Califat chérifien
Le califat chérifien (en arabe : الخلافة الشريفية ) est un califat proclamé par les dirigeants chérifiens du Hedjaz en 1924, à la place du califat ottoman, aboli par Mustafa Kemal Atatürk.
–
Hussein ben Ali, le chérif de la Mecque, est le premier et le dernier calife de cette lignée[1].
Dans le monde arabe, il s'agit de l'aboutissement d'une longue lutte pour récupérer le califat des mains ottomanes. Les premières révoltes arabes remettant en question la validité du califat ottoman et demandant à ce qu'un arabe sayyid soit choisi comme calife sont à dater de 1883, lorsque le cheikh Hamat-el-Din s'empare de Sanaa et demande le califat en tant que sayyid[2].
Il faut cependant attendre la fin du califat ottoman, aboli par les kémalistes, pour que Hussein ben Ali soit proclamé calife à Amman, en 1924[3] - [4].
Sa position vis-à-vis du califat ottoman est ambigüe[5], et s'il est hostile à celui-ci, il préfère attendre son abolition officielle pour reprendre le titre et ne pas rompre la communion musulmane en créant un second calife aux côtés du calife ottoman[5][6].
Son califat est opposé à la fois par l'Empire britannique, les sionistes et les wahhabites[7] mais il reçoit le soutien d'une large partie de la population musulmane de l'époque[8] - [9] - [10] - [11] et de Mehmed VI[12].
Histoire
L'idée du califat chérifien flotte depuis au moins le XVe siècle[13] - [3]. Le chérifs de La Mecque sont des personnages majeurs de l'islam sunnite[14] - [15] car outre leur contrôle des deux mosquées les plus importantes de l'islam, ce sont aussi les Chérifs de La Mecque qui garantissent le libre passage pour effectuer le Hajj et défendent la route du pèlerinage des différents raids entrepris par les Bédouins contre les pèlerins[16].
Vers la fin du XIXe siècle, elle commence à prendre de l'importance en raison du déclin de l'Empire ottoman, qui est lourdement vaincu lors de la guerre russo-turque (1877-1878).
Lorsque les Ottomans, conscients de son importance religieuse, demandent à Hussein ben Ali de se joindre à eux dans le djihad qu'ils ont proclamé à l'encontre des puissances de la Triple-Entente ; il refuse, considérant ce djihad comme illégitime[17]. En 1917, après la Proclamation d'indépendance du Royaume arabe, les oulémas de La Mecque annoncent une série de raisons pour lesquelles le califat ottoman serait illégitime et Hussein ben Ali serait légitime[18] :
« Que dit le monde musulman des Beni Osman qui prétendent être des Califes de l'Islam, alors que pendant de nombreuses années ils ont été comme des marionnettes entre les mains des janissaires ; ballottés, détrônés et tués par eux, d'une manière contraire aux lois et doctrines établies dans les livres de religion sur l'avènement et la détrônement des Califes - quels faits sont consignés dans leur histoire ?
L'histoire se répète maintenant. À ces janissaires, des petits-fils sont apparus ces jours-ci qui répètent les actes promulgués à l'époque d'Abdul Aziz, Murad et Abdul Hamid. Le meurtre de Yussuf Izzedin, l'héritier présumé turc, est trop récent pour être oublié.
Ceux qui s'opposent à nous et se rangent du côté des Beni Osman devraient faire l'une des deux choses suivantes : (1) Considérer les janissaires et leurs petits-fils comme l'autorité finale sur la question du califat, ce que nous ne pensons pas qu'un homme raisonnable ferait, car il est contre les lois de la religion; ou (2) considérer ces janissaires et leurs petits-fils comme dépourvus d'autorité sur la question du califat, auquel cas nous devrions leur demander : « Qu'est-ce que le califat et quelles sont ses conditions ?
Il reste donc à ceux qui nous opposent à se repentir, à revenir à la raison et à s'unir à nous pour appeler le monde musulman à utiliser toutes les mesures efficaces pour le renforcement de l'islam et la restauration de sa gloire.
Nous voulons que ceux qui sont présents ici vous disent à vous qui êtes loin que nous confesserons devant Dieu Tout-Puissant, le dernier jour, qu'aujourd'hui nous ne connaissons aucun dirigeant musulman plus juste et craignant Dieu que le fils de Son Prophète qui est maintenant sur le trône du pays arabe.
Nous ne connaissons personne de plus zélé que lui en religion, plus attentif à la loi de Dieu en paroles et en actes, et plus capable de gérer nos affaires d'une manière qui plaise à Dieu. Le peuple de Terre Sainte l'a proclamé Roi simplement parce qu'il servirait ainsi sa religion et son pays. »
Le sultanat ottoman est aboli le 1er novembre 1922, en pleine guerre d'indépendance turque. La fonction de calife, cependant, est conservée pendant seize mois supplémentaires, au cours desquels elle est détenue par Abdülmecid II. Il sert comme calife sous le patronage de la République turque nouvellement fondée jusqu'au 3 mars 1924, date à laquelle la Grande Assemblée nationale de Turquie abolit officiellement le califat.
