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Yves Ravey

Yves Ravey, né le à Besançon, est un écrivain français, lauréat du prix Marcel-Aymé en 2004 pour Le Drap.

Yves Ravey
Description de l'image Yves Ravey.jpg.
Naissance
Besançon, Drapeau de la France France
Activité principale
Distinctions
Auteur
Langue d’écriture Français

Ĺ’uvres principales

Biographie

Yves Ravey est professeur d'arts plastiques et de français au collège Stendhal de Besançon.

Romancier d'un quotidien familier aux multiples dangers

Le premier roman d'Yves Ravey, La Table des singes, est paru aux Éditions Gallimard en 1989, grâce à l'intervention de Pascal Quignard. Le jeune auteur comptait alors beaucoup de manuscrits refusés. Gallimard ne désirant pas poursuivre sa collaboration avec l'écrivain bisontin, Jérôme Lindon, qui dirige Les Éditions de Minuit et qui a l'habitude de publier des écrivains dont aucun éditeur ne veut, reprend Yves Ravey. Depuis le Bureau des illettrés en 1992, Yves Ravey confie à son éditeur romans et pièces de théâtre avec une grande régularité.

Un héritier du roman noir

Dans un article de son blog littéraire, Pierre Assouline [1] décèle en Yves Ravey un héritier de Simenon et il exprime son sentiment à propos d' "Un notaire peu ordinaire" dont Philippe Claudel [2] lui a parlé : "La véritable atmosphère-Simenon y est : non pas la pluie et le brouillard, qui en sont les poncifs, mais ce qu’il y a de plus profond en surface dans ce qu’il faut bien appeler un climat : moiteur du soupçon qui monte, pesanteur des choses, désagrégation des rapports sociaux, variation des intensités de lumière, souci du détail, lenteur des gestes et des déplacements, absence totale de complaisance, forme d’ennui jamais ennuyeuse, compassion pour les personnages qui va bien au-delà de l’empathie ; et bien sûr économie du style, sobriété de l’expression, dépouillement des descriptions, usage des mots-matière (non pas une « photo » mais une « photo de classe »)[3]. À lire ce roman, on retrouve çà et là le meilleur du maître : la tension du Bourgmestre de Furnes, les non-dits de La Maison du canal, la douceur du Petit Saint, l’étrangeté de L’Escalier de fer, le doute de La Mort de Belle… Cela dit, pas de malentendu : ce n’est pas du Simenon mais bien du Ravey." [4],

Si la proximité avec Simenon se reconnaît dans la création d'une atmosphère et dans la sobriété du style, la sécheresse de la narration le rapproche plus sûrement de Jean-Patrick Manchette[5],un maître du roman noir, adepte de l'écriture behavioriste ou comportementaliste de Dashiell Hammett et de la "hard-boiled school" qui visent à décrire de l'extérieur, sans indications psychologiques, les comportements des personnages. Même écrits à la première personne, sous le forme du "je", les romans d'Yves Ravey, pas davantage que ceux de Jean-Patrick Manchette, ne révèlent les pensées et les sentiments des personnages.Pour Yves Ravey, les personnages sont ce que sont leurs actes.Pas de psychologie ni de descriptions physiques des personnages, pas d'exposition des sentiments ni de morale. Des phrases courtes relatant des actions, des événements, des faits.Tous deux peuvent revendiquer le parrainage de Maupassant qui a écrit à propos des partisans de l'objectivité dans sa préface de "Pierre et Jean" : " Pour eux, la psychologie doit être cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l'existence… Ils cachent donc la psychologie au lieu de l'étaler, ils en font la carcasse de l'œuvre, comme l'ossature invisible est la carcasse du corps humain.Le peintre qui fait notre portrait ne montre pas notre squelette."

Une intrigue et une angoisse diffuse construites par touches successives

Comme l'œuvre de Patrick Modiano, un autre héritier de Simenon selon Pierre Assouline, celle d'Yves Ravey est une œuvre profondément originale. Ses romans courts, entre 90 et 140 pages, sont des thrillers, à l'atmosphère tendue, au dénouement rapide, souvent violent et toujours imprévisible. Un lent développement de l'intrigue les précède[6] - "C'est avec précaution qu'on entre dans un livre d’Yves Ravey. Sur la pointe des pieds. L’œil et le cœur aux aguets. Car toujours le terrain y est dangereux, miné, et tout ce qui devrait rassurer - banalité du décor, familiarité des personnages, prosaïsme des dialogues, linéarité et brièveté de l’intrigue, limpidité et régularité de l’écriture – n’est qu’illusion. Source de perplexité au mieux, très vite d’anxiété plus ou moins diffuse, finalement d’angoisse pure ou d’effroi"[7]. Tout est dit au lecteur vigilant et attentif : " Le coupé sport rouge a longé la route nationale devant la station, maître Montussaint au volant, la musique de l'autoradio à plein volume. Les jeunes filles aperçues de l'autre côté de la rivière s'entassaient sur la banquette arrière. Le notaire a donné un coup de klaxon en apercevant madame Rebernak."("Un notaire peu ordinaire"). Ce notaire si proche des amies de son fils mérite vraiment toute l'attention du lecteur.

