Conjugaison en espéranto
La conjugaison en espĂ©ranto consiste Ă ajouter aux radicaux une terminaison spĂ©cifique et invariable qui ne renseigne que sur le mode de l'action, ainsi que sur le temps mais seulement pour le mode rĂ©el. Pour traiter les catĂ©gories telles que la personne, le nombre, le genre, la voix et l'aspect, que la conjugaison espĂ©ranto ne traite pas, il est nĂ©cessaire d'avoir recours Ă des formes annexes, quâil sâagisse dâaffixes ou de mots.
Le terme de « formes du verbe » est employé dans le Fundamento de Esperanto de préférence à « conjugaison », ainsi que dans plusieurs ouvrages de référence.
Temps et modes
L'espĂ©ranto utilise couramment, en plus de l'infinitif, cinq temps ou modes simples ainsi que six formes participiales. Des temps composĂ©s, formĂ©s de l'auxiliaire esti (ĂȘtre) et d'un participe â ou plusieurs â, sont possibles.
Formes simples
Infinitif (-i) : fari (faire) â correspondant Ă l'infinitif français ;
En espĂ©ranto l'infinitif s'emploie dans les mĂȘmes usages que l'infinitif prĂ©sent français.
- Mi volas labori : je veux travailler.
- Labori estas tede : Travailler est ennuyeux.
PrĂ©sent (-as) : iu faras (quelqu'un fait) â correspondant au prĂ©sent de l'indicatif français ;
Comme en français, le présent en espéranto peut exprimer une action commencée et non achevée. Il peut également décrire une vérité générale. Il peut remplacer un passé pour citer les mots d'une personne célÚbre, ou pour rendre un récit plus vivant.
- Nun mi legas. : maintenant je lis.
- Mi estas advokato. : je suis avocat.
- Kvar kaj dek ok faras dudek du. : quatre et dix-huit font vingt-deux.
- Platono skribas, ke⊠: Platon Ă©crit que âŠ
PassĂ© (-is) : faris (ça fit) â correspondant aux passĂ© simple, passĂ© composĂ© ou imparfait du français ;
Futur (-os) : faros (ça fera) â correspondant au futur simple de l'indicatif français ;
Fictif (-us) : farus (ça ferait / ça aurait fait) â correspondant gĂ©nĂ©ralement au conditionnel français ;
Volitif (-u) : faru (fais ! / faites !) â correspondant au prĂ©sent du subjonctif et de l'impĂ©ratif français.
Le sujet du volitif peut ĂȘtre omis, auquel cas il s'agit d'une deuxiĂšme personne (singulier ou pluriel).
Participes
Les participes reprennent les voyelles caractérisant les trois temps de l'indicatif :
- Les participes actifs :
- p.a. présent (-ant-) : faranta (est en train de faire)
- p.a. passé (-int-) : farinta (était en train de faire/a fait)
- p.a. futur (-ont-) : faronta (sera en train de faire/fera)
- Et les participes passifs :
- p.p. prĂ©sent (-at-) : farata (est en train d'ĂȘtre fait)
- p.p. passĂ© (-it-) : farita (Ă©tait en train d'ĂȘtre fait/a Ă©tĂ© fait)
- p.p. futur (-ot-) : farota (sera en train d'ĂȘtre fait/sera fait)
Les participes sont traités syntaxiquement comme des adjectifs. Ils se distinguent néanmoins des adjectifs qualificatifs par deux propriétés :
- En pratique, ils ne sont jamais suffixés
- Le nom associĂ© (ex : faranto) dĂ©signe un ĂȘtre humain (ici, la personne en train de faire). Si c'est un animal qui fait, on devrait donc dire : la faranta besto (l'animal faisant), mais en fait personne ne fait cette distinction, ce qui rend cette rĂšgle obsolĂšte.
Les exceptions, qui désignent un objet réalisant l'action sont généralement du vocabulaire technique : par exemple dividanto diviseur, personne ou nombre qui divise, determinanto déterminant (mathématiques), (car il est bien connu que diviseur et déterminant sont des objets, et que mathématique est une technique), deterganto détergent..
Formes composées
Les formes composées sont peu employées en espéranto[1]. On trouve toutefois au premier degré :
- Iu estas faranta : Quelqu'un est en train de faire
- Iu estas farinta : Quelqu'un a fait
- Iu estas faronta : Quelqu'un est en attente de faire (fera)
- Iu estis faranta : Quelqu'un Ă©tait en train de faire (faisait)
- Iu estis farinta : Quelqu'un avait fait
- Iu estis faronta : Quelqu'un Ă©tait en attente de faire (devant faire)
- Iu estos faranta : Quelqu'un sera en train de faire
- Iu estos farinta : Quelqu'un aura fait
- Iu estos faronta : Quelqu'un sera en attente de faire (devant faire)
- Iu estus faranta : Quelqu'un serait en train de faire
- Iu estus farinta : Quelqu'un aurait fait
- Iu estus faronta : Quelqu'un serait en attente de faire (irait faire)
- Iu estu faranta : Que quelqu'un soit en train de faire
- Iu estu farinta : Que quelqu'un ait fait
- Iu estu faronta : Que quelqu'un soit en attente de faire (devant faire)
Le participe passif rend l'expression passive :
Ex : Iu estas far-int-a ion (quelqu'un a fait quelque chose) / Io estas farita de iu (quelque chose a été fait par quelqu'un).
