Typologie rythmique des langues
La typologie rythmique est une branche de la typologie linguistique qui traite de la classification des langues selon leur rythme, c'est-à -dire l'ensemble des qualités rythmiques de la parole, en particulier la distribution des syllabes au cours du temps.
En effet, dans toutes les langues, l'Ă©mission de la parole est fondĂ©e sur une succession d'unitĂ©s sonores ; certaines d'entre elles jouent un rĂŽle privilĂ©giĂ© en donnant naissance par leur rĂ©pĂ©tition au rythme des phrases. De façon simplifiĂ©e, on peut dire qu'il existe trois modes connus d'affectation des unitĂ©s de temps (ou battements) aux mots : sur lâaccent tonique, la syllabe ou la more.
Types de langues par rythmes
La distinction la plus couramment opérée sépare deux ou trois types fondamentaux.
- Dans une langue accentuelle, les syllabes peuvent avoir des durĂ©es diffĂ©rentes, mais le temps compris entre deux syllabes accentuĂ©es est approximativement constant. L'anglais, l'allemand, le nĂ©erlandais, le russe ou le portugais sont des exemples typiques de langues accentuelles. Lors d'une Ă©locution rapide, une langue accentuelle raccourcit, assourdit, ou mĂȘme supprime des voyelles afin d'Ă©mettre un nombre plus grand de syllabes entre deux accents toniques, sans changer beaucoup son rythme de base.
- Dans une langue syllabique, la prononciation de chaque syllabe prend approximativement le mĂȘme temps, si bien que la durĂ©e effective de chacune d'elles dĂ©pend de la situation. Le français, l'espagnol, le turc, le finnois, le cantonais ou le latin vulgaire sont des exemples de langues syllabiques. Lors d'une Ă©locution rapide, une langue syllabique emploie un rythme plus rapide afin d'Ă©mettre un nombre plus grand de syllabes par seconde.
- On parle de langue morique pour un sous-ensemble de langues dont le rythme est comparable à celui des langues syllabiques, mais dont l'unité rythmique de base est la more plutÎt que la syllabe. Le japonais, le gilbertin ou le latin classique en sont des exemples
Historique
La typologie moderne des langues selon leur rythme a été proposée par Kenneth Pike en 1945. Cependant, certains travaux sur le rythme des langues sont bien antérieurs à cette date : déjà dans son traité Prosodia Rationalis (1779), le linguiste Joshua Steele énonçait l'idée que les accents tombent à intervalles réguliers en anglais. Lloyd James (1940) proposait une classification similaire entre les langues à rythme de mitrailleuse et les rythmes morse.
à la fin des années 1960, David Abercrombie appuie la théorie de Pike et renforce l'idée d'une classification dichotomique entre langues accentuelles et langues syllabiques[1]. Il introduit le concept d'isochronie : l'existence d'intervalles réguliers pour chaque langue, à savoir les intervalles entre accents toniques pour les langues accentuelles et entre syllabes pour langues syllabiques. La catégorie des langues moriques a été introduit ultérieurement. D'un point de vue purement physique (acoustique), l'hypothÚse d'isochronie, selon laquelle des unités rythmiques d'une langue (accents ou syllabes) se succÚdent à un rythme approximativement constant, ne s'est pas vérifiée expérimentalement[2]. Roach (1982) a été l'un des premiers a réfuter la théorie d'isochronie[3]. Par la suite (Bertinetto 1977, Dauer 1983) ont expliqué la différence de perception par un ensemble de différences phonologiques entre langues accentuelles et langues syllabiques, en parlant de continuum, plutÎt qu'une distinction claire entre ces deux familles[4]. En 1999, Franck Ramus montre qu'une mesure des variations temporelles des intervalles vocaliques et consonantiques permet de dissocier les langues syllabiques et langues accentuelles[5].
Nature de la distinction
AprÚs que la théorie de l'isochronie eut été réfutée, les linguistes ont expliqué la différence de perception par un ensemble de différences phonologiques, comme la présence de voyelles réduites ou la complexité des structures syllabiques.
