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Alfred-Ernest Babut

Alfred-Ernest Babut, né le à Sedan en France et mort le à Ambérieu-en-Bugey, est un journaliste français. Militant de la Ligue des droits de l'homme et socialiste internationaliste, il fait partie des personnalités progressistes de l’Indochine des années 1920.

Alfred-Ernest Babut
Babut Ă  HanoĂŻ en 1930[1]
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Luttant depuis les premiers moments de son arrivĂ©e en Indochine contre les abus de la colonisation, ami de Paul Monin, de Phan Châu Trinh et de Nguyen Ai Quoc (Ho Chi Minh), il devient peu Ă  peu partisan de l'indĂ©pendance du Vietnam. 

Biographie

Alfred-Ernest Babut est né à Sedan, en 1878. Il est le fils de Marie Louise Mélanie Chapus, repasseuse, et d’Augustin Léger Alfred Babut, non mariés. Il est reconnu par son père six ans plus tard, le [2]

Arrivé en Cochinchine comme militaire en 1899, il manifeste vite son esprit d’indépendance, ce qui lui vaut, après de multiples punitions, d’être envoyé dans une compagnie disciplinaire. Rendu à la vie civile, il est employé à Saïgon dans un modeste poste aux Messageries fluviales, la compagnie de transport de l'ancien colonel Fernand Bernard. En 1902, il se rend au Tonkin où il devient journaliste dans divers journaux, notamment La Tribune tonkinoise.

DĂ©fense de Phan Chau Trinh

Ă€ HanoĂŻ, Ernest Babut vit avec une femme du pays. Parlant couramment le vietnamien, il est le tĂ©moin critique du comportement de morgue et de brutalitĂ© de certains coloniaux. Il se lie d'amitiĂ© avec des membres de l'intelligentsia annamite qui cherchent Ă  obtenir les droits dĂ©mocratiques dont la France est fière mais qu'elle refuse Ă  ses «protĂ©gĂ©s». Parmi ces amis, le mandarin lettrĂ© Phan Châu Trinh acquiert une certaine cĂ©lĂ©britĂ© lorsqu'il adresse au gouverneur gĂ©nĂ©ral de l'Indochine, Paul Beau, une lettre ouverte qui sera publiĂ©e dans le Bulletin de l’École française d’ExtrĂŞme-Orient et reprise par le grand quotidien parisien, Le Temps. Babut reçoit l'appui de Beau qui est un libĂ©ral. Son journal bĂ©nĂ©ficie ainsi d'abonnements administratifs qui subventionnent sa diffusion. Mais le successeur de Beau, Antony Klobukowski estime que Babut est un dangereux idĂ©ologue. D'un entretien qu'il a eu avec Babut, le gouverneur gĂ©nĂ©ral tire la conclusion suivante qu'il communique au ministre des Colonies: : « De sa conversation, j’ai retenu cette impression que j’avais affaire Ă  un idĂ©ologue Ă©pris de vague thĂ©orie humanitaire et d’émancipation sociale et j’eus le sentiments qu’il y avait eu quelque imprudence Ă  pourvoir ce publiciste d’un moyen de propagande en quelque sorte officiel de nature Ă  jeter le trouble dans les esprits mal prĂ©parĂ©s. ».

Lors des grandes manifestations de 1908, au cours desquelles des dizaines de milliers de paysans manifestent contre les abus en matière d'impôt, Phan Châu Trinh est arrêté et condamné à mort par les autorités mandarinales dévouées à l'administration coloniale. Babut intervient avec la Ligue des droits de l'homme pour sauver celui qu'il considère comme son ami. La condamnation de Phan Châu Trinh est commuée en un emprisonnement au bagne de Poulo Condor puis en un exil en France[3] - [4] - [5] - [6].

Après un bref séjour en métropole, Babut repart en Indochine en 1909. Bénéficiant du soutien d’Albert Sarraut, il obtient une licence pour exploiter un poste de vendeur d’alcool en Annam. En 1911, il est ainsi débitant général des alcools indigènes en Annam, dans le Nghe-An, à Ben-Thuy (Vinh).

