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Cour martiale du Grand-Bornand (août 1944)

La cour martiale du Grand-Bornand d'aoĂ»t 1944 est le procès de 98 francs-gardes se dĂ©roulant au lendemain de la LibĂ©ration, du au , au Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Ă€ l'issue de ce procès, 76 d'entre-eux sont condamnĂ©s Ă  mort et fusillĂ©s.

Contexte

Lors de la libĂ©ration d'Annecy le , 98 francs-gardes permanents de la Milice française se rendent aux FFI contre la promesse d'avoir la vie sauve, ainsi que celles de leurs familles, jusqu'Ă  leur jugement. Ils ont dĂ©cidĂ© de se rendre alors qu'ils s'apprĂŞtent Ă  partir avec les Allemands ; ceux-ci s'Ă©tant rendus Ă  la RĂ©sistance Ă  la suite d'un coup de bluff, les miliciens ne peuvent s'enfuir sans combattre en position d'infĂ©rioritĂ©, car les routes Ă©taient coupĂ©es par le maquis.

MalgrĂ© deux incidents — deux miliciens âgĂ©s de 17 ans sont abattus par leur gardien et un autre âgĂ© de 20 ans, mal fouillĂ©, s'est suicidĂ© avec son arme[1] — et les mauvais traitements, la plupart des francs-gardes sont gardĂ©s en vie jusqu'Ă  leur procès qui a eu lieu deux jours plus tard. Ils sont emmenĂ©s d'Annecy au Grand-Bornand, via Faverges, puis ThĂ´nes[1], en tenue, pour Ă©viter de nouveaux incidents, sous la protection des maquisards[2]. Leur route croise une population hostile et les maquisards font l'usage de tirs en l'air pour que le convoi puisse poursuivre son chemin[1].

Par une ordonnance du 21 août, et selon une loi promulguée par le Gouvernement provisoire de la République française, à Alger[2], le chef départemental des FFI, Joseph Lambroschini (dit Nizier), institue une cour martiale[3].

Composition de la cour martiale

C'est Lambroschini, qui, à la préfecture de Haute-Savoie à Annecy, en plein accord avec le Comité départemental de libération, désigne les membres de la cour martiale afin d'apaiser la foule qui a commencé à infliger des sévices aux miliciens prisonniers et crie vengeance. L'organisation du procès est l’œuvre de Jean Comet, magistrat professionnel en poste à Saint-Julien-en-Genevois, révoqué par Vichy pour refus de rejoindre un poste à Thonon-les-Bains fin juin 1944 et qui est recruté pour créer cette cour[3].

La cour martiale est prĂ©sidĂ©e par le commandant AndrĂ© Augagneur (dit Grand), chef dĂ©partemental des FTP, secondĂ© par quatre officiers de la RĂ©sistance : Robert Poirson (lieutenant Roby)[3] et Louis Morel (Lieutenant Forestier), issus de l'ArmĂ©e secrète, et le commandant ClĂ©ment et Francis Bonfils (commandant AndrĂ©), issus des FTP. Ces cinq juges sont eux-mĂŞmes assistĂ©s par l'inspecteur de police Jean Massendès, faisant office de procureur, et par le greffier Comet. Celui-ci, qui rejoint la RĂ©sistance le , commande 75 cercueils avant l'ouverture de la cour martiale.

Quatre avocats d'Annecy (Maitres Deschamps, Rolier, Lacombe et Bouchet) sont commis d'office ; ils disposent de cinq minutes pour défendre chacun de leurs clients.

Déroulement du procès

L'audience est publique, et même des journalistes suisses ont été convoqués par le CDL. Le procès s'ouvre à dix heures du matin et se termine à trois heures dans la nuit suivante. Les plaidoiries des avocats prennent une heure et demie environ, tandis que la délibération de la Cour dure environ trente minutes. Le procureur donne le choix à la Cour : la mort ou l'acquittement[4].

75 miliciens, dĂ©clarĂ©s coupables du "crime de trahison", sont condamnĂ©s Ă  mort pour « avoir participĂ© Ă  des opĂ©rations armĂ©es de rĂ©pression dirigĂ©es contre les patriotes […] et avoir eu des relations suivies avec les autoritĂ©s allemandes » (rĂ©fĂ©rence Ă  l'article 75 du code pĂ©nal). Un milicien relaxĂ© ayant demandĂ© Ă  partager le sort de ses camarades, sa demande lui est accordĂ©e, ce qui porte le nombre des exĂ©cutions Ă  76 sur 98 accusĂ©s. Les 21 autres sont relaxĂ©s[2].

Parmi ces 21 miliciens libĂ©rĂ©s en uniforme, beaucoup sont repris par les FFI et jetĂ©s en prison ou, pour certains, traduits de nouveau en justice ; l'un sera fusillĂ© par la suite Ă  Annecy.

