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Bos de BĂ©nac

Bos de Bénac est un personnage historique de la Bigorre, et aussi le héros de plusieurs légendes à peu près similaires sur le fond, qui ont eu cours en Bigorre, dans les Landes et le Périgord. On considère qu'il s'agit d'une légende, plus qu'un conte, car les versions de ce récit sont relativement rares et font référence à des personnages historiques (ou supposés tels) et à des lieux précis, et qu'ils étaient considérés comme vrais par une grande partie des informateurs.

Bos de Bénac dans le désert, illustration de Gustave Doré dans Voyage aux eaux des Pyrénées d'Hippolyte Taine (1855)

Contexte historique

Le berceau de la famille de Bénac semble être le hameau de Barry, commune de Bénac, dans la plaine entre Tarbes et Lourdes. Là s'élevait le château, dont il ne reste à peu près rien, sinon l'angle de deux murs. Les armoriaux citent une assez longue lignée des barons de Bénac, dont un, nommé Bos[1], qui aurait suivi saint Louis à la croisade en Terre sainte, vers 1270, et qui y serait resté sept ans captif avant de revenir dans son pays. Aucun document historique ne permet de savoir s'il s'agit d'un fait réel ayant donné naissance à la légende, ou si la légende est déjà présente dans cette affirmation. Il est attesté en 1283 comme témoin pour la succession de Pétronille de Bigorre, avec ses deux frères Arnaud-Guillaume, abbé de Saint-Pé, et Auger, abbé de l'Escaladieu. Il aurait eu par ailleurs une fille unique prénommée Oulce[2].

La légende a été attribuée, par homonymie, aux seigneurs de Beynac, en Périgord, et comme ceux-ci avaient des possessions dans les Landes, on retrouve des versions dans cette région. Le baron Adhémar de Beynac a participé à une croisade, dont il est revenu en 1194.

Synopsis de la légende

Le seigneur a épousé une jeune femme pleine de vertus. Contraint de suivre le roi à la croisade, il quitte sa femme en convenant d'un signe de reconnaissance : contrat de mariage (Bladé) déchiré en deux, anneau ou diamant (Cordier) coupé en deux. En Terre sainte, il se bat vaillamment, mais il est fait prisonnier et gardé captif pendant sept ans. Le diable lui apparaît alors, et lui annonce que son épouse, le croyant mort, va se remarier. Il lui propose, au prix de son âme, de le ramener. Le seigneur refuse par deux fois, enfin il accepte le marché en promettant de donner au diable une partie du premier repas qu'il prendra avec sa femme. Le diable le prend sur son dos et s'envole. Le seigneur est déposé au pied de son château où ont lieu les préparatifs du mariage. Après diverses péripéties apparentées au retour d'Ulysse à Ithaque (son épouse est contrainte, comme Pénélope, à choisir un des prétendants qui occupent le château ; Bos n'est pas reconnu, si ce n'est par son vieux chien, ou par son cheval ; puis il se fait reconnaître, il chasse le ou les prétendants, etc.), il retrouve son épouse. Pour tout repas, ils mangent des noix et lorsque le diable se présente pour être payé, on lui donne les coquilles vides. Le diable dupé s'enfuit alors, en laissant dans le mur un trou que nul ne pourra reboucher. Selon les versions, les retrouvailles constituent un happy end, ou bien les époux se retirent dans des couvents[3].

La thĂ©matique des noix revient Ă  peu près systĂ©matiquement dans toutes les versions, sans qu'il y ait des explications rationnelles. Taine dit que Bos de BĂ©nac va jeter un plat de noix dans un gouffre supposĂ© ĂŞtre l'antre du diable. Dans certaines versions, on offre des noix au prĂ©tendant Ă©vincĂ© : pratique traditionnelle en Gascogne, oĂą offrir des noix au prĂ©tendant d'une jeune fille Ă©quivalait Ă  un refus. Donner les coquilles vides, c'est remplir les termes du contrat (une partie du repas) tout en annulant le sens (rien Ă  manger, rien d'utile). On sait que « des noix Â» Ă©quivaut Ă  « rien du tout Â», comme en anglais l'interjection Nuts!

La symbolique du repas partagé implique qu'on ne partage pas avec des créatures d'un autre monde, que ce soient le diable comme ici, ou les morts (voir par exemple Le souper des morts, chez Bladé, où on échappe au mauvais sort en faisant semblant de manger, ou la symbolique identique du festin du Commandeur de Dom Juan).

Traces de la légende

Ă€ Barry, les restes du château des seigneurs de BĂ©nac se limitent Ă  deux pans de mur en angle, prĂ©sentant une ouverture qu'on considère comme Ă©tant le trou fait par le diable en sortant du château. Ă€ quelque distance de lĂ , Ă  Layrisse, un mĂ©galithe est considĂ©rĂ© comme la pierre du diable Ă©jectĂ©e de ce mĂŞme mur. On y verrait la trace de ses griffes, dans ce cas la pierre est considĂ©rĂ©e comme le « point d'atterrissage Â» du diable et de son passager. Selon d'autres, la pierre aurait Ă©tĂ© lancĂ©e par le diable depuis le sommet de Miramont, « oĂą se trouve sa sĹ“ur, la Peyreblanque Â»[4].

Hippolyte Taine (Voyage aux Pyrénées) raconte à peu près la même histoire quant au fond, mais il rajoute des détails, comme l'intérieur du pic de Bergons (sommet quelque peu oublié de nos jours, très visité par les touristes au XIXe s.) qui serait creux comme une cloche et qui abriterait des sabbats de sorcières.

