Arquebusiers de Grassin
Les arquebusiers de Grassin constituent un corps de troupe français créé par l'Ordonnance royale du [1]. Il est levé par Simon Claude Grassin de Glatigny qui le commandera jusqu'en . Le , cette unité est supprimée et ses éléments incorporés dans les Volontaires des Flandres, régiment nouvellement créé.
L'utilisation de troupes irrégulières légères harcelant les troupes régulières françaises, en particulier par la Hongrie pendant la guerre de Succession d'Autriche, conduisit à imaginer la levée de troupes capables de s'opposer aux houzards et autres pandours[2].
C'est ainsi que M. de Grassin, alors capitaine au régiment de Picardie[3], obtient du ministre de la guerre Marc-Pierre de Voyer de Paulmy d'Argenson l'autorisation de lever un corps de troupes légères – ce qui est confirmé par l'ordonnance de 1744 – sous le nom d'« Arquebusiers de Grassin »[note 1].
Une particularité de cette unité est qu'elle est composée à la fois de troupes à pied et de troupes montées, comme d'autres corps similaires contemporains. « Si l'infanterie était formée de volontaires jeunes et lestes[note 2], la cavalerie se composait de vieux soldats ayant fait leurs preuves, qui n'abandonnaient jamais leurs fantassins »[5].
Le rôle dévolu à cette formation était donc, d'une part, de s'opposer aux troupes légères ennemies et, d'autre part, de mener contre les troupes régulières ennemies le même type de guerre de harcèlement, qualifié, à l'époque, de « petite guerre » par opposition à la « guerre réglée » des batailles rangées et des sièges.
Très souvent cités et loués dans les écrits de l'époque[6] - [note 3], leur rôle tactique est théorisé par Maurice de Saxe dans ses études consacrés à cette forme de combat.
Origine historique, organisation et rĂ´le sur le champ de bataille
À sa création, à Metz[3] - [note 4], le corps se compose de 300 cavaliers répartis en six compagnies, donnant deux escadrons, et 900 hommes répartis en neuf compagnies à pied. Pour constituer ce régiment, les compagnies franches de Bidache, Dulimont, Vandal et de Bayet, ainsi que les compagnies de dragons de Romberg et de Bidache, furent supprimées[3].
Cette unité est l'une des premières constituées pour se livrer spécifiquement à cette « petite guerre » – à l'instar des Chasseurs de Fischer levés en 1743 – et initiera la lignée des troupes légères jusqu'à la Révolution et au Premier Empire.
Le corps sera porté à 1 500 hommes par les ordonnances du et du .
Le rôle auquel cette troupe est destinée est double. En premier lieu, s'opposer aux troupes légères ennemies, en particulier celles alignées par l'armée de Marie-Thérèse d'Autriche - comme le redoutable régiment de pandours levé par Franz de Trenck - et qui avaient particulièrement gêné l'armée française[note 5]. En second lieu, porter la même gêne dans les rangs et le dispositif de bataille de l'armée ennemie, en attaquant ses lignes de communication, ses postes, son ravitaillement, etc.
Composition des troupes
Composition des troupes Ă pied
Il y a neuf compagnies de mĂŞme composition. Les deux compagnies de grenadiers apparaissent en 1745, avec l'augmentation des effectifs.
- État-major de l'unité
- Il se compose d'un colonel, un lieutenant-colonel, un major, trois aides-majors, un aumĂ´nier, un chirurgien[3].
- Arquebusiers
- Chaque compagnie se compose d'un capitaine, un capitaine en second, un premier lieutenant, un lieutenant en second, un lieutenant réformé[note 6], quatre sergents, un fourrier, deux cadets, un capitaine d'armes, quatre caporaux, quatre anspessades[note 7], dix grenadiers, soixante-douze arquebusiers et deux tambours[3].
- Grenadiers
- Ils apparaissent à l'origine, à raison de dix par compagnie. Ils ne sont réunis en compagnie que pour les manœuvres. Entre-temps, les grenadiers restent dans les compagnies[8]. En 1745, ils sont groupés en deux compagnies.
- Pour chaque compagnie, on trouve un capitaine, un capitaine en second, un premier-lieutenant, deux sergents, trois caporaux, trois anspessades, trente-six grenadiers et un tambour[note 8].
Composition des troupes Ă cheval
Les six compagnies d'origine ont la mĂŞme composition. L'augmentation des effectifs de 1745 va voir passer de six Ă huit le nombre de compagnie. Mais cela se traduira par le doublement de l'effectif des compagnies colonelle et lieutenant-colonelle[note 9].
- Pour la compagnie colonelle et lieutenant-colonelle :
- un capitaine en premier, deux capitaines en second, un premier lieutenant, un lieutenant en second, un cornette, deux maréchaux des logis, quatre cadets, six brigadiers, quarante-six arquebusiers et un trompette[3].
- Pour les six autres compagnies :
- un capitaine, un lieutenant, un cornette, un maréchal des logis, deux cadets, trois brigadiers, quarante-six arquebusiers et un trompette[3].
