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Bonnes pratiques de laboratoire

Les bonnes pratiques de laboratoire ou BPL (en anglais : good laboratory practices ou GLP) sont un ensemble de règles à respecter lors d'essais non-cliniques (pré-cliniques), c'est-à-dire sur l'animal, ou sur modèles in vitro, afin de garantir la qualité, et l’intégrité des données obtenues[1]. Ces études concernent l'efficacité et la sécurité des substances chimiques ou biologiques dans différents domaines comme la santé (humaine ou animale) ou l'environnement. Ces bonnes pratiques sont définies pour les études soumises à des agences sanitaires dans le cadre de l'autorisation réglementaire d'un produit chimique[2]. Ces bonnes pratiques ne sont pas prévues ou requises pour tout ce qui ne touche pas à la réglementation des produits chimiques[2]. Elles portent sur l'administration et la gestion d'une étude et non sur la méthodologie scientifique employée[2] - [3].

La pertinence ou la fiabilité d'une étude ne peut pas être évaluée à l'aune des bonnes pratiques de laboratoire car ce n'est pas leur rôle[4]. Par exemple, concernant les perturbateurs endocriniens, les études ne suivant pas les bonnes pratiques de laboratoire ont été jugées plus sensibles et plus pertinentes que celles suivant ces pratiques[4].

Histoire

Les bonnes pratiques de laboratoire ont d'abord été introduites en Nouvelle-Zélande et au Danemark en 1972[5].

Elles ont été instituées aux États-Unis à la suite de la découverte de fraudes de laboratoires de toxicologie dans les données fournies à la Food and Drug Administration (FDA) par des entreprises pharmaceutiques. Le laboratoire Industrial BioTest Labs avait notamment fait parler de lui en prétendant avoir réalisé des milliers de tests de sécurité pour des fabricants de produits chimiques. Lorsque ceux-ci avaient réellement été effectués, ils étaient d'une si mauvaise qualité que les enquêteurs ne pouvaient pas identifier ce qui avait été réalisé, malgré les résultats fournis par le laboratoire à ses clients. Par exemple, des animaux morts durant une étude avaient été remplacé sans que ce soit documenté, ou des données brutes avaient été modifiées après coup pour correspondre aux résultats[6].

Ces problèmes ont été rendus publics et portés à la connaissance du Congrès des États-Unis, ce qui a conduit la FDA à établir la réglementation des bonnes pratiques de laboratoire en 1979. L'Environmental Protection Agency, ayant rencontré des problèmes similaires, a publié sa propre réglementation en 1983[7].

Au niveau international, l'OCDE a cherché à standardiser les expériences et à éviter leur duplication, ce qui l'a conduit à énoncer et recommander de nouvelles règles en 1981[8], puis à en publier en version révisée en 1997. L'OMS a publié son propre standard en 2001[7]. En Europe, les principes des BPL de l'OCDE sont retranscrits dans la directive européenne 2004/10/CE[9] qui s'applique après transposition dans le droit national de chaque État.

Contenu

Les recommandations peuvent varier d'une autorité à l'autre. Les points suivants sont notamment abordés :

Score Klimisch

Afin d'évaluer la conformité des données aux Bonnes Pratiques de Laboratoire, BASF a proposé en 1997 une échelle de classification connue sous le nom d'« échelle Klimisch[11] ». Il s'agit de la méthode recommandée dans le cadre du règlement REACH pour l'évaluation des produits chimiques[12]. Elle attribue ainsi aux études un score de 1 à 4[13] :

  1. Données fiables sans restriction, pour les études conformes aux BPL ou, à défaut, aux études de référence ;
  2. Données fiables avec restriction, pour les études n'étant pas totalement conformes aux BPL, mais néanmoins de qualité suffisante ;
  3. Données non fiables, pour les études présentant des données insuffisamment documentées ou produites par des méthodes non pertinentes ;
  4. Pas d'évaluation possible, généralement par manque de documentation disponible.