La version landaise de Césaire Daugé situe l'histoire à la tour de Pouyalè, ou Poyalèr, près de Mugron en Chalosse. Il indique en note : Les marquis de Beynac étaient seigneurs de Montgaillard, etc., et premiers barons de Périgord. Le Moyen Âge avait le seigneur de Sancto Albino, ou Saint-Aubin, qui n'était autre que celui de Poyaler.

Versions de la légende et sources

  • Eugène Cordier, LĂ©gendes des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, « Le diable au XIIIe siècle Â». Aux alentours du château, le diable serait longtemps revenu la nuit, sous la forme d'un chien blanc (une des formes rĂ©currentes du diable dans la mythologie pyrĂ©nĂ©enne).
  • Jean-François BladĂ©, Contes de Gascogne, Maisonneuve, « Le retour du seigneur Â». Narration très Ă©purĂ©e, comme toujours chez BladĂ©, sous la forme d'un conte. BladĂ© dit simplement en note finale, après avoir citĂ© Eug. Cordier : C'est la lĂ©gende bien connue de Bos de BĂ©nac, rapportĂ©e par divers annalistes de Bigorre. Il note encore que pour certains de ses informateurs, ce conte n'en est pas un, mais une superstition : ce qui, dans sa terminologie, signifie qu'ils le considèrent comme une histoire vraie, donc racontĂ©e sans les formulettes traditionnelles d'introduction et de conclusion d'un conte. Parmi les « annalistes Â», Jean-Marie-Joseph Deville, en 1818, cite BĂ©nac pour fulminer contre la crĂ©dulitĂ© superstitieuse des habitants de la rĂ©gion.
  • Hippolyte Taine, Voyage aux eaux des PyrĂ©nĂ©es, 1855, 1858.
  • J.-B. Larcher, Dictionnaire gĂ©nĂ©alogique, lettre B, p 559, Archives des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, F2, citĂ© in :
  • AbbĂ© A. Duffourc, Le BĂ©naquĂ©s, ou la baronnie de BĂ©nac, Tarbes, Imprimerie Émile CroharĂ©, 1895.
  • CĂ©saire DaugĂ©, La tour de Pouyalè, Escole Gastou-Febus, 1907 : situĂ©e dans les Landes. Le seigneur de Beynac donne les coquilles de noix Ă  un chien, qui se rĂ©vèle alors ĂŞtre le diable.

Le thème de ce conte se retrouve dans le Barzaz Breiz de La VillemarquĂ©, chant XXIII, « Le Clerc de Rohan Â», et dans les LĂ©gendes historiques et religieuses des Ardennes d'Albert Meyrac : « La LĂ©gende de Jean d'Anglure Â», livre IV, ch. 2, p. 354[5]. Dans ces rĂ©cits, il s'agit du retour de la croisade du seigneur, alors que sa femme ve se remarier (volontairement ou pas). Dans le premier, l'Ă©pouse fidèle injustement calomniĂ©e est tuĂ©e par le seigneur, ainsi que le calomniateur. Quant Ă  Jean d'Anglure, seigneur d'Autricourt, il est fait prisonnier par le sultan Saladin d'Égypte, qui l'autorise Ă  rentrer dans son pays pour rĂ©unir le montant de sa propre rançon. Jean d'Anglure retrouve sa femme sur le point de se remarier avec un seigneur voisin, et s'en fait reconnaĂ®tre grâce Ă  la moitiĂ© de son alliance. N'ayant pu rĂ©unir la rançon, il revient se constituer prisonnier. Saladin Ă©bloui par cette loyautĂ© le libère, lui octroyant le blason Ă  fond d'or, semĂ© de croissants de gueules et de grelots d'argent, et la condition que tous les enfants mâles de sa lignĂ©e porteront le nom de Saladin. Dans les deux cas, il n'est question ni de pacte avec le diable, ni de retour surnaturel.

Cette histoire n'est pas répertoriée en tant que conte par Paul Delarue (Le conte populaire français).

Notes et références

  1. Ludovic de Magny, Le nobiliaire universel ou recueil général des généalogies historiques et véridiques des maisons de l'Europe, Elibron classics
  2. J.-B. Larcher, Dictionnaire généalogique, Archives des Hautes-Pyrénées
  3. Selon J.-B. Larcher (op. cit.), Bos se fait cordelier, et sa femme prend le voile. Il serait enterré dans la chapelle Sainte Anne, ou du chapitre (on ne précise pas où), et jusqu'en 1770, on aurait vu près du maître-autel un casque et une lance lui ayant appartenu Abbé Duffourc, Le Bénaqués.
  4. J.-B. Larcher, op. cit.
  5. Note de Pierre Lafforgue, Les Contes du vieux Cazaux, p. 102

Publications ultérieures

  • P.-J. Robert-Cantabre, Bos de BĂ©nac, Editorial occitan, 1926
  • Jean-Claude PertuzĂ©, Les Chants de Pyrène, vol. 1, Loubatières, 1981 (bandes dessinĂ©es) ; Bos de BĂ©nac, Loubatières, 2003 (livre pour enfants, Ă©dition en français et en occitan)
  • Anne et AndrĂ© Lasserre, Bos de BĂ©nac et autres lĂ©gendes pyrĂ©nĂ©ennes contĂ©es aux enfants, NĂ®mes, C. Lacour, 2004
  • Eric Saint-Marc, La lĂ©gende de Bos de BĂ©nac, composition musicale pour orchestre, chĹ“ur et rĂ©citant, 2015 (http://ericsaintmarc.com/)
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