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Bataille de Leuctres

La bataille de Leuctres (un lieu-dit de Béotie, situé au sud-ouest de Thèbes, non loin de Thespies) a lieu le 6 juillet 371 av. J.-C. et voit la victoire des Thébains, conduits par le béotarque Épaminondas, qui infligent une sévère défaite aux Spartiates du roi Cléombrote II.

Bataille de Leuctres
Informations générales
Date 6 juillet 371 av. J.-C.
Lieu Leuctres, BĂ©otie
Issue Victoire thébaine décisive
Belligérants
ThèbesSparte
Commandants
ÉpaminondasCléombrote II †
Forces en présence
6 000 Ă  7 000 hoplites
1 500 cavaliers
10 000 Ă  11 000 hoplites
1 000 cavaliers
Pertes
Environ 300 mortsPlus de 1 000 morts
CoordonnĂ©es 38° 15′ 53″ nord, 23° 10′ 27″ est
Géolocalisation sur la carte : Grèce
(Voir situation sur carte : Grèce)
Bataille de Leuctres

Considérée comme une révolution tactique pour l'emploi de l'ordre oblique, la bataille de Leuctres marque un tournant dans les rapports entre cités grecques. L'hégémonie spartiate est mise à mal et la cité ne s'en relèvera pas. Thèbes au contraire commence une hégémonie qui dura 10 ans jusqu'à la mort d'Épaminondas, tué lors de la bataille de Mantinée en 362.

Contexte historique

Montée des tensions entre Sparte et Thèbes

Loin d'être un événement imprévu, la bataille de Leuctres est un des résultats de l'instabilité politique qui a fait suite à la guerre du Péloponnèse. En effet, après sa victoire sur Athènes en 404 av. J.-C., Sparte va imposer à travers toute la Grèce de multiples régimes hostiles à la démocratie athénienne. Cette politique effraye les autres grandes cités grecques, inquiètes à l'idée que Sparte puisse imposer son hégémonie. Un fort sentiment anti-spartiate se répand en Grèce, alors même que Sparte n'a pas les moyens de sa politique en raison des bouleversements sociaux et politiques dont elle est victime.

Une coalition est finalement formée par Athènes, Corinthe, Thèbes et Argos en 395 pour s'opposer à Sparte dans ce qui sera connu comme la guerre de Corinthe. Thèbes est la cité la plus importante de la coalition, et elle va de ce fait être la cible de plusieurs campagnes militaires spartiates. Le roi Agésilas II, toujours roi en 371, mène plusieurs expéditions en Béotie à partir de 394. Lorsque la guerre de Corinthe s'achève en 386, la querelle entre les deux cités semble loin d'être enterrée. Sparte n'est pas parvenu à écraser militairement Thèbes mais parvient cependant à lui imposer de renoncer à ses projets de domination de la Béotie, région de la Grèce centrale sur laquelle les Thébains souhaiteraient asseoir leur hégémonie.

Sparte semble finalement triompher de Thèbes en 382, lorsque les Spartiates profitent d'une expédition contre la cité d'Olynthe pour s'emparer de Thèbes et renverser le pouvoir en place. De nombreux chefs thébains sont alors exilés. Cette occupation spartiate de Thèbes vaut cependant à Sparte d'être condamnée par les autres grandes cités grecques et par une partie de l'opinion spartiate, dont le roi Cléombrote. Cette domination spartiate sur Thèbes ne dure toutefois qu'un temps. En 379, des exilés thébains parviennent à libérer la cité avec l'aide d'Athènes et massacrent la garnison spartiate. Ne pouvant tolérer cela, Sparte prend l'initiative d'organiser plusieurs campagnes contre Thèbes, menées par Cléombrote, le second roi de Sparte, qui s'était pourtant opposé à l'occupation de Thèbes.

