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Anesthésie locale

Une anesthésie locale consiste à inhiber de façon réversible la propagation des signaux le long des nerfs.
Si cette anesthésie est réalisée au niveau de voies nerveuses spécifiques, elle est susceptible de produire des effets tels que l'analgésie (diminution de la sensation de douleur) et la paralysie (perte de puissance du muscle).
Elle s'oppose à l'anesthésie générale où le patient est endormi.

Histoire

En 1884, Carl Köller utilise déjà la cocaïne pour l’anesthésie par contact en ophtalmologie et en otorhinolaryngologie. La même année, Richard Hall inaugure son emploi en chirurgie dentaire et William Halsted introduit la technique du « bloc nerveux »[1].

En le greffant sur d’autres alcaloïdes, comme la quinine ou la morphine, Filehne démontre que c’est le noyau benzoyle de la cocaïne qui est responsable de son activité anesthésique[2]. Mais ces esters benzoïques, tous actifs, restent trop irritants pour être utilisables.

Entrepris sur la base du modèle moléculaire proposé pour la cocaïne par Alfred Einhorn en 1892, les travaux de Georg Merling à Berlin aboutissent à la commercialisation de la bêta-eucaïne par Schering AG. Mais c’est Richard Willstätter, élève d’Einhorn, qui, en 1898, élucide définitivement la structure de la cocaïne[3], qu’il synthétise en 1901. La fonction phénolique liée à une fonction carboxylique estérifiée s’étant révélée essentielle, Paul Ehrlich met alors au point l’orthoforme puis le néoorthoforme, auxquels leur fonction phénolique prête aussi une action antiseptique. En 1902, E. Ritsert, cherchant à sa benzocaïne (Anesthésine) des dérivés plus solubles, parvient à la Nirvanine, immédiatement rendue obsolète par l’arrivée de nouvelles molécules.

En effet, dès l’année suivante Ernest Fourneau, directeur des recherches chez Poulenc frères, revenant d’Allemagne où il a travaillé avec Willstätter, synthétise la Stovaïne, premier substitut non irritant de la cocaïne en anesthésie locale[4]. Un an plus tard, les laboratoires Hoechst commercialisent la Novocaïne synthétisée par Einhorn et qui sera pendant des décennies le principal des anesthésiques locaux.

Parallèlement à ces découvertes, des étapes essentielles dans le développement de l’anesthésie locale ont été franchies. Elles ont abouti aux techniques d’anesthésie locorégionale.

À la suite des travaux de l’Allemand Heinrich Braun[5], puis des Anglais George Oliver et Edward Sharpey-Schafer en 1894[6], et enfin des Américains John Jacob Abel et Albert Cornelius Crawford en 1898[7], l’adrénaline est introduite en anesthésie locale comme vasoconstricteur pour ralentir l’élimination du médicament et compléter ainsi les effets du garrottage, pratiqué par James Leonard Corning dès 1885.

Mais l’adrénaline reste insuffisamment efficace et le garrottage n’est utilisable que sur les territoires facilement accessibles. S’appuyant sur les observations faites par Edward Feinberg en 1886, et que François-Franck a reprises en 1887 pour établir que « le contact direct d’une solution de cocaïne avec un tronc nerveux détermine l’abolition des propriétés fonctionnelles de ce nerf[8] », Corning et Oberst inaugurent alors la technique de l’anesthésie locorégionale[9] : au lieu d’agir dans la région concernée, ils opèrent sur le nerf correspondant. Enfin, les Français Jean Anasthase Sicard et Fernand Cathelin mettent au point, en 1901, l’anesthésie péridurale en injectant le médicament dans le Liquide cérébrospinal[10] - [11].

Types d'anesthésies locales

Il existe différents types d'anesthésies locales :

  • anesthĂ©sie topique = de surface : l'anesthĂ©sique sous forme de gel ou pommade est dĂ©posĂ© sur la muqueuse.
  • anesthĂ©sie par infiltration : l'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© Ă  proximitĂ© du ou des nerfs Ă  endormir, grâce Ă  une aiguille.

