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Conspiration des Trois Antoine

La conspiration dite des Trois Antoine (en esp. conspiraciĂłn ou motĂ­n de los tres Antonios) est une conspiration ourdie en 1780 contre les autoritĂ©s coloniales espagnoles dans la capitainerie gĂ©nĂ©rale du Chili. Cette conjuration, qui n’eut que peu de consĂ©quence, est ainsi dĂ©nommĂ©e en raison de ses trois principaux conjurĂ©s, les Français Antoine Berney et Antoine Gramusset, et le criollo (EuropĂ©en nĂ© dans les colonies) JosĂ© Antonio de Rojas.

JosĂ© Antonio de Rojas, l’un des personnages impliquĂ©s dans la conspiration.

La conspiration visait Ă  renverser le gouvernement colonial monarchique et Ă  Ă©tablir Ă  sa place un rĂ©gime rĂ©publicain au Chili. Les conspirateurs, imprĂ©gnĂ©s surtout des idĂ©es des LumiĂšres en provenance de France, se virent enhardis dans leur dessein par de rĂ©cents Ă©vĂ©nements tels que la guerre d’indĂ©pendance des États-Unis et la rĂ©volte de TĂșpac Amaru II dans la vice-royautĂ© du PĂ©rou.

Quoique la conspiration n’aboutĂźt pas et ne signifiĂąt guĂšre plus, sur le moment, qu’un fait anecdotique, elle est vue aujourd’hui comme l’un des prĂ©curseurs des mouvements d’émancipation chiliens qui joueront, vingt ans plus tard, un rĂŽle majeur lorsque sera enclenchĂ© dĂ©finitivement le processus d’indĂ©pendance du Chili.

Protagonistes

Antoine Berney Ă©tait un ressortissant français installĂ© Ă  Santiago, oĂč il enseignait le latin et les mathĂ©matiques. En 1780, il Ă©labora un plan visant Ă  Ă©tablir au Chili une rĂ©publique indĂ©pendante, et sut persuader son compatriote Antoine Gramusset et le notable criollo chilien JosĂ© Antonio de Rojas Ă  se rallier Ă  son projet et Ă  tenter de le mener Ă  bien.

Programme

Les conspirateurs, influencĂ©s par les idĂ©es des LumiĂšres françaises et par la lecture de l’EncyclopĂ©die, entendaient instaurer au Chili une rĂ©publique qui fĂ»t indĂ©pendante de l’Espagne et estimaient que pour rĂ©aliser le « bonheur du peuple », la sociĂ©tĂ© devait tendre Ă  l’égalitĂ© des classes sociales, en vue de quoi il Ă©tait fondamental que les autoritĂ©s rĂ©partissent la terre de maniĂšre homogĂšne.

Les conjurés se proposaient de prendre les mesures suivantes :

  • Remplacement de la monarchie par un rĂ©gime rĂ©publicain ;
  • Établissement d’un corps constituĂ©, le sĂ©nat souverain, investi du pouvoir exĂ©cutif ;
  • Élection au suffrage populaire (incluant les indigĂšnes araucans et mapuches) ;
  • Abolition de l’esclavage et de la peine de mort ;
  • Suppression des hiĂ©rarchies sociales ;
  • Redistribution de la terre par rĂ©partition de celle-ci entre tous les Chiliens en parcelles Ă©gales ;
  • Ample politique de libre-Ă©change ;
  • Exportation de la rĂ©volution dans le reste du monde.

Ce programme fut conçu avant la signature de la constitution des États-Unis d’AmĂ©rique et une dĂ©cennie avant la RĂ©volution française. Cependant, le public chilien n’eut pas mĂȘme connaissance de l’existence de cette conspiration. L’historien chilien Francisco Antonio Encina observe dans son ouvrage Resumen de la Historia de Chile que cette « conspiration, Ă©tant donnĂ© la personnalitĂ© pĂ©rĂ©grine de ses promoteurs, avait toutes les caractĂ©ristiques d’une mascarade stĂ©rile, sans la moindre base rĂ©elle de succĂšs possible »[1]. Quelques-unes des idĂ©es formulĂ©es furent effectivement mises en Ɠuvre une fois acquise l’indĂ©pendance du Chili, par exemple l’instauration d’un sĂ©nat et du suffrage populaire, quoique de façon limitĂ©e. Toutefois, l’abolition de l’esclavage et la suppression des titres de noblesse ne seront dĂ©cidĂ©es que sous les gouvernements des directeurs suprĂȘmes Bernardo O'Higgins et RamĂłn Freire.

DĂ©couverte de la conjuration

Lors d’un voyage vers un village voisin, Gramusset Ă©gara sa valise, laquelle renfermait les plans dĂ©taillĂ©s de la conspiration. La valise fut remise Ă  la police, mais, les documents Ă©tant en français et donc incomprĂ©hensibles, elle fut expĂ©diĂ©e Ă  la capitale, pour ĂȘtre restituĂ©e Ă  son propriĂ©taire. Cependant, aprĂšs traduction, les documents compromettants, auxquels vint s’ajouter une dĂ©nonciation, permirent Ă  la police et Ă  l’auditeur Álvarez de mettre au jour le complot et d’identifier les conspirateurs, ce qui porta ensuite l’Audiencia royale du Chili Ă  dĂ©livrer Ă  l’encontre de ceux-ci, le 1er janvier 1781, un mandat d’écrou. Berney et Gramusset furent bientĂŽt conduits Ă  Lima pour y passer en jugement, tandis que Rojas, eu Ă©gard Ă  sa haute position sociale, rĂ©ussit Ă  Ă©viter l’emprisonnement. Les deux Français furent traitĂ©s avec la plus grande courtoisie et, accomplie une annĂ©e de prison, envoyĂ©s en Espagne pour y ĂȘtre jugĂ©s. Cependant, le vaisseau qui devait les transporter Ă  Cadix fut pris dans une tempĂȘte et s’abĂźma en mer au large des cĂŽtes du Portugal. La plupart des passagers et membres d’équipage pĂ©rirent dans le naufrage, dont Antoine Berney ; si Antoine Gramusset pour sa part survĂ©cut Ă  la catastrophe, il ne s’en rĂ©tablit pas et succomba trois mois aprĂšs.

JosĂ© Antonio Rojas, Ă  l’issue d’un bref exil en Espagne, retourna au Chili. Il fut Ă  nouveau arrĂȘtĂ© en 1809, Ă  la veille du dĂ©clenchement de la lutte indĂ©pendantiste, pour suspicion de « complot », cette fois sans aucune espĂšce de preuve. Sa mise en dĂ©tention accĂ©lĂ©ra la chute du gouverneur Francisco Antonio GarcĂ­a Carrasco et agit comme l’un des dĂ©tonateurs du processus d’indĂ©pendance du Chili.

Bibliographie

  • (es)Francisco Antonio Encina, Historia de Chile desde la prehistoria hasta 1891 (20 tomes), Editorial Nascimento, Santiago du Chili, 1re Ă©dition 1949.
  • (es) Vicente Carvallo y Goyeneche (dir.), DescripciĂłn HistĂłrica y GeografĂ­a del Reino de Chile Vol. II (1626 - 1787), vol. IX, Santiago, Chili, Instituto Chileno de Cultura HispĂĄnica, Academia Chilena de la Historia, (lire en ligne), p. 425-427

Notes et références

  1. Cité par Jay Kinsbruner, Independence in Spanish America: Civil Wars, Revolutions, and Underdevelopment, University of New Mexixo Press, 1re éd. 1994, 2e éd. révisée, 2000, p. 24-25.

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