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Beya (alchimie)

En alchimie, beya dĂ©nommait une eau mercurielle[1], c'est-Ă -dire « la dissolution de mercure par l'esprit de nitre (acide nitrique), affoiblie par l'addition d'une certaine quantitĂ© d'eau distillĂ©e Â»[2]. Ce nom provient du nom d'une jeune femme dans la Vision d'ArislĂ©e, ou Vision d'Arisleus, texte en annexe de la Turba philosophorum, un des premiers et des plus connus traitĂ©s d'alchimie de l'Occident mĂ©diĂ©val. Si on en connaĂ®t une version latine du XIIIe siècle et une française du XVe siècle, il s'agit probablement de traductions d'un original en castillan du XIIe siècle, peut-ĂŞtre Ă©crit par Robert de Chester[3]. Dans la Vision d'ArislĂ©e, elle est la fille du roi de la mer, unie Ă  son frère Gabertin, qui en meurt et ressuscite. Cette union est souvent reprise dans l'imagerie alchimique pour symboliser l'union du soufre et du mercure.

Extrait de la Vision d'Arislée

« Et le Roi dit, quelle chose est convenable Ă  conjoindre ? Et je lui dis amenez-moi votre fils Gabertin, et sa sĹ“ur Beya. Et le Roi me dit, comment sais-tu que le nom de sa sĹ“ur est Beya ? Je crois que tu es Magicien. Et je lui dis la science et l'art d'engendrer nous a enseignĂ© que le nom de sa sĹ“ur est Beya. Et combien qu'elle soit femme, elle l'amende, car elle est en lui. Et le Roi dit, pourquoi la veux-tu avoir ? Et je lui dis, pour ce qu'il ne se peut faire de vĂ©ritable gĂ©nĂ©ration sans elle, ni ne se peut aucun arbre multiplier. Alors il nous envoya ladite sĹ“ur, et elle Ă©tait belle et blanche, tendre et dĂ©licate. Et je dis, je conjoindrai Gabertin Ă  Beya. Et il rĂ©pondit, le frère mène sa sĹ“ur, non pas le mari sa femme. Et je dis, ainsi a fait Adam, c'est pourquoi nous sommes plusieurs enfants. Car Eve Ă©tait de la matière de quoi Ă©tait Adam, et ainsi est de Beya, qui est de la matière substantielle de quoi est Gabertin le beaux et resplendissant. Mais il est homme parfait, et elle est femme crue, froide et imparfaite, et croyez-moi, Roi, si vous ĂŞtes obĂ©issant Ă  mes commandements et Ă  mes paroles, vous serez bienheureux. Et mes compagnons me disaient. Prends la charge et achève de dire la cause pour laquelle notre MaĂ®tre nous a ici envoyĂ©s. Et je rĂ©pondis, par le mariage de Gabertin et de Beya, nous serons hors de tristesse et de cette manière, non pas autrement, car nous ne pouvons rien faire tant qu'ils soient fait une (matière) nature. Et le roi dit, je vous les baillerai. Et incontinent que Beya eut accompagnĂ© son mari et frère Gabertin, et qu'il fut couchĂ© avec elle, il mourut du tout et perdit toute sa vive couleur et devint mort et pâle, de la couleur de sa femme. Â»[4]

Origine

Le prĂ©nom fĂ©minin Beya, vraisemblablement chrĂ©tien, est attestĂ© en Espagne au XIIe siècle, notamment Ă  Tudèle en Navarre, oĂą Robert de Chester, qui selon Paulette Duval serait l'auteur de la version originale de la Vision d'ArislĂ©e, a Ă©tĂ© chanoine. Beya ne vient probablement pas du latin, mais de l'arabe. Julius Ruska[5] le faisait dĂ©river de Baida, la Blanche, mais Paulette Duval a rĂ©futĂ© cette Ă©tymologie, lui prĂ©fĂ©rant celle de al-badiya, qui dĂ©signe le dĂ©sert. « Beya est donc non pas la Femme Blanche mais la StĂ©rile ; c'est en vertu d'un jeu de mots qu'elle est aussi la Blanche, mais dans un contexte prĂ©cis : celui impliquĂ© par l'existence Ă  Tudèle et dans les pays du nord de la PĂ©ninsule, sous domination arabe, de l' albaiat qui dĂ©signait un impĂ´t sur la Terre Blanche, celle qui Ă©tait en jachère et qui, ensemencĂ©e, produit pour la première fois. Il y a donc un parallèle, dans la vision d'Arisleus, entre la terre du roi de la mer, qui est stĂ©rile, et sa fille prĂ©nommĂ©e Beya, et qui va enfanter son propre frère Â»[6].

