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Voie de fait en droit administratif français

La voie de fait, en droit administratif français, correspond à une mesure ou une action gravement illégale de l'administration, qui porte une atteinte grave à une liberté individuelle ou conduit à une extinction du droit de propriété (Cf : Tribunal des conflits, , Bergoend c./ Société ERDF Annecy Léman).

La théorie de la voie de fait est d'origine jurisprudentielle. Elle protège des droits des administrés en ce qu'elle entraîne pour l'Administration la perte de la majeure partie de ses privilèges traditionnels.

Caractéristiques de la voie de fait

Il y a voie de fait si l'administration accomplit un acte matériel représentant une irrégularité manifeste :

  • soit parce qu'elle exĂ©cute une dĂ©cision ne se rattachant pas Ă  un pouvoir qui lui appartient (comme une dĂ©cision grossièrement illĂ©gale, ou dĂ©jĂ  annulĂ©e auparavant par une juridiction) ; on parle alors de voie de fait par manque de droit ;
  • soit parce qu'elle exĂ©cute selon une procĂ©dure grossièrement illĂ©gale une dĂ©cision mĂŞme lĂ©gale ; on parle alors de voie de fait par manque de procĂ©dure.

Cet agissement doit porter atteinte grave à une liberté individuelle ou conduire à l'extinction du droit à la propriété mobilière ou immobilière.

Les juges judiciaires deviennent alors compétents pour connaître de cette irrégularité, à titre exclusif en matière d'action en responsabilité, et concurremment avec les juges administratifs pour prononcer l'annulation de l'acte.

Jurisprudence

  • Tribunal des conflits, , Action française[1]
  • Conseil d'État, Carlier[2]
  • Tribunal des Conflits, , Eucat
  • Tribunal des Conflits, , PrĂ©fet de Police de Paris c. Tribunal de Grande Instance de Paris
  • Tribunal des Conflits, , Bergoend

Évolution du régime de la voie de fait

Cette théorie est aujourd'hui « une des constructions jurisprudentielles les plus controversées du droit administratif français » selon Damien Thierry, « outil utile mais d'un maniement délicat »[3]. Une partie importante de la doctrine la remet en cause : ce serait, pour le professeur René Chapus, « la folle du logis, présente là où on l'attend le moins, et perturbatrice au-delà de l'acceptable »[4], et feraient que « les victimes de l'arbitraire ploient sous le poids de traditions devenues anachroniques »[5].

Notamment, la loi du relative au référé devant les juridictions administratives modifie les règles relatives à la voie de fait, en créant auprès des tribunaux administratifs un référé « liberté fondamentale », qui pouvait être en concurrence avec la théorie de la voie de fait.

En effet, la voie de fait et le référé liberté fondamentale trouvent tous deux application dans le cas d'une atteinte grave et manifestement illégale. Toutefois, ils ont des champs d'applications différents :

  • Quant aux droits en jeu : l'atteinte au droit de propriĂ©tĂ©, qui est visĂ©e dans le cadre de la voie de fait, ne l'est pas expressĂ©ment en matière de rĂ©fĂ©rĂ©-libertĂ©. Cette possible diffĂ©rence n'en est plus une depuis que le Conseil d'État a qualifiĂ© le droit de propriĂ©tĂ© de "libertĂ© fondamentale" au sens de la loi du [6].
  • Quant Ă  l'urgence : le rĂ©fĂ©rĂ©-libertĂ© suppose de dĂ©montrer l'urgence, alors que l'application de la thĂ©orie de la voie de fait ne dĂ©pend pas de cette preuve. Cette diffĂ©rence est Ă  relativiser : la violation des droits fondamentaux par une voie de fait va gĂ©nĂ©ralement entraĂ®ner des dommages graves et irrĂ©versibles, ce dont il rĂ©sulte nĂ©cessairement l'urgence Ă  faire cesser l'atteinte. Ainsi, en pratique, le juge naturel de la voie de fait est le juge civil des rĂ©fĂ©rĂ©s (l'atteinte Ă©tant par ailleurs manifestement illĂ©gale, nulle contestation sĂ©rieuse ne peut ĂŞtre soulevĂ©e)
  • Quant Ă  la cause de l'atteinte : la vĂ©ritable diffĂ©rence entre les deux mĂ©canismes rĂ©side dans la cause de l'atteinte. Par le jeu des règles de compĂ©tence respective de l'ordre judiciaire et administratif, le rĂ©fĂ©rĂ©-libertĂ© n'est pas applicable en matière de voie de fait. La voie de fait Ă©tant constituĂ©e par une dĂ©cision manifestement illĂ©gale "insusceptible de se rattacher Ă  un pouvoir de l'administration", on a laissĂ© au rĂ©fĂ©rĂ© libertĂ© le soin de suspendre les dĂ©cisions "susceptibles de se rattacher Ă  un pouvoir de l'administration". Ce critère est assez dur Ă  saisir, ce d'autant que sa dĂ©finition est changeante. Selon une conception restrictive, il y a voie de fait si l'atteinte est causĂ©e par l'utilisation d'un pouvoir dont l'Administration, au sens large du terme, ne dispose pas. Selon une acception plus large de la thĂ©orie, l'apprĂ©ciation se fait au regard des pouvoirs dont l'organe administratif au centre du litige dispose. La jurisprudence rĂ©cente semble dĂ©sormais se porter sur la deuxième dĂ©finition[7] après s'ĂŞtre portĂ©e sur la première[8].

Notes et références

  1. Lire l'analyse de l'arrêt du Tribunal des conflits du 8 avril 1935, Action Française sur le site du Conseil d'État, et l'arrêt Tribunal des conflits, 8 avril 1935, Action française sur Légifrance.
  2. Voir l'arrĂŞt du 18 novembre 1949, Carlier sur LĂ©gifrance.
  3. AJDA 1966, p. 490
  4. R. Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 10e éd., 1996, p. 90.
  5. F. Burdeau, Histoire du Droit administratif, Paris, PUF, 1er Ă©d., 1995, p. 452.
  6. CE 29 mars 2002 no 24338
  7. Tribunal des conflits 15 février 2010 n°C3722, qualifiant de voie de fait la coupe d'arbres sur une propriété privée par une administration pénitentiaire ; si le directeur de prison n'avait pas ce pouvoir, un autre organe administratif en disposait
  8. Tribunal des conflits 12 mai 1997 no 0306, ne qualifiant pas de voie de fait la décision de détenir des étrangers en situation incertaine à bord d'un bateau ; si l'autorité ayant décidé la détention n'en avait pas le pouvoir, l'administration le pouvait

Voir aussi

Articles connexes

Texte juridique

Ouvrages

  • Marceau Long, Prosper Weil, Guy Braibant, Pierre DelvolvĂ© et Bruno Denevois, Les grands arrĂŞts de la jurisprudence administrative, Paris, Dalloz-Sirey, coll. « Grands arrĂŞts », , 15e Ă©d., 974 p. (ISBN 978-2-247-06121-1, OCLC 469914587), Action française (no 49), p. 301
  • Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, PrĂ©cis de droit administratif [dĂ©tail des Ă©ditions]

Articles de revues

  • Damien Thierry, « La jurisprudence Eucat dix ans après : sa portĂ©e sur la thĂ©orie de la voie de fait », Revue française de droit administratif,‎ , p. 524 (ISSN 0763-1219)

Liens externes

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