La première campagne a lieu en 379, mais le roi spartiate refuse alors d'attaquer en territoire thébain et de dépasser les Cynocéphales, deux montagnes de la Béotie situées entre Pharsale et Larissa. Cette répugnance de Cléombrote à attaquer Thèbes ne fait qu'encourager cette dernière à accroître sa puissance, notamment par la formation d'une puissante armée. Craignant que les Thébains ne prennent le contrôle de toute la Béotie, Sparte organise donc une seconde expédition en 376. Encore une fois, Cléombrote en prend le commandement. Cependant, la campagne tourne court car, comme le mentionne Xénophon, les Spartiates sont repoussés devant le mont Cithéron, point d'accès à la Béotie que les Thébains occupent. La lutte se poursuit cependant entre les deux cités. Elle prend un nouveau tournant en 373, lorsque Thèbes rétablit la Confédération béotienne. Athènes craint alors une hégémonie thébaine et décide d'entamer des négociations de paix avec Sparte. Thèbes, invitée à se joindre aux négociations, exige alors la reconnaissance de son hégémonie en Béotie. Jugeant ses conditions inacceptables, les Spartiates montent une nouvelle expédition contre Thèbes, dont Cléombrote prend la tête. L'armée spartiate compte 700 égaux (l'élite spartiate) un millier de cavaliers, environ 7500 alliés ainsi que 1600 néodamodes, anciens esclaves qui ne jouissent pas tout à fait du statut de citoyen[1]. Les armées spartiate et thébaine convergent alors l'une vers l'autre dans l'espoir de s'affronter.

Motivations spartiates

Ayant reçu l'ordre de marcher avec son armée, auparavant chargée de la défense de la Phocide, Cléombrote va s'avancer loin en Béotie avant d'être arrêté par les Thébains devant la bourgade de Leuctres, située sur le territoire de la cité de Thespies. Les commandants des deux armées, héritiers de 20 ans de lutte, ont alors de multiples raisons qui les poussent à engager le combat.

Pour les Spartiates, affronter et vaincre les ThĂ©bains est une question de prestige. Les chefs spartiates en sont bien conscients, et ils vont tout faire pour convaincre ClĂ©ombrote d'engager le combat, alors mĂŞme que ce dernier est toujours hĂ©sitant. L'Ă©chec des campagnes prĂ©cĂ©dentes menĂ©es par Sparte contre Thèbes a en effet portĂ© un coup au prestige spartiate en Grèce. Loin de se rapporter aux victoires Ă©clatantes d'AgĂ©silas II, les expĂ©ditions de ClĂ©ombrote ont surtout Ă©tĂ© marquĂ©es par leur pusillanimitĂ© et la rĂ©putation militaire des Spartiates a Ă©tĂ© gravement battue en brèche. En plus de ces arguments, les chefs spartiates n'hĂ©sitent pas Ă  menacer leur roi d'exil, l'incitant Ă  combattre dans « son propre intĂ©rĂŞt Â» s'il souhaite « revoir sa patrie Â». Ă€ cela s'ajoutent les critiques des adversaires de ClĂ©ombrote, accusant le roi spartiate d'ĂŞtre trop indulgent envers les ThĂ©bains, critiques qui ne peuvent que pousser le roi spartiate au combat. ClĂ©ombrote est donc contraint d'accepter la bataille. On peut très certainement considĂ©rer cela comme un dĂ©savantage important pour les Spartiates, dotĂ©s visiblement d'un commandement divisĂ© et d'un chef peu enthousiaste Ă  l'idĂ©e de combattre. Ces problèmes de commandements sont encore aggravĂ©s par l'Ă©tat des chefs spartiates qui ont abusĂ© du vin avant la bataille et sont donc « quelque peu excitĂ©s Â», selon XĂ©nophon, ce qui ne peut que nuire Ă  leur efficacitĂ© sur le champ de bataille. Cela Ă©tant, les Spartiates disposent de plusieurs avantages qui les inclinent naturellement Ă  engager le combat. Ils disposent notamment de la supĂ©rioritĂ© numĂ©rique. Sparte aligne en effet 10 Ă  11 000 hommes contre Ă  peine 6 000 ThĂ©bains, et rassemble notamment plusieurs contingents des citĂ©s alliĂ©es que sont les Phocidiens, HĂ©raclĂ©e et Phlious. De plus, la prĂ©sence des alliĂ©s susmentionnĂ©s ne peut que renforcer la dĂ©termination des Spartiates, qui risqueraient de perdre leur soutien en cas de dĂ©faite. Ceux-ci sont d'ailleurs bien peu enthousiastes, comme le relève XĂ©nophon lorsqu'il rappelle que « chez les alliĂ©s, personne n'avait le cĹ“ur Ă  combattre Â». Pour maintenir la puissance politique de Sparte, ClĂ©ombrote doit donc accepter la bataille.

