État-nation
Un État-nation est un concept théorique, politique et historique, désignant la juxtaposition d'un État, en tant qu'organisation politique, à une nation, c'est-à -dire des individus qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe. C'est donc la coïncidence entre une notion d'ordre identitaire, l'appartenance à un groupe, la nation, et une notion d'ordre juridique, l'existence d'une forme de souveraineté et d'institutions politiques et administratives qui l'exercent, l'État. Sans cette coïncidence, on parlera plutôt d'un État multinational.
Sommaire
Création d'un État-nation
Il existe deux possibilités de création d'un État-nation :
- soit l'État préexiste à la nation, et s'y développe un sentiment nationaliste ;
- soit les individus qui se reconnaissent d'une même nation, en particulier dans le cas d'une « nation ethnique » ou civique, manifestent leur volonté de vivre ensemble, en se dotant d'un État[1].
Dans les deux cas, il s'agit d'une lente création résultant de conjonction, sur la durée de plusieurs générations, de situations socio-économiques favorables et de prosélytismes politiques.
Le deuxième cas est assez proche de l'histoire de l'Allemagne, par exemple, bien que l’État allemand actuel résulte d'une politique unioniste volontariste de Bismarck qui a cherché, et réussi, à rassembler sous le drapeau de la Prusse une mosaïque d’États indépendants, aux langues germaniques, en vue d’accroître sa puissance militaire, politique et économique. Pour cela, il avait utilisé autant les intérêts économiques des bourgeoisies de ces États, leur besoin de protection militaire, que la propagande nationaliste, sentiment nouveau répandu chez les lettrés depuis le début du XIXe siècle. L'évolution de cet assemblage échappa ensuite à ses prévisions.
En France, l'État s'est construit progressivement, et à partir du Moyen Âge les rois de France ont étendu leur autorité sur un ensemble de plus en plus grand. Le développement du nationalisme s'est fait progressivement, et a clairement émergé au XVIIIe siècle (sans pour autant porter ce nom) dans la bourgeoisie, intellectuelle, commerçante et pré-industrielle, pour s'étendre progressivement à l'ensemble de la population (ou presque). La langue française est devenue la seule langue officielle après être devenue une langue véhiculaire d'imprimerie, stimulée par le fait qu'elle a été imposée dans les actes administratifs par l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. Le nationalisme a été renforcé par le système politique démocratique, la création d'une école gratuite, laïque et obligatoire par Jules Ferry à la fin du XIXe siècle, l'instauration du service militaire, et entretenu par la création de divers symboles républicains, régulièrement mis en avant, comme le drapeau français, la Marianne et la Marseillaise.
La notion d'"entité nationale" s'applique également aux pays qui abritent plusieurs groupes ethniques ou linguistiques. C'est le cas de la Suisse qui, formée par une fédération de cantons, réunit des populations parlant quatre langues officielles. Néanmoins, ils partagent une identité nationale, une histoire nationale et un héros national, Guillaume Tell, et leur unité a été renforcée par un choix politique à la suite de la guerre du Sonderbund (1847) et de la constitution fédérale (1848), qui a mis fin à l'ordre confédéral précédent[2].
Dissociation entre État et nation
- Une nation peut ne pas être dotée d'un État. En effet, certaines nations sans État disposent bien d'un territoire, d'une population, et d'un sentiment d'identité propre mais n'ont pas d'organisation politique pouvant assurer leur pleine souveraineté, elles ne disposent, au mieux, que d'une autorité territoriale. On peut citer comme exemple la population québécoise qui est reconnue par le Canada comme nation au sein de l'État canadien, les populations berbères d'afrique du nord ou la population catalane qui a actuellement le statut en Espagne de « communauté historique » et qui s'est vu refuser récemment le statut à part entière de « nation » par le conseil constitutionnel espagnol, même si la décision avait été précédemment approuvée par le parlement catalan, le peuple catalan par référendum et par le parlement espagnol.
- Un État peut englober plusieurs nations. Ce fut le cas de l'Empire austro-hongrois, c'est aujourd'hui le cas du Royaume-Uni où Anglais, Gallois, Écossais et Nord-Irlandais sont des nationalités différentes (ce qui est par ailleurs représenté au sein du Tournoi des Six Nations, les Britanniques d'Irlande du Nord jouant avec les Irlandais de la République d'Irlande au sein d'une même équipe sous l'égide d'une fédération unique, l'IRFU).
- Une nation peut englober plusieurs ethnies. C'est aujourd'hui le cas de la Turquie, qui n'admet sur son sol qu'une nation turque constituée par des ethnies différentes (Turcomans, Albanais, Arabes, Bosniaques, Kurdes, Lazes, Roms, etc.)[3]. Les autres revendications nationales telles que celles des Kurdes sont fortement combattues.