Le , Babut se marie avec sa compagne, à Hanoï[2], puis part d'Indochine pour se battre en France. Rejoignant une école d’officiers, il devient aspirant au 52e colonial. Il combat courageusement dans les tranchées. Fait prisonnier, il passe les derniers mois de la guerre en Allemagne.

SĂ©jour en France

DĂ©mobilisĂ©, il demeure Ă  Paris oĂą il reprend contact avec son ami Phan Chu Trinh. Il frĂ©quente alors divers hommes politiques de gauche comme Albert Thomas, AndrĂ© Berthon, Paul PainlevĂ©, Jean Longuet, Victor Bach, et Marius Moutet. Il fait connaissance avec le futur Ho Chi Minh qui a pris Ă  cette Ă©poque le nom de Nguyen Ai Quoc[6]. Comme tous les progressistes venus des colonies, il est soumis Ă  une Ă©troite surveillance policière. AppuyĂ© par un riche Vietnamien de SaĂŻgon, Nguyen Phu khai, il crĂ©e et dirige Ă  Paris un journal qui a pour titre La Tribune annamite[7] - [8]. Ce journal n'est pas vendu en kiosque mais seulement par abonnements. Il ne tarde du reste pas Ă  rencontrer de multiples difficultĂ©s. Babut se plaint : « Depuis que La Tribune existe, c'est sur moi seul qu'en pèse tout le poids moral et matĂ©riel. J'y ai dĂ©pensĂ© dĂ©jĂ  30 000 francs, et comme je ne suis pas CrĂ©sus, quand la caisse a Ă©tĂ© vide, j'ai dĂ» m'arrĂŞter. »

Babut n’est pas un homme de parti. Esprit Ă©minemment indĂ©pendant, il est difficilement classable politiquement. NĂ©anmoins en , son nom figure dans la liste des souscripteurs pour le dĂ©veloppement du Parti socialiste (SFIC)[9], liste parue  dans L’HumanitĂ© du .

Retour en Indochine

Revenu en Indochine en , Babut dirige à Saïgon le journal Le Courrier saïgonnais[10], où il manifeste un sens critique acéré, non seulement contre l'administration coloniale mais également parfois contre des hommes dont il pourrait être proche comme Paul Monin ou Edgar Ganowski. Mais il se réconcilie rapidement avec ces derniers, car il partage avec eux une attitude de solidarité active avec les Annamites, notamment lorsqu'il combat le projet de monopole du transport fluvial du port de Saïgon–Cholon de l'ingénieur Candelier, au service de l'homme d'affaires Octave Homberg. Grâce à la campagne de presse à laquelle Babut participe activement, le projet Candelier sera finalement repoussé.

En 1924, lors de la campagne Ă©lectorale des lĂ©gislatives Ă  SaĂŻgon, Babut soutient Monin contre le dĂ©putĂ© sortant, Ernest Outrey. Sans succès, puisque Monin n’est pas Ă©lu et que Outrey remporte l’élection.

Babut part au Tonkin avant la fin de 1924. Monin et lui resteront amis mais ils n’auront guère l’occasion de se revoir[7]. Du fait de ce dĂ©part, AndrĂ© Malraux et sa femme Clara ne feront pas sa connaissance lors qu’ils crĂ©ent L’Indochine avec Paul Monin.

Babut s’exprime dans diffĂ©rents journaux, notamment la Revue du Pacifique, oĂą il plaide pour une prĂ©paration progressive des Annamites Ă  l’indĂ©pendance de leur pays. En 1929 Ă  HanoĂŻ, Babut dĂ©cide d’avoir son propre journal, la Revue Franco-Annamite, bimensuel qui traite des questions de politique indigène en Indochine et se veut un outil du rapprochement entre Français et Annamites[10].