Motivations thébaines

Les ThĂ©bains sont Ă©galement enclins Ă  la bataille, et ce malgrĂ© leur infĂ©rioritĂ© numĂ©rique. Cela est Ă©galement dĂ» Ă  des considĂ©rations politiques. Tout d'abord, il s'agit pour Thèbes d'asseoir son influence dans la rĂ©gion. Comme XĂ©nophon le rapporte, les chefs thĂ©bains ont en effet la crainte que s'ils se retiraient, « les villes d'alentour feraient dĂ©fection Â» et se joindraient Ă  Sparte. Or, une telle chose serait dĂ©sastreuse. D'une part, les citĂ©s de la rĂ©gion fourniraient aux Spartiates de nouvelles troupes, et ce avec d'autant plus de joie que l'implantation thĂ©baine dans la rĂ©gion ne s'est faite que rĂ©cemment et de façon violente. D'autre part, une dĂ©fection nuirait aux projets politiques de Thèbes en mettant Ă  mal ses prĂ©tentions hĂ©gĂ©moniques sur l'ensemble de la BĂ©otie. Ă€ cela s'ajoute une crainte plus personnelle des chefs thĂ©bains qui craignent pour leurs intĂ©rĂŞts. Car comme le note XĂ©nophon, s'ils se replient sans combattre ils risquent d'ĂŞtre jugĂ©s et condamnĂ©s Ă  l'exil par leurs propres concitoyens, une situation peu enviable et que ces chefs thĂ©bains sont d'autant moins enclins Ă  accepter qu'ils y ont dĂ©jĂ  goĂ»tĂ© lors de l'occupation de Thèbes par les Spartiates.

Cependant, les Thébains sont aussi poussés au combat par plusieurs éléments leur conférant un avantage militaire et moral. Ils bénéficient en effet du soutien d'un exilé spartiate, Léandrias, qui est évoqué par Diodore de Sicile. La présence d'un homme qui a sans doute eu l'occasion de côtoyer au plus près les hoplites spartiates ne peut qu'être bénéfique aux Thébains, qui peuvent ainsi connaître avec plus de précision la tactique spartiate. En outre, l'exilé spartiate aurait rappelé une ancienne prophétie assurant la victoire des Thébains, ce qui nous est également mentionné par Diodore. Le site de Leuctres apporte ainsi un puissant appui moral aux Thébains: Xénophon et Diodore s'accordent pour dire que plusieurs prophètes locaux, ou un oracle, auraient affirmé que la victoire thébaine était certaine. Ces dires s'appuient sur une légende, racontée dans les détails par les deux auteurs, selon laquelle des Spartiates auraient violé à Leuctres des filles qui les auraient maudits avant de se donner la mort. Les Spartiates ne pouvaient être que vaincus sur le lieu d'une telle infamie. L'avantage moral conféré par cette histoire est d'ailleurs renforcé par d'autres rumeurs circulant à propos d'actes miraculeux prouvant le soutien des Dieux aux Thébains. Si Xénophon met en doute la véracité de ces rumeurs, il n'en sous-estime pas l'influence. Contraints politiquement à la bataille, les Thébains détiennent donc un avantage moral qui va s'ajouter aux innovations tactiques qui vont leur donner la victoire.

DĂ©roulement

Charge de la cavalerie thébaine

plan de disposition des troupes et mouvements.
Premier mouvement : la charge de la cavalerie thébaine.

Le combat s'ouvre lorsque les Spartiates testent le dispositif thébain en envoyant leurs peltastes attaquer au javelot l'infanterie légère thébaine. Après s'être déployées devant leurs phalanges respectives les cavaleries thébaine et lacédémonienne se chargent, fait assez rare pour être souligné car les cavaliers s'affrontent très rarement lors des batailles hoplitiques. Les cavaliers spartiates qui tentent d'intervenir sont dispersés par la cavalerie thébaine[1].