Uniformes
Les descriptions d'uniformes données ci-dessous sont basées sur l'ouvrage de François II Chéreau (1717-1755), fils de François Chéreau: Nouveau Recueil des troupes légères de France levées depuis la présente guerre, avec la date de leur création, le nombre dont chaque corps est composé, leur uniforme et leurs armes. Dessiné d'après nature sous la direction des officiers. Présenté à monseigneur le Dauphin par son très-humble et très-obéissant serviteur F. Chéreau (Paris, 1747)[note 10].
Uniforme du fusilier
L'uniforme est un habit en drap bleu de Roy, bordé de mouton blanc, parements noirs, boutons de cuivre jaune, collet et veste garance, culotte en drap bleu, guêtres de toile grise, bonnet rouge bordé de bleu, plaque de cuivre sur le devant, plumet blanc, et cocarde bleue et rouge[3] - [9].
Les soldats sont armés d'un fusil, d'une baïonnette et d'un sabre d'abordage[9].
Uniforme du cavalier
Il est similaire Ă celui du fusilier. Bottines Ă la dragonne. Le manteau est rouge. Il porte aussi une aiguillette aurore, bleue et rouge.
Il est armé d'un sabre, d'un mousqueton et d'une paire de pistolets.
La chabraque (tapis de selle) est en drap rouge, galonnée de bleu[note 11]. Rouge est aussi le reste de l'équipement de cheval.
Drapeaux et Ă©tendards
- Infanterie
Le drapeau d'ordonnance des compagnies à pied est illustré ci-contre[10]
Sous l'Ancien Régime, à la fin du règne de Louis XIV, les régiments d'infanterie étaient dotés de trois drapeaux : le drapeau blanc royal - marquant symboliquement le fait que depuis ce souverain, le Roi était colonel-général de l'infanterie, le « drapeau colonel(le) » ou « drapeau de la compagnie colonelle » - agrémenté des armoiries et de la devise du colonel-propriétaire - et le drapeau d'ordonnance[11]. Les arquebusiers de Grassin auraient apparemment été les seules troupes légères à être ainsi dotées de couleurs comme un « régiment réglé » ( troupes régulières ).
- Troupes montées
D'après un article des « Carnets de la Sabretache » (n° 1 de 1893, page 43)[note 12], les guidons de cavalerie des Arquebusiers de Grassin sont à avers rouge portant le chiffre du roi, couronné, et à revers vert portant en son centre un soleil. Le corps possédait trois de ces guidons[note 13].
Campagnes des arquebusiers de Grassin
Les arquebusiers de Grassin vont s'illustrer durant toute la guerre de Succession d'Autriche : ils participent activement aux grandes batailles rangées comme Fontenoy ou Raucoux et se distingueront aussi lors des sièges comme à Huy (). Ils opèreront souvent de concert avec une autre unité de troupes légères, les fusiliers de La Morlière.
Bataille de Fontenoy
Lors de cette bataille, les « Grassins »[note 14] sont postés dans le bois du Barry, sur l'aile droite des colonnes anglo-hanovriennes. Ils vont interdire à ceux-ci d'utiliser ce couvert pour menacer la ligne française. En revanche, les cavaliers, trop peu nombreux, ne furent que peu utiles. C'est pour cette raison que les effectifs du régiment seront augmentés après la campagne[13].
Le , deux bataillons du Régiment d'Auvergne occupent, avec les Arquebusiers de Grassin, l'« abbaye d'Affelghem » (sic)[note 15].
Bataille de Mesle
Cette bataille illustre parfaitement l'utilisation des « Grassins », telle que prévue par le maréchal de Saxe. Ils sont d'abord utilisés comme éclaireurs pour l'avant-garde de du Chayla. Ils vont se retrancher dans la « cense de Massenem », dont les alliés n'arriveront pas à les déloger[14]. Ils se retrouveront dépassés par l'armée ennemie.
En fin de journée, ils tomberont sur les arrières de l'armée alliée, occupée à des duels de mousqueterie avec la ligne française. Ils pillent les bagages et menacent la ligne de retraite, décidant de la retraite de l'armée alliée.
Bataille de Raucoux
Dans cette bataille, les « Grassins », associés aux fusiliers de La Morlière, sont à l'aile droite, rattachés aux troupes du comte d'Estrées. Par leur action en tirailleurs sur le flanc gauche de la ligne adverse, normalement couverte par des ravins et des chemins creux, et qu'ils débordent, ils favorisent la prise du village d'Ans, contribuant au retrait de l'aile gauche puis du gros de l'armée ennemie. Dans ces combats, les « Grassins » s'opposent à des troupes légères, pandours et croates.
En fin de journée, les « Grassins », avec les troupes légères, s'en prennent à l'artillerie hollandaise qui se retire. Ils s'emparent de vingt-deux pièces et « de plus de soixante chariots d'artillerie avec les attelages ». Ils sont aussi chargés d'attaquer et chercher à détruire des ponts sur la Meuse par lesquels l'armée ennemie est en train d'effectuer sa retraite.