Quelques indices, comme dans les romans noirs, mettent le lecteur sur la piste à moins que celle-ci ne soit une fausse piste : le frère naïf se révèle manipulateur et cynique, le voyeur n'est pas un personnage glauque et inquiétant, le repris de justice sorti de prison suscitait pourtant une méfiance légitime, etc.[8].Ce sont les détails donnés par petites touches qui créent peu à peu l'intrigue, les personnages et leur environnement social[9].

Comme Hitchcock dans ses films, Yves Ravey crée dans ses romans une anxiété et une angoisse diffuses dès leur première page. Le danger insaisissable ou incontrôlable apparaît, une atmosphère étouffante s'installe, le suspense croît jusqu'au dénouement qui secoue même quand il lui arrive d'être prévisible. Le roman refermé, il faut encore remplir les blancs du texte car l'auteur n'a pas fourni toutes les explications. Les réponses sont entre les lignes. "On pense à Simenon ou à Carver côté littérature, Chabrol et Hitchcock côté cinéma : « Il n'y a pas de terreur dans un coup de fusil, seulement dans son anticipation.» disait Alfred Hitchcock" [10]. Il y a toutefois de la surprise chez Yves Ravey dans son coup de fusil. L'intrigue de Pas dupe est un clin d'oeil amusé de cinéphile au scénario du film d'Hitchcock, "Le crime était presque parfait". Dans le roman comme dans le film, un simple indice matériel sert à confondre l'assassin, le collier de perles pour Salvatore Meyer, la clef de l'appartement pour Tony Wendice. L'inspecteur Costa a l'élégance raffinée de l'inspecteur Hubbard et Tippi, la victime, a la blondeur de Grace Kelly. Le piège tendu par les deux inspecteurs se referme devant témoins, au moment où Salvatore et Tony commettent l'erreur de prendre le collier de perles et la clef.

Son mélange aux effets explosifs de brindezingues dangereux et de cœurs purs lui appartient. Tout comme son ironie acide qui allège la touffeur de ses faits divers tragiques.William, le narrateur de "La Fille de mon meilleur ami" et Gu, celui de "Sans état d'âme", sont des escrocs pitoyables, d'une naïveté et d'un cynisme réjouissants.Mais la violence du crime finit par tout emporter malgré une justice immanente et imprévisible qui réconforte parfois le lecteur.

Le roman noir des familles

Les romans d'Yves Ravey sont complexes : l'intrigue, le suspense et les péripéties du roman noir cachent ce que le lecteur doit découvrir dans l'histoire racontée. Ce qui compte en effet ce sont les êtres et les rapports entre eux, et particulièrement au sein d'une même famille les relations d'amour maternel et filial, d'amour fraternel, d'amour ou de haine, de fidélité ou d'infidélité, de loyauté ou de déloyauté. De ces relations familiales naissent la noirceur de ces romans. Dans "Enlèvement avec rançon", "Ce n’est pas le projet d’enlèvement qui compte, mais la phrase d’avant, sur le quai de la gare : « Et tout de suite, sans que j’oublie rien de ce qui nous liait, notre enfance, mon père et ma mère, nos rapports se sont tendus », nous n’avons pas dépassé la première page que tout est noué. Le père est mort, la mère à l’hospice, la question n’est pas de savoir si le patron paiera la rançon, si Samantha s’échappera, si les costauds reprendront l’avantage, mais si Max a bien fait de déposer chaque semaine un bouquet de pivoines sur la tombe du père de la part de Jerry. Pendant vingt ans. Même pas des pivoines, mais des fleurs choisies par leur mère depuis son fauteuil roulant… Entre les lignes, il y a juste la place pour l’amour qu’on ne dit pas, la rancune qui ne s’avoue pas, la jalousie qui fait honte, la violence qui ne vous appartient pas." [11]

De dessous la chape de noirceur étouffante de ces romans sourd parfois l'émotion suscitée par le personnage d'un enfant "pris au piège" des mensonges et de la violence des adultes (Lindbergh dans "Pris au piège" ou Lucky dans "Cutter") ou celle créée par le personnage d'un adulte loyal et aimant (l'oncle Rebernak dans Bambi Bar, madame Rebernak dans "Un notaire peu ordinaire" ou John Lloyd le frère aimant dans "Sans état d'âme"). "Le miracle est de produire de la grâce avec du malheur, de l’harmonie avec du drame, de la musique avec des bruits." [12].