Les Thébains montrent toute leur supériorité, défaisant rapidement leurs adversaires. Cet affrontement préalable est décisif pour la suite des événements. Vaincus, les cavaliers spartiates s'enfuient en traversant les lignes de leur propre phalange, gênant sa cohésion, déjà mise à mal par le fait que certains hoplites sont ivres. Quant à la cavalerie thébaine, elle reprend position en avant de la phalange thébaine. Selon Sylvie le Bohec, ceci eut pour effet de dissimuler aux Spartiates le dispositif thébain, et donc de cacher le renfort de son aile gauche.

Révolution tactique d'Épaminondas

En effet, Épaminondas, ayant dĂ©cidĂ© de contrevenir Ă  la tactique traditionnelle qui veut que les troupes d'Ă©lite soient placĂ©es Ă  l'aile droite, dĂ©cide de dĂ©ployer ses meilleures troupes sur son aile gauche, faisant ainsi face Ă  l'Ă©lite de la phalange spartiate, les Égaux. Ainsi, comme le fait remarquer Diodore de Sicile, « l'aile oĂą se trouvaient les troupes d'Ă©lite dĂ©ciderait du sort de la bataille Â». Cette disposition des meilleures troupes sur l'aile gauche semble ĂŞtre un exemple sans prĂ©cĂ©dent, et constitue un bouleversement. Les raisons ayant poussĂ© Épaminondas Ă  faire ce choix prĂŞtent cependant Ă  dĂ©bat. Conscient de son infĂ©rioritĂ© numĂ©rique, il semble que le stratège thĂ©bain ait dĂ©cidĂ© de tenter de vaincre l'Ă©lite spartiate par une tactique audacieuse. L'aile droite spartiate dĂ©faite, le reste de la phalange ne manquerait pas de se disperser et de s'enfuir car, pour citer XĂ©nophon, une fois qu'ils auraient « dĂ©fait l'aile qui Ă©tait avec le roi, ils seraient aisĂ©ment maĂ®tres de tout le reste Â». Certains auteurs ajoutent cependant d'autres explications Ă  ce changement tactique. Pour Victor Davis Hanson, il y aurait eu une volontĂ© d'Épaminondas de prĂ©server ses alliĂ©s, peu enthousiastes Ă  combattre, et qui auraient sans doute exprimĂ© du ressentiment si on les avait fait affronter l'Ă©lite spartiate. Pierre Vidal-Naquet va mĂŞme encore plus loin en avançant une raison philosophique Ă  ce dĂ©ploiement sur la gauche. Il estime en effet que cette dĂ©cision pourrait ĂŞtre liĂ©e Ă  une Ă©ventuelle influence des thĂ©ories pythagoriciennes d'une symĂ©trie du monde. Toujours est-il que ce dĂ©ploiement de l'Ă©lite thĂ©baine sur la gauche constitue un changement radical.

Épaminondas va introduire un second changement qui s’avère tout aussi dĂ©terminant. Il va prendre la dĂ©cision de renforcer dĂ©mesurĂ©ment son aile gauche, celle regroupant l'Ă©lite donc, afin d'accroĂ®tre l'efficacitĂ© de son attaque. XĂ©nophon le souligne lorsqu'il affirme que « les ThĂ©bains au contraire avaient une formation serrĂ©e d'au moins cinquante boucliers en profondeur Â». Épaminondas dispose ainsi sur sa gauche d'une phalange colossale. Celle-ci regroupe environ 2 000 hommes alignĂ©s sur 50 rangs, ce qui constitue, de ce qu'il nous en est connu, un record absolu et rarement approchĂ©. GĂ©nĂ©ralement, la phalange hoplitique ne dĂ©passe jamais les 12 boucliers de profondeur, ce qui est d'ailleurs le dispositif adoptĂ© par les Spartiates Ă  Leuctres. Thèbes n'en Ă©tait cependant pas Ă  sa première expĂ©rimentation dans ce domaine. DĂ©jĂ  Ă  la bataille de DĂ©lion elle avait opposĂ© une phalange de 25 rangs face aux AthĂ©niens. Toujours est-il que cette grande phalange dĂ©ployĂ©e sur 50 rangs forme une masse compacte, qui s'est encore vu renforcĂ©e après que les alliĂ©s de Sparte aient harcelĂ© les non-combattants thĂ©bains, comme le mentionne XĂ©nophon. Par sa profondeur, cette masse compacte voit son Ă©nergie renforcĂ©e, de mĂŞme que la puissance de sa poussĂ©e qui vise Ă  disloquer les Spartiates et compenser le manque d'entraĂ®nement des ThĂ©bains. Ă€ cela s'ajoute Ă©galement la dĂ©cision d'Épaminondas de privilĂ©gier un front Ă©troit. Il s'agit de percer le centre des Égaux spartiates. Or, les 2 000 ThĂ©bains couvrent un front rĂ©duit de 40 hommes, tandis que les 700 Spartiates opposent un front de 60 hommes. En accentuant leur pression au centre, les ThĂ©bains accroissent d'autant plus leurs chances de percer.

