Attaque du pont de Crimée
L'attaque du pont de Crimée a lieu plus de sept mois après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le , lorsqu'une explosion se produit sur le pont de Crimée dont une partie s'effondre. Les médias d’État russes déclarent dans un premier temps qu'un camion de carburant a pris feu et explosé et que trois personnes ont été tuées[2] - [3].
Attaque du pont de Crimée | |
Le pont de Crimée en 2019. | |
Cible | Pont de Crimée |
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Coordonnées | 45° 18′ 08″ nord, 36° 30′ 41″ est |
Date | 8 octobre 2022 6 h 7 (UTC+03:00) |
Morts | 3 morts[1] |
Par la suite, les agences de presse russes indiquent, par l'intermédiaire du Comité national antiterroriste russe[4] : « Aujourd'hui à 6 h 7 (3 h 7 GMT) sur la partie routière du pont de Crimée... a eu lieu l'explosion d'un camion piégé, qui a entrainé l'incendie de sept citernes ferroviaires qui allaient vers la Crimée »[1] - [3].
Contexte
Le pont de Crimée a été construit sous l'occupation russe, de 2016 à 2019, sur le détroit de Kertch, qui relie la mer Noire à la mer d'Azov. Reliant la péninsule de Crimée, en Ukraine, et le kraï de Krasnodar, en Russie, il vise à relier la Crimée annexée par la Russie au continent, et matérialise les prétentions du Kremlin sur la région.
Le général de division des forces armées ukrainiennes Dmytro Marchenko déclare[5] que le pont deviendrait la « cible numéro un » dès que l'Ukraine disposerait d’armes pour l'attaquer. De hauts responsables ukrainiens ont précédemment déclaré que le pont serait une cible légitime pour une frappe de missile.
Le , le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak place le pont comme étant un objectif militaire légitime et ajoute que « ce pont est une structure illégale et l'Ukraine n'a pas donné sa permission pour sa construction. Il porte préjudice à l'écologie de la péninsule et doit donc être démantelé. Peu importe comment : volontairement ou non »[6]. Il ajoute que le début de la « démilitarisation en action » de la Crimée a débuté (faisant état des explosions de Novofedorivka, à l'explosion d'un dépôt de munition russe près de Djankoï…), en utilisant la même terminologie que le gouvernement russe pour justifier l'invasion de l'Ukraine déclenchée le 24 février[7].
Attaque
À 6 h 7 (3 h 7 temps universel), une explosion retentit sur le pont[3].
Selon le Comité national antiterroriste russe, l'origine de l'explosion serait un camion piégé roulant sur le pont de Kertch. Sept wagons-citernes d'un train en route pour la Crimée s'enflamment et une voiture voisine est soufflée[3], entrainant la mort de ses deux passagers en plus de celle du conducteur du camion piégé[8].
Le pont sert de voie pour le transport, notamment, d'équipement militaire pour l'armée russe combattant en Ukraine[9] - [10].
Une des deux voies du pont routier s'est effondrée. La seconde voie et la voie ferroviaire rouvrent au trafic quelques heures après l'attaque.
Les médias d'État russes rapportent qu’un camion a causé l'explosion[11].
Réaction
Un dirigeant russe installé en Crimée, Vladimir Konstantinov (en), affirme que l'Ukraine est responsable de l'explosion[1]. Le Washington Post rapporte les propos d'un responsable ukrainien qui attribuent aux services spéciaux ukrainiens l'origine de l'attaque[12]. Le quotidien ukrainien Ukrayinska Pravda affirme que le Service de sécurité d'Ukraine (SBU)[13] serait à l'origine de l'explosion[1] - [14] - [15]. Un conseiller du président Volodymyr Zelensky, Mykhaïlo Podoliak, indique : « Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l'Ukraine ».
Le secrétaire du Conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine Oleksiy Danilov publie sur les réseaux sociaux une vidéo d'un pont en feu placée à côté d'une vidéo de Marilyn Monroe chantant « Joyeux anniversaire, Monsieur le Président ».