Le lecteur situe les romans d'Yves Ravey - faute d'indications précises de temps et de lieux par l'auteur - dans l'est de la France, la région de Besançon, pendant les années 1960-70, à l'époque des R8 Gordini, des Ambassador 72 et des "phares blancs des voitures allemandes qui descendaient sur la côte d'azur" (Pris au piège). L'action se passe souvent dans un quartier banal, un peu gris, à l'extérieur d'une petite ville[13], où vivent des familles modestes : un père travaillant à l'usine toute proche et une mère au foyer ou une mère assurant seule la subsistance matérielle de ses enfants par un emploi dans un collège ou un lycée professionnel quand les parents ne sont pas remplacés par des substituts, un oncle ou des éducateurs.Cette atmosphère familière, un peu terne, va révéler peu à peu une réalité sous-jacente pleine de dangers et même de risques mortels.Le Mal s'est insinué sans que le lecteur s'en soit aperçu.Le familier devient étrange, glauque, presque irréel et pourtant trop réel. "Cette peur un peu trouble, qui peut faire penser parfois à La Nuit du chasseur, donne au roman sa drôle de force décalée : on y tremble de ne pas comprendre d’où vient ce danger que l’auteur a su, si subtilement, nous rendre familier." [14]

L'atmosphère singulière des romans d'Yves Ravey et leur puissance hypnotique tiennent donc à la narration de situations presque banales mais réellement angoissantes vécues par les personnages de ses romans qui pourraient tous appartenir à la même famille, à la lente montée de cette narration dramatique qui, telle un ressort qui se tend peu à peu, les poussera inexorablement au bout d'eux-mêmes : "… le récit semble couper une centaine de pages, presque au hasard, dans une matière livresque interminable, répétitive et obsédante, hypnotique même…"[15].Comme l'œuvre de Modiano, celle d'Yves Ravey semble accumuler les chapitres successifs d'un même ouvrage qui progresse de livre en livre.

Écriture dépouillée et sophistication de la narration dramatique

La critique évoque souvent le sens de l'épure[16] dans la narration dramatique d' Yves Ravey et vante son écriture dépouillée et ses phrases courtes et sèches[17] mais elle ne se laisse pas prendre par la fausse simplicité de ses intrigues.Nathalie Crom dans Télérama écrit : " Circonspecte, vigilante, telle est madame Rebernak, chez qui l'amour des siens épouse les contours d'une attention sévère et sans relâche. Une prudence un peu âpre qui se mue en tension inquiète le jour où, dans le paysage, surgit le cousin Freddy. Il faut dire que Freddy sort tout juste de prison, qu'il y a purgé quinze ans pour s'en être pris à une enfant de maternelle. On comprend pourquoi madame Rebernak ne veut pas qu'il s'approche de sa maison, de Clémence… L'apparente banalité des composantes romanesques ainsi exposées dont use Yves Ravey, dans ce Notaire peu ordinaire comme dans ses précédents ouvrages (Bureau des illettrés, Pris au piège, Cutter, Enlèvement avec rançon…), ne dit rien de la sophistication extrême de son art, de la puissance des sensations, des émotions, des réflexions qu'il met en branle. Derrière la linéarité de l'intrigue, l'harmonie discrète et précise de l'écriture, la simplicité des dialogues, s'impose dès les premières pages une narration tendue à l'extrême, dont le ressort intimiste n'exclut pas l'ancrage fort dans un contexte social soigneusement observé et analysé, régi par la relation dominant/dominé, mais où les rébellions et les renversements de rapports de force sont possibles — dussent-ils être violents. C'est madame Rebernak qui en fournira ici la preuve en acte — femme simple, droite, rigoureuse, femme puissante et mère courage, dont ce roman constitue un attentif et admirable portrait." [18]

Un dramaturge entré au répertoire de la Comédie-Française

Yves Ravey est également un dramaturge dont l'œuvre théâtrale est reconnue et appréciée du public. Monparnasse reçoit[19] publié en 1997 a été joué au Théâtre Vidy-Lausanne dans une mise en scène de Joël Jouanneau qui a également créé en 1999 La Concession Pilgrim au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. En 2002, La Cuningham (Carré blanc) a été montée par Michel Dubois au Nouveau Théâtre de Besançon.