Dernier changement important d'Épaminondas dans la tactique hoplitique, sa dĂ©cision de dĂ©garnir son flanc droit afin de renforcer sa grande phalange sur son flanc gauche. Par cette dĂ©cision, la phalange thĂ©baine se trouve alors avec un flanc droit très faible et que les Spartiates pourraient aisĂ©ment percer. C'est pourquoi, comme le fait remarquer Diodore de Sicile, Épaminondas ordonne Ă  son aile droite de ne pas engager le combat et mĂŞme d'effectuer un « lent mouvement de recul Â» Ă  l'approche des Spartiates. Épaminondas dispose ainsi d'un flanc gauche d'une puissance colossale qui doit percer, et d'un flanc droit faible qui doit contenir les Spartiates lui faisant face. Ainsi, « les BĂ©otiens avaient une aile qui reculait, tandis que l'autre montait Ă  l'assaut au pas de course Â». Les ThĂ©bains ont donc ce que Diodore appelle une « phalange oblique Â». L'ordre oblique est nĂ©.

Succès de la phalange thébaine

plan de disposition des troupes et mouvements.
Dénouement : l'aile gauche thébaine enfonce les rangs spartiates.

Ă€ la suite du succès de sa cavalerie, la grande phalange thĂ©baine s'avance donc Ă  l'assaut de l'aile droite spartiate et l'engage. Dans le combat qui s'ensuit, les qualitĂ©s de l'hoplite spartiate transparaissent nettement. Les Égaux sont alors enivrĂ©s et manquent de cohĂ©sion, car le roi ClĂ©ombrote se serait avancĂ© Ă  la rencontre de l'ennemi de façon prĂ©cipitĂ©e, avant mĂŞme « que ses troupes ne se fussent aperçues qu'il avait pris le commandement Â», selon XĂ©nophon. Pourtant, les LacĂ©dĂ©moniens vont rĂ©sister longuement Ă  la pression des ThĂ©bains. XĂ©nophon et Diodore vantent en effet la valeur des Spartiates, qui semblent un moment victorieux selon le premier, et qui « luttaient avec tant d'ardeur que la bataille resta d'abord indĂ©cise Â». La rĂ©volution tactique que constitue l'ordre oblique ne permet donc pas pour autant aux ThĂ©bains de remporter immĂ©diatement le combat. L'effondrement spartiate survient finalement avec la mort de ClĂ©ombrote, suivie presque immĂ©diatement par celle des autres chefs spartiates qui l'entouraient tel le polĂ©marque Deinon[2], comme le rapporte XĂ©nophon. La mort quasi simultanĂ©e de tous les commandants spartiates, cĂ´toyĂ©s par leurs hommes depuis des annĂ©es, aurait selon Victor Davis Hanson constituĂ© un choc Ă©motionnel terrible pour l'aile, qui se serait disloquĂ©e ou aurait prĂ©fĂ©rĂ© se faire massacrer sur place, comme semble le rapporter Diodore lorsqu'il affirme que « les cadavres s'amoncelèrent autour [du roi] Â». Les Spartiates, selon les deux auteurs, auraient mĂŞme repoussĂ© les ThĂ©bains pendant un instant, parvenant ainsi Ă  ramasser le corps de leur roi, avant de se disloquer et de fuir. La mort de ClĂ©ombrote, suivie de la dislocation de l'aile droite spartiate, scelle le sort de la bataille. « L'aile gauche des LacĂ©dĂ©moniens, en voyant l'aile droite reculer, cĂ©da Â», selon XĂ©nophon. L'ordre oblique avait triomphĂ© de la tradition spartiate et de la conception traditionnelle de la bataille hoplitique.