Les anesthésies locorégionales, plus efficaces que la simple anesthésie locale, anesthésient un nerf ou un territoire donné, souvent plus large que la zone chirurgicale concernée. Ces techniques permettent d'effectuer des chirurgies de plus grande envergure. Elles nécessitent des doses d'anesthésiques locaux modérées pour une grande efficacité. Les différents types d'anesthésies locorégionales sont:

  • bloc tronculaire : consiste Ă  infiltrer un tronc nerveux pour obtenir l'anesthĂ©sie de son territoire ; par exemple le bloc du nerf cubital entraine l'anesthĂ©sie du bord interne de la main.
  • bloc plexique : consiste Ă  infiltrer un plexus (ensemble de nerfs) pour obtenir une anesthĂ©sie d'une rĂ©gion entière. Par exemple, l'infiltration du plexus brachial entraine une anesthĂ©sie de tout le membre supĂ©rieur.
  • blocage Ă©pidural (ou infiltration de l'espace pĂ©ridural). En fonction du niveau infiltrĂ© peut donner une anesthĂ©sie de la moitiĂ© infĂ©rieure du corps, ou simplement de plusieurs mĂ©tamères (pĂ©ridurale suspendue)
  • rachianesthĂ©sie : injection d'anesthĂ©sique local dans le liquide cĂ©phalorachidien, donne une anesthĂ©sie de la moitiĂ© infĂ©rieure du corps.

Les techniques d'anesthésie locorégionale font appel à l'utilisation de neurostimulateurs afin de faciliter le repérage des nerfs et d'améliorer le pourcentage de succès de ces anesthésies. L'utilisation du repérage des nerfs par échographie (technique indolore et beaucoup plus confortable pour le patient) est en pleine expansion et semble être la technique d'avenir.

Types d'anesthésiques

Il existe de nombreux anesthésiques locaux. Jusqu'à la mise au point de la Stovaïne et de la Novocaïne, la cocaïne avait été pratiquement seule en usage. En 1946, Löfgren introduisit la lidocaïne. Puis vinrent la scandicaïne, la prilocaïne, l'étidocaïne et la bupivacaïne. Les plus modernes sont la ropivacaïne, la lévobupivacaïne, l'articaïne et la mépivacaïne.

Anesthésies locales en dentisterie

  • pĂ©ri-apicales, para apicales ou supra-pĂ©riostĂ©e : les plus frĂ©quentes. L'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© en regard de l'apex de la dent sur la face externe du pĂ©rioste. Le produit diffuse au travers de la corticale pour rejoindre l'apex. Cette anesthĂ©sie se fait Ă  la jonction gencive attachĂ©e/gencive libre. Il faut piquer avec une angulation de 45° et faire glisser le biseau en direction apicale jusqu'au-dessus de l'apex. Le point d'infiltration sera toujours distal par rapport Ă  la dent. UtilisĂ© pour toutes les dents maxillaires, et les dents mandibulaires antĂ©rieures (jusqu'Ă  la première prĂ©molaire). Au-delĂ  son efficacitĂ© est relative. Elle se caractĂ©rise par un engourdissement plus ou moins important de la lèvre au niveau du site d’injection. Une para- apicale n'est, si elle est bien faite, pas douloureuse.
  • intraseptales : l'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© Ă  l'intĂ©rieur de l'os alvĂ©olaire, dans la crĂŞte osseuse. La solution diffuse, par capillaritĂ©, dans l'os spongieux et atteint l'extrĂ©mitĂ© radiculaire. On vise le milieu de la papille pour entrer dans la table osseuse. Il faut tarauder l'os avec une aiguille courte, bipointe car il faut forcer pour atteindre le septum. Cette technique peut ĂŞtre indiffĂ©remment utilisĂ©e Ă  la mandibule et au maxillaire. Elle pose quelques problĂ©matiques :
  1. il faut passer la corticale,
  2. il y a risque de torsion et d'obstruction de l'aiguille,
  3. c'est une anesthésie de courte durée,
  4. s'il y a peu d'os spongieux et beaucoup d'os cortical, la vasoconstriction peut générer une nécrose du septum.
Il faut y avoir recours en dernier lieu.
  • intraligamentaires : l'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© Ă  l'intĂ©rieur du desmodonte ou ligament alvĂ©olodentaire. l'aiguille va passer entre le septum inter-dentaire et la racine. L'anesthĂ©sie arrive par toutes petites doses mais sous pression. Le biseau de l'aiguille est toujours tournĂ© vers la racine. C'est une anesthĂ©sie de courte durĂ©e (15 minutes) donc pour des soins conservateurs courts. C'est une technique contre-indiquĂ©e pour les gros actes chirurgicaux (exodontie) et lĂ©sions parodontales car la vascularisation locale est perturbĂ©e et il y a un risque d'alvĂ©olite.
  • intrapulpaires : l'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© dans la pulpe de la dent. UtilisĂ©e en complĂ©ment, notamment lors d'actes endodontiques (dĂ©vitalisation). Cette technique a pour caractĂ©ristique d’être douloureuse.
  • anesthĂ©sie loco-rĂ©gionale (ou « tronculaire » ou « anesthĂ©sie Ă  l'Ă©pine de Spix ») : permet d'endormir les molaires mandibulaires (impossibles Ă  endormir par une para-apicale). On anesthĂ©sie le nerf mandibulaire (V3) avant qu'il n'entre dans l'os mandibulaire. On obtient une anesthĂ©sie des molaires et prĂ©molaires, qui s’accompagne gĂ©nĂ©ralement d’une perte de sensibilitĂ© et de motricitĂ© de plusieurs heures de la lèvre du cĂ´tĂ© oĂą a Ă©tĂ© faite l'infiltration. Cette anesthĂ©sie est souvent utilisĂ©e pour l’extraction des dents de sagesse. Elle nĂ©cessite un peu d’attente pour faire effet.
  • anesthĂ©sie transcorticale : l'anesthĂ©sique est dĂ©posĂ© dans l’os spongieux qui entoure la dent. Cette technique est immĂ©diate et permet d’anesthĂ©sier 2 Ă  6 dents sans gĂŞne postopĂ©ratoire pour le patient.
  • anesthĂ©sie ostĂ©ocentrale : l’anesthĂ©sique est Ă©galement dĂ©posĂ© dans l’os spongieux, mais Ă  proximitĂ© immĂ©diate des apex. De ce fait, l’anesthĂ©sie est instantanĂ©e et très efficace. Elle peut ĂŞtre utilisĂ©e sur tous les secteurs et permet d’obtenir l’anesthĂ©sie de 2 Ă  8 dents, sans engourdissement de la lèvre et sans suite postopĂ©ratoire.

