Christian Lacroix (première collection)
La première collection de Christian Lacroix à son nom, composée d'une soixantaine de modèles, est présentée le 26 juillet 1987, année de l'ouverture de sa maison. D'inspirations multiculturelle et historique, celle-ci fait date dans l'histoire de la mode.
Préambule
Durant les années 1980, la mode alterne entre une tendance voyante, faite de logo, marques, couleurs et un courant de créateurs plus neutres développant une mode terne ou minimaliste. Le sportswear submerge la rue, le Lycra et les nouvelles matières s'incrustent partout. La haute couture, qui souffre depuis de nombreuses années, retrouve ses clientes. Les ancestrales maisons que sont Yves Saint Laurent et Hubert de Givenchy se posant comme les gardiens du temple, Dior ou Chanel et son emblématique tailleur remis au goût du jour par Lagerfeld, dominent cet élitiste univers. En cette époque, la haute couture seule n'est plus rentable ; elle sert d'image pour vendre en masse prêt-à -porter et accessoires couteux[1]. Voilà bien longtemps qu'une nouvelle maison n'a pas été créée à Paris[2].
Historique
À l'aube de la création de LVMH, Bernard Arnault, qui possède déjà Dior et vient d'investir dans Céline[n 1], paye une quinzaine de millions de francs pour débaucher Christian Lacroix de chez Patou[3]. Celui-ci s'est fait connaitre depuis quelque temps pour son travail dans cette maison[4] - [5] - [6], entre autres avec la robe pouf, et est récompensé finalement par un Dé d'or. Arnault lui offre d'ouvrir la maison qui portera son nom[n 2] et ajoute donc plusieurs dizaines de millions à ses dépenses par l'intermédiaire de la Financière Agache[8] - [9]. Annoncée dès le mois de février, la maison ouvre en avril dans les anciens locaux de Jacques Esterel, faubourg Saint-Honoré[8]. Le couturier va bouleverser ce domaine feutré avec une première collection qui fera date dans l'histoire de la mode[10].
Christian Lacroix présente à l'Hôtel Intercontinental la collection haute couture « automne-hiver 1987-1988 » en juillet 1987[11], sa première, très attendue[12] - [13].
Trouvant ses inspirations dans le théâtre, l'Espagne ainsi que ses origines provençales[14] - [15] mélanges de Camargue et de Provence[16], le couturier, avec sa maitrise de la couleur[14], alterne entre des teintes sombres et vives[13] pour établir la tendance d'une collection retenue comme « incroyablement colorée[16] » où dominent, opposés au noir, le orange, rouge, fuchsia ou violet. Impressions originales ou de larges rayures noires et blanches[16], garnitures de perles, broderies réalisées à la main[17], galon, tweed, satin, velours ou aplats rouges et dentelle noire[18], mélange de tissus somptueux, fourrure, Christian Lacroix présente des créations luxueuses et ostentatoires laissant une large place aux savoir-faire de l'artisanat et des métiers d'art. Les multiples détails historiques font référence aux costumes traditionnels, châles, caracos, fichus, volants d'Arlésienne, c'est toute une culture, un patrimoine que présente le couturier tout en conservant une « absolue nouveauté[16] ». Les jupes abordent plusieurs coupes, qu'elles soient courtes inspirée des crinolines du XVIIIe siècle[18], en formes de parapluie, de cloche, de trapèze ou d'amphores[16] parfois renforcée d'un pouf comme au XIXe siècle, placé sur le devant[19] ; les robes elles aussi restent variées, des robes-manteaux aux robes drapées, ou encore des robes de soirée à bustier. Les chapeaux sont très présents comme accessoires de la soixantaine de modèles. Comme de tradition, la mariée clôture ce défilé à la mise en scène soignée[20], vêtue d'une robe blanche et d'une veste noire portée par Marie Seznec[21]. « Une heure historique, à pouf et à pois »[22].
