CrĂa cuervos
CrĂa cuervos est un film espagnol rĂ©alisĂ© par Carlos Saura, sorti en 1976.
RĂ©alisation | Carlos Saura |
---|---|
Scénario | Carlos Saura |
Acteurs principaux | |
SociĂ©tĂ©s de production | ElĂas Querejeta Producciones Cinematográficas |
Pays de production | Espagne |
Genre | Drame |
Durée | 110 minutes |
Sortie | 1976 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
Le titre fait rĂ©fĂ©rence au dicton espagnol « crĂa cuervos y te sacarán los ojos » (littĂ©ralement « Ă©lève des corbeaux et ils t'arracheront les yeux »).
Résumé
Dans le Madrid des années 1970, Ana (âgée de 8-10 ans), et ses sœurs, Irène (11-12 ans) et Maïté (7 ans), orphelines de mère et de père, sont élevées par leur tante Paulina, avec laquelle Ana ne s'entend pas très bien. Dans l'appartement, se trouvent aussi la mère de Paulina, paralysée et muette, mais qui entend et comprend bien, et la bonne, Rosa.
Les trois petites filles ont été marquées par leurs parents. Un jour, elles se déguisent, Irène en « père », Ana en « mère » et Maïté en « bonne ». Le « père » et la « mère » se disputent assez violemment, tout en disant de faire attention de ne pas réveiller les « enfants ».
Ana a une vie intérieure particulièrement riche. Elle se remémore notamment la nuit de la mort de son père (elle a entendu les râles de son père, et vu une amie, Amelia, sortir de la chambre en hâte, pas complètement habillée) et des scènes de l'agonie de sa mère, morte avant le père. Elle se rappelle aussi un séjour chez Amelia et son époux (les deux hommes sont amis, tous deux officiers de l'armée espagnole) où elle a vu son père embrasser Amelia et où les filles ont joué à cache-cache (avec « mort » et « résurrection »). Ana voit souvent sa mère auprès d'elle, puis se rend compte qu'elle a seulement rêvé.
Prenant pitié de sa grand-mère, elle lui propose un jour un poison, mais la grand-mère n'est pas malheureuse et refuse. Après une altercation avec Paulina, Ana empoisonne un verre de lait, puis le lui offre. La nuit, elle reprend le verre vide et le lave soigneusement, tandis que Paulina gît sur son lit. Mais le matin, Paulina réapparaît en pleine forme et les trois sœurs vont à leur école de filles avec un uniforme à l'anglaise.
Entre ces scènes d'époque diverses, s'intercalent quelques interventions d'Ana devenue adulte qui parle (face caméra) de son enfance.
Fiche technique
- Titre original : CrĂa cuervos (littĂ©ralement « Élève des corbeaux »)
- Titre anglais : Raise Ravens (Royaume-Uni) ou Cria! (États-Unis)
- RĂ©alisation : Carlos Saura
- Scénario : Carlos Saura, d'après son histoire
- Musique : Federico Mompou
- DĂ©cors : Rafael Palmero
- Costumes : Maiki MarĂn
- Photographie : Teodoro Escamilla
- Son : Bernardo Menz
- Montage : Pablo González del Amo
- Production : ElĂas Querejeta
- Directeur de production: Primitivo Alvaro
- SociĂ©tĂ© de production : ElĂas Querejeta Producciones Cinematográficas
- Sociétés de distribution : Emiliano Piedra (Espagne) ; Belga Films (Belgique)
- Pays de production : Espagne
- Langue originale : espagnol
- Format : couleurs (Eastmancolor) — 35 mm — 1,66:1 — son mono
- Genre : drame
- Durée : 110 minutes
- Dates de sortie :
- Espagne :
- France : mai 1976 (Festival de Cannes) ; (sortie nationale) ; (nouvelle sortie)
Distribution
- Géraldine Chaplin (VF : Béatrice Delfe[1]) : La mère d'Ana / Ana adulte
- MĂłnica Randall : Paulina, la tante des trois filles
- Florinda Chico : Rosa, la bonne
- Ana Torrent : Ana Ă 8 ans
- Héctor Alterio : Anselmo, un officier franquiste, le père des trois filles
- Germán Cobos : Nicolás Garontes, un officier ami du père d'Ana
- Mirta Miller : Amelia Garontes, sa femme
- Josefina DĂaz : la grand-mère paralytique des fillettes
- Conchita Pérez : Irène, 11 ans, l'aînée des trois filles
- Maite Sánchez : Maïté, 5 ans, la cadette des trois filles
- Juan Sánchez Almendros
Analyse
CrĂa cuervos est une fable sur les rapports difficiles entre l'enfance et l'âge adulte. L'incomprĂ©hension entre ces deux mondes prend un relief saisissant dans une Espagne franquiste et bourgeoise cloisonnĂ©e dans ses codes et ses interdits. C'est Ă©galement un film « presque entièrement consacrĂ© Ă l'Ă©vocation d'un univers fĂ©minin. Le metteur en scène a su montrer avec une grande sensibilitĂ© la force de l'amour entre une enfant et sa mère »[2] irrĂ©mĂ©diablement disparue.