Hussein ben Ali est alors proclamé calife[13] à Amman, fondant sa revendication sur son ascendance prophétique (il est Sayyid) et le contrôle que lui et sa dynastie exercent depuis 960[19] sur les deux mosquées les plus sacrées de l'Islam, la Masjid al-Haram et Al-Masjid al-Nabawi (collectivement connues sous le nom de Haramayn, en arabe : الحرمين ). La possession de l'Haramayn est une condition indispensable pour tout calife[13].
Selon The Times, Mehmed VI, le dernier sultan ottoman et avant-dernier calife ottoman, envoie un télégraphe de soutien à Hussein après qu'il se soit proclamé calife[13].
Reconnaissance
Le califat du roi Hussein reçoit une reconnaissance assez hétéroclite du monde arabe encore sous domination coloniale. Si des publications arabes comme Al-Qiblah[20], Alif Ba et al-Nahdah le soutiennent et que les mosquées de Damas, Jérusalem, Beyrouth, La Mecque, Médine ou Alep organisent des prières publiques pour lui[21], en Égypte, la situation est différente, les habitants ayant préféré que le roi Fouad d'Égypte prenne le titre. Dans la région de Haïfa, le gouverneur britannique note que les arabes chrétiens et musulmans se sont rangés derrière la nouvelle proclamation[22].
Dans un souci de légitimer sa proclamation et d'établir des bases juridiques pour son califat, il fait réunir un Concile Consultatif[23], composé de trente-et-un représentants du monde musulman, élus par les oulémas et les habitants du Haramayn. Ce Concile se réunit douze fois, avant d'être ajourné sine die face à l'avancée des troupes saoudiennes[23].
Le califat prend fin rapidement dans les faits[24] lorsque la famille hachémite doit fuir la région du Hedjaz après sa prise par les forces Najdi Ikhwan d'Ibn Saud (le fondateur de l'Arabie saoudite) en 1924-1925[13], empêchant toute installation dans la durée.
En tant que dernier calife de l'islam sunnite, il est enterré dans la madrasa al-Arghuniyya, dans le complexe de l'esplanade des mosquées (al-Ḥaram aš-Šarīf)[25]. Sur la fenêtre au-dessus de sa tombe est écrite l'inscription suivante : « هذا قبر أمير المؤمنين الحسين بن علي » ce qui signifie « Voici la tombe du Commandeur des Croyants, Hussein ben Ali »[26].
Importance théologique
Le califat chérifien est considéré par certains[1] comme le dernier califat « traditionnel »[3] - [27] de l'islam sunnite avant les prétentions plus récentes de divers groupes djihadistes à partir des années 1990, notamment de l'État islamique[28].
Références
- (en) « Architect of The Great Arab Revolt: Sayyid Hussein bin Ali, King of the Arabs and King of the Hijaz (1854 – June 4, 1931) », sur Sayyid Ahmed Amiruddin, (consulté le ).
- (en) « New Series Vol. 7 No. 6 (1 May 1917) », sur Trove (consulté le ).
- Joshua Teitelbaum, « Sharif Husayn ibn Ali and the Hashemite Vision of the Post-Ottoman Order: From Chieftaincy to Suzerainty », Middle Eastern Studies, vol. 34, no 1, , p. 103–122 (ISSN 0026-3206, lire en ligne, consulté le ).
- « Shariff Hussein of Mecca – From Rebel to Caliph #Shorts » (consulté le ).
- (en) « Source Records of the Great War Sharif Hussein’s Proclamation of Independence from Turkey, 27th June 1916 », sur Sayyid Ahmed Amiruddin, (consulté le ).
- Dans la déclaration d'indépendance du Royaume Arabe, en 1916, il dit reconnaître la validité du califat ottoman et ne pas avoir voulu s'opposer à l'Empire Ottoman jusqu'à ce que ce soit inévitable, pour ne pas diviser le monde musulman. On peut raisonnablement penser qu'une idée similaire guide sa proclamation en tant que calife.
- Nidal Daoud Mohammad Al-Momani, « Al-Sharif, Al-Hussein Bin Ali between the Zionists and the Palestinians in 1924 A decisive year in the political history of Al-Hussein », Journal of Human Sciences, vol. 2014, no 02, , p. 312–335 (ISSN 1985-8647, DOI 10.12785/jhs/20140213, lire en ligne, consulté le )
- (en) British Secret Service, Jeddah Report 1-29 Mars 1924, Jeddah, British Secret Service, , FO 371/100CWE 3356.