Dès cette première collection, il impose un style totalement maitrisé[2]. Véritable spectacle, il reçoit une ovation comme peu en ont vu auparavant[13] - [16]. Les États-Unis lui accordent immédiatement une large reconnaissance[23]. Les clientes se précipitent : la Princesse Fyryal de Jordanie (en), Madonna, ou Paloma Picasso[7].
Christian Lacroix tranche réellement avec ce qui existe à l'époque[24] ; il remet en cause les tendances fortes de ces années 1980[25] symbolisées par les épaules carrées du power dressing, le fluo du sportswear ou l'usage de teintes ternes par les créateurs minimalistes. Les médias européens et américains, qui parlent de la « révolution Lacroix[23] », sont unanimes[7] - [20], décrivant le « triomphe » du couturier perçu alors comme l'avenir de la haute couture[13]. L'Officiel dit que « cette collection signée de son nom jette les bases d'une création marquante par son audace, sa richesse de tons tout à fait inédite[26] », « on avait rien vu de tel depuis vingt-cinq » commente le Sunday Times[20] ; Nicholas Coleridge (en) écrit que « vous n'en revenez pas et personne au monde n'en revient[15] ». Le New York Times précise qu'aucune « réputation n'a jamais été faite aussi rapidement que Lacroix, aucune nouvelle orientation donnée si soudainement »[7] ; The International Herald Tribune met Lacroix en première page à l'issue du défilé[7].
Le retentissement de cette première collection dans l'immédiat de l'ouverture de sa maison vaut alors à Christian Lacroix d'être régulièrement comparé à Christian Dior et son New Look[9] - [13] - [15] - [27] ou parfois Saint Laurent[7].
Notes et références
Notes
- Céline est réintégré dans le groupe LVMH lors de la décennie suivante.
- En dehors de l'intérêt pour la haute couture, Bernard Arnault peut espérer des synergies avec les différentes futures filiales de LVMH ; ces synergies sont détaillées in : Grumbach 2008, p. 169. Immédiatement après cette collection, les médias estiment que Bernard Arnault pourrait rentabiliser son investissement en deux années[7].
Références
- Mendes 2011, 1976-1988, p. 232 Ă 233
- Ă–rmen 2012, Christian Lacroix, saltimbanque du Jadis et de l'Ailleurs, p. 116
- Marchand 2001, Le patron qui venait du Nord, p. 80
- Article sur l'ouverture de la maison de couture, in : (en) Michael Gross, « Lacroix: high fashion, corporate intrigue », sur New York Times, (consulté le )
- Reed 2013, Christian Lacroix, p. 84
- Paquita Paquin, in : Galliera 2006, p. 191
- (en) Carrie Donovan, « The swagger of Christian Lacroix », sur New York Times, (consulté le )
- L'Officiel, Paquita Paquin et Francis Dorleans 1987, Christian Lacroix : fièvre inaugurale, p. 275
- [vidéo] Mode Christian Lacroix, 1987, reportage télévisé visible sur ina.fr, 2 min 45 s
- Florence MĂĽller, in : Galliera 2006, p. 189
- Mendes 2011, 1976-1988, p. 243
- (en) Bernadine Morris, « Couture: waiting for Lacroix », sur New York Times, (consulté le )
- (en) Bernadine Morris, « For Lacroix, a triumph; for couture, a future », sur New York Times, (consulté le )
- Blackman 2013, Les coloristes, p. 323
- Fogg 2013, La première collection 1987, p. 456
- Ă–rmen 2012, Christian Lacroix, saltimbanque du Jadis et de l'Ailleurs, p. 117
- Worsley 2011, L'audace des imprimés, p. 33
- Mendes 2011, 1976-1988, p. 241
- Metcalf 2013, 1980-1989 : les grandes griffes, p. 392