« Je crois que les enfants ont une idée de la mort différente de celle qu'ont les adultes. Pour un adulte, la mort c'est la fin d'un processus de dégradation et d'usure. Pour un enfant, la mort s'identifie plus à la disparition, elle n'a pas de sens tragique [...]. Pour Ana (Ana Torrent) enfant, la mort de sa mère signifie sa disparition, ce qui veut dire qu'à n'importe quel moment elle peut réapparaître, et pour cela, elle est capable de la faire revivre quand elle en a besoin », dit Carlos Saura[3].
C'est donc une vision sans idĂ©alisme sur le monde de l'enfance. Ana, le personnage principal, pense qu'elle a le pouvoir de faire revivre sa mère par la seule force de ses souvenirs. Mais aussi celui de faire mourir son père qu'elle juge responsable de la mort de sa mère et sa tante qui ne rĂ©ussit pas Ă remplacer cette dernière. Ana porte sur les adultes un regard d'enfant extrĂŞmement mĂ»r, rempli de cynisme et de rĂ©alisme. Dans CrĂa cuervos, Carlos Saura mĂ©lange habilement le prĂ©sent avec Ana devenue adulte qui analyse les moments qu'elle se remĂ©more, le passĂ©, avec le souvenir omniprĂ©sent de sa mère, et le futur. « Le fait que l'histoire soit racontĂ©e par Ana femme, vingt ans après le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements, signifie que le rĂ©cit s'effectue Ă partir du futur. Ce n'est pas gratuit, c'est simplement la seule façon que j'ai trouvĂ©e de voir le prĂ©sent avec les yeux du passĂ© », explique le rĂ©alisateur[3].
Autour du film
- « CrĂa cuervos » signifie « Élève des corbeaux ». Le titre s'inspire ironiquement d'un proverbe espagnol : « CrĂa cuervos y te sacarán los ojos » qui signifie « Élève des corbeaux et ils t'arracheront les yeux ». Cette maxime est volontiers utilisĂ©e par des adultes se plaignant amèrement de l'ingratitude des enfants. Le titre reflète donc le point de vue de la tante Paulina. Le dicton n'a pas d'Ă©quivalent exact en français mais correspond Ă l'expression rĂ©chauffer un serpent dans son sein ou au portugais quem cria cobra amanhece picado, « qui Ă©lève des serpents se rĂ©veillera un jour mordu ».
- Carlos Saura annonce le titre de ce film dans La Cousine Angélique, son œuvre précédente, en plaçant le fameux dicton dans la bouche de l'acteur Fernando Delgado, à l'instant où il se prépare à infliger une sévère correction à Luis (José Luis López Vázquez), coupable d'une escapade avec sa cousine[2].
- La chanson Porque te vas, composée par José Luis Perales et interprétée par Jeanette, est le thème musical du film. Sortie deux ans plus tôt mais passée inaperçue, cette chanson du film est devenue par la suite un véritable hit international, notamment en France où elle a été le tube de l'été 1976.
- Carlos Saura a dĂ©clarĂ© Ă de nombreuses reprises qu'il avait Ă©crit le scĂ©nario du film en pensant Ă Ana Torrent, alors âgĂ©e de 7 ans. La toute jeune interprète devint l'une des icĂ´nes du cinĂ©ma espagnol de l'après-franquisme, grâce Ă CrĂa cuervos et deux autres films majeurs : L'Esprit de la ruche de VĂctor Erice (1973) et El nido de Jaime de Armiñán (1979).
- Le film a été tourné à Madrid et à Quintanar (province de Ségovie).
Distinctions
RĂ©compenses
- Festival de Cannes 1976 : Grand Prix du jury (ex æquo avec La Marquise d'O…)
- Prix du Syndicat des critiques français 1977 : Meilleur film étranger
- Premios ACE 1978 : Meilleur film, Meilleur réalisateur (Carlos Saura), Meilleure actrice (Geraldine Chaplin), Meilleur second rôle masculin (Hector Alterio)
Notes et références
- (fr) RSdoublage.com (onglet doublage)
- Emmanuel Larraz (préf. Luis Garcia Berlanga), Le cinéma espagnol des origines à nos jours, Paris, Les Éditions du Cerf,, coll. « Septième art » (no 77), (ISBN 978-2-204-02487-7, OCLC 417176223).
- Enrique BrasĂł : Entretien avec Carlos Saura, Positif, no 194, juin 1977.
