Avant le Big Bang
Avant le Big Bang est un ouvrage écrit par Igor et Grichka Bogdanoff et publié aux éditions Grasset en 2004[1]. Il est réédité en collection de poche à l'automne 2006[2]. Il donne lieu à de sévères critiques dans la presse scientifique grand public, et débouche sur une plainte en diffamation déposée par les frères Bogdanoff à l'encontre du magazine Ciel et Espace, plainte abandonnée en 2007, et à l'issue de laquelle les plaignants sont condamnés aux dépens.
Propos de l'ouvrage
L'ouvrage est présenté par ses auteurs comme une version vulgarisée de travaux effectués dans le cadre de leurs thèses de doctorat, respectivement soutenues en 1999 (pour Grichka Bogdanoff) et 2002 (pour Igor). Ils émettent ce qu'ils présentent comme une nouvelle hypothèse sur les origines de l'univers, appelée par eux « instanton primordial de taille zéro ». Selon la théorie développée dans Avant le Big Bang, il s'agirait d'une sorte d'état ultime de l'univers, situé pendant l'ère de Planck (« en deçà du mur de Planck », selon la terminologie des auteurs). Pour les auteurs, l'univers serait à ce stade concentré dans un unique objet mathématique appelé instanton, de taille ponctuelle, qu'ils nomment instanton gravitationnel singulier de taille zéro. Les concepts de matière, d'énergie et de temps seraient alors remplacés par ce qu'ils appellent de l'« information », conceptualisée en formules mathématiques pures. L'instanton singulier serait donc là avant la matière et renfermerait toutes les données actuelles de l'univers.
Une partie de ces idées a été initialement publiée dans plusieurs revues scientifiques à comité de lecture[3], mais n'ont cependant pas eu d'écho favorable notable au sein de la communauté scientifique travaillant sur les thématiques concernées[4]. Au contraire, des discussions ont eu lieu, remettant fortement en cause le bien-fondé des assertions des auteurs de l'ouvrage.
Polémique spécifique au livre
Positivement critiqué dans la presse généraliste (excepté par le quotidien Le Monde[5]), ce livre a été violemment critiqué à sa sortie par des magazines de vulgarisation scientifique et certains scientifiques : dans le magazine Lire de (libre opinion de Jean Audouze, astrophysicien), dans La Recherche par Fabien Besnard, enseignant-chercheur à l'EPF (et auteur, au préalable, d'un article critique sur internet en ) et par David Fossé, journaliste à Ciel et Espace ([6]). Selon ce journaliste, cet ouvrage serait « prétentieux et truffé d'erreurs en mathématiques, physique et astrophysique », de plus certaines citations semblant apporter une caution académique au livre sont en fait des critiques tronquées.
Outre les thèses controversées, les critiques insistent sur ce qu'ils considèrent comme des erreurs grossières, ainsi que sur certaines coquilles et inexactitudes présentes dans l'ouvrage. En particulier, la mention en note de bas de page, dans la première édition du livre, que le nombre d'or est un nombre transcendant[7], et l'affirmation que l'expansion de l'Univers affecte notablement la taille du système solaire ont été largement mises en avant par les détracteurs du livre. De nombreuses autres inexactitudes se trouvent présentes dans le texte, comme la mention que le satellite artificiel WMAP a prouvé que la courbure spatiale de l'univers était strictement positive[8], que les théorèmes sur les singularités prouvent que l'univers est issu d'une singularité gravitationnelle[9], l'affirmation que la résolution des équations d'Einstein représente un système de vingt équations à dix inconnues[10], ou que la taille de l'univers observable croît au cours du temps à la vitesse de la lumière[11]. On peut également relever ce qui semble être une incohérence. Ainsi, les auteurs mentionnent, en lien avec le phénomène d'intrication quantique, que : « ... en temps imaginaire, il n'existe plus aucune distance mesurable... »[12] alors qu'ils précisent auparavant que « ... l'équation de la chaleur n'est autre que l'équation d'évolution de Schrödinger, mais écrite en temps imaginaire (et non plus en temps réel) »[13]. Or l'équation de Schrödinger fait appel à un espace de Hilbert qui est un espace métrique dans lequel la distance entre les éléments est définie.
Sur la quatrième de couverture de la première édition du livre, les auteurs sont présentés comme faisant partie de l'« Institut international de physique mathématique ». Cet institut s'avère n'appartenir à aucune institution universitaire et n'être qu'une association loi de 1901 créée quelques jours seulement avant la sortie du livre par Igor Bogdanov[14].