De la même manière que les BPL, le score Klimisch ne permet donc pas d'évaluer la qualité d'une étude, mais simplement la qualité et la reproductibilité des données produites. Il ne prend par exemple pas en compte la taille des échantillons, ou le fait que les mesures soient randomisées ou en double aveugle[14]. Il est néanmoins abondamment employé par les organismes réglementaires comme moyen d'évaluer la qualité des études, à l'exclusion de tout autre moyen. Cela les amène ainsi à donner davantage d'importance aux études réalisées de manière précise et reproductible qu'aux études sensibles, au risque de favoriser les faux négatifs[15] - [16].

Bien que le score Klimisch soit abondamment utilisé, certaines lacunes sont devenues manifestes et plusieurs critiques se sont développées. Des études ont par exemple montré que cette méthode ne garantissait pas une évaluation cohérente des résultats d'un organisme réglementaire à l'autre. En conséquence, un organisme peut classer une étude comme « fiable sans restriction », alors qu'un autre la classera « non fiable. » De plus, la méthode Klimisch ne fournit que des critères limités pour l'évaluation de la fiabilité et aucune directive spécifique pour l'évaluation de la pertinence, ce qui accroît l'incohérence des résultats d'évaluation[17]. À ce titre cela peut s'expliquer par ce que des chercheurs soulignent : les critères de classification ne sont pas suffisamment clairs[18].

L'emploi du score de Klimisch est susceptible de conduire à des situations où les études BPL sont classées fiables « sans restriction » malgré des défauts évidents. Cette préférence pour les études BPL a conduit à des dossiers d'autorisation de mise sur le marché reposant presque exclusivement sur des données de laboratoire sous contrat fournies par les déclarants, tout en excluant les études examinées par des pairs de la littérature scientifique[17]. À titre d'exemple, parmi 107 études analysées pour des dossiers d'enregistrement et classées « fiables sans restriction », seules 10 ne suivaient pas les BPL. Dans 105 cas le classement des études dans cette catégorie était justifié par le fait que l'étude respecte les BPL ou des lignes directrices pour la conduite des tests. À l'inverse, dans la catégorie suivante « fiable avec restriction » près des trois quarts des études ne suivaient pas les BPL[12].

DĂ©bats autour des BPL

Comparaison avec l'Ă©valuation par les pairs

Les BPL sont un sujet récurrent de discussion dans le débat entre science académique et science réglementaire. Un point central du débat consiste à déterminer si le processus de publication dans des journaux à comité de lecture est supérieur aux standards de bonnes pratiques de laboratoire employées pour étudier la conformité des produits aux réglementations[19].

Selon certains chercheurs[20], ce n'est pas la conformité aux BPL qui devrait être le standard de référence, mais plutôt le processus de relecture de publication dans des journaux à comités de lecture. En effet, le processus d'évaluation par les pairs est un système cohérent permettant le contrôle de la qualité des données générées, des analyses et des rapports, fournissant ainsi une base pour évaluer la qualité d'une information et la force d'une conclusion. De plus, selon eux, les BPL ne fournissent pas un contrôle suffisant de la qualité des études, et les études concernées doivent être considérées comme inférieures : Les BPL ne doivent être considérées que comme un système de suivi conçu pour contrecarrer la corruption des chercheurs[20]

Selon d'autres chercheurs[19], qui ont l'habitude de travailler avec l'industrie, bien que les BPL ne soient pas conçues pour évaluer la valeur d'une étude, il s'agit d'une assurance qualité reconnue au niveau international, et d'une méthode de contrôle de la qualité permettant de documenter la conduite expérimentale et les données. Ni les BPL, ni la relecture par les pairs ne sont complètement suffisants pour assurer la solidité d'une étude scientifique. L'évaluation par les pairs permet de l'assurer que les articles publiés sont dignes d'intérêt et de fournir une transparence nécessaire à la crédibilité des prises de décision, tandis que les BPL répondent aux questionnements concernant la qualité des données.