- Watson 2000, Lacroix, Christian, p. 173
- Grumbach 2008, p. 380
- Hubert Boukobza et Jean-François Kervéan, Dix mille et une nuits, Paris, Robert Laffont, , 288 p. (ISBN 978-2-221-14476-3), « Far breton », p. 112
- « Février 1988. Premier anniversaire de la « révolution Lacroix ». », sur ParisMatch.com, (consulté le )
- Bernadette Caille, Marie Claire : 60 ans de mode, Issy-les-Moulineaux, Éditions Marie Claire, , 192 p. (ISBN 978-2-84831-700-7), « 1980 - 1990 », p. 77 à 78
- Fogg 2013, Le renouveau de la haute couture, p. 453
- L'Officiel 1987, Christian Lacroix, p. 223
- Grumbach 2008, p. 169
Sources
- Linda Watson (trad. de l'anglais), Vogue - La mode du siècle : Le style de chaque décennie, 100 ans de créateurs [« Vogue Twentieth Century Fashion - 100 years of style by decade and designer »], Paris, Éditions Hors Collection, , 255 p. (ISBN 2-258-05491-5)
- Catherine Örmen (préf. Inès de La Fressange), Un siècle de mode, Paris, Éditions Larousse, coll. « Les documents de l'Histoire », , 128 p. (ISBN 978-2-03-587455-9, présentation en ligne)
- Marnie Fogg (dir.) et al. (trad. de l'anglais par Denis-Armand Canal et al., préf. Valerie Steele), Tout sur la mode : Panorama des chefs-d’œuvre et des techniques, Paris, Flammarion, coll. « Histoire de l'art », (1re éd. 2013 Thames & Hudson), 576 p. (ISBN 978-2-08-130907-4)
- « (Christian Lacroix) », L'Officiel, Éditions Jalou, no 734,‎ (ISSN 0030-0403) — L'Officiel consacre plusieurs pages à Christian Lacroix dans ce numéro, pages 24 à 29 pour des images, 222 à 227 pour des images et du texte, et pages 274 à 277 pour un reportage sur sa maison de couture.
- Stéphane Marchand, Les guerres du luxe, Fayard, , 382 p. (ISBN 978-2-213-60953-9)
- Musée Galliera, Anna Zazzo, Farid Chenoune, Sylvie Lécallier, Didier Grumbach, Dominique Veillon et al. (préf. Catherine Join-Diéterle), Showtime : le défilé de mode, Paris, Paris Musées, , 285 p. (ISBN 2-87900-941-3)
- Didier Grumbach, Histoires de la mode, Paris, Éditions du Regard, (1re éd. 1993 Éditions du Seuil), 452 p. (ISBN 978-2-84105-223-3)
- Valerie Mendes et Amy de la Haye (trad. de l'anglais par Laurence Delage, et al.), La mode depuis 1900 [« 20th Century Fashion »], Paris, Thames & Hudson, coll. « L'univers de l'art », , 2e éd. (1re éd. 2000), 312 p. (ISBN 978-2-87811-368-6), chap. 8 (« 1976-1988 Sédition et consumérisme »), p. 220 à 251
- Harriet Worsley (trad. de l'anglais), 100 idées qui ont transformé la mode [« 100 ideas that changed fashion »], Paris, Seuil, , 215 p. (ISBN 978-2-02-104413-3)
- Cally Blackman (trad. de l'anglais par Hélène Tordo), 100 ans de mode [« 100 years of fashion »], Paris, La Martinière, , 399 p. (ISBN 978-2-7324-5710-9, présentation en ligne)
- (en) Design Museum et Paula Reed, Fifty fashion looks that changed the 1980s, Londres, Conran Octopus, coll. « Fifty Fashion Looks », , 107 p. (ISBN 978-1-84091-626-3, présentation en ligne)
- Jonathan Metcalf (dir.) et al., Fashion : la mode à travers l'histoire [« Fashion. The Ultimate Book of Costume and Style »], Londres, DK, , 480 p. (ISBN 978-2-8104-0426-1)
Liens externes
- (en) Jacob Bernstein, « Recalling the Lacroix Era », sur New York Times, (consulté le )
- [vidéo] 1987 Christian Lacroix Haute Couture Fall-Winter Fashion Show sur YouTube 39 min 8 s, sur la chaine officielle Christian Lacroix