Dieu est un steward de bonne composition a été créé le , au Théâtre du Rond-Point dans une mise scène de Jean-Michel Ribes, avec Michel Aumont, Claude Brasseur et Judith Magre, monté ensuite par Alain Chambon à La Criée, Théâtre national de Marseille. Ce conte philosophique burlesque et cruel met en scène des retrouvailles familiales.Après trente années d'absence, Alfredo rentre auprès de sa mère et de sa sœur, au "Dancing chez Malaga". À la manière d'une enquête, l'auteur nous livre peu à peu les clés d'une histoire familiale lourde de malheurs subis et infligés à d'autres.La mère, sa fille aînée et son fils étaient des immigrés et ont connu la peur de la traversée de la frontière et la difficulté de survivre dans leur pays d'accueil.Sous l'influence de Potlesnik, un immigré recueilli chez eux, madame Malaga transforme son petit café en un dancing, une couverture pour des activités de proxénétisme et d'exploitation de jeunes immigrées africaines. L'humour noir féroce de la pièce permet au spectateur de se distancier de son univers saugrenu et grotesque[20]. Le titre énigmatique de la pièce et les nombreuses digressions du texte forcent le spectateur à une attention constante. Comme dans ses romans, Yves Ravey fait monter la tension entre ses personnages qui expriment leurs rancœurs et leurs espoirs dans une confrontation qui aboutit à un dénouement violent et imprévisible.Le mélange d'émotion et de trivialité du texte déconcerte le spectateur comme l'ambiguïté des protagonistes de la pièce et l'absence surprenante sur scène du personnage principal de la mère.

Le Drap ou l'absence du père

Le Drap, entré au répertoire de la Comédie-française, a été joué par Hervé Pierre au Théâtre du Vieux-Colombier en mars 2011 dans une mise en scène de Laurent Fréchuret. Le Drap est le récit en moins de quatre-vingts pages de la maladie et de l'agonie d'un père, un ouvrier imprimeur empoisonné par les vapeurs toxiques des produits qu'il a utilisés et dont il ne s'est pas protégé, vue à travers les yeux de son jeune fils, "… pages de pur amour sans indulgence, de douleur sans larmes, d’admiration d’un homme sans qualité sinon l’honneur d’être soi…" [21] Le père absent est au centre de l'œuvre d'Yves Ravey : “ Je sais depuis toujours que je dois faire ce livre, mais je croyais l’avoir déjà fait, au moins deux fois, j’étais même persuadé d’avoir mis mon père dans tous mes livres publiés[22], n’avoir écrit que pour cela, et puis je me suis décidé à les reprendre : mon père avait disparu. Alors je m’y suis mis. Pour de bon.[…] C’est moi qui ai voulu que l’on inscrive « roman » sur la couverture. C’est la seule distance permise, la seule politesse, j’ai aussi changé les noms, mon père s’appelle Carossa, je m’appelle Lindbergh, j’ai choisi ce nom à consonance allemande, je n’ai su qu’après qu’il avait soutenu l’Allemagne pendant la guerre, je m’étais dit un aviateur ça aère. ” [23]

Ce court récit est présenté sous la forme du simple énoncé des faits qui se sont succédé depuis le jour où monsieur Carossa, de retour du banquet de la Sainte-Cécile, s'était senti fatigué et était allé se coucher jusqu'à son décès et à l'arrivée chez lui des employés des pompes funèbres et de ses amis musiciens.Cet énoncé qui s'en tient aux faits sans les interpréter, comme un compte-rendu, est la forme trouvée par le jeune narrateur pour dominer sa peine.Son récit en effet s'ouvre sur la lecture, "à haute voix" par son père devant sa mère, du menu offert par l'Harmonie municipale au restaurant gastronomique où s'est réunie la fanfare à laquelle il appartient et il se termine sur le don de son saxophone à un musicien peu avant la mise en bière : " Tu descends dans la cave pour revoir le saxophone de ton père, qui fut le seul à posséder, a-t-elle dit, un si bel instrument. Tu le sors de son écrin de velours rouge. Le secrétaire de l'Harmonie municipale est arrivé, il reste debout sous la véranda et ma mère discute avec les employés des pompes funèbres.Il y a ses copains du café, du PMU et quatre ou cinq musiciens qui demandent lequel d'entre eux aura droit au saxophone." Symbole d'un talent, d'une existence humaine et de sa reconnaissance sociale, le saxophone de son père disparaît, emporté en même temps que son cercueil. Le cœur du lecteur se serre à nouveau quand le narrateur prend conscience qu'avec la disparition de son père, il perd également sa mère : " Ma mère est morte en même temps que lui, le jour de la toilette mortuaire, quand elle l'a rasé, et quand elle m'a demandé de tendre la peau de son visage, pour que la lame atteigne les plis au plus profond. Ensuite, elle a traversé la vie comme s'il était encore là. Ma mère est morte suicidée sur le corps de mon père après qu'elle lui a enfilé une paire de chaussures neuves. C'est un suicide par lenteur. Elle est plus forte que la vie. Elle est partie avec lui. Elle est devenue une ombre. Sans parole, sans corps, quelque chose qui pense et qui erre. " Parce qu'elle ne montrait pas ses sentiments, le narrateur ne se doutait pas de la force de l'amour que ressentait sa mère pour son mari. On n'exprime pas ses sentiments dans cet univers de gens modestes pas plus qu'on ne les analyse.On ne se révolte pas non plus d'une vie écourtée par l'oubli de soi qui consiste à ne pas se protéger des risques professionnels, pas plus qu'on ne se révolte non plus contre l'oubli des autres, de ceux qui ont la charge de cette protection, dans ce monde des "petites gens" selon la définition de Simenon : "Ils ne sont pas des petites gens par leur mentalité ou leur esprit, mais par le rang social où ils sont placés, tous ceux qui sont sincères, sans cynisme, qui n'ont donc pas compris la loi de la jungle."[24].

