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Théorie des apparences

La thĂ©orie des apparences est une thĂ©orie juridique mise en avant par la Cour europĂ©enne des droits de l'homme depuis ses arrĂȘts Delcourt[1] puis Borgers[2], oĂč elle affirme l'importance attribuĂ©e aux apparences et Ă  la sensibilitĂ© accrue du public aux garanties d'une bonne justice.

Caractéristiques

L'affaire Delcourt c. Belgique consacre l'adage « Justice must not only be done; it must also be seen to be done » : la justice ne doit pas seulement ĂȘtre dite, elle doit Ă©galement donner le sentiment qu'elle a Ă©tĂ© bien rendue (§ 31 de l'arrĂȘt CEDH).

Jean Du Jardin, procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de cassation belge, explique que cet adage a Ă©tĂ© formulĂ© pour la premiĂšre fois par Lord Gordon Hewart dans l'arrĂȘt The King v. Sussex Justices (en) (), dans une affaire mettant en cause l'impartialitĂ© d'un juge.

Cet adage est devenu une formulation d'un principe du droit judiciaire anglo-saxon en considération duquel si le juge doit intervenir pour que justice soit rendue, il doit le faire de telle sorte que justice paraisse avoir été bien rendue[3].

La version originale de l'adage est : « It is not merely of some importance but it is fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done » ce qui peut se traduire comme « Il n'est pas d'une quelconque importance mais c'est une importance fondamentale que la justice ne soit pas seulement rendue formellement mais qu'elle le soit impérativement de façon à écarter l'existence de tout doute » (Jean Du Jardin cite les recherches de Marie-Rose Monami, magistrate à la Cour de cassation).

La Cour de Strasbourg sanctionne le formalisme qui porte atteinte Ă  l'effectivitĂ© du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable, le pharisianisme judiciaire, dans l'arrĂȘt RTBF c. Belgique du [4] en relevant que « Ces Ă©lĂ©ments suffisent Ă  la Cour pour conclure que la Cour de cassation a fait en l'occurrence preuve de formalisme excessif (
). Il y a donc eu violation de l'article 6, § 1 de la Convention » (§ 74 et 75).

La thĂ©orie des apparences est Ă©galement trĂšs largement expliquĂ©e dans l'arrĂȘt Guja contre Moldavie[5].

C'est ainsi que la Cour explique dans cette derniĂšre dĂ©cision, rendue le , et prĂ©cise le sens et la portĂ©e de la thĂ©orie des apparences dictĂ©e par la confiance indispensable de l'opinion en ses institutions pour garantir la dĂ©mocratie (§ 90), mais que celle-ci ne doit pas ĂȘtre un prĂ©texte pour jouer de