Mode d'action des anesthésiques locaux

Repose sur le principe de modification des perméabilités membranaires de l'axone.

Dans la carpule, l'anesthésique est sous forme non ionisée donc inactif mais diffusible. Il ne s'active qu'en milieu acide (intérieur de l'axone).

Donc lorsque le produit est injecté, il est inactif (car le milieu n'est pas acide) mais se diffuse jusqu'à l'axone qu'il pénètre grâce aux canaux sodiques. Une fois rentré, il est en milieu acide, s'ionise donc s'active mais n'est plus diffusible. Il bloquera les récepteurs sodiques, ce qui entraînera la perte de l'excitabilité de la fibre nerveuse et l'abolition de la conduction du potentiel d'action.

Lors de phénomènes inflammatoires, le milieu dans lequel on injecte l'anesthésique est déjà acide, le produit est donc immédiatement ionisé, activé et ne diffuse pas jusqu'à l'axone, donc l'anesthésie ne prend pas. D'où l’intérêt dans ces cas là de passer de l'anesthésie locale à locorégionale.

Sources

La section « Histoire » a pour source principale :

  • François Chast, « De Freud Ă  la pĂ©ridurale : AnesthĂ©sie locale », dans Histoire contemporaine des mĂ©dicaments, La DĂ©couverte, 2002

Notes et références

  1. (de) Fr. Schneider, « Ueber Anaesthetica und Localanaesthetica, insbesondere über das Cocain in der Zahnheilkunde », Deutsche Monatsschrift für Zahnheilkunde, 1885, p. 399-407
  2. (de) W. Filehne, Berl. Klin. Wochschr., 24 (1887), 107 [Sur l’action anesthésique locale des dérivés du benzoyle]
  3. (en) R. Willstätter, « Über die Chemie der Lokalen Anesthaetica », Munch. Med. Wschr., vol. 46, 1899, p. 1218-1220 et p. 1254-1256
  4. E. Fourneau, « Stovaïne, anesthésique local », Bull. Soc. Pharm. 1904;10:141-8.
  5. (de) Guido Fischer, « Referat für lokale anesthesie in der Zahnheilkunde », Sixth International Dental Congress, VIII, 1914, p. 524-531
  6. (en) G. Oliver, E. A. Sharpey-Schafer, « The Physiologic effects of Extracts of the Surparenal capsules », J Physiol Lond.1895; 18:230-76.
  7. Jean-Pierre de Mondenard, Dictionnaire du dopage, Masson, juin 2004, (ISBN 978-2-294-00714-9).
  8. François-Franck, « Action paralysante de la cocaïne sur les nerfs et les centres nerveux. Applications à la technique expérimentale », A. de P., 562, 1892.
  9. Gabriel Pouchet, Leçons de pharmacodynamie et de matière médicale, série 1, O. Doin, Paris, 1900-1904, p. 464.
  10. J. A. Sicard, « Les injections médicamenteuses extradurales par voie sacrococcygienne », Comp. Rend. Soc. Biol., 53, 1901
  11. Dr Fernand Cathelin, Les Injections épidurales par ponction du canal sacré et leurs applications dans les maladies des voies urinaires, recherches anatomiques, expérimentales et cliniques, J.-B. Baillière et fils, Paris, 1903.
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