Le ministre estonien des Affaires étrangères, Urmas Reinsalu, félicite les services spéciaux ukrainiens pour le succès de l'opération, permettant l’explosion prévue du pont à l'occasion de l'anniversaire de Poutine. L'eurodéputé polonais Robert Biedroń espère que Poutine reçoive encore plus de cadeaux[16].
Bilan
Le 9 octobre 2022, le vice-Premier ministre russe Marat Khousnoulline affirme que « le trafic ferroviaire sur le pont de Crimée a été totalement rétabli »[17].
Depuis la destruction du pont, le temps d’attente pour traverser en ferry le détroit de Kertch était le « de l'ordre de trois à quatre jours »[18]. Malgré l’empressement des autorités russes à annoncer le rétablissement des circulations[19] cette décision cache mal la gravité des dégâts sur cette infrastructure le Kremlin ayant par ailleurs exigé qui celui-ci soit réparé avant , soit huit mois après l'attaque[20].
Les services de renseignement britanniques estiment que le trafic routier devrait rester perturbé jusqu'en et que les travaux d'achèvement ne devraient pas intervenir avant [21].
File de camions à la traversée du ferry à travers le détroit de Kertch le 12 octobre 2022, après la destruction partielle du pont de Crimée
Le 22 avril 2023, un mandat d'arrêt à l'encontre de Kyrylo Boudanov est émis par la justice russe pour « création d’un groupe terroriste, tentative de perpétration d'acte de terrorisme en bande organisée par consentement préalable, acquisition illégale d'armes et acquisition illégale d’engins explosifs pour l'« attaque du pont de Crimée » le 8 octobre 2022 »[22].
Analyse
Mode opératoire de l'attaque
Si l'origine de l’explosion est difficile à déterminer, l'hypothèse d'une charge explosive emportée à bord du camion aperçu à l'endroit de l'explosion est l'hypothèse privilégiée, mais ce n'est pas la seule : celle-ci pourrait aussi avoir été transportée par un drone naval semi-submersible[23] - [24].
Selon l'ancien lieutenant-colonel Guillaume Ancel devenu analyste militaire et auteur du blog « Ne pas subir »[25], il est probable que le convoi ferroviaire transportant du carburant était la véritable cible de l'attaque, son explosion étant potentiellement destructrice pour le pont[23]. En effet ce convoi de wagons-citernes constituait, s'il avait explosé, « une bombe potentielle de plus d’une centaine de tonnes », soit « cent fois plus que la charge d’origine »[23]. Ainsi, le fait que ce convoi se soit arrêté juste avant l'attaque n'est pas hasard : celui-ci a pu être stoppé par un piratage, ou une complicité dans les chemins de fer russes[23]. Mais l’explosion ayant eu lieu trop loin du pont ferroviaire, et le convoi ayant « seulement » pris feu et non explosé, l’attaque n’est pas un succès total, mais partiel[23].
Symbolique
Le caractère symbolique de la destruction pour les autorités du Kremlin est très important. L'ouverture du pont en 2018 a été considérée comme l’une des plus grandes réalisations de Vladimir Poutine faisant suite à l'annexion de la Crimée en 2014[26]. Les analystes notent que le pont a été partiellement détruit le lendemain du 70e anniversaire du président russe Vladimir Poutine, et au milieu des reculs de l’armée russe sur le front ukrainien[26].
Conséquences sur la guerre d'Ukraine
Après le début de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, l'ouvrage était l’un des objets les plus protégés[23]. Selon Guillaume Ancel, ce pont remplissait un triple rôle : symbolique en marquant continuité territoriale entre la Russie et la Crimée pour entériner son annexion, une porte de sortie pour les habitants de la Crimée souhaitant rejoindre la Russie, et une voie logistique cruciale pour approvisionner les troupes russes dans le sud-est de l'Ukraine[23]. Sa destruction devrait entraîner des problèmes accrus d’approvisionnement des troupes russes dans la Crimée occupée, ainsi que dans les régions de Kherson et de Zaporijjia[23]. Enfin, une semaine avant l’explosion, un décret a été signé sur l’annexion par la Russie de quatre régions ukrainiennes, après quoi la Russie a continué à menacer l’Ukraine de frappes nucléaires en cas d'attaque contre des installations sur son « propre » territoire.