La plainte contre Ciel et Espace
En , le magazine Ciel et Espace publie un article très critique sur Avant le Big Bang, intitulé « La mystification Bogdanov »[15]. Sans se pencher en profondeur sur le contenu des affirmations scientifiques des auteurs (l'article se contente de mentionner ironiquement l'affirmation erronée faite au sujet de la variation de la taille du système solaire du fait de l'expansion de l'univers), sont relevés tout un ensemble de citations ambiguës, tronquées, voire travesties, le tout ayant une tendance systématique à faire paraître celles-ci comme favorables, ou en tout cas moins critiques que ce qu'elles étaient en réalité[16].
L'article cite l'exemple d'un commentaire fait par le physicien Urs Schreiber sur un forum de discussion[17], tentant de résumer le propos des auteurs. Celui-ci avait pris soin de préciser à l'issue de son analyse qu'il ne considérait pas ce que faisaient les frères Bogdanoff comme étant un raisonnement valide[18]. Cette précision n'est pas présente dans Avant le Big Bang, où le reste du texte est traduit[19], faisant passer, selon Ciel et Espace « un texte technique mais critique pour un texte d'adhésion ». Le magazine précise qu'interrogé à ce sujet, Grichka Bogdanoff avait justifié l'enlèvement de cette phrase au motif qu'il s'agissait d'un « commentaire personnel ». De son côté, Urs Schreiber estime que les auteurs de Avant le Big Bang usent de « procédés assez éloignés de l'honnêteté ».
Dans le même ordre d'idées, l'article mentionne qu'une phrase du physicien Peter Woit lors d'un échange de correspondance avec les frères Bogdanoff a vu, à la suite de sa publication, son sens substantiellement modifié[20]. Le propos initial de Peter Woit indiquait « Il est certainement possible que vous ayez obtenu des résultats valables dans le domaine des groupes quantiques »[21]. Peter Woit indiquera plus tard[22] avoir été trop poli, le terme « certainement possible » signifiant en réalité dans son esprit « possible quoique hautement improbable ». Dans Avant le Big Bang, la citation originale de Peter Woit devient « Il est tout à fait certain [que vous ayez obtenu des résultats valables dans le domaine des groupes quantiques] ». Également interrogé sur le bien-fondé de cette traduction, Grichka Bogdanoff réfutera toute erreur, précisant que « Avec cette phrase, le traducteur était confronté à une incohérence. Nous avons tranché pour une version qui respectait l'esprit de la formule originale. »
Enfin, Ciel et Espace fait mention de deux examinateurs des thèses d'Igor et Grichka Bogdanov se plaignant de la publication d'une traduction personnelle de leurs rapports avant soutenance. Le premier, Roman Jackiw, rapporteur de la thèse d'Igor Bogdanoff en 2002, considère que la traduction de son rapport est « extrêmement optimiste ». Le second, Shahn Majid (en), rapporteur de la thèse de Grichka Bogdanoff en 1999, dénonce plus d'une dizaine de glissements sémantiques lors de la traduction de son rapport, allant systématiquement vers une « surestimation outrancière » de la qualité de la thèse. L'article de Ciel et Espace mentionne notamment que le terme « une construction [mathématique] ébauchée »[23] a été traduit en « La première construction [mathématique] ».
À la suite de l'article de Ciel et Espace, les frères Bogdanoff ont intenté à l'automne 2004 une action en justice contre le magazine pour diffamation. Il semble que leur plainte ne portait pas sur les problèmes de traduction évoqués ci-dessus, ni sur une quelconque erreur factuelle présente dans l'article, mais sur l'utilisation du terme « Mystification », présent dans le titre et la conclusion de l'article, au motif que celui-ci présupposait une intention volontaire de tromper le public, chose que les frères Bogdanoff ont toujours niée[24]. La plainte a été instruite pendant près de deux ans, sans que les frères Bogdanoff se soient jamais rendus aux audiences. En l'absence d'action de la part des plaignants, la procédure s'est trouvée de fait prescrite dans le courant de l'année 2006, et les deux frères ont été condamnés aux dépens (c'est-à-dire au remboursement des frais de procédure) ainsi qu'au versement d'une indemnité de 2 500 euros au magazine[25].
À la suite de la procédure, plusieurs des citations tronquées ou indûment modifiées ont été amendées dans la seconde édition de Avant le Big Bang. Le commentaire d'Urs Schreiber, initialement mis en annexe de l'ouvrage a été complètement enlevé, et la traduction du rapport de Shahn Majid a été modifiée sur les points précis mentionnés par Ciel et Espace. Du reste, le nom de la personne chargée des traductions depuis l'anglais a été changé d'une édition à l'autre.