Voir aussi
Bibliographie
- (es) Natalia Ardanaz Yunta, « CrĂa Cuervos, la representaciĂłn del universo femenino en una pelĂcula de la transiciĂłn », dans Rafael Ruzafa Ortega (dir.), La historia a travĂ©s del cine : transiciĂłn y consolidaciĂłn democrática en España, Universidad del PaĂs Vasco/Euskal Herriko Unibertsitatea, Servicio de Publicaciones, , 264 p. (ISBN 84-8373-645-4, lire en ligne), p. 129-166.
- (en) Rachel Beaney, « Orphans at play in CrĂa cuervos (1976) and Estiu 1993 (2017) : Reconsidering the playspace », Forum for Modern Language Studies, vol. 56, no 4,‎ (DOI 10.1093/fmls/cqaa047).
- Marianne Bloch-Robin, « Invisible et indicible dans CrĂa Cuervos (1975) de Carlos Saura », L'Ă‚ge d'or. Images dans le monde ibĂ©rique et ibĂ©ricoamĂ©ricain, no 5 « Le visible et l’invisible dans le monde hispanique et hispano-amĂ©ricain »,‎ (DOI 10.4000/agedor.909, lire en ligne).
- (en) Stuart Davis, « The time of the (orphan) child : Viewing Carla SimĂłn's Estiu 1993/Summer 1993 (2017) with Carlos Saura's CrĂa cuervos/Raise Ravens (1976) », Studies in Spanish & Latin American Cinemas, Publisher Intellect Ltd., vol. 17, no 1,‎ , p. 117-136 (ISSN 2050-4837, DOI 10.1386/slac_00014_1).
- Arnaud Duprat de Montero, « Les voix des héroïnes de Geraldine Chaplin dans le cinéma de Carlos Saura ou la mise en lumière d'une collaboration artistique », Entrelacs, no 11 « La Voix »,‎ (DOI 10.4000/entrelacs.912, lire en ligne).
- (pt) Sandra Fischer, « CrĂa cuervos e Todo sobre mi madre : famĂlia, cinema e subversĂŁo », Significação : revista brasileira de semiĂłtica, vol. 31, no 21,‎ , p. 43-61 (ISSN 1516-4330, DOI 10.11606/issn.2316-7114.sig.2004.65581, lire en ligne).
- (es) Mariá JosĂ© Gámez Fuentes, « Maternidad y Ausencia en CrĂa cuervos de Carlos Saura », Hispanic Research Journal : Iberian and Latin American Studies, vol. 2, no 2,‎ , p. 153-164 (DOI 10.1179/hrj.2001.2.2.153).
- (en) Yeon-Soo Kim, The Family Album : Histories, Subjectivities, and Immigration in Contemporary Spanish Culture, Lewisburg (Pennsylvanie), Bucknell University Press, , 268 p. (ISBN 0-8387-5610-7), chap. 2 (« The Family Album and Gender : Transgenerational Succession of Historical Consciousness in Carlos Saura's CrĂa cuervos and Julio Llamazares's Escenas de cine mudo »), p. 69-95.
- (de) Rolf Kloepfer, « Die Konzeption einer neuen Blickweise fĂĽr die eigene Geschichte : Sauras Film CrĂa cuervos », dans Bernhard Teuber et Horst Weich (dir.), Iberische Körperbilder im Dialog der Medien und Kulturen, Francfort-sur-le-Main / Madrid, Vervuert Verlagsgesellschaft, , 320 p. (ISBN 978-3893541485, DOI 10.31819/9783964567123-016), p. 269-294.
- (en) Guillermo RodrĂguez-Romaguera, « « Y te sacarán los ojos... » : the defiance of reconstituted sight in dictatorship and post-dictatorship Spanish cinema », Studies in European Cinema,‎ , p. 1-15.
- Jean Tena, « La prima AngĂ©lica et CrĂa cuervos : le regard d'un(e) enfant », dans Voir et lire Carlos Saura : actes du colloque international Carlos Saura, Dijon, 25 et , Dijon, FacultĂ© des langues, coll. « Hispanistica XX », , 188 p. (lire en ligne), p. 43-49.
- (en) Sarah Thomas, Inhabiting the In-Between : Childhood and Cinema in Spain's Long Transition, Toronto, University of Toronto Press, , 240 p. (ISBN 978-1-4875-0488-5).
- (en) Sarah Wright, The child in Spanish cinema, Manchester University Press, , 224 p. (ISBN 978-0-7190-9052-3, présentation en ligne).
Article de presse
- Claude-Michel Cluny, « La mort en son jardin », Cinéma 76 no 211, Fédération française des ciné-clubs, Paris, , p. 116-118, (ISSN 0045-6926)
Article connexe
Liens externes
- Ressources relatives Ă l'audiovisuel :
- Allociné
- Centre national du cinéma et de l'image animée
- Cinémathèque québécoise
- (en) AllMovie
- (pl) Filmweb.pl
- (en) IMDb
- (en) LUMIERE
- (de) OFDb
- (en) Rotten Tomatoes
- (mul) The Movie Database
- Critique du film sur Cinespagne.com
- Chronique du film sur DVDClassik