Psychologiquement, la diffĂ©rence a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme provenant de deux formes de perception diffĂ©rentes du rythme. Quand nous entendons un rythme rapide, typiquement plus rapide que 330 millisecondes (ms) par battement, nous le percevons comme un tout. Nous pouvons imiter le son d'une mitrailleuse, mais nous pouvons difficilement en compter les coups. En revanche, lorsque nous entendons un rythme lent, typiquement plus lent que 450 ms par battement, nous percevons chaque battement sĂ©parĂ©ment. Nous pouvons facilement contrĂŽler la vitesse d'un rythme lent battement par battement, comme un battement de mains. Si une langue possĂšde une structure syllabique simple, la diffĂ©rence entre la syllabe la plus simple et la syllabe la plus complexe dans cette langue n'est pas trĂšs grande, et il est possible d'Ă©noncer n'importe quelle syllabe en moins de 330 ms. Ainsi nous pouvons utiliser le rythme syllabique rapide. Si une langue possĂšde des syllabes complexes comme celles contenant de nombreux groupes de consonnes, la diffĂ©rence entre syllabes peut ĂȘtre trĂšs grande, comme entre a et strengths en anglais. Dans ce cas, nous devons utiliser le rythme accentuel lent.
Variations
Une telle classification doit cependant ĂȘtre relativisĂ©e, la langue parlĂ©e Ă©tant moins stable que la langue Ă©crite ; ainsi, la façon dont les phrases sont rythmĂ©es peut Ă©voluer avec le temps, ou varier d'une rĂ©gion Ă une autre. Par exemple, le portugais europĂ©en est plus caractĂ©ristique d'une langue accentuelle que la norme brĂ©silienne. Cette derniĂšre a mĂ©langĂ©[6] et varie en fonction du dĂ©bit de la parole, du sexe de l'interlocuteur et du dialecte. En parole rapide, le portugais brĂ©silien est plus proche d'une langue accentuelle qu'en Ă©locution lente, plus proche d'une langue syllabique. Les accents ruraux, du sud de Rio Grande do Sul et du Nord-Est (en particulier Ă Bahia) sont considĂ©rĂ©s comme plus proches d'une langue syllabique que les autres, tandis que les dialectes du sud-est, comme le Mineiro dans le centre de Minas Gerais, Ă SĂŁo Paulo, sur la cĂŽte nord et dans les rĂ©gions orientales de SĂŁo Paulo et Fluminense (pt), le long de Rio de Janeiro, Ă Espirito Santo et Ă l'est du Minas Gerais et du District fĂ©dĂ©ral, sont le plus souvent des langues accentuelles. En outre, les locuteurs masculins en portugais brĂ©silien parlent plus vite que les locutrices et d'une maniĂšre plus proche d'une langue accentuelle[7].
Annexes
Notes et références
- (en) David Abercrombie, Elements of General Phonetics, Edinburgh U.P., p. 97.
- Antonio Pamies BertrĂĄn, Prosodic Typology: On the Dichotomy between Stress-Timed and Syllable-Timed Languages
- (en) Roach, P., « On the distinction between âstress-timedâand âsyllable-timedâlanguages », Linguistic controversies, vol. 73, no 79,â
- (en) Dauer, R., « Stress-timing and syllable-timing reanalyzed », Journal of Phonetics, no 11,â , p. 51-62
- Frank Ramus, Ătude sur la discrimination des langues par la prosodie
- (pt) Leda Bisol, « O troqueu silĂĄbico no sistema fonolĂłgico (Um adendo ao artigo de PlĂnio Barbosa) », DELTA: Documentação de Estudos em LingĂŒĂstica TeĂłrica e Aplicada, vol. 16, no 2,â , p. 403â413 (ISSN 0102-4450 et 1678-460X, DOI 10.1590/S0102-44502000000200007, lire en ligne, consultĂ© le )
- Alexsandro R. Meireles, JoĂŁo Paulo Tozetti, RogĂ©rio R. Borges ; Speech rate and rhythmic variation in Brazilian Portuguese; Phonetics Laboratory, Federal University of EspĂrito Santo, Speech Prosody Studies Group, Brazil
Bibliographie
- Kono, Morio. (1997). "Perception and Psychology of Rhythm." Accent, Intonation, Rhythm and Pause.
Liens externes
- (fr) [PDF] Frank Ramus, « La discrimination des langues par la prosodie » (consulté le )
- (en) [PDF] Antonio Pamies Bertrån, « Prosodic Typology: On the Dichotomy between Stress-Timed and Syllable-Timed Languages » (consulté le )
- (en) [PDF] Frank Ramus, « Languagesâ rhythm and language acquisition » (consultĂ© le )
- (en) Correlatore un logiciel libre qui calcule automatiquement les corrélats du rythme