Choix intertemporel
Un choix intertemporel est un choix qui implique des Ă©vĂšnements situĂ©s Ă des moments diffĂ©rents. L'Ă©tude des choix intertemporels consiste Ă dĂ©terminer dans quelle mesure les individus accordent une prĂ©fĂ©rence au futur proche par rapport Ă un futur plus lointain, et Ă dĂ©crire les mĂ©canismes psychologiques et cĂ©rĂ©braux Ă l'Ćuvre.
On peut montrer que pour qu'un individu effectue des choix stables au cours du temps, il faudrait que ses prĂ©fĂ©rences soient une fonction exponentielle dĂ©croissante du temps, et cette analyse a Ă©tĂ© largement reprise en Ă©conomie. Cependant les Ă©tudes empiriques constatent que les choix humains suivent d'autres lois et notamment que les choix comportant une rĂ©compense immĂ©diate ne sont pas Ă©valuĂ©s de la mĂȘme façon que les choix n'impliquant que des Ă©vĂ©nements futurs[1]. Il semble que cela s'explique par l'activation de circuits cĂ©rĂ©braux distincts pour les rĂ©compenses immĂ©diates[2].
Le modĂšle de Fisher
Le modĂšle de Fisher peut ĂȘtre illustrĂ© en prenant deux pĂ©riodes : la pĂ©riode actuelle ou pĂ©riode 1 (ce mois ou cette annĂ©e) et la pĂ©riode future ou pĂ©riode 2 (le mois prochain ou lâannĂ©e prochaine). Lâindividu planifie sa consommation compte tenu de ses besoins et de ses revenus attendus. Sa contrainte budgĂ©taire est :
oĂč est la consommation prĂ©sente et la consommation future; le revenu prĂ©sent et le revenu futur. La somme Ă©pargnĂ©e (si cette diffĂ©rence est positive) ou empruntĂ©e (si cette diffĂ©rence est nĂ©gative) est placĂ©e ou empruntĂ©e au taux dâintĂ©rĂȘt . Le consommateur maximise ses prĂ©fĂ©rences reprĂ©sentĂ©es par la fonction dâutilitĂ© intertemporelle . En prenant le Lagrangien :
oĂč est une variable auxiliaire (le multiplicateur), on obtient les conditions de premier ordre suivantes :
En rĂ©solvant ce systĂšme dâĂ©quations on obtient les fonctions de consommation:
Des conditions de premier ordre on tire la relation suivante:
Le terme Ă gauche est appelĂ© le taux de prĂ©fĂ©rence pour le temps. Ă lâĂ©quilibre, il doit ĂȘtre Ă©gal au taux dâintĂ©rĂȘt[3].
Graphiquement, la solution est obtenue lorsque la courbe dâindiffĂ©rence la plus Ă©levĂ©e est tangente Ă la droite reprĂ©sentant la contrainte budgĂ©taire (point A).
Variation du taux dâintĂ©rĂȘt
Si le taux dâintĂ©rĂȘt augmente, la droite budgĂ©taire subit une rotation en sens horaire avec comme pivot le point oĂč la consommation de chaque pĂ©riode correspond au revenu de la pĂ©riode.
Cette variation a un effet de revenu (le consommateur qui a Ă©pargnĂ© en pĂ©riode 1 aura un revenu plus Ă©levĂ© en pĂ©riode 2) et un effet de substitution (il devient plus intĂ©ressant dâĂ©pargner car lâĂ©pargne rapporte davantage)[4]. Si lâindividu voulait emprunter, lâeffet total est une baisse de la consommation en pĂ©riode 1. Par contre, en cas dâĂ©pargne le rĂ©sultat final est ambigu.
En utilisant la thĂ©orie de la prĂ©fĂ©rence rĂ©vĂ©lĂ©e on peut dire quâun consommateur qui Ă©pargne reste toujours un prĂȘteur en cas de hausse du taux dâintĂ©rĂȘt. Si le taux baisse, câest lâindividu emprunteur qui reste toujours un dĂ©biteur en pĂ©riode 1[5].
Tous ces rĂ©sultats ne sont plus valables sâil y a plus de deux pĂ©riodes. En effet, on ne doit pas nĂ©cessairement rembourser la pĂ©riode suivante ce quâon a empruntĂ©.