Notes
- Igor & Grichka Bogdanov, Avant le Big Bang, Grasset, 2 juillet 2004 (ISBN 2246501113).
- Igor & Grichka bogdanov, Avant le Big Bang, Grasset, coll. « Le Livre de poche », 17 mai 2006 (ISBN 2253117196).
- En particulier dans le journal Classical and Quantum Gravity : Grichka Bogdanoff & Igor Bogdanoff, Topological field theory of the initial singularity of space-time, Classical and Quantum Gravity, 18, 4341-4372 (2001).
- Voir le taux de citation des articles d'Igor et Grichka Bogdanoff sur la base de données SPIRES.
- Lire l'article « Les Bogdanov princes de l'auto-science fiction »
- Lire « La mystification des Bogdanov »
- Cette mention a partiellement été corrigée dans l'édition de poche de l'ouvrage, parue en 2006, où le terme « transcendant » se trouve écrit entre guillemets, suggérant qu'il ne doit pas être pris au sens mathématique, mais au sens philosophique du terme. Les auteurs ont invoqué une erreur de typographie de leur éditeur pour expliquer ces guillemets manquants. Cette version a été contestée, l'épreuve diffusée par les auteurs pour attester de leur bonne foi s'étant avérée être un faux.
- Pages 114 et 115 de l'édition de poche. Ce point est repris plus en détail par les auteurs dans une interview, où ils affirment également que la topologie de l'espace de Poincaré est celle d'une sphère tridimensionnelle (page 10).
- Pages 90 et 91 de l'édition de poche.
- Page 76 de l'édition de poche.
- Page 163 de l'édition de poche (où il est dit qu'une minute après le Big Bang, la taille de l'univers observable est de 20 millions de kilomètres, soit environ 60 secondes multipliées par 300 000 kilomètres par seconde).
- Page 262 de l'édition de poche
- Page 214 de l'édition de poche
- Institut international de physique mathématique (International Institute of Mathematical Physic/I.M.P.), association loi de 1901 dont le siège social est à Paris et déclarée le 3 mai 2004 par Igor Bogdanov. Annonce no 1529 du J.O. paru le (numéro de parution 20040022), voir copie sur le site du Journal officiel et ybmessager.free.fr.
- David Fossé, « La mystification Bogdanov », Ciel et Espace no (octobre 2004), p. 52-55 Voir en ligne.
- Résumé fait par Alain Cirou, directeur du magazine lors d’une interview fin 2004 par Jean-Marc Morandini sur Europe 1 Écouter en ligne.
- Message posté le 10 novembre 2002 sur le forum Usenet sci.physics.research Voir en ligne.
- Le texte initial, rédigé en anglais, était : « Just to make sure: I do not think that any of the above is valid reasoning. I am writing this just to point out what I think are the central "ideas" the authors had when writing their articles and how this led them to their conclusions. »
- Page 365 et suivante de la première édition Voir en ligne.
- L'anecdote est confirmée sur le blog de Peter Woit, Not even Wrong, (en) Bogdanovs Redux, entrée du 5 juin 2004.
- La phrase initiale, rédigée en anglais, était : « It’s certainly possible that you have some new worthwhile results on quantum groups. »
- Sur son blog, cf. note précédente.
- Dans le rapport initial, en anglais, l'expression utilisée est (en) the outlined construction.
- Incidemment, le même terme de « Mystification » avait déjà été employé au sujet d'un précédent ouvrage des frères Bogdanoff, Dieu et la Science (ISBN 2246424119), paru en 1991 et sévèrement critiqué dans La Recherche (« Les frères Bogdanov, Jean Guitton et Dieu », La Recherche no 237, novembre 1991, p. 1350-1352 Voir en ligne).
- Cyrille Vanlerberghe, « Les frères Bogdanov perdent leur procès contre Ciel et Espace », Le Figaro, 13 octobre 2006 Voir en ligne.
Bibliographie
- Luboš Motl, L'équation Bogdanov : le secret de l'origine de l'univers ? (traduit de l'anglais par Sonia Quémener, Marc Lenoir et Laurent Martein ; avec une préface de Clóvis de Matos), Presses de la Renaissance, Paris, 2008, 237 p., (ISBN 978-2-7509-0386-2), (BNF 41190822)
- Luis Gonzalez-Mestres, L'Énigme Bogdanov, Éditions Télémaque, Paris, , 320 p., (ISBN 978-2-7533-0266-2)