Des formes composés au deuxiÚme et troisiÚme degrés sont possibles.
Ex : Mi estas estinta faronta ion : J'ai été en attente de faire quelque chose (Cette forme hautement théorique montrerait qu'actuellement, j'ai été dans le passé, en attente de faire quelque chose.)
Remarque: si « mécaniquement » la forme passive est possible avec tous les verbes, elle n'a de sens qu'avec les verbes transitifs.
Ainsi Ă la lingvo estas degeneranta (« la langue est en train de dĂ©gĂ©nĂ©rer »), la forme passive « mĂ©canique » correspondante serait la lingvo estas degenerata (« la langue est en train d'ĂȘtre dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e »), qui n'a pas de sens (ou qui est fautive, comme en français).
Utilisation des temps composés
De fait, chez les bons Ă©crivains l'usage des temps composĂ©s Ă la forme active est rarissime. On dira simplement mi venis, mi dormis et non mi estas veninta, mi estis dormanta ou mĂȘme mi estis veninta[2]. Dans pendant que je venais, l'inachĂšvement de l'action est marquĂ© deux fois en français : par «pendant que» et par l'imparfait, l'espĂ©ranto se contente de le faire une fois: dum mi venis. De mĂȘme, si le plus-que-parfait marque l'antĂ©rioritĂ© dans j'ai agi comme on me l'avait conseillĂ©, le contexte suffit presque toujours pour donner cette prĂ©cision: dans j'avais agi comme on me l'avait conseillĂ©, les deux verbes sont au plus-que-parfait et nul n'hĂ©sitera sur la chronologie.
On peut d'ailleurs lire chez Kalocsay et Waringhien (Plena Analiza Gramatiko, Association mondiale dâespĂ©ranto, 4e Ă©dition Rotterdam 1980, p. 112) :
- « Mais de telles constructions sont senties comme lourdes ; dÚs 1888 Zamenhof avertissait qu'"il ne faut utiliser les formes composées que lorsque le sens l'exige absolument". Beaufront ne tint pas compte de ce conseil mais par la suite, sous l'influence de Kabe qui les évitait toujours, on s'en est servi le moins possible. La plupart du temps on applique les formes simples. »
Il n'en va pas de mĂȘme pour la forme passive pour laquelle n'existent que des temps composĂ©s. Cette situation a donnĂ© naissance Ă la querelle -ata -ita, tranchĂ©e par l'AcadĂ©mie d'espĂ©ranto dans les annĂ©es 1960 (cf. lâarticle Histoire de l'espĂ©ranto). Toutefois, la forme passive est nettement moins employĂ©e que la forme active, ne concernant que les verbes transitifs, et "oni" ("on") ayant toute sa place y compris dans le langage soutenu. Aussi la forme active - pratiquement toujours possible - est-elle souvent prĂ©fĂ©rĂ©e : ("la aktiva formo estas preferata" se dira plus volontiers "oni preferas la aktivan formon" = "on prĂ©fĂšre la forme active").
Notons aussi l'emploi non rare du participe traité comme un adjectif selon le modÚle : "la fleur est belle : la floro estas bela = la floro belas":
- j'aurais dĂ»... : mi estus devinta... = mi devintus...
La voix passive
Comme la plupart des langues europĂ©ennes, l'espĂ©ranto rend le passif par une pĂ©riphrase : Ći estas amata de Äiuj elle est aimĂ©e de tous, littĂ©ralement elle est Ă©tant-aimĂ©(e) de/par tous. Cette construction soulĂšve plusieurs particularitĂ©s :
- Le fait qu'il existe trois participes passifs : prĂ©sent, passĂ© et futur, permet d'exprimer la nuance que l'on rend en allemand et en espagnol en dĂ©doublant le verbe 'ĂȘtre (werden et sein, ser et estar). Pour « la maison est vendue » on aura ainsi « La domo estas vendata » (l'acte de vente est en train de se faire), « La domo estas vendita » (la maison est dĂ©jĂ vendue) ou « La domo estas vendota » (la maison sera vendue).
- Le passif n'est pas employé en forme composée : mi amas vin et mi estas amanta de vi se rendent indistinctement au passif par vi estas amata de mi (vi estas estanta amata de mi n'est aucunement attesté, bien que possible).