Pertes

De prime abord, la bataille semble pourtant avoir abouti à un résultat tactique assez commun, les pertes spartiates ayant apparemment été relativement faibles. La plupart des sources, s'appuyant sur Xénophon, s'accordent sur la perte de 1 000 hommes pour les Spartiates et de 300 pour les Thébains. De tels chiffres n'ont rien d'exceptionnel et avoisinent les pourcentages de pertes généralement admis pour une bataille hoplitique, à savoir 15% de pertes pour le vaincu et 5% pour le vainqueur. L'armée spartiate est alors loin d'être anéantie, et parvient même à se replier en bon ordre dans son camp que les Thébains rechignent à attaquer. Xénophon nous fournit d'ailleurs la preuve que les Spartiates sont encore en état de lutter, lorsqu'il évoque que certains envisagent même une reprise immédiate des hostilités, avant d'en être découragés par la pusillanimité de leurs alliés et l'ampleur des pertes au sein des Égaux. Car si une évaluation rapide des pertes des deux armées laisse croire que Leuctres est une bataille classique, un examen plus précis remet en cause cette conclusion. En effet, comme le précise Xénophon, parmi les 1 000 Spartiates tués au combat se trouvent 400 des 700 Égaux présents. D'une part ces pertes sont une catastrophe pour la démographie spartiate. Son élite politique et militaire est décimée en l'espace d'une journée, perdant un tiers de sa population. Mais d'autre part, ces pertes colossales révèlent également un acharnement tout particulier, l'aile droite spartiate ayant donc perdu plus de la moitié des siens face à la grande phalange thébaine. On est très au-delà des traditionnels 15% de pertes pour le vaincu. C'est ici un élément révélateur des modifications qui touchent alors la guerre grecque, qui ne se fait plus entre cités agricoles voisines, mais entre puissances régionales s'affrontant pour l'hégémonie.

Considérations tactiques

Les historiens ont longtemps cĂ©lĂ©brĂ©, et depuis l'AntiquitĂ©, la « rĂ©volution tactique Â» que reprĂ©sentait Ă  leurs yeux l'emploi des troupes par Épaminondas. L'historien Victor Davis Hanson a tentĂ© de relativiser cette opinion, insistant sur le fait que cette tactique longtemps attribuĂ©e au seul gĂ©nie d'Épaminondas fut pratiquĂ©e dès la fin du Ve siècle av. J.-C., et que Leuctres ne serait en fait que le rĂ©sultat d'une Ă©volution stratĂ©gique. Il tendrait aussi Ă  relativiser le rĂ´le du plus connu des gĂ©nĂ©raux thĂ©bains : Épaminondas. Il peut s'appuyer en cela sur XĂ©nophon, seule source historique contemporaine des Ă©vĂ©nements, qui ne mentionne mĂŞme pas son nom. La gloire d'Épaminondas nous viendrait d'une longue tradition historiographique antique qui commence avec Éphore de Cumes et Diodore de Sicile[3] et qui se poursuit jusqu'Ă  nos jours[4].

Conséquences

Tropaion de la bataille dans la plaine de Leuctres.

Cette défaite spartiate ne scelle pas pour autant la victoire définitive de Thèbes sur sa rivale spartiate. Comme déjà mentionné, certains Spartiates songent même pour un temps à lancer une nouvelle attaque contre l'armée thébaine, avant d'être freinés par leurs alliés, mais également par leur prise de conscience de l'hécatombe frappant les Égaux. Il est finalement décidé d'accepter la trêve traditionnelle entre les deux armées, après quoi les Spartiates se retranchent provisoirement dans leur camp. Thèbes, bien que victorieuse et bénéficiant de l'avantage moral, ne peut alors pousser son avantage.

En effet, peu après la bataille, les Thébains sont rejoints par Jason de Phères, tyran régnant sur la cité thessalienne de Phères et ayant accouru avec des renforts après avoir pillé la Phocidie sur leur chemin. Avec ce renfort, les Thébains espèrent pouvoir enfin attaquer le camp spartiate. Mais le tyran a d'autres projets en tête et va freiner les ardeurs de ses alliés, dont il est possible qu'il craigne la montée en puissance qui ne peut que s'accélérer après leur victoire de Leuctres. S'il ne parvient pas à obtenir une trêve, son action est cependant révélatrice de l'absence d'impact décisif de la victoire des Thébains. Ces derniers doivent toujours composer avec leurs alliés, et ne peuvent finalement se permettre de poursuivre les Spartiates vaincus lorsque ceux-ci entament leur retraite en direction du Péloponnèse.