La rĂšgle de Keynes-Ramsey
On fait souvent lâhypothĂšse que la fonction dâutilitĂ© intertemporelle est de forme additive dans les pĂ©riodes. On a alors :
oĂč est le ``taux subjectif dâescompteââ du temps et lâutilitĂ© instantanĂ©e. LâidĂ©e que les individus ``escomptentââ les utilitĂ©s futures comme avec les valeurs financiĂšres remonte Ă Böhm-Bawerk. Selon cet auteur[6] la sous-estimation des biens futurs est due Ă un manque dâimagination et Ă une faiblesse de volontĂ© des individus.
En remplaçant par la valeur tirĂ©e de la contrainte budgĂ©taire, on obtient la condition de premier ordre suivante pour la maximisation de la fonction dâutilitĂ© intertemporelle:
En prenant cette Ă©quation intertemporelle de Euler on obtient la rĂšgle de Keynes-Ramsey[7]:
Le taux marginal de substitution intertemporel doit ĂȘtre Ă©gal au prix relatif des consommations.
Généralisation en temps continu
Lorsquâon prend de nombreuses pĂ©riodes, on prĂ©fĂšre travailler en temps continu. La fonction dâutilitĂ© intertemporelle est alors :
LâĂ©volution de la consommation dĂ©pend de lâĂ©quation diffĂ©rentielle:
oĂč sont les actifs financiers, le revenu non financier, la consommation et le point au-dessus de la variable dĂ©signe la dĂ©rivĂ©e par rapport au temps. Comme les valeurs financiĂšres futures ne peuvent pas avoir une valeur actuelle nĂ©gative, il faut imposer la restriction:
(pas de chaĂźne de Ponzi)
En utilisant la mĂ©thode de Pontryagin on a la valeur courante de lâhamiltonien:
oĂč est la costate (une variable auxiliaire). AprĂšs avoir remplacĂ© cette variable dans les conditions de premier ordre[8] - [9] on trouve la rĂšgle de Keynes-Ramsey:
oĂč:
Le taux de croissance optimal de la consommation dĂ©pend de lâĂ©lasticitĂ© de substitution intertemporelle et de lâexcĂšs du taux dâintĂ©rĂȘt par rapport au taux subjectif dâescompte du temps.
Escompte hyperbolique
Des expĂ©riences effectuĂ©es avec des Ă©tudiants montrent que la sous-estimation des biens futurs ne suit pas une loi exponentielle. Par exemple, Thaler[10] a observĂ© quâen moyenne les individus demandaient, plutĂŽt que dâavoir 15 $ immĂ©diatement, 20 $ un mois aprĂšs, 50 $ une annĂ©e aprĂšs et 100 $ 10 ans aprĂšs. Ces valeurs impliquent un taux de 400% pour un mois, 233.33% pour une annĂ©e et 20.089% pour dix ans. Une diminution du taux avec lâĂ©loignement du temps peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e avec une loi hyperbolique:
Lorsque tend vers 0 on retrouve lâescompte exponentiel: .
Un escompte hyperbolique conduit Ă une incohĂ©rence temporelle[11]. MĂȘme si rien ne change, le consommateur ne va pas suivre le plan de consommation quâil avait envisagĂ© prĂ©cĂ©demment.
ModĂšle du cycle de vie de Modigliani
Le point de dĂ©part de la thĂ©orie du cycle de vie est le modĂšle de Fisher avec un horizon temporel Ă©gal Ă toute la vie du consommateur. Supposons que le revenu annuel soit constant et Ă©gal Ă jusquâĂ lâĂąge de la retraite et nul aprĂšs. Si le consommateur vit ans, la consommation uniforme sera de (on suppose que le taux dâintĂ©rĂȘt soit nul). Le consommateur Ă©pargne chaque annĂ©e , jusquâĂ lâĂąge de la retraite, et ensuite il utilisera lâĂ©pargne accumulĂ©e pour consommer pendant les annĂ©es de retraite.
Dans le cas plus gĂ©nĂ©ral[12], soit la valeur prĂ©sente des revenus attendus par lâindividu dâĂąge T en lâannĂ©e t:
oĂč est le capital accumulĂ©, les revenus attendus et r te taux dâintĂ©rĂȘt.
