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Éditions du Scorpion

Les Éditions du Scorpion sont une maison d'édition française créée par Jean d'Halluin[1] en 1946. Elles sont surtout connues pour avoir publié les premiers romans de Vernon Sullivan alias Boris Vian.

Histoire

Première époque

En 1946, Jean d'Halluin crĂ©e les Éditions du Scorpion en hommage Ă  sa femme Colette, nĂ©e sous le signe astrologique du Scorpion. Les trois premiers titres publiĂ©s sont : un livre pour enfants, Rongetout-Trapue et Trotinette-Moustachue d’Alexis Remizov avec des illustrations de Jean Cagnard[2], et deux rĂ©Ă©ditions, Ferragus d'HonorĂ© de Balzac et Miss Henriette Stralson du Marquis de Sade paru dans la collection « CruautĂ© Â». Eschec par le fol de Claude Christians, livre annoncĂ© en , n'a sĂ»rement jamais Ă©tĂ© Ă©ditĂ©[3].

Deuxième époque : l'ère Vian/Sullivan (1946-1951)

La véritable aventure du Scorpion commence avec la publication du quatrième titre : J'irai cracher sur vos tombes. Au début de l'été 1946, Boris fait la connaissance d'un jeune éditeur, Jean d'Halluin, un assidu du Flore qui vient de créer Les éditions du Scorpion. Jean demande à Boris de lui faire un livre dans le genre de Tropique du Cancer de Henry Miller qui plaît beaucoup. En quinze jours, du 5 au , Vian s'amuse à plagier la manière des romans noirs américains[4], avec des scènes érotiques dont il dit qu'elles « préparent le monde de demain et frayent la voie à la vraie révolution[5]. »

Alain Vian, frère de Boris, raconte la première rencontre entre Jean d'Halluin et Vian : « Un jour de juillet, par l’intermĂ©diaire du contrebassiste de l’orchestre Abadie, Georges d’Halluin dit Zozo, Boris fait la connaissance de Jean d’Halluin, un jeune Ă©diteur d’une vingtaine d’annĂ©es qui tente de lancer sa maison : Les Ă©ditions du Scorpion, alors sises rue ClĂ©ment. » Alain Vian restitue Ă  sa manière le dialogue entre Jean d’Halluin et Boris Vian : « Écoute, Boris… Est-ce que tu pourrais me faire un bouquin qui plaise autant que Tropique du cancer de Henry Miller ? et voici la rĂ©ponse : “Bon, ben tu me laisses quinze jours et je te ponds un truc”[6]. » Le « truc Â» sera J’irai cracher sur vos tombes dont le titre initial Ă©tait J’irai danser sur vos tombes, Ă©crit entre le 5 et le . L’idĂ©e de remplacer « danser Â» par « cracher Â» vient de Michelle LĂ©glise, la première femme de Vian. Le sujet du roman a Ă©tĂ© fourni Ă  Boris par une enquĂŞte parue dans l'hebdomadaire amĂ©ricain Collier's oĂą Herbert Asbury[note 1] explique qu'environ deux millions de Noirs amĂ©ricains auraient franchi la color line, ce qui leur permettrait d'obtenir le statut de blanc par dĂ©cret administratif, affirmant qu'en 1946, cinq Ă  huit millions de blancs ont du sang noir[7].

La grande Ă©poque du Scorpion avec le logo du scorpion rouge en quatrième de couverture ou, exceptionnellement, du Scorpion astrologique bleu pour le livre couleur blanc cassĂ© de Raymond GuĂ©rin est lancĂ©e. Dans son Manuel de Saint-Germain des PrĂ©s, Vian nous renseigne sur le couple des Ă©diteurs :

« Jean d’Halluin : Directeur des Éditions du Scorpion […] Il possède de vrais scorpions vivants qui lui ont Ă©tĂ© ramenĂ©s d’Égypte par Gabriel Pomerand. Il est très jeune (26 ans), pas radin pour un Ă©diteur, fidèle Ă  Jean Cluseau-Lanauve qui lui dessine des couvertures rouges et noires depuis quatre ans. Colette d’Halluin, la Scorpionne, est une personne dont, au physique comme au moral, on ne peut penser que des choses flatteuses… »

Voici ce que nous apprenons sur Jean d’Halluin lors du procès de J’irai cracher sur vos tombes de la bouche d’AndrĂ© Berry :