Le récit de ce drame vécu par Yves Ravey fait penser à Thomas Bernhard et à Samuel Beckett : "Romancier décalé, disciple de Thomas Bernhard et beckettien dissident, Yves Ravey s'oublie cette fois jusqu'à l'épure de quelques traits, quelques mots pour dire seulement l'obstination de menus gestes, la modeste absurdité d'un destin. Il lui suffit de peu et son père est là, fantomatique et bougon, dans le décor exact de Besançon, à l'atelier ou dans sa maison bancale, à la pêche ou dans sa vieille Peugeot 203… Pas d'effet de réel, pourtant : seulement l'évidente vérité des lieux, pour dire au plus près la fin d'un homme – et donc sa vie. Le Drap est une manière de tombeau, où les adjectifs sont comptés comme le temps, de plus en plus court à mesure que le blanc gagne."[25].

"L’écriture d’Yves Ravey séduit par sa manière de se jouer des frontières entre roman et théâtre", dans sa présentation de l'œuvre théâtrale d'Yves Ravey, le site Théâtre Contemporain.Net cite les propos de l'auteur sur son travail : « À l'origine de mon théâtre, il y a un "ressenti", le sentiment d'une oralité très présente dans mes romans (…). C'est moi qui choisis d'appeler "roman" un texte comme Le Drap où je raconte la maladie de mon père. (…).Mais je ne fais pas de véritable distinction. Il s'agit d'abord d'écriture. » [26]

L'audience d'Yves Ravey a pris de l'ampleur. La sortie de ses livres suscite de nombreuses critiques élogieuses dans les magazines et les journaux en France et dans les pays francophones.Il est invité à la radio, dans des colloques et dans les universités. Ses pièces de théâtre sont jouées et ses lecteurs attendent la publication de ses livres.

Ĺ’uvre

Théâtre
  • Monparnasse reçoit, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Théâtre », , 126 p. (ISBN 978-2-7073-1606-6)
  • La Concession Pilgrim, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Théâtre », , 62 p. (ISBN 978-2-7073-1694-3)
  • Les Belles de PĂ©kin (2002) (n.p.)
  • C'est dimanche (2002) (n.p.)
  • La Cuningham (2004) (n.p.)
  • Dieu est un steward de bonne composition, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Théâtre », , 79 p. (ISBN 978-2-7073-1896-1)
  • Les Monstres, Paris, L' Avant-Scène Théâtre, coll. « Les Petites Formes », , 176 p. (ISBN 978-2-7498-1089-8)
    coécrit avec Anne Catherine, Bonnal Denise, Darley Emmanuel, Granouillet Gilles, Kaplan Leslie, Nimier Marie, Pellet Christophe, Rebotier Jacques, Sirjacq Louis-Charles
Autres publications
  • Les Deux Appartements-chambre, Saint-Fons, France, Éd. du Centre d'arts plastiques de Saint-Fons, , 39 p. (ISBN 978-2-913716-28-5)
    Publ. Ă  l'occasion de l'installation "Les deux appartements-chambre", Saint-Fons, Centre d'arts plastiques, 11 septembre-16 octobre 2004.

