Anthestéries
Les Anthestéries (en grec ancien Ἀνθεστήρια / Anthestếria), sont une fête de la fin de l'hiver et une fête des morts célébrée dans la Grèce antique en l'honneur du dieu Dionysos. Fête de religion paysanne parmi les plus typiques qui se soient conservées, elles figurent au calendrier d'Athènes et de plusieurs autres cités[1]. Elles ont lieu au moment de la végétation renaissante, du onzième au treizième jour du mois anthestérion, huitième mois du calendrier attique (dernier mois de l'année avant le commençant la nouvelle année et la période de guerre), correspondant dans le calendrier grégorien à la fin de février et au début de mars. Elles revêtaient durant les trois journées de leur célébration un double aspect, à la fois joyeux et funèbre.
Célébrations religieuses
La première journée est appelée Πιθοίγια / Pithoígia, c'est-à-dire « l'ouverture des jarres ». Les Athéniens se rendent près du sanctuaire de Dionysos « dans les marais » (Dionysos Limnaios) pour ouvrir les jarres couronnées de fleurs qui contiennent le vin nouveau, fruit des vendanges précédentes. Sur le parcours, les fêtards, juchés sur des chariots rustiques, profèrent des lazzi et moqueries à l'adresse des passants[2]. Après une offrande solennelle au dieu, tous peuvent goûter le vin nouveau.
La seconde journée est appelée Χόες / Khóes, c'est-à-dire « la fête des pichets ». Elle se déroule toujours au sanctuaire du dieu, le Limnaion. On sert des pichets de vin nouveau et un concours de buveurs est organisé, comme le raconte Aristophane dans Les Acharniens[3] : au signal d'une trompette, c'est à qui videra le plus vite possible une cruche de vin d’un peu plus de trois litres[4]. On assiste en grande liesse à l’arrivée de Dionysos sur un char naval. Le sanctuaire de Dionysos dans les marais est alors ouvert pour la seule et unique fois de l'année, et tous les autres temples sont fermés ; on y organise la hiérogamie (union sacrée) de la femme de l'archonte-roi et de Dionysos : quatorze femmes de bonne naissance, qualifiées de γεραραί en grec, assistent l’épouse de l’archonte-roi et accomplissent les rites sur autant d'autels[5]. Dans cette hiérogamie s’accomplissait un ancien rite d’alliance avec les forces de la vie[6]. On utilise des moyens apotropaïques pour se prémunir contre les influences maléfiques, car dès le coucher du soleil, les morts reviennent hanter les vivants.
Le troisième jour est appelé Χύτροι / Khýtroi, c'est-à-dire « la fête des marmites ». On fait cuire dans chaque maison des marmites de graines à l'intention des morts. Car ce dernier jour est consacré au culte des morts. Les âmes des morts reviennent ce jour-là. On prie pour les mourants. Hermès Psychopompe, conducteur des âmes, reçoit des offrandes de gruau de graines (en grec παγκαρπία) que l’on ne devait pas consommer. La cérémonie des hydrophoria consiste à offrir aux morts des libations d'eau, versées dans des excavations. À la fin de la fête, on congédie les morts, avec cette formule : « Allez-vous en, Kères, finies les Anthestéries[7] ». Tout se passe comme si leur association avec les vivants durait pendant la période d'hiver et se terminait avec elle.
L'ensemble de ces cérémonies semble se dérouler sans le ministère de prêtres.
Interprétation
Dionysos est associé aux Anthestéries, qui s'appelaient d'abord Dionysies tout court, et Thucydide signale même que ce sont « les plus anciennes Dionysies »[8].
L’interprétation des Anthestéries comme « une fête des fleurs » remonte à l'Antiquité, alors même que les fleurs n’y tiennent aucune place. La disparition en grec de *ánthos « obscurité » a conduit à une « remotivation » de la forme à partir de ἄνθος / anthos, « fleur » par l’intermédiaire de son dénominatif anthein « fleurir »[9]. Jean Haudry rapproche anthos de la notion d'obscurité et interprète le nom des Anthestéries comme « [la fête] de celui qui traverse l’obscurité (hivernale) »[10]. L'arrivée sur l’eau de Dionysos symbolise la « traversée de la ténèbre hivernale » et la sortie de l'hiver. Les Anthestéries sont la fête d'un dieu Feu qui triomphe des ténèbres. C'est, selon Henri Jeanmaire, la fête des morts qui donne la tonalité funèbre de la fête[11]. De même pour Maria Daraki, lors des Anthestéries, Dionysos triomphe dans la réussite d'un triple passage qui lui fait franchir la « frontière de la nuit »[12].
À la fois fête des morts et fête du vin, les Anthestéries, à la fin de la période hivernale, correspondent aux Pyanepsies d'Athènes, à l'automne, par l'offrande de graines bouillies, et laissent ainsi apercevoir un rythme saisonnier dans les fêtes de paysans.
Concours
Les Anthestéries donnent lieu à un concours de comédie destiné aux acteurs, que Plutarque[13] attribue à l'orateur Lycurgue (IVe siècle av. J.-C.) Le vainqueur du concours a droit de figurer ipso facto sur la liste des acteurs pour les Dionysies urbaines. Ce concours a probablement lieu au théâtre de Dionysos à Éleuthères.
Selon Philostrate[14], les Anthestéries sont également l'occasion, au temps d'Apollonius de Tyane (Ier siècle ap. J.-C.), de danses lascives accompagnées par l'aulos et d'une lecture de l'épopée orphique.
Notes et références
- Gernet et Boulanger 1970, p. 252. Mais même homonymes et synchroniques, les Anthestéries n'apparaissent pas comme identiques d'une cité à l'autre : le fonds est commun, mais les particularismes locaux existent ; cette fête est avant tout celle de chaque cité en particulier.
- Suidas et Photios parlent en effet de « moqueries du chariot », en grec τὰ ἐκ τῶν ἁμαξῶν σκώμματα : voir Gernet et Boulanger 1970, p. 52.
- Aristophane, Les Acharniens, vers 960-961 et 1000-1002
- Louis Séchan et Pierre Lévêque, Les grandes divinités de la Grèce, Éditions E. de Boccard, 1966, p. 298.
- Paul Foucart, Le Culte de Dionysos en Attique, Mémoire de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XXXVII, 1904, p. 138 et suiv.
- Aristote, Constitution d'Athènes, III, 5.
- Pindare, Dithyrambes, 4 Puech ; Louis Séchan et Pierre Lévêque, Les grandes divinités de la Grèce, Éditions E. de Boccard, 1966, p. 299.
- Thucydide, La Guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], II, 15, 4.
- Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 360-363
- Jean Haudry, La Religion cosmique des Indo-européens, Archè, 1987.
- Henri Jeanmaire, Dionysos, Payot, 1951, p.38
- Maria Daraki, Dionysos et la déesse Terre, Flammarion, coll. « Champs », 1994, p.110
- Plutarque, Vie des dix orateurs, 841f.
- Philostrate, Vie d'Apollonios de Tyane, IV, 21.
Bibliographie
- Louis Gernet et André Boulanger, Le Génie grec dans la religion, Paris, Albin Michel, , 508 p..
- (de) Ludwig Deubner, Attische Feste, Berlin, 1932, réimpression Hildesheim, New York, 1969.
- (en) Richard Hamilton, Choes and Anthesteria. Athenian Iconography and Ritual, University of Michigan Press, 1992.
- Jean-Charles Moretti, Théâtre et société dans la Grèce antique, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », (ISBN 2-253-9058-52).