« Je savais par Raymond Guérin, qui me l’avait présenté, que M. d’Halluin avait derrière lui une carrière parfaitement honorable, M. d’Halluin est âgé de 23 ans maintenant [...] Il était issu d’une génération d’imprimeurs, avait un père journaliste [...] Après avoir fait ses études dans un collège religieux de Rennes, et au Lycée de Lyon, il avait passé son bachot, et, seules, les atteintes de la phtisie l’avaient empêché de poursuivre ses études. »

Plus intĂ©ressant est ce commentaire d’AndrĂ© Berry concernant les dĂ©buts de d’Halluin dans l’édition : « … car je crois qu’il avait commencĂ© purement et simplement par Ă©diter des livres d’enfants, et des plus enfantins qui soient. »

Raymond Queneau définit parfaitement les premières années des éditions du Scorpion :

«  â€¦ d’Halluin qui est un jeune Ă©diteur, un des rares jeunes Ă©diteurs actuels qui poursuivent leur Ĺ“uvre en publiant des auteurs qui, je dois dire, sont, le plus souvent, les mĂŞmes que ceux que nous publions aux Ă©ditions de la Nouvelle Revue française/Gallimard. »

L'esprit de la deuxième époque

L'une des marques de la maison.

Les livres sont majoritairement rouges et noirs, avec des explosions de titres aux polices variées, à quelques exceptions près signalées en commentaires dans la liste. Ils s’ornent d’un joli scorpion rouge stylisé en quatrième de couverture. Le catalogue comporte de très grandes signatures, souvent sous pseudonymes. C’est l’âge d’or des éditions de Jean d’Halluin.

Un des grands pièges des catalogues du Scorpion est la mention de livres qui n’existent pas et n’ont jamais existé[8], de livres qui n’existent pas en Scorpion mais ont peut-être connu une publication ultérieure sous un autre titre[9] ou ont été finalement édités chez d’autres éditeurs[10].

On notera que cette époque dorée où les bons auteurs sont légion (Vian, Queneau, Guérin, Hyvernaud, Malet et dans une moindre mesure, Narcejac, Chase, Maurice Raphaël, Audouard et Padgett) correspond à la période des sept publications de Boris Vian et à l’annonce de la huitième qui ne viendra jamais. Le départ de Vian marque la fin de ces années fastes. Évidemment, les poursuites judiciaires concernant les deux premiers Sullivan ont laissé des séquelles dans le couple auteur/éditeur formé par Vian/d’Halluin.

Boris Vian brosse un portrait de Jean d'Halluin dans le Manuel de Saint-Germain-des-Prés :

« Directeur des éditions du Scorpion, devenu, depuis qu'il est installé rue Lobineau, un assidu du café Flore. Remporte tous les ans pour ses productions le prix du Tabou, prix décerné d'avance comme les autres mais qui présente cette particularité d'être le seul à l'avouer sans la moindre gêne. C'est ainsi que furent couronnés On est toujours trop bon avec les femmes de Sally Mara[note 2], Marie Octobre de Jacques Robert, et De deux choses l'une de Maurice Raphaël[note 3]. Le prix du Tabou est le seul prix honnête de l'année (...)[11]. »

Troisième époque (1951-1966)

Les couvertures rouges et noires ainsi que le scorpion rouge au dos de quatrième disparaissent. Les formats sont aléatoires, Les illustrateurs comme Brenot plus réalistes.

Les auteurs sont de notoriété très inégale. Le catalogue perd en renommée malgré quelques jolis coups éditoriaux (Paul Malar, Maurice Dekobra, Anne Mariel, Marise Querlin, Yves de Mellis) ou littéraires (James Cain, Georges Arnaud). Jean d’Halluin n’a plus de ligne éditoriale apparente : des mémoires de guerre côtoient des livres coquins (Christian Coffinet), des romans d’aventures et des études géographiques. On trouve même des biographies de grands musiciens et de la science-fiction française (Louis Thirion, Jacques Sadoul, Dominique Rocher).

Des ouvrages à compte d’auteur difficilement identifiables parasitent le catalogue dès 1956. Ils ne seront reconnaissables qu’à partir de 1967.

Quatrième Ă©poque (1967-1969)

Pour gagner de l’argent, le frère de Jean d’Halluin décide de faire officiellement du compte d’auteur en parallèle avec du compte d’éditeur. Les éditions du Scorpion deviennent donc parfois : Éditions du Scorpion, Promotion et édition.