L'hermétiste moderne Emmanuel d’Hooghvorst défend quant à lui une origine hébraïque : « BEYA est un mot d’hébreu biblique. Il est composé de la lettre B, Beth où Beith, deuxième lettre de l’alphabet, et de IH vocalisé IA ou YA, les deux premières lettres du Nom divin IHVH. Le préfixe Beth signifie par, en, avec. Beya veut donc dire : par ya, en ya, avec ya. Les alchymistes en ont fait un nom propre et nous comprendrons pourquoi ia (IH) est souvent considéré par les traducteurs et les exégètes comme une simple abréviation du Nom divin IHVH, vulgairement YAVE. Mais son sens est plus précis, car selon la cabale, le Nom de Dieu a été coupé en deux par la transgression de nos premiers parents, et doit être réunifié pour refaire cette unité divine en laquelle consiste le Dieu d’Israël. De même l’Alchymiste, pour accomplir le Grand Œuvre doit-il réunir le ciel et la terre. Il n’est donc pas indifférent de trouver ia au lieu de IHVH dans un verset de l’Écriture »[7]

Citations

«C'est l'oiseau d'Hermès qui n'a de repos ni jour ni nuit, ne tâchant qu'à se corporifier en tous lieux de la terre. [...] C'est cette pucelle Beya laquelle n'a point encore été corrompue ni perdu sa liberté pour se marier à des corps infirmes et mal menés [...]. Ainsi conservant sa liberté avec son intégrité, nous voyons d'une façon philosophique cet astre lumineux faire des tours et des circulations infinies jusqu'à ce qu'il soit venu en quelque règne[8].»

Notes et références

  1. « Beya », dans Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 15 vol., 1863-1890 [détail des éditions].
  2. Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers
  3. Paulette Duval, « La Turba Philosophorum Gallica » dans Alchimie Mystique & Traditions Populaires(), Cahiers de Fontenay, éditions de l'ENS, no 33, décembre 1983, p. 9-69
  4. Trois traités de la philosophie naturelle non encore imprimés, sçavoir : La Turbe des philosophes qui est appelé le Code de vérité en l'art, autre que la latine, plus La Parole délaissée de Bernard le Trévisan et un petit traité très ancien intitulé les douze Portes d'alchimie autres que celles de Ripla . Paris, Jean Sara, 1618 (B.N. R. 29627-29629) sur googlebooks p. 61-62
  5. (de) Julius Ruska Turba philosophorum. Ein Beitrag zur Geschichte der Alchemie. coll. «Quellen und Studien zur Geschichte der Naturwissenschaften und der Medizin», Berlin 1932, réimpress. 1970 pdf
  6. Paulette Duval, « La Turba Philosophorum Gallica » dans Alchimie Mystique & Traditions Populaires, Cahiers de Fontenay, éditions de l'ENS, no 33, décembre 1983, p. 13
  7. Emmanuel d’Hooghvorst, « À propos de la Turba Philosophorum », Le Fil de Pénélope T.I, éd. Beya, Grez-Doiceau, 2009, p. 395-406. Première édition épuisé: La table d'émeraude, Paris, 1996.
  8. N. Valois, Les Cinq Livres, La Table d'émeraude, Paris, 1992, p. 175 et 180; cf. E. d'Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, t. I, Beya, Grez-Doiceau, 1996, p. 398.
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