Y avait dix filles dans un pré
Y avait dix filles dans un pré est une chanson populaire française du XVIIIe siècle, évoquant, sous la Régence, le choix d'une épouse par le jeune Louis XV ou le mariage scandaleux d'un bâtard de Louis XIV, Louis-Auguste de Bourbon — bien que le sujet précis demeure obscur.
Une version légèrement différente de celle qui s'est démocratisée aujourd'hui existait déjà dans les environs d'Honfleur en 1844, rapportée par le Globe du de cette année ; elle est citée comme une énigme dans une lettre d'Alfred de Musset à Ulric Guttinguer[1]. Souvent datée du siècle des Lumières[2], ce que contesta Paul Bénichou[3], elle est un classique de la chanson enfantine.
Paroles (fin du XIXe siècle)
Y avait dix filles dans un pré
Toutes les dix Ă marier.
Yavait Dine,
Y avait Chine,
Y avait Suzette et Martine.
Ah ! ah l
Catherinette,
Catherina !
Y avait la jeune Lizon,
La comtesse de Montbazon,
Y avait Madeleine
Et... puis la Dumaine.
Toutes les dix Ă marier
Le fils du roi vint Ă passer ;
Lorgna Dine
Lorgna Chine,
Lorgna Suzette et Martine.
Ah ! ah !
Catherinette,
Catherina !
Lorgna la jeune Lizon,
La comtesse de Montbazon,
Lorgna Madeleine
Embrassa... la Dumaine,
Ă€ toutes il fit un cadeau,
Ă€ toutes il fit un cadeau,
Bague Ă Dine
Bague Ă Chine,
Bague Ă Suzette et Ă Martine
Ah ! ah !
Catherinette,
Catherina !
Bague Ă la jeune Lizon,
La comtesse de Montbazon,
Bague Ă la Madeleine
Diamants Ă la Dumaine.
Puis il fallut s'aller coucher
Puis il fallut s’aller coucher
Paille Ă Dine,
Paille Ă Chine,
Paille Ă Suzette et Ă Martine,
Ah ah !
Catherinette,
Catherina !
Paille Ă la jeune Lizon,
La comtesse de Montbazon,
Paille Ă Madeleine,
Beau lit Ă la Dumaine.
Puis toutes il les renvoya
Puis toutes il les renvoya,
Chassa Dine,
Chassa Chine,
Chassa Suzette et Martine.
Ah ! ah !
Catherinette,
Catherina !
Chassa la jeune Lizon,
La comtesse de Montbazon,
Chassa Madeleine
Et garda... la Dumaine.
— Max Buchon, Chants populaires de la Franche-Comté, Recueil de comptines (Paris, 1878)
Chez GĂ©rard de Nerval
Voici ce qu'en dit Gérard de Nerval en 1852 dans La Bohème Galante :
« La route se prolongeait comme le diable, et l’on ne sait trop jusqu'où le diable se prolonge. — Sylvain m’apprit encore une fort jolie chanson, qui remonte évidemment à l’époque de la Régence :
Y avait dix filles dans un pré [...]
Vous voyez, mon ami, que c’est là une chanson qu’il est bien difficile de faire rentrer dans les règles de la prosodie. -
Toutes les dix Ă marier [...]
La suite est la répétition de tous ces noms et l'augmentation progressive des galanteries de la fin. Quelle folie galante que cette ronde, et qu'il est impossible d'en rendre la grâce à la fois aristocratique et populaire ! Heureuse Dumaine ! heureux fils du roi! — Louis XV enfant, peut-être. »
Nerval, élevé dans la campagne de Mortefontaine, connaissait bien l'atmosphère d'un XVIIIe siècle rémanent chez les paysans du début du XIXe siècle[4] ; il interprète du reste cette chanson comme originaire du pays de Valois, en Picardie.
Dans la littérature
La comptine, bien que légèrement tombée en désuétude au XXIe siècle, est régulièrement citée dans la littérature pour son caractère entêtant, à l'instar de Trois jeunes filles (Jules de Marthold, 1886) ; de Pourquoi viens-tu si tard (Hervé Le Boterf, 1960) ; d'Ithaque ou le beau voyage (Constantin Cavafy et Vassili Karist, 2001)...
Notes et références
- Léon Séché, La jeunesse dorée sous Louis-Philippe, Paris, Mercure de France, , 361 p.
- Gabriel Vicaire, « La poésie populaire et les poètes français », Revue des traditions populaires, n°9-10,‎ , p. 265
- Paul Bénichou, Nerval et la chanson folklorique, Paris, Librairie José Corti, , 390 p., p. 308-311
- Seymour Oliver Simches, Le romantisme et le goût esthétique du XVIIIe siècle, Presses Universitaires de France,