Éco-anxiété
L’éco-anxiété ou écoanxiété est un néologisme qui désigne l'ensemble des émotions liées au sentiment de fatalité vis-à-vis du réchauffement climatique. Ces émotions sont principalement la peur, la tristesse et la colère. La principale cause de cette anxiété peut être liée à une dépression, mais aussi a un sentiment d'inaction ou d'insuffisance des actions prises en faveur du climat, par les gouvernements et les populations.
Selon l'Observatoire des Vécus du Collapse (OBVECO), 2,5 millions de français souffraient en 2022 d'éco-anxiété[1].
Définitions
De manière générale, l'éco-anxiété est l'expression de fortes émotions face à la dégradation de l'état de la planète, de la pollution au réchauffement climatique. Ces émotions sont aussi bien de l'angoisse, que de la frustration, de la colère, de l'impuissance et de la culpabilité[2]. Parmi ces craintes, des idées comme la mort et la fin du monde sont prépondérantes[3].
Statut de maladie
L'éco-anxiété n'est pas reconnu comme une maladie, contrairement au trouble anxieux. Elle ne figure pas dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association Américaine de Psychiatrie (American Psychological Association (APA)). Ainsi, elle n'est pas un diagnostic psychiatrique officiel ni un syndrome[4]. Cependant, l'APA décrit l'éco-anxiété comme une peur chronique d'une ou de catastrophes environnementales[5]. Si elle ne figure pas non plus au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux-DSM, de nombreux psychiatres, psychologues et autres psycho-praticiens s'emparent de la question. C'est le cas notamment aux États-Unis de la Climate Psychology Alliance (CPA) - à l'origine du courant de la Climate Psychology - ou de la Climate Psychiatry Alliance. La psychiatre américaine Lise Van Susteren s'avance ainsi dès 2016[6] à qualifier l'éco-anxiété non pas comme une maladie mais comme l'expérience d'un "stress “pré-traumatique".
Différence avec la solastalgie
La différence principale entre l'éco-anxiété et la solastalgie est le ressenti de la détresse écologique dans la durée. Le premier se ressent par anticipation d'un évènement catastrophique environnemental, tandis que le terme de Glenn Albrecht se vit dans l'immédiat[7].
Histoire
En 1970, l'historien américain Theodore Roszak théorise l'éco-anxiété comme une peur par anticipation d'un évènement catastrophique environnementale.
Le terme d'éco-anxiété apparait dans les années 1990 par le biais de plusieurs spécialistes de l'environnement, comme la médecin-chercheuse Véronique Lapaige qui en propose une définition en 1996[8].
Dans les années 2000, l'idée d'une tristesse climatique est consolidée avec le terme de solastalgie par le chercheur australien Glenn Albrecht. La médiatisation de sa théorie augmente la conscience des effets du réchauffement climatique sur l'état de santé psychologique des individus, ce qui mène à la médiatisation sur terme voisin d'éco-anxiété.
En France, le mot est vulgarisé dans les médias lors de la période de canicule de 2019[9].
Causes
Les causes de l'éco-anxiété sont principalement liées à l'état de la planète, entre la pollution des ressources naturelles, la diminution des populations animales et le réchauffement climatique. C'est cependant l'inaction ou les projets jugés inutiles des structures gouvernantes qui pousse les individus vers ce mal être[10].
Cela est intimement lié à la surinformation des individus, notamment avec internet facile d'accès. C'est parce que la pratique des usages de ce moyen de communication est très utilisée par les jeunes (14-25 ans) qu'ils sont les principales victimes de l'éco-anxiété[8].
Il est aussi mis en avant que le choix des mots dans les discours écologiques encourage l'éco-anxiété, comme les termes d'effondrement et d'extinction[3]. La manière dont les scientifiques formulent la problématique sont aussi une cause d'éco-anxiété (source: https://www.mdpi.com/2673-3986/4/1/6).
Les éco-anxieux
Les éco-anxieux sont principalement des personnes sensibles aux problèmes liés au réchauffement de la planète.
Si les éco-anxieux ne représentaient auparavant qu'une minorité de personnes, ce n'est plus le cas maintenant. Selon l'étude de 2021, Young People's Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury : A Global Phenomenon dans la revue The Lancet Planetary Health, sur 10 000 jeunes entre 16 et 25 ans étudiés dans dix pays différents, 84 % se disent « inquiets » de l'état de la planète tandis 59 % se disent « très inquiets »[4] - [10]. La moitié des personnes questionnées déclarent se sentir anxieux, tristes et en colère concernant la crise climatiques. Selon une étude de 2022 réalisée auprès de 2 080 adultes résidant dans des pays francophones d'Europe et d'Afrique, bien que la plupart des participants rapportent faire l'expérience occasionnelle d'éco-anxiété, 11.67% présentent des niveaux significativement élevées d'éco-anxiété et associé à des répercussions dans leur vie quotidienne, telles qu'une incapacité à se rendre au travail ou à l'école en raison de la détresse occasionnée par l'éco-anxiété[11].