Distinctions

Notes et références

  1. Spécialiste de la vie et de l'œuvre de Georges Simenon, Pierre Assouline est l'auteur d'une biographie du grand romancier belge (Simenon : biographie, Paris : Julliard, 1992 - (ISBN 2-260-00994-8)) et d'un autodictionnaire qu'il lui a consacré et dont les entrées sont constituées exclusivement d'extraits de ses écrits et de ses entretiens (Autodictionnaire Simenon, Paris : Omnibus, 2009 - (ISBN 978-2258080096)).
  2. Pierre Assouline et Philippe Claudel ont été élus à l'Académie Goncourt le 11 janvier 2012 aux 10e et 9e couverts.Chaque année, au début du mois de juin, les dix jurés de l'Académie Goncourt se réunissent et établissent une liste de «conseils de lectures pour l'été» : "Un notaire peu ordinaire" se trouve sur la liste des seize livres conseillés pour l'année 2013.
  3. L'expression "mots-matière" a été imaginée par Simenon : "[…] j'emploie presque toujours des mots concrets. J'essaie d'éviter les mots abstraits ou poétiques […]". Pierre Assouline, Autodictionnaire Simenon, Éditions Omnibus, 2009, page 414, entretien de Georges Simenon avec Carvel Collins, 1956.
  4. Article du 3 mars 2013 de "La République des livres".Répondant à la demande de Laurent Demoulin, maître d’œuvre du projet de Cahier de L’Herne consacré à Georges Simenon, qui lui demandait quels étaient ses héritiers, Pierre Assouline citait parmi ceux-ci Patrick Modiano ( "...le principal, celui que tous mettent en avant comme s’ils le déléguaient pour les représenter à l’unanimité…") et Yves Ravey. Il nuançait son propos en évoquant davantage une "influence" qu'un "héritage" : "Or, si elle est parfois avérée, elle est si diffuse et fragmentée qu’il est plus juste de parler non d’inspiration mais d’imprégnation." Se remémorant une rencontre avec Yves Ravey, Pierre Assouline ajoutait : "Je le connais à peine, pour avoir parlé boutique une fois avec lui, il y a plusieurs années de cela à Bienne (canton de Berne), dans l’antichambre d’une université qui nous avait réunis afin de constituer un jury jugeant des manuscrits ; j’en ai conservé le souvenir d’un homme doux, discret, pudique, passionné de littérature et vraiment pas porté au pastiche. Avions-nous évoqué l’œuvre de Simenon ? Je n’en jurerais pas. Peu importe. À la suite de cette rencontre, je l’ai lu (Le Drap, Pris au piège) et apprécié, tournant autour de ses livres sans trop savoir d’où cela venait. Son dernier roman Un notaire peu ordinaire…m’a mis sur la voie. Pas de malentendu : ce n’est pas du Simenon mais bien du Ravey. Mais la filiation est troublante. De l’histoire elle-même, et pas seulement de la fin, cela va de soi, il faut en dire le moins possible afin de ne pas gâter le plaisir de lecture. Les lignes de la quatrième de couverture suffisent, du lapidaire garanti pur Minuit : Madame Rebernak ne veut pas recevoir son cousin Freddy à sa sortie de prison. Elle craint qu’il ne s’en prenne à sa fille Clémence. C’est pourquoi elle décide d’en parler à maître Montussaint, le notaire qui lui a déjà rendu bien des services ».Pour le reste, d’étouffants secrets de famille, l’éclairage de la véranda, la visite du gendarme, le café sur la table de jardin sous l’acacia, le bruit de la portière qui claque, le chien qu’il faut toujours avoir près de soi pour susciter la sympathie, l’inquiétude née de la rumeur des pas qui crissent sur le gravier dans la cour, la tension qui monte, menace et impose in fine à l’héroïne de mettre de l’ordre dans sa tête, le mouvement d’une époque, le rythme de la vie comme elle va dans une certaine province de la province française…"
  5. Jean Kaempfer, professeur à l'université de Lausanne, s'est intéressé aux filiations littéraires d'Yves Ravey : "L'existence de pactes de lecture n'est nulle part plus évidente que dans les genres très codés, le conte de fées par exemple, ou le roman policier. Ainsi, le roman noir américain de l'entre-deux-guerres (Hammet, Chandler) se reconnaît-il à un ensemble de traits thématiques (violence, psychologie sommaire, pessimisme social) et structuraux (détective vulnérable, focalisation externe, ordre narratif synchrone) que Marcel Duhamel avait clairement identifiés au moment où il fondait la Série noire. Jean-Patrick Manchette, au moment où il hérite de cette forme, en développe les possibles avec une grande virtuosité et l'inscrit dans la tradition du travail flaubertien sur la langue. Cette promotion à la française ouvre au polar les portes de la légitimité littéraire. Des écrivains « Minuit » - Echenoz d'abord, puis Yves Ravey, mais aussi Tanguy Viel - en capturent les codes et les déplacent dans une neuve atmosphère." Intervention du 17 septembre 2012 intitulée : " Le polar, de Jean-Patrick Manchette à Yves Ravey : histoire d'une délocalisation générique." ( Troisième colloque international organisé par le groupe de recherches LEA ! (Lire en Europe) sur le thème : Littératures, contrats, ruptures, à l'Université de Cadix.)