- Martin Kramer, Islam assembled the advent of the Muslim Congresses, Columbia University Press, (ISBN 1-59740-468-3, OCLC 1113069713, lire en ligne).
- نضال داود المومني, الشريف الحسين بن علي والخلافة, (lire en ligne)
- (ar) جريدة الوطن et webmaster, « «مملكة الحجاز».. وقــصـــة الـغــزو المـســلّـــح », sur جريدة الوطن, (consulté le ) : « وذكر الوثائقي أنه في 1924م، اندفع الشريف الحسين بن علي متشبثاً برداء النبوة ليعلن نفسه خليفة للمسلمين، فتلقى بيعة واسعة في الحجاز والشام، الأمر الذي زاد من غضب بن سعود، فكان إعلان الخلافة القشة التي قصمت ظهر البعير، فقرر بن سعود غزو الحجاز فوراً. »
- Central File: Decimal File 867.9111, Internal Affairs Of States, Public Press., Newspapers., Turkey, Clippings And Items., March 22, 1924 - March 12, 1925. March 22, 1924 - March 12, 1925. MS Turkey: Records of the U.S. Department of State, 1802-1949: Records of the Department of State Relating to Internal Affairs of Turkey, 1910-1929. National Archives (United States). Archives Unbound, link.gale.com/apps/doc/SC5111548903/GDCS.GRC?u=usparisbis&sid=bookmark-GDCS.GRC&xid=9f4f5b1d&pg=5. Accessed 17 May 2023.
- Joshua Teitelbaum, The Rise and Fall of the Hashimite Kingdom of Arabia, C. Hurst & Co. Publishers, (ISBN 9781850654605, lire en ligne) :
« Ochsenwald has written that the vilayet of Hijaz was perhaps 'the Arab province most valuable to the Ottoman Sultan.' Possession of the Haramayan was a sine qua non for any sultan-caliph, and to be seen as the defender and benefactor of Islam's two holies cities was fundamental to the legitimacy and prestige of the ruler. »
. - Charles (1805-1864) Auteur du texte Didier, Séjour chez le grand-chérif de la Mekke / par Charles Didier, (lire en ligne).
- Richard T. Mortel "Zaydi Shi'ism and the Hasanid Sharifs of Mecca, " International Journal of Middle East Studies 19 (1987): 455-472, at 462-464
- Bruce Masters, The Arabs of the Ottoman Empire, 1516-1918: A Social and Cultural History, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-107-03363-4, lire en ligne), p. 61.
- Joep Lameer et J. J. Witkam, History of the Arabic written tradition. Volume 1, (ISBN 978-90-04-32626-2 et 90-04-32626-X, OCLC 958141263, lire en ligne).
- (en) « Primary Documents -Proclamation of the Ulema Regarding Independence from Turkey, March 1917 », sur Sayyid Ahmed Amiruddin, (consulté le ).
- Teitelbaum 2001, p. 9.
- (arb) Al-Qiblah, « N. 772 », Al-Qiblah, .
- (en) British Secret Service, Jeddah Report 1-29 Mars 1924, Jeddah, British Secret Service, 1-29 mars 1924, FO 371/100CWE 3356.
- (en) Russel, Russell (Aleppo) to FO, no. 2,11 Mars; E 2660, Haïfa, British Diplomatic Service, , E 2660.
- Martin Kramer, Islam assembled the advent of the Muslim Congresses, Columbia University Press, (ISBN 1-59740-468-3 et 978-1-59740-468-6, OCLC 1113069713, lire en ligne).
- Dans les faits, il n'a jamais abdiqué de son rôle de calife, malgré son exil (fin 1925), comme le témoigne sa sépulture. La date de fin de son califat traditionnellement donnée (1925) est en réalité une date tirée du fait qu'il perd le contrôle du Haramayn cette année là mais on peut situer la fin de son califat au jour de sa mort aussi, en 1931.
- Martin Strohmeier, « The exile of Husayn b. Ali, ex-sharif of Mecca and ex-king of the Hijaz, in Cyprus (1925–1930) », Middle Eastern Studies, vol. 55, no 5, , p. 733–755 (ISSN 0026-3206, DOI 10.1080/00263206.2019.1596895, lire en ligne, consulté le ).
- (arb) Muhammad Rafi, La Mecque au XIVème siècle de l'Hégire / مكة في القرن الرابع عشر الهجري, La Mecque, /, , p. 291.
- Laurent Bonnefoy, « La conférence de Grozny : un sunnisme sans wahhabisme ? », CERI - Centre de recherches internationales (Sciences Po, CNRS), Centre de recherches internationales ; Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, (lire en ligne, consulté le ).
- « Abou Bakr al-Baghdadi, le calife du jihad », sur RFI, (consulté le ).