Charge Ă©motionnelle
La charge émotionnelle ou charge affective désigne la propension à se soucier d'autrui et à offrir des signes d'affection ou d'attention. Elle est particulièrement développée par les femmes, dans leur vie professionnelle et dans leur sphère privée.
La notion de travail émotionnel est forgée et diffusée en 1983 par Le Prix des sentiments de la sociologue Arlie Russell Hochschild, ouvrage qui connaît un grand retentissement aux États-Unis à sa sortie, puis dans de nombreux pays où il est traduit, et qui fait aujourd'hui partie des classiques des sciences sociales[1].
La notion est vulgarisée en France par une bande dessinée publiée en 2018 par Emma, déjà connue pour un précédent ouvrage sur la charge mentale ménagère[2] - [3]. Emma définit la notion comme « le souci principalement porté par les femmes de mettre son environnement à l'aise aux dépens, souvent, de leur propre confort à elles »[2].
Milieu professionnel
La sociologue Arlie Russell Hochschild a conceptualisé le « travail émotionnel » dans Le Prix des sentiments, publié en 1983 et traduit en France en 2017 : elle y étudie, entre autres, le travail des hôtesses de l'air dont la majeure partie consiste à contrôler leurs émotions et à mobiliser leur empathie[4]. Selon Arlie Russell Hochschild, la moitié des femmes travaillent dans des métiers où la part du travail émotionnel est importante, notamment les métiers du service et du soin[4].
L'autrice Emma évoque la tendance des femmes à s'occuper, sur leur lieu de travail, du bien-être de leur entourage, de la décoration ou de cagnottes pour les pots de départ des collègues, en sus de leur tâche professionnelle[2]. Plus largement, dans la vie en société, la charge émotionnelle peut aussi se traduire selon elle par un comportement qui s'adapte aux autres afin de ne pas mettre mal à l'aise son entourage, comme le fait de rire à des blagues que l'on ne trouve pas drôles pour ne pas gêner celui ou celle qui la fait[2].
Relations amoureuses
Selon le sociologue Michel Bozon, les places de chaque partenaire dans une relation amoureuse hétérosexuelle ne sont pas équivalentes et les inégalités d’engagement dans la relation poussent l’un des partenaires, généralement la femme, à « agir pour compenser le déficit d’engagement de l’autre »[5]. Ce travail consiste par exemple à « se préoccupe[r] systématiquement de l’équilibre des échanges verbaux et de la communication des pensées, alors que l’autre offre surtout sa présence, ses compétences, ses ressources financières »[5]. Michel Bozon estime que le « caractère renfermé des hommes n'est pas inné ou irrémédiable » mais « une façon de résister à l’engagement affectif réciproque en marquant une distance », et constitue « paradoxalement une manifestation de domination masculine »[5].
Selon Emma, la charge émotionnelle au sein du couple se traduit par « l'anticipation des besoins et envies de l'autre », matérielle et psychologique, une plus grande participation aux tâches ménagères, la prise en charge de la santé du conjoint, ou le fait, plus généralement, de « lui faciliter la vie sans qu'il ait besoin de demander »[2]. Elle souligne également que les relations sexuelles s'arrêtent généralement « une fois l’orgasme de l’homme atteint, indépendamment de la satisfaction de sa partenaire », alors que les femmes ont, elles, plus de difficultés à atteindre l’orgasme et prennent soin, malgré la frustration, de rassurer leur partenaire sur ses performances sexuelles[6]. Elle cite Les sentiments du Prince Charles, bande dessinée de Liv Strömquist racontant l’histoire d’hommes célèbres à travers celle des femmes sur lesquelles ils ont pu s’appuyer pour mener à bien leurs projets[7].
Socialisation différenciée entre garçons et filles
Les différences en matière de dispositions affectives et de spécialisation des tâches émotionnelles s'expliquent, selon Arlie Russell Hochschild et Emma, par une socialisation différenciée entre garçons et filles[1] - [2]. Emma évoque des habitudes d'éducation consistant à « apprend[re] aux petites filles à se taire, ne pas se mettre en colère, être toujours mignonnes », et à brider les émotions des garçons[2]. Selon Arlie Russell Hochschild, ces différences reflètent la différence de pouvoir entre les sexes[1].
Tout en poussant les femmes Ă prendre conscience de cette charge Ă©motionnelle, Emma ne milite pas pour qu'elles l'abandonnent mais pour que les hommes l'endossent davantage[2].
Bibliographie
- Arlie Russell Hochschild (trad. de l'anglais par Salomé Fournet-Fayas et Cécile Thomé), Le prix des sentiments : au cœur du travail émotionnel, Paris, la Découverte, coll. « Laboratoire des sciences sociales », , 250 p. (ISBN 978-2-7071-8896-0).
- Michel Bozon, Pratique de l'amour : le plaisir et l'inquiétude, Paris, Payot, , 198 p. (ISBN 978-2-228-91528-1).
- Emma, La charge émotionnelle… et autres trucs invisibles, Paris/18-Saint-Amand-Montrond, Massot éditions, , 111 p. (ISBN 979-10-97160-35-7).
Articles connexes
Références
- Cécile Thomé, Julien Bernard et Nicolas Amadio, « La sociologie des émotions autour des travaux d'Arlie Hochschild », sur ses.ens-lyon.fr, (consulté le ).
- « Qu'est-ce que la "Charge émotionnelle" ? », sur rtl.fr, (consulté le ).
- Céline Hussonnois-Alaya, « Charge émotionnelle, mansplaining, manterrupting: le nouveau lexique pour dénoncer le machisme », sur bfmtv.com, (consulté le ).
- Alice Maruani, « "Les femmes sont bonnes" : parlons maintenant de la charge émotionnelle », sur nouvelobs.com, (consulté le ).
- « La "charge mentale" des femmes s'étend aussi aux sentiments amoureux », sur madame.lefigaro.fr, (consulté le ).
- Fabiola Dor, « Charge émotionnelle : les femmes s’occupent trop des hommes ! », sur start.lesechos.fr, (consulté le ).
- Fanny Marlier, « Pourquoi il faut lire la bande dessinée d'Emma sur la charge émotionnelle (et gratuitement) », sur lesinrocks.com, (consulté le ).