  6. "On ne peut aborder sans inquiétude et perplexité un roman d'Yves Ravey. Une inquiétude qui ne cesse d"augmenter et de se confirmer tout au long de la lecture : qu'y a-t-il à comprendre dans ces histoires au réalisme décalé, grippé, troublé et tremblant ? Quel est le sens de ces fables dont le sujet même, parfois, s"évapore - comme dans le deuxième roman, Bureau des illettrés Minuit, 1992) ? Où donc l’auteur veut-il en venir, ou nous emmener ? La brièveté des livres - le sixième roman d’Yves Ravey, Le Drap, Minuit, 2002), qui racontait la mort de son père, compte moins de 80 pages – ne diminue pas ce sentiment d’étrangeté. On cherche à retenir quelque phrase décisive, à souligner un passage, à corner une page qui serait enfin une sorte de clef… Impossible, et l’on poursuit la lecture comme hypnotisé". Patrick Kéchichian, Le Monde, 7 janvier 2005
  7. Article de Nathalie Crom, Télérama, 21 octobre 2009
  8. "Ravey ne joue pas avec nos nerfs ou notre perspicacité de lecteurs. Il ne pose pas une énigme – tout est transparent, au contraire, dans son récit. Il se contente de raconter une histoire, en lui ôtant tout caractère saillant ou spectaculaire, pour ne retenir qu’une courbe d’intensité, une violence sans ostentation, assourdie par les usages sociaux, culturel, familiaux… une certaine figure de la réalité en somme. Celle que l’on néglige habituellement. C’est à partir de la matière la plus banale, la plus terne, que l’écrivain fait venir au jour cette figure inaperçue du réel". Patrick Kéchichian, Le Monde, 7 janvier 2005
  9. Isabelle Rüf rapporte à ce sujet les propos d'Yves Ravey : " « Il faut obéir à la nécessité de circonscrire un fait dans la durée et dans l’espace», dit-il. Si dans Enlèvement avec rançon, les deux frères mangent des œufs au plat, c’est d’abord qu’il faut bien prendre des forces, que le temps est mesuré. «Moi, je vis le truc en même temps. Et comme c’est moi qui fais à manger à la maison, je cuisine là aussi.» Ce repas permet de les faire discuter. «Des gens comme eux ne peuvent se dire des choses importantes que dans l’action.» Les œufs renvoient à ceux que leur préparait la mère le dimanche soir, ils recréent une intimité et permettent de circonvenir le frère de retour. Il laisse de côté les tranches de lard. La piste est précieuse: il est revenu musulman. Dans un roman, tout doit se tenir dans une cohérence absolue et imperceptible, y compris les noms des personnages qui «conjuguent dans la symbolique», à la fois évidents et décalés." Article d'Isabelle Rüf intitulé "La force inquiète d’Yves Ravey" paru le 4 septembre 2010 dans le journal de Genève Le Temps. "Les livres d’Yves Ravey sont brefs […] mais sitôt qu’on les déplie, ils ouvrent sur un monde. Ce monde est souvent celui de l’exploitation (des enfants, des travailleurs). Les bruits du monde y pénètrent – la Yougoslavie dans Bambi Bar, l’Afghanistan dans Enlèvement avec rançon. La Résistance et la collaboration sont aussi là. […] Mais tous ces éléments jouent en sourdine, sans explication ni justification, sans point de vue moral. Ils donnent juste «le reflet effrayant de notre humaine condition».
  10. Article du 24/01/2013 de Laurence Houot dans la rubrique Livres de Culturebox, FranceTV
  11. Jean-Baptiste Harang dans un article intitulé "Le succès de la rançon" paru dans Le Magazine littéraire de septembre 2010
  12. Jean-Baptiste Harang, article intitulé "Fine lame" dans Le Magazine littéraire de décembre 2009
  13. "Nous sommes arrivés en bordure de ville tard le soir.Mathilde m'a demandé de stationner la voiture sortie nord, en zone commerciale, sur le parking d'un motel, à la lumière des néons de la station-service, de l'autre côté du boulevard Charles-Edouard-Jeanneret.C'était son quartier quand elle travaillait encore ici, comme hôtesse d'accueil, dans la boîte de nuit la plus proche, à deux rues de là. Elle a insisté pour que nous prenions une seule chambre, par souci d'économie, en déclarant que je serais très bien sur la banquette, au pied du lit." ("La fille de mon meilleur ami")