Cette occasion manquĂ©e d'achever l'armĂ©e vaincue de ClĂ©ombrote, les ThĂ©bains la doivent Ă©galement Ă  la rĂ©action rapide de Sparte, qui va ajouter d'autres soucis aux problèmes internes aux BĂ©otiens. En effet, dès que la nouvelle de la dĂ©faite de Leuctres arrive Ă  Sparte, il est dĂ©cidĂ© de rassembler une deuxième armĂ©e, regroupant tous les hommes mobilisables de moins de 60 ans. C'est cette force que Diodore mentionne lorsqu'il Ă©voque par erreur « une autre armĂ©e Â» que ClĂ©ombrote aurait rencontrĂ©e avant la bataille de Leuctres. En rĂ©alitĂ©, celle-ci n'a Ă©tĂ© formĂ©e qu'en rĂ©ponse Ă  la dĂ©faite spartiate, et placĂ©e alors sous le commandement d'Archidamos, le fils du roi AgĂ©silas que Diodore prĂ©sente Ă  tort comme ayant participĂ© Ă  Leuctres. Cette seconde armĂ©e envoyĂ©e en renfort va finalement rejoindre les troupes de ClĂ©ombrote en pleine retraite, avant de se replier avec elles dans le PĂ©loponnèse, mettant ainsi un terme Ă  la campagne de 371. Cette mobilisation rapide d'une seconde armĂ©e spartiate est en tout cas la preuve que Sparte n'est pas abattue et dĂ©tient encore d'importants moyens militaires.

Leuctres, bien que marquant un tournant par la victoire tactique de Thèbes, ne peut donc se transformer immédiatement en un succès stratégique. Il faudra attendre une nouvelle campagne thébaine en 370 pour que Thèbes impose enfin sa volonté à Sparte. La lutte va toutefois se poursuivre entre les deux cités jusqu'à la victoire finale de Thèbes à Mantinée, en 362. Un succès éphémère, car la cité perdra dans la bataille le brillant Épaminondas et ne sera pas en mesure d'imposer son hégémonie dans une Grèce qui restera profondément divisée jusqu'à ce qu'elle tombe sous le joug macédonien.

Notes et références

  1. Éric Tréguier, « Leuctres ou le triomphe de la géométrie sur le nombre », Guerres et Histoire, numéro 1, avril 2011, pages 58–62
  2. Xénophon, Helléniques, Livre V
  3. Plutarque, Cornélius Népos lui ont dédié une de leurs biographies.
  4. Article de V. Hanson, dans La Guerre en Grèce à l'époque classique, Rennes, 1999.

Bibliographie

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  • Jacqueline Christien, Françoise RuzĂ©, Sparte, Paris, Armand Colin, 2007.
  • Marie-HĂ©lène Delavaud-Roux, Pierre Gontier, Anne-Marie Liesenfelt (dir.), Guerres et sociĂ©tĂ©s, Mondes grecs Ve – IVe siècles, Paris, Atlande, 2000.
  • Pierre Ducrey, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 1999.
  • Victor Davis Hanson, La Guerre du PĂ©loponnèse, Paris, Flammarion, 2010.
  • Victor Davis Hanson, Le modèle occidental de la guerre, Paris, Tallandier, 2007.
  • Victor Davis Hanson, Les guerres grecques, 1400 - 146 av. J.-C.., Paris, Éditions Autrement, 1999.
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  • Francis Prost, (dir.), ArmĂ©es et sociĂ©tĂ©s de la Grèce classique, Paris, Éditions errance, 1999.
  • Éric TrĂ©guier, « Leuctres ou le triomphe de la gĂ©omĂ©trie sur le nombre », Guerres et Histoire, numĂ©ro 1, avril 2011, pages 58–62.
  • Pierre Vidal-Naquet, Le chasseur noir, Paris, Éditions La DĂ©couverte, 1991.

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