Articles connexes
Notes et références
- Claude Fouquet, « Guerre en Ukraine : l'explosion d'un véhicule piégé paralyse le pont de Crimée » , sur Les Echos, .
- AFP, « Ukraine: le pont russe de Crimée partiellement détruit par une énorme explosion », sur Le Point, (consulté le ).
- « Guerre en Ukraine : ce que l'on sait de l'explosion qui a en partie détruit le pont de Crimée », sur franceinfo, .
- « Guerre en Ukraine : le pont russe de Crimée partiellement détruit par une explosion a été rouvert », sur Le Figaro, (consulté le ).
- (uk) « Керченський міст є військовою ціллю номер один - генерал Марченко », sur UNIAN, .
- AFP, « Guerre en Ukraine : Kiev menace de s'attaquer à un pont reliant la Russie continentale à la Crimée », sur France TV info, (consulté le ).
- Eléa Pommiers, « Guerre en Ukraine, en direct : six morts dans une frappe sur Kharkiv ; Kiev dit se préparer à « tous les scénarios » pour la centrale de Zaporijia », sur Le Monde, (consulté le ).
- « Guerre en Ukraine : la circulation rétablie, la Russie poursuit l’enquête après l’explosion sur le pont de Crimée », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
- AFP, « Russie : une voiture piégée incendie le pont de Crimée, l'édifice partiellement détruit », sur Europe 1, (consulté le ).
- « Guerre en Ukraine: ce que l'on sait sur l'incendie qui s'est déclaré sur le pont de Crimée », sur BFM TV, (consulté le ).
- (en) Reuters et AP, « Russian President Vladimir Putin accuses Ukraine of Crimea-Russia bridge blast », sur ABC, (consulté le ).
- (en) Missy Ryan et Natalia Abbakumova, « Explosion hits Crimea Bridge, damaging Russian supply route », sur The Washington Post, (consulté le ).
- « Guerre en Ukraine : Vladimir Poutine accuse les services secrets ukrainiens d’être à l’origine de l’explosion du pont de Crimée », sur Le Monde, (consulté le ).
- Raphaël Godet et Fabien Magnenou, « Explosion sur le pont de Crimée : Vladimir Poutine accuse les services secrets ukrainiens d'avoir commis un "acte terroriste" », sur France TV Info, (consulté le ).
- AFP, « Pont de Crimée : l’Ukraine ironise, Moscou enrage », sur Le Point, (consulté le ).
- (ru) « Взрыв на Крымском мосту. Что о нем говорят в России и Украине Первые реакции », sur Meduza, (consulté le ).
- « Ukraine : le trafic ferroviaire totalement rétabli sur le Pont de Crimée, selon Moscou », sur Le JDD, .
- « Guerre en Ukraine en direct : « L’armée russe sera anéantie » en cas d’attaque nucléaire sur l’Ukraine, avertit le chef de la diplomatie de l’UE », sur Le Monde, (consulté le ).
- « Guerre en Ukraine : la circulation sur le pont de Crimée a repris, un nouveau commandant de guerre nommé », sur lindependant.fr (consulté le ).
- « La Russie ordonne la réparation du pont de Crimée avant le 1er juillet 2023 », sur Le Figaro, (consulté le ).
- Belga et Alain Lechien, « Guerre en Ukraine : la réparation du pont de Crimée endommagé pourrait durer jusqu’en septembre 2023, selon Londres », sur RTBF, .
- « Un mandat d’arrêt russe émis contre le chef des services de renseignement ukrainiens », sur Le Monde, .
- Guillaume Ancel, « L’attaque du pont « Poutine » en Crimée, destructions et illusions », sur Ne pas subir, (consulté le ).
- (en-GB) « A mysterious ukrainian naval drone discovered off Crimea », sur Navy Recognition (consulté le ).
- « La marche du monde - Guillaume Ancel, écrire pour ne pas subir », sur RFI, (consulté le ).
- « L’explosion sur le pont de Crimée, le pire des cadeaux d’anniversaire pour Poutine », sur Le HuffPost, (consulté le ).