  14. Article de Fabrice Gabriel sur "Pris au piège" dans Les Inrockuptibles du 25 janvier 2005
  15. Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 25 janvier 2005
  16. Cfr "Écrivain à la gomme", Le Magazine littéraire, critique du 4 mars 2008 par Jean-Baptiste Harang de Bambi Bar : "Beaucoup écrivent au fil de la plume, et certains, qui nous sont chers, au frein de la gomme. Vassilis Alexakis, à la fin d’une journée d’écriture au crayon à papier, réunissait pour nous du tranchant de la main vers le centre de la table ces petites sciures, petites chiures, copeaux salis, roulés de gomme, puis versait dans le creux de sa paume cette grosse pincée de pensées effacées, avant de les pousser vers la poubelle avec ces mots : « Voilà, toute une journée de littérature. » Yves Ravey est de ceux-là. Pire, ce sont des livres entiers qui filent sur le haut de l’armoire ou dans la mémoire morte de l’ordinateur, serrés les uns contre les autres sans espoir de publication, qu’on les eût refusés ou qu’on eût renoncé à les présenter. Des années et des années à écrire sans cesse pour apprendre à faire peu, pour apprendre à faire court."
  17. "On a souvent pointé chez Ravey la sobriété de son style presque factuel, l’absence inhabituelle d’adverbes et d’adjectifs, ses ellipses, l’absence de psychologisation, bref tout ce qui permet de parler d’écriture blanche".Le professeur Wolfgang Asholt de l'université d’Osnabrück situe l'œuvre d'Yves Ravey entre "minimalisme et écriture blanche" Cfr Revue critique de fixxion française contemporaine et "Minimalisme ou écriture blanche? L'œuvre d'Yves Ravey". Intervention du 19 août 2011 au colloque de 2011 organisé par le Centre Culturel International de Cerisy, intervention publiée dans Narrations d'un nouveau siècle - Romans et récits français (2001-2010) Bruno Blanckeman (dir.) et Barbara Havercroft (dir.), Narrations d'un nouveau siècle : romans et récits français, 2001-2010 : Colloque de Cerisy, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, coll. « Littérature française et comparée », , 320 p. (ISBN 978-2-87854-576-0)
  18. Télérama no 3287
  19. Le titre est bien orthographié ainsi (« Monparnasse » sans « t », et non Montparnasse) http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Monparnasse_re%C3%A7oit-1783-1-1-0-1.html.
  20. Potlesnik : « Il n'y a pas que les travailleurs dans ce pays, il y a aussi les travailleuses, les petites mains, ça donne le moral à la population, à nos pharmaciens qui ont bien besoin d'un peu de réconfort, un peu de liqueur dans un verre avec soleil couchant sur la savane, et corps fleuri et caramel d'une belle hôtesse.» et Walserina confirme à son frère au sujet de Potlesnik : « Sache qu'il est le seul aujourd'hui à jouir de l'agrément de la préfecture, qu'il est le seul à correspondre aux nouvelles normes et qu'il n'a jamais fait de mal, qu'il respecte ces femmes qui pleurent la misère sur les aéroports des pays pauvres et qui attendent de lui qu'il lève le petit doigt pour être élues »
  21. Article de Jean-Baptiste Harang intitulé "Linceul au monde" dans le journal Libération du 13 mars 2003
  22. Dans " Moteur" qui paraît en 1997 quelques années avant "Le drap", Matt, le jeune héros du roman, pense à son père décédé récemment : "...et Matt, se rappelant […] que son père avait été embauché un jour à nettoyer des cuves contenant des émanations d'oxyde de plomb, se souvenait de celui-ci, fanfaronnant, disant qu'il se passerait de masque de protection, Matt, par le fait, se rappelait cette déclaration de son père au seuil de la maladie : c'est inutile les masques à gaz, devant sa mère qui lui avait reproché de saisir toutes les occasions qui se présentaient pour parachever ce cycle d'autodestruction, qui va bientôt atteindre son étape ultime, avait-elle affirmé, sans savoir, ou le sachant, que les premiers symptômes allaient survenir, et précipiter la famille de Matt dans quelque chose qui se rapprocherait de ce que le médecin nommerait six mois plus tard le stade terminal de la maladie…"
  23. Propos d'Yves Ravey rapportés par Jean-Baptiste Harang dans son article "Linceul au monde", Libération, 13 mars 3003
  24. Cfr Pierre Assouline, Autodictionnaire Simenon, Éditions Omnibus, 2009, page 487, entretien de Georges Simenon avec Adolphe de Falgairolle, Présent, été 1943.
  25. Fabrice Gabriel, "Toutes les étapes de la mort d'un père", Les Inrockuptibles, 26 mars 2003
  26. Site Théâtre Contemporain.Net

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