Suites du procès

Selon la presse de l'époque, « ce jugement a été un facteur d'ordre public. Une détente s'est sentie dans la population, sans pour autant apaiser les passions, et ils sont encore nombreux à réclamer une épuration plus sévère encore ».

Les miliciens condamnĂ©s Ă  mort sont immĂ©diatement (de 8 heures Ă  10 heures et quart[4]) fusillĂ©s publiquement dans le bois de La Pezerettaz[2], dans la vallĂ©e du Bouchet Ă  trois kilomètres du Grand-Bornand. Au cours de leur dĂ©tention et des exĂ©cutions, ils sont assistĂ©s par l'abbĂ© Etienne Ducroz, professeur au collège Saint-Joseph de ThĂ´nes. Plusieurs d'entre eux ont moins de 18 ans ; le plus jeune, âgĂ© de 16 ans et un mois, venu se rĂ©fugier auprès de ses frères aĂ®nĂ©s sans pour autant ĂŞtre officiellement milicien, est fusillĂ© avec ses deux frères âgĂ©s de 17 et 19 ans[4].

SĂ©pultures

Les corps sont enterrĂ©s dans ce mĂŞme bois de la Pezerettaz, sur la commune du Grand-Bornand[2], dans un cimetière, sorte de « nĂ©cropole provisoire Â», « sans existence lĂ©gale Â»[5] - [6]. Le site, Ă  l'allure d'un carrĂ© militaire, accueille cinquante croix blanches sur lesquelles sont inscrits le nom et les dates de naissance et de mort des miliciens fusillĂ©s[6].

Une partie des corps ont été exhumés et ensevelis, pour la plupart dans leurs villages du Bas-Chablais. Les croix restantes sont les sépultures des fusillés dont les familles n'ont pas souhaité ou pas pu récupérer et enterrer les dépouilles dans leur village respectif[2] - [5]. Comme le rappelle l'historien Michel Germain, « pour certaines familles, elles ne pouvaient rapatrier les corps dans un village hostile et elles ont préféré laisser passer du temps. Mais avec le temps beaucoup de choses ont changé », la mort des uns, la reconstruction d'une vie des autres, l'oubli, etc.[5]

En septembre 1949, une partie du « cimetière Â» est saccagĂ©[5]. Au cours de la dĂ©cennie suivante, les autoritĂ©s tentent de faire disparaĂ®tre le site, quelques corps sont transfĂ©rĂ©s, mais 42 sĂ©pultures sont encore en place en 1952[5]. Quelques corps sont Ă  nouveau transfĂ©rĂ©s, mais le lieu est maintenu[5].

Voir aussi

Bibliographie

  • Michel Germain, Histoire de la milice et les forces du maintien de l'ordre : guerre civile en Haute-Savoie, La Fontaine de SiloĂ©, coll. « Les Savoisiennes », , 507 p. (ISBN 978-2-84206-041-1, lire en ligne).
  • Michel Germain, La libĂ©ration d'Annecy et de la Haute-Savoie, La Fontaine de SiloĂ©, coll. « Les Savoisiennes », , 175 p. (ISBN 978-2-84206-263-7, lire en ligne).
  • Michel Germain, La vĂ©ritĂ© vraie sur le procès de la Milice et des miliciens au Grand-Bornand : du 19 aoĂ»t 1944 au 24 aoĂ»t 1944 : l'Épuration en Haute-Savoie, La Fontaine de SiloĂ©, coll. « Les Savoisiennes », , 250 p. (ISBN 978-2-84206-551-5).
  • Jean Vailly, Pour en finir avec la cour martiale du Grand-Bornand : Procès des Miliciens d'Annecy - 19-24 aoĂ»t 1944, Itniera Alpina, , 48 p. (ISBN 978-2-913190-10-8).
  • Robert Poisron et Michel Bussière, « TĂ©moignage de Robert Poisron, membre de la cour martiale du Grand-Bornand mise en place Ă  la libĂ©ration pour juger les miliciens », dans Association française pour l'histoire de la Justice (prĂ©f. Pierre Truche), La justice des annĂ©es sombres : 1940-1944, La documentation française, coll. « Histoire de la justice », , p. 255-274.

Articles connexes

Notes et références

  1. Histoire de la milice et les forces du maintien de l'ordre, 1997, p. 407 (lire en ligne).
  2. Paul Guichonnet, Nouvelle encyclopédie de la Haute-Savoie : Hier et aujourd'hui, Montmélian, La Fontaine de Siloé, , 399 p. (ISBN 978-2-84206-374-0, lire en ligne), p. 143, « Un cimetière de miliciens au Grand-Bornand ».
  3. Poisron et Bussière 2001.
  4. Les tribunaux du peuple à la libération, Henri Amouroux, Académie des sciences morales et politiques, 9 janvier 2006.
  5. Histoire de la milice et les forces du maintien de l'ordre, 1997, p. 478 (lire en ligne).
  6. La Rédaction, « Le cimetière qui n'ose pas dire son nom », Le Dauphiné libéré,‎ (lire en ligne).
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