Les BPL étant souvent appliquées aux études de toxicité exigées par les instances réglementaires, elles sont fréquemment interprétées à tort comme des gages de la qualité des résultats. Néanmoins, ces études n’incorporent pas forcément les dernières avancées dans un domaine particulier. Inversement, bien qu'elles ne soit pas toujours homologuées BPL, la pertinence et la fiabilité des études de référence sont documentées dans un processus bien défini. Beaucoup ont été sujettes à des validations formelles, évaluées pas les pairs, dans de multiples laboratoires, avec une relecture subséquente des données et des analyses par les pairs. Par ailleurs les études publiées dans les journaux scientifiques peuvent employer des méthodes trop récentes pour avoir subi de tels tests. Néanmoins, les BPL sont souvent appliquées dans les études de recherche exploratoire inédites[19].

Perturbateurs endocriniens

En 2009, la FDA valide les normes en vigueur sur le Bisphenol A sur la base d'études BPL[21]. Cette conclusion est partagée par l'EFSA en 2010, en s'appuyant également de manière privilégiée sur les BPL[22]. En privilégiant les études BPL sur les autres, contrairement par exemple à l'ANSES, ces agences ont donné un avis erroné au regard des connaissances alors disponibles. Cela a amené des chercheurs à conclure : « Les décisions de santé publique devraient être fondées sur des études qui utilisent des protocoles appropriés, avec des contrôles appropriés et avec les outils les plus sensibles ; pas les BPL[20]. »

Par la suite, concernant les perturbateurs endocriniens, les études ne suivant pas les BPL ont été jugées plus sensibles et plus pertinentes que celles suivant ces pratiques[4].

Coût et reproductibilité

En raison des moyens requis pour les mettre en œuvre et obtenir l'homologation, les études suivant les BPL sont extrêmement coûteuses. Même lorsque les moyens mis en œuvre sont proches de ces recommandations, leur respect strict reste d'un coût prohibitif[19]. Elles sont ainsi difficilement à la portée des laboratoires universitaires, et ce sont principalement les industriels qui ont les moyens de financer leur réalisation. Cela constitue un frein important à la reproductibilité des études BPL par des organismes indépendants[23].

Flexibilité des études

La standardisation des tests permet néanmoins une flexibilité suffisante pour influencer le résultat de l'étude. La conception de l'étude, l'omission de certains effets et les méthodes statistiques employées, notamment, peuvent être l'objet de décisions subtiles et parfaitement légales[24] - [25]. Dans une moindre mesure, la conclusion de l'étude entre parfois en contradiction avec son contenu.

Les études BPL ne sont pas les seules à être sujettes à cette flexibilité, mais cet aspect revêt un enjeu particulier dans un contexte de confidentialité des études et des données produites, où le respect des BPL sert de substitut à la relecture par les pairs pour assurer la valeur scientifique de l'étude.