Un procès dont les frères d'Halluin sont absents met officiellement fin aux éditions du Scorpion en 1969.

Criblé de dettes, Jean d’Halluin meurt en , à cinquante-sept ans.

Bibliographie 

  • Manuel de Saint-Germain-des-PrĂ©s, Boris Vian, Livre de Poche
  • Claire Julliard, Boris Vian, Paris, Folio, , 370 p. (ISBN 978-2-07-031963-3)
  • Boris Vian et NoĂ«l Arnaud, Manuel de Saint-Germain-des-PrĂ©s, Paris, Ă©ditions du Scorpion et Ă©ditions du ChĂŞne, 1951 et 1974, 302 p.
  • FrĂ©dĂ©ric Richaud, Boris Vian : C'est joli de vivre, Paris, Ă©ditions du ChĂŞne, , 174 p. (ISBN 2-84277-177-X)
  • Philippe Boggio, Boris Vian, Paris, Le Livre de Poche, , 476 p. (ISBN 978-2-253-13871-6)
  • Waterloo, morne plaine, Louis Thirion, 1964
  • Les Vies parallèles de Boris Vian, NoĂ«l Arnaud, Livre de Poche, 5e Ă©dition
  • NoĂ«l Arnaud, Dossier de l'affaire J'irai cracher sur vos tombes, Paris, Christian Bourgois Ă©diteur,
  • Boris Vian. La vie contre, Marc Lapprand, Éditions A.-G. Nizet & Presses de l’UniversitĂ© d’Ottawa, 1993
  • Boris Vian « Si j’étais pohĂ©teĂ» Â», Marc Lapprand et François Roulmann, DĂ©couvertes Gallimard no 544, 2009
  • Boris Vian, VĂ©ritĂ© et lĂ©gendes, FrĂ©dĂ©ric Richaud, Paris, Le ChĂŞne, 1999
  • TrĂ©sors du roman policier, Jacques Bisceglia, Ă©ditions de l’Amateur, 1985-1986
  • C’est dans la poche !, mĂ©moires, Jacques Sadoul, Bragelonne, 2006
  • La peau et les os, de l’édition Ă  la rĂ©ception, SociĂ©tĂ© des Lecteurs de Georges Hyvernaud, Guy Durliat,
  • Catalogue n°1 « SpĂ©cial Boris Vian Â», La librairie Faustroll, Christophe Champion,
  • Bison Ravi et le Scorpion rouge, Darnaudet, Mare Nostrum Ă©d., 2009
  • Bison Ravi et le Scorpion rouge : Ă  la recherche du Vian perdu, François Darnaudet, version longue du titre prĂ©cĂ©dent, Amazon/Kindle, 2013
  • Darnaudet et Borgers, Les Ă©ditions du Scorpion (1946-1969) : de Boris Vian Ă  Maurice Dekobra suivi de Boris Vian, le pasticheur plagiĂ© : un plagiat britannique de Vernon Sullivan, Étienne Borgers, e-book Kindle, 2012 et en version papier avec illustrations couleurs, Amazon, 2018
  • CapharnaĂĽm numĂ©ro 4, Les Ă©ditions du Scorpion, Guy Durliat et Thierry Boizet, Ă©ditions Finitude, 2013

Notes et références

Notes

  1. Journaliste américain et auteur de romans noirs.
  2. Raymond Queneau
  3. Ange Bastiani

Références

  1. NĂ© le 21 janvier 1923 Ă  Rennes, Dossier de l'affaire "J'irai cracher sur vos tombes"
  2. 16 pages, format à l’italienne.
  3. D'après le bibliophile et collectionneur Frank Evrard.
  4. Richaud, p. 65
  5. Richaud, p. 66
  6. Julliard, p. 123
  7. Julliard, p. 125
  8. Les Casseurs de Colombes de Boris Vian qui est à l’origine du roman humoristique Bison Ravi et le Scorpion rouge écrit par François Darnaudet et paru chez Mare Nostrum en 2009.
  9. J’ai eu ma part de John Amila
  10. Le troisième tome de la trilogie noire de Léo Malet : Sueurs aux tripes ainsi que Le Faune de marbre de Nathaniel Hawthorne
  11. Vian Arnaud, p. 209

Liens externes

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