Article connexe
Notes et références
Notes
- Le terme d'« arquebusier » n'est pas à prendre au pied de la lettre et n'a rien à voir avec l'armement de ces soldats. Ce terme, à l'époque, renvoie à la notion de troupes légères, c'est-à -dire de troupes qui n'ont pas leur place dans la ligne de bataille, mais qui rendent des services d'éclaireurs et servent à « battre l'estrade ». Il y a d'autres unités légères affublées de ce même nom d'arquebusiers, comme les « Arquebusiers du Roussillon », levés en 1734[4].
- Ces aptitudes physiques seront celles exigées plus tard des unités de chasseurs
- Voir les citations de Thomas Auguste Le Roy de Grandmaison.
- Pour sa part, le général Susane, dans son Histoire de l'Infanterie française, tome V, article 1439, donne Verdun comme lieu de création.
- Dans une lettre qu'il adresse au ministre de Maurepas, Claude Henry Feydeau de Marville, Lieutenant général de police, donne d'ailleurs les fantassins de l'unité « habillés en pandours » : page 9 du recueil.
- Un lieutenant réformé est un officier surnuméraire, généralement issu d'une compagnie dissoute mais conservé sous les armes pour pallier une vacance.
- Ce terme désigne, à l'époque, des « bas-officiers », ceux que l'on désignerait de nos jours comme « sous-officiers ».
- Il y a donc discordance entre ce que prévoit l'ordonnance pour les grenadiers, deux compagnies de cinquante hommes et le nombre prévu par compagnie d'arquebusiers existante. Les sources consultées ne fournissent pas d'explications.
- La compagnie colonelle, ou, substantivement, la colonelle, est la première compagnie d’un régiment d’infanterie, qui était commandée par le major. Elles sont propriétés des deux officiers correspondants. Au cas particulier, le colonel et le lieutenant-colonel sont chacun propriétaire d'une compagnie à pied et d'une compagnie à cheval.
- Voir également: Liliane et Fred Funcken, L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle, Tome 2, figurines 9 de la planche « France, troupes légères » p.39 et Charles Pierre Victor Pajol : Les guerres sous Louis XV, Tome 7, p.234.
- La schabraque – ou chabraque – est une pièce de drap ou de peau de mouton destinée à recouvrir la selle et la charge, quand elles sont sur le dos du cheval.
- Ce document est consultable sur Gallica .
- Le guidon est un petit étendard. Pour plus de détails sur ce mot, voir, par exemple l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert .
- Formule abrégée que l'on rencontre fréquemment dans les textes de l'époque - voir notamment la correspondance de Claude Henry Feydeau de Marville déjà citée.
- Peut-ĂŞtre s'agit-il de l'Abbaye d'Affligem
Références
- Ordonnance du Roy, portant création d’un régiment de Troupes légères, tant à pied qu’à cheval, sous le nom d’Arquebusiers de Grassin
- S. Picaut-Monnerat, La petite guerre au XVIIIe, p. 30.
- V. Belhomme, Histoire de l'Infanterie française, tome 3, page 148.
- Général baron Bardin, Dictionnaire de l'Armée de terre ou Recherches historiques sur l'Art et les Usages militaires des Anciens et des Modernes, Paris, 1842, Corréard, tome 2, article « Arquebusier », page 339.
- Liliane & Fred Funcken : L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle (XVIIIe siècle), Tome 2 p. 40 in Bibliographie.
- S. Picaud-Monnerat, op. cit., p 35.
- Voir La petite guerre ou traité du service des troupes en campagne : Chapitre XXII - Des autres services que le général peut tirer des troupes legeres
- Belhomme, op. cit., tome III, pages 148 et 154.
- Général Susane, Histoire de l'Infanterie française, tome V, pages 128-129.
- P. de Bieville : Les drapeaux dans l'armée française in revues du Club Français de la Figurine Historique 1972-1974, Jean-Louis Vial : Arquebusiers de Grassin 1744-1749 et Kronoskaf.
- Voir L. & F. Funcken, op.cité, Tome 1 p.49.
- Opus cité en introduction.
- Belhomme, op. cit., tome III, p. 158.
- Chateaux de Belgique - section « Histoire » du château de Melle.
Annexes
Sources et Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Albert Depréaux, Les affiches de recrutement du XVIIe siècle à nos jours, J. Leroy et Cie, Paris, 1911 pp. 48-49 Lien Gallica
- Sandrine Picaud-Monnerat : La petite guerre au XVIIIe siècle, Paris, 2010, Économica, 685 pages, (ISBN 978-271785829-7).
- Victor Belhomme, Histoire de l'Infanterie en France, 1895, Paris et Limoges, Henri Charles-Lavauzelle, tome III, 528 pages.
- Michel Pétard : L'Homme de 1748, les arquebusiers de Grassin in revue Uniformes, n° 91, , page 24.
- Liliane & Fred Funcken : L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle (XVIIIe siècle), Casterman 1975 pour le Tome 1 (ISBN 2203143150) et 1976 pour le Tome 2 (ISBN 2203143169).
- Revue Figurines n° 71, .