Ă€ partir de 1930, juste après la mutinerie de YĂŞn Bái (rĂ©volte des tirailleurs tonkinois contre leurs officiers europĂ©ens), Babut publie un journal, Librement socialiste[11], qui, par ses prises de position libĂ©rales le met en porte Ă  faux avec l’essentiel du milieu colonial. Il est ainsi expulsĂ© de la loge maçonnique du Grand-Orient de France, dont il Ă©tait membre[12]. Babut cependant ne rompt pas pour autant avec les autoritĂ©s coloniales. Il montre parfois une aptitude au compromis quelque peu surprenante. Comme lorsqu'il affiche une dĂ©fĂ©rence appuyĂ©e au rĂ©sident supĂ©rieur du Tonkin, Robin, Ă  un moment oĂą ce dernier mène d’une main de fer une politique de rĂ©pression particulièrement implacable contre les nationalistes vietnamiens. 

Babut sous le régime de Decoux

Durant la guerre, sous l’administration de l'amiral Decoux, Babut est traitĂ© comme un paria. Il est arrĂŞtĂ© avec sa femme et reste prisonnier durant trois ans. « Je suis sorti de la guerre, dira-t-il, complètement ruinĂ©, ayant perdu mes deux maisons avec tout ce qu’elles contenaient, meubles, linge, effets, ma bibliothèque de grande valeur Â».

L'arrivée des gaullistes en Indochine n'améliore pas sensiblement sa situation, car on le considère comme un ami d'Ho Chi Minh. « Les moins enragés voulaient me prendre, me faire raser les cheveux et couper la moustache et, après qu’ils m’auraient fait subir cette toilette fasciste, me promener dans les rues de Hanoï avec un écriteau dans le dos. Le gouvernement eut peur pour ma vie et c’est l’Amiral d’Argenlieu qui me fit conseiller de quitter le Tonkin, m’offrant l’hospitalité dans une de ses villas du Haut-Commissariat à Dalat. »[13].

Décès

Babut rentre en France en 1959. Il meurt à Ambérieu-en-Bugey en 1962[2].

Publications

  • Le mĂ©tis franco-annamite, HanoĂŻ, [14]
  • « L'affaire Phan chu Chinh », La Grande revue,‎ [15]
  • « Ho Chi Minh affirme qu'il pourra tenir dix ans », Combat,‎ [16]

Notes et références

  1. Photo Daniel Danzon
  2. « Registre des naissances de Sedan 1872-1878 (vue 691 / 808) », sur le site des Archives départementales des Ardennes
  3. Pierre Brocheux, « Une histoire croisée : l’immigration politique indochinoise en France, 1911-1945 », Hommes & Migrations, no 1253,‎ , p. 27
  4. (en) Chu Trinh Phan, Phan Châu Trinh and His Political Writings, SEAP Publications, (lire en ligne), p. 24-26
  5. (en) Oscar Chapuis, The Last Emperors of Vietnam : From Tu Duc to Bao Dai, Greenwood Publishing Group, (lire en ligne), p. 96
  6. Thu Trang, Hồ Chí Minh à Paris, 1917-1923, Éditions L'Harmattan, , 76-85 p. (lire en ligne)
  7. Yves Le Jariel, L'Ami oublié de Malraux en Indochine, Paul Monin, Paris, Les Indes savantes, , 260 p.
  8. Mireille Le Van-Ho, « les débuts de la presse vietnamienne en France », dans Presse et mémoire: France des étrangers, France des libertés, Éditions de l'Atelier, (lire en ligne), p. 69
  9. « Liste des souscripteurs pour le développement du Parti socialiste (SFIC) », L'Humanité,‎
  10. « Nouvelles du Tonkin », L'Écho annamite,‎ (lire en ligne)
  11. E. A., « Librement socialiste », L'Écho annamite,‎ (lire en ligne)
  12. Luc Garcia, Quand les missionnaires rencontraient les Vietnamiens, 1920-1960, Éditions Khartala, (lire en ligne)
  13. Babut, « Lettre à sa famille », Xuanay,‎
  14. Albert de Pouvourville, « Mariages mixtes et métis », La Nouvelle Revue,‎ , p. 167 (lire en ligne)
  15. Félicien Challaye, « Chronique », La Revue du mois, no 49,‎ , p. 372-373 (lire en ligne)
  16. Alain Ruscio et Michel Bodin, La guerre "française" d'Indochine (1945-1954), Les Indes Savantes, (lire en ligne), p. 67
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