Notes et références

  1. Les bonnes pratiques de laboratoire, sur le site de l'Anses, 21 février 2013, consulté le 29 juin 2013
  2. (en) « OECD Position Paper Regarding the Relationship between the OECD Principles of GLP and ISO/IEC 17025 »
  3. Caroline Moermond, Amy Beasley, Roger Breton, Marion Junghans, Ryszard Laskowski, Keith Solomon et Holly Zahner, « Assessing the reliability of ecotoxicological studies: An overview of current needs and approaches », Wiley, vol. 13, no 4,‎ , p. 640–651 (DOI 10.1002/ieam.1870)
  4. Anna Beronius, Annika Hanberg, Johanna Zilliacus et Christina Rudén, « Bridging the gap between academic research and regulatory health risk assessment of Endocrine Disrupting Chemicals », Elsevier BV, vol. 19,‎ , p. 99–104 (DOI 10.1016/j.coph.2014.08.005)
  5. Kevin Robinson for BioPharm International, Aug 1, 2003. GLPs and the Importance of Standard Operating Procedures
  6. K Schneider, « Faking it: The case against Industrial Bio-Test Laboratories », Natural Resources Defence Council,‎ , p. 14–26 (lire en ligne)
  7. (en) OMS (2009) Handbook: Good Laboratory Practice (GLP)
  8. « Série sur les principes de bonnes pratiques de laboratoire et vérification du respect de ces principes », sur le site de l'OCDE, (consulté le )
  9. « Les principes de BPL », sur ansm.sante.fr
  10. Les Principes de l'OCDE de Bonnes pratiques de laboratoire, OCDE, 1998
  11. (en) HJ. Klimisch, M. Andreae, U. Tillmann, « A Systematic Approach For Evaluating the Quality of Experimental Toxicological & Ecotoxicological Data », Regulatory Toxicology and Pharmacology 25, 1–5 (1997) DOI 10.1006/rtph.1996.1076
  12. Ellen Ingre-Khans, Marlene Ågerstrand, Anna Beronius et Christina Rudén, « Reliability and relevance evaluations of REACH data », Oxford University Press (OUP), vol. 8, no 1,‎ , p. 46–56 (ISSN 2045-452X, DOI 10.1039/c8tx00216a)
  13. (en) How to Use Klimisch Scoring System to Assess Data Reliability, ChemSafetyPro, 2018
  14. (en)David Krauth, Tracey J. Woodruff, Lisa Berocorresponding, Instruments for Assessing Risk of Bias and Other Methodological Criteria of Published Animal Studies: A Systematic Review, Environmental Health Perspectives, 2013, 121(9), 985–992. DOI 10.1289/ehp.1206389
  15. Pesticides : des évaluations européennes incomplètes qui vont à l’encontre de la législation, PAN-Europe, Générations Futures, 2014
  16. (en) The future of evidence in chemicals policy, The Policy from Science Project, 2013
  17. (en) Robert Kase, Muris Korkaric, Inge Werner, Marlene Ågerstrand, Criteria for Reporting and Evaluating ecotoxicity Data (CRED): comparison and perception of the Klimisch and CRED methods for evaluating reliability and relevance of ecotoxicity studies, Environmental Sciences Europe, février 2016; 28(1): 7. DOI 10.1186/s12302-016-0073-x
  18. Linda Molander, Marlene Ågerstrand, Anna Beronius, Annika Hanberg et Christina Rudén, « Science in Risk Assessment and Policy (SciRAP): An Online Resource for Evaluating and ReportingIn Vivo(Eco)Toxicity Studies », Informa UK Limited, vol. 21, no 3,‎ , p. 753–762 (ISSN 1080-7039, DOI 10.1080/10807039.2014.928104)
  19. (en) Lynn S. McCarty, Christopher J. Borgert et Ellen M. Mihaich, « Information Quality in Regulatory Decision Making: Peer Review versus Good Laboratory Practice », Environmental Health Perspectives, vol. 120, no 7,‎ (DOI 10.1289/ehp.1104277, lire en ligne)
  20. (en) Myers et al., « Why public health agencies cannot depend on good laboratory practices as a criterion for selecting data: the case of bisphenol A », sur Environ Health Perspect, (DOI 10.1289/ehp.0800173)
  21. (en) Bisphenol A (BPA): Use in Food Contact Application, US Food and Drugs Administration, 2018
  22. Note d’appui scientifique et technique de l’ANSES relatif à la « Demande d’avis relatif à l’évaluation des risques pour la santé humaine du bisphénol A », ANSES, 16 juin 2015
  23. Lobbytomie, Stéphane Horel, 2018, p. 62
  24. Lobbytomie, Stéphane Horel, 2018, p. 231
  25. (en) Kevin C. Eliott, Financial conflicts of interest and criteria for research credibility, Erkenntnis, vol. 79, n° 5, juin 2014, pp. 917-937.

Voir aussi

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