Si la fonction dâutilitĂ© est homogĂšne par rapport aux consommations, on obtient la fonction de consommation suivante:
oĂč est le revenu attendu moyen et un facteur proportionnel dĂ©pendant de la fonction dâutilitĂ©.
On peut gĂ©nĂ©raliser le modĂšle en introduisant lâĂ©pargne pour des buts dâhĂ©ritage, la sĂ©curitĂ© sociale ou une durĂ©e de vie incertaine.
La théorie de Modigliani est utilisée pour étudier les systÚmes de retraite publics et privés et le lien entre épargne et croissance[13].
Le modĂšle de Friedman
Selon Friedman[14], la consommation dĂ©pend du revenu permanent de lâindividu, câest-Ă -dire le revenu moyen Ă long terme :
oĂč est la consommation (permanente), le revenu permanent et est un coefficient qui dĂ©pend du taux dâintĂ©rĂȘt, du taux de prĂ©fĂ©rence pour le temps et du rapport entre la fortune du consommateur et son revenu.
Soit la consommation de lâindividu i au temps t. On a:
oĂč est la consommation transitoire. Dâautre part:
Le revenu transitoire nâa pas dâeffet sur la consommation globale.
Friedman suppose quâil nây a pas de corrĂ©lation entre certaines de ces variables, en particulier entre le revenu transitoire et la consommation transitoire:
oĂč dĂ©signe le coefficient de corrĂ©lation.
Friedman propose dâestimer le revenu permanent par la technique des retards Ă©chelonnĂ©s:
oĂč sont des coefficients.
Les estimations avec des données agrégées montrent que la variation de la consommation par rapport à une variation du revenu est plus importante que celle prévue par la théorie du revenu permanent (variation excessive)[15].
Les estimations avec des données individuelles donnent des résultats assez favorables à la théorie du revenu permanent et à celle de la théorie du cycle de vie [16].
Notes
Références
- (en) Frederick et Loewenstein, « Time discounting and time preference: A critical review », Journal of economic literature,â .
- (en) Samuel M. McClure, David I. Laibson, George Loewenstein, Jonathan D. Cohen, « Separate Neural Systems Value Immediate and Delayed Monetary Rewards », Science, no 5694,â (DOI 10.1126/science.1100907).
- (en) Fisher Irving, The Theory of Interest, New York, 1907, p. 291.
- (en) J.M. Henderson and R.E. Quandt, Microeconomic Theory, London, 1980, p. 331.
- Hal R. Varian, Introduction à la microéconomie, Bruxelles, 2000, p. 198
- Eugen von Böhm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, Insbruck, 1914
- Frank Ramsey, « A Mathematical Theory of Saving », Economic Journal, 1928, p. 543-559
-
- La condition de transversalitĂ© doit aussi ĂȘtre satisfaite:
- Richard Thaler, « Some empirical evidence on dynamic inconsistency «, Economic Letters, 1981, p. 201-207
- Robert Strotz, « Myopia and Inconsistency in Dynamic Utility Maximisation «, Review of Economic Studies, 1956, p. 165-180
- Francesco Franco ModĂšle:Et. al., The Collected Papers of Franco Modigliani, vol. 6, Boston, 2005, p. 49
- Angus Deaton, « Franco Modigliani and the life-cycle theory of consumption », .BNL Quarterly Review, 2005, p. 91-107
- Milton Friedman, A Theory of the Consumption Function, Princeton, 1957.
- John Campbell and Gregory Mankiw, « Permanent Income, Current Income, and Consumption », Journal of Business and Economic Statistics, 1990, p. 265-279
- Orazio Attanasio and Martin Browning, « Testing the Life Cycle Model of Consumption: what can we learn from micro and macro data », Investigaciones Economicas, 1994, p. 433-463
voir aussi
Bibliographie
- (en) Olivier Blanchard et Stanley Fischer, Lectures on Macroeconomics, Boston, 1989
- (en) Gernot Doppelhofer, « Intertemporal Macroeconomics », N.F.G. Allington et J.S.L. McCombie, Cambridge Essays in Applied Economics, Cambridge, 2003
- (en) Rudiger Dornbusch et Stanley Fischer, Macro-Economics, London, 1981
- Hal R. Varian, Introduction à la microéconomie, Bruxelles, 2000