Éco-anxiété et les actions
Si l'éco-anxiété est vue comme un problème, elle est aussi un moteur d'action[8]. Cet état provoque un effet de responsabilité de l'individu face au réchauffement climatique. Ainsi, les actions vont du débat sur la pertinence de faire des enfants dans un cadre de surpopulation de la planète ou encore de changements dans les méthodes de consommations[12]. Parce qu'elle n'est pas irrationnelle et n'est pas provoquée par un évènement traumatisant comme un accident ou un viol, l'éco-anxiété ne peut pas être soignée classiquement par la thérapie[8] - [2]; si bien qu'elle motive les éco-anxieux à trouver des solutions concrètes[13]. L'exemple le plus célèbre est la grève scolaire pour le climat de Greta Thunberg[3]. Cela étant, une étude de 2022 a montré que la fonction mobilisatrice de l'éco-anxiété dépendait du niveau de sévérité de cette dernière, avec l'observation que des niveaux trop élevées d'éco-anxiété sont associées à des effets potentiellement inhibiteurs sur le plan de l'action[11]. Cette dernière étude confirme les observations d'une première étude de 2019 portée par la praticienne en analyse psycho-organique Charline Schmerber : 30% témoignaient que leur sentiment d'éco-anxiété bloquait leur mouvement et leur regard vers l'avenir, mais 60% trouvaient dans l'action une stratégie à leurs angoisses.
L'éco-féminisme
Les émotions fortes liées à la dégradation de la planète ont encouragé les mouvements antinucléaires des écoféministes des années 1980[14]. L'écoféminisme et l'écoanxiété sont mis en liens selon trois éléments : la facilité qu'ont les femmes a exprimer leurs émotions (leur anxiété), l'idée de la femme créatrice de vie ; qui est par conséquent proche de la planète « mère-nature » (ensemble qui rapproche aussi l'image de la sorcière[15]). Pour les femmes engagées dans les mouvements d'écoféminisme, la tristesse n'est pas synonyme d'impuissance. Ainsi, l'écrivaine et sorcière auto-proclamée Starhawk raconte l'impact qu'ont eu les émotions, bonnes comme mauvaises, sur les actions écologiques des femmes notamment en 1981[16].
L'éco-anxiété dans la culture
Les engagements liés à l'éco-anxiété se manifestent aussi dans la culture.
Aurélie Valognes avoue en 2019 avoir écrit son roman La Cerise sur le gâteau après avoir eu une crise d'angoisse écologique, et retranscrit cette peur dans la prise de conscience de ses personnages[3].
En juin 2022, les dessinateurs Olivier Pog et Séverine Lefebvre signent ensemble la bande dessinée L'ami colocataire, sur le thème de l'éco-anxiété.
Critiques
Frédéric Lordon déclare que l'éco-anxiété est une « merveilleuse connerie dont le système médiatique a l'habitude » lors d'une conférence en juin 2022. Pour lui, ce terme, qu'il qualifie de « merde psycho-sociétale qui ne veut rien dire », s'inscrit dans la logique néo-libérale qui psychologise et individualise les problèmes sociaux pour en retirer tout contenu politique. Ainsi, il explique qu'il n'est pas éco-anxieux car il possède une idée des causes qui mènent à la catastrophe environnementale, et de la façon d'agir pour l'empêcher, à savoir en « renversant le capitalisme ». Il conclut en disant : « Ne soyez plus éco-anxieux, je vous invite à être plutôt ce que je suis : éco-furieux[17]. ».
Son raisonnement est le suivant, si l'éco-anxiété est effectivement un trouble psychologique, alors il faut le nommer clairement. Il se réfère au concept d'angoisse et le caractérise par « l'anticipation d'un péril flou, ou d'un péril dont la cause est floue et qui nous laisse dans l'incapacité de monter une réaction un peu articulée »[18]. Cette définition est proche de celle proposée en psychopathologie, où l'angoisse est définie comme « un état de mal-être qui se manifeste par une sensation interne d'oppression et de resserrement ressentie au niveau du corps. Ceci s'accompagnant généralement d'une crainte de malheurs ou de mort imminente contre lesquelles le sujet se sent impuissant. ». Dans un cas comme dans l'autre, c'est l'impuissance qui est la cause de l'état mental. Ce que Lordon affirme c'est que ceux qui se reconnaissent comme éco-anxieux identifient bien le péril : la planète est en passe de devenir invivable ; toutefois, n'identifiant pas les causes de ce péril ils se sentent impuissant et par conséquent sujets à l'angoisse. Une fois que les causes du péril ont été identifiées, pour Lordon, les causes sont claires : c'est le capitalisme, alors l'éco-anxiété tombe et il reste d'autres émotions, comme la colère, qui peut trouver une expression politique.