- Le passif exige des accords que l'actif ne demande pas : vi estas amata(j), vous ĂȘtes aimĂ©(e)(s). En fait le participe passif fonctionne comme adjectif attribut du sujet. La domoj estos rekonstruitaj veut dire indistinctement les maisons seront reconstruites (dans l'Ă©tat reconstruit) et les maisons seront reconstruites (auront subi l'action de reconstruction)
Catégories non rendues par le verbe en espéranto
Pronoms personnels
- à la premiÚre personne, les pronoms sont mi (« je ») et ni (« nous »).
- à la deuxiÚme personne, vi signifie aussi bien tu que vous. Il existe toutefois un « tu » (ci) (prononcé /tsi/) employé dans certains milieux ou dans certaines circonstances (poésie).
- La troisiĂšme personne du singulier a trois pronoms personnels : li (« il » pour un ĂȘtre vivant de sexe masculin), Ći (« elle » pour un ĂȘtre vivant de sexe fĂ©minin) (prononcĂ© /Êi/) et Äi (« il/elle » pour un ĂȘtre vivant de sexe indĂ©terminĂ© ou une chose) (prononcĂ© /dÊi/). Au pluriel cette distinction est remplacĂ©e dans tous les cas par ili.
Autres pronoms et indéfini oni
Les autres pronoms (démonstratifs, possessifs, etc.) fonctionnent naturellement comme sujets de la troisiÚme personne, avec leur marque de nombre. Parmi eux, l'indéfini oni (« on ») est trÚs utilisé, mais jamais avec la valeur du « nous » qui est fréquente en français, et il permet entre autres d'éviter les formes du passif.
Verbes sans sujet
- Les verbes impersonnels (pleuvoir) ou utilisés impersonnellement (il convient) sont le plus souvent sans sujet exprimé et n'utilisent pas de pronom, la personne, le nombre et le genre étant dans ce cas une information dénuée de réalité.
- Dans une proposition principale, le volitif (voir ci-dessous) est souvent utilisé sans sujet exprimé. On considÚre dans ce cas qu'il s'agit de vi sous-entendu.
Famille morphologique
La grammaire de l'espĂ©ranto distingue, selon l'AcadĂ©mie d'espĂ©ranto (cette vision est nĂ©anmoins rejetĂ©e par certains), trois types de racines : nominale, adjectivale, verbale, et permet de former un verbe simplement Ă partir de toute racine verbale (kur- : kuri courir), adjectivale (bel- : bela beau, beli ĂȘtre beau) ou nominale (aĆt- : aĆto voiture, aĆti conduire une voiture), le sens Ă©tant souvent dictĂ© par l'usage.
S'appuyant sur cette souplesse de l'espĂ©ranto, la plupart des auteurs inscrivent la flexion du verbe, celles du nom et de l'adjectif, et celle de l'adverbe dĂ©coulant de la mĂȘme racine en un seul ensemble. Cela se traduit par l'utilisation prĂ©fĂ©rĂ©e de « flexions du verbe» Ă son synonyme «conjugaison». C'est le cas par exemple du Fundamento ou du « Que sais-je ? » sur l'espĂ©ranto (Pierre Janton, L'espĂ©ranto Que sais-je 1511 PUF).
Dans cette optique la conjugaison du verbe (trait grammatical) est incluse dans un ensemble de formes (famille morphologique) dĂ©coulant d'un mĂȘme lexĂšme.
Ainsi au lexÚme parol- (idée de parole) seront associés :
- un nom : parolo (la parole), fléchi en paroloj, parolon, parolojn. Le nom peut, selon les lexÚmes, exprimer l'action, l'objet, la personne, la qualité, liée au lexÚme.
- un adjectif : parola (oral), flĂ©chi en parolaj, âŠ
- un adverbe : parole (oralement). L'adverbe exprimant un lieu peut ĂȘtre flĂ©chi Ă l'accusatif.
- un verbe : paroli (parler), flĂ©chi en parolas, âŠ
Allant plus loin dans ce sens, Michel Duc-Goninaz, coordinateur général du PIV, mentionne dans celui-ci que le terme konjugacio est « à éviter » (evi) pour désigner l'ensemble des terminaisons verbales de l'espéranto. Citons aussi l'avis encore plus tranché de Gaston Waringhien, qui dans son ABC[3] déclare tout net qu'il n'y a pas de conjugaison en espéranto.
Notes et références
- Le site Tekstaro.com propose un riche corpus de textes dans lesquels il est possible de chercher des formes. On remarque peu de formes verbales composées.
- Cela peut sembler une infériorité par rapport à l'interlingua qui dispose de trois temps pour le passé : io veniva, io ha venite, io habeva venite ; mais comme personne n'a défini dans cette langue dans quel cas il faut employer chacun d'eux le handicap n'est qu'apparent.
- ABC D'ESPERANTO - Ă l'usage de ceux qui aiment les lettres, Paris, L'Harmattan, p. 64.