- Un État peut être créé sans véritable base nationale, par exemple en tant que successeur d'une circonscription administrative d'un ancien empire colonial démantelé, mais avec la volonté de constituer une nation unifiée dans le cadre de ses frontières. C'est par exemple le cas de certains États de l'Afrique contemporaine.
Critique de la théorie de l'État-nation
- La théorie de l'État-nation a été contestée, notamment par des fédéralistes européens comme Mario Albertini[4]. La nation est selon cette critique une construction politique artificielle des partisans de l'État centralisé. La nation justifie ainsi l'existence de l'État qui n'est plus associé à la personne du monarque mais à une entité abstraite. L'État-nation serait donc une phase de l'évolution politique et aurait vocation à être dépassé en faveur de l'unité européenne.
- La théorie de l'État-nation a également été critiquée par certains marxistes. Pour eux, le sentiment identitaire ne se trouve pas au sein de la nation, mais au sein de l'Humanité tout entière (voir la phrase de Karl Marx : « Je suis un citoyen du Monde », paraphrasant le philosophe de la Grèce antique Diogène de Sinope ainsi que les philosophes stoïciens)[1]. En attendant la disparition des États, la classe sociale dominée doit selon eux faire preuve de solidarité internationale permanente : par exemple le refus des guerres. De là , un ouvrier français est, selon eux, plus proche d'un ouvrier de nationalité étrangère, que d'un dirigeant français. C'est la « conscience de classe » (« Les travailleurs n'ont pas de patrie » - Manifeste communiste).
Exemples
Voici des exemples clairs d'États-nations :
- Islande : bien que les habitants soient ethniquement apparentés à d'autres groupes scandinaves, la culture et la langue nationales ne se trouvent qu'en Islande. Il n'y a pas de minorités transfrontalières - le pays le plus proche est trop éloigné.
- Japon : Le Japon est aussi traditionnellement considéré comme un bon exemple d'État-nation, bien qu'il comprenne des minorités de peuples Ryūkyū ethniquement distincts, des Coréens, des Chinois, et sur l'île septentrionale d'Hokkaidō, la minorité autochtone Aïnou ; voir aussi Démographie japonaise .
- Portugal : bien qu'entourée d'autres terres et peuples, la nation portugaise occupe le même territoire depuis près de 900 ans. Il y a longtemps, le Portugal s'est formé à partir de groupes de personnes qui étaient auparavant séparés. Ils ont tous traversé et se sont installés dans la région qui est devenue plus tard le Portugal. Il s'agit notamment des peuples ibériques indigènes, des Celtes, des anciens Méditerranéens (Grecs, Phéniciens, Romains), des peuples germaniques comme les Suèves et les Wisigoths, des envahisseurs berbères et arabes, et des Juifs.
- France et Angleterre : l'État s'est organisé autour de la nation, par l’action centralisatrice et unificatrice du pouvoir royal. Cette même action du pouvoir royal a contribué de manière décisive à l’émergence de la nation et les guerres (Guerre de Cent ans, Révolution française) ont soudé les populations dans l’adversité et contribué de manière décisive à l’émergence de l’identité nationale de part et d’autre de la Manche[5].
Notes et références
- pdf_3_Rappel_de_NOTIONS_1.pdf sur Académie de Besançon (12/2015)
- (de) Thomas Riklin, « Worin unterscheidet sich die schweizerische „Nation“ von der Französischen bzw. Deutschen „Nation“? » [archive du ], sur www.unifr.ch,
- (tr) « Ethnicites en Turquie - Article « Nombre des Kurds dans la Turquie » », (consulté le )
- L'État national (1960) http://www.taurillon.org/L-Etat-national-de-Mario-Albertini
- Frank Baron, « L’idée de Nation », sur Vie publique.fr, (consulté le )
Voir aussi
Articles connexes
- Cité-État
- Figure allégorique nationale
- Nation civique
- Nation ethnique
- Nationalisme culturel
- Empire
- État plurinational - terme opposé
- État ethnique
- Portugal#L'État-nation portugais
Bibliographie
- Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, France, Calmann Lévy, (lire en ligne)
- Mario Albertini, L'État national, 1960, traduction française 1978, Ed. Fédérop.
- Alain Bihr, Le Crépuscule des États-nations, transnationalisation et crispations nationalistes, Ed. Page deux, 2000.
- (en) Michael Billig, Banal Nationalism, Londres, SAGE Publications, , 200Â p. (ISBNÂ 0-8039-7525-2, lire en ligne)
- Rosa Luxemburg, La Question nationale et l'autonomie, 1908 (traduction française : Ed. Le Temps des cerises, 2001).
- Jean-René Trochet, La Géographie historique de la France, Paris, PUF, 1997, 126p.
- Jean-Claude Barreau, Sans la nation, le chaos, Éditions du Toucan, 2012
- Pierre-André Taguieff, La revanche du nationalisme : Néopopulistes et xénophobes à l’assaut de l’Europe, Paris, PUF, (présentation en ligne, lire en ligne)