 2022