Références
- Pierre Eric Sutter, « 2,5 millions de Français souffrent d’éco-anxiété », sur OBVECO - OBservatoire des VEcus du COllapse, (consulté le )
- Laure Noualhat, Comment rester écolo sans finir dépressif, Paris, Editions Tana, (ISBN 979-10-301-0320-5)
- Pascale Krémer et Audrey Garric, « Eco-anxiété, dépression verte ou « solastalgie » : les Français gagnés par l’angoisse climatique », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- INSERM (Salle de presse) et Laelia Benoit (Pédopsychiatre et chercheuse INSERM), « L’éco-anxiété, une maladie mentale, vraiment ? », sur Salle de presse | Inserm, (consulté le )
- (en) American Psychological Association, Climate for Health et EcoAmerica, « Mental health and our changing climate: impacts, implications, and guidance » , sur www.apa.org, (consulté le )
- (en) Thea Keith-Lucas, « The Pre-Traumatic Stress of Climate Change », sur Radius - MIT - Massachussets Institute of Technology, (consulté le )
- Pauline Petit, « Solastalgie, éco-anxiété... Les émotions de la crise écologique », sur France Culture, (consulté le )
- Taïna Cluzeau, « L'éco-anxiété, le nouveau mal du siècle », sur National Geographic, (consulté le )
- Béline Dolat, Seham Boutata et François Caunac, « L’éco-anxiété, crise existentielle ou pathologie de l’époque ? », sur France Culture, (consulté le )
- Reporterre, « Écoanxiété : ces jeunes racontent le mal qui les ronge », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie, (consulté le )
- A. Heeren, C. Mouguiama-Daouda et Contreras, « On climate anxiety and the threat it may pose to daily life functioning and adaptation: a study among European and African French-speaking participants », Climatic Change, vol. 173, , p. 15 (DOI https://doi.org/10.1007/s10584-022-03402-2)
- Richard Schiffman, « Les jeunes générations peuvent-elles surmonter leur éco-anxiété ? », sur National Geographic, (consulté le )
- Alice Raybaud, « De jeunes ingénieurs et leur « éco-anxiété » : « Ne pas agir, c’est être dans une maison en feu et dire que tout va bien » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Benedikte Zitouni (trad. Hélène Windish), « Contre la destruction de la planète : l’écoféminisme dans les années 1980 en Grande-Bretagne et aux États-Unis », Travail, Genre et Sociétés, , p. 49-69 (lire en ligne).
- Mona Chollet, Sorcière : la puissance invaincue des femmes, Paris, Zones, , 231 p. (ISBN 978-2-35522-122-4), p. 188-193.
- Reporterre, « Écoanxiété, quand les émotions deviennent énergie collective », sur Reporterre, (consulté le ).
- « L'éco-anxiété, une merveilleuse conner*e - Frédéric Lordon (éco-furieux) » (consulté le ).
- « L'éco-anxiété, une merveilleuse conner*e - Frédéric Lordon (éco-furieux) » (consulté le )
Annexes
Sources en langue française
- Allard, L., Monnin, A., & Tasset, C., « Est-il trop tard pour l’effondrement ? », Multitudes, (3), 2019, 53-67 (résumé)
- Desbiolles, A., L'éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abimé, Fayard
- Noualhat, L., Comment rester écolo sans finir dépressif, Éditions Tana, 2020
- Pelissolo, A., Massini, L., Les Émotions du dérèglement climatique, Flammarion, 2021
- Schmerber C., Le petit guide de (sur)vie pour éco-anxieux, Philippe Rey, 2022
Sources en langue anglaise
- (en) Elizabeth Marks et al., « Young People's Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury : A Global Phenomenon », The Lancet, 2021
- (en) McMichael A.J & Lindgren E (2011) Climate change: present and future risks to health, and necessary responses. Journal of Internal Medicine, 270: 401–413
- (en) Bronwyn Wake, « Understanding eco-anxiety », Nature Climate Change, vol. 12, no 10, , p. 884–884 (ISSN 1758-678X et 1758-6798, DOI 10.1038/s41558-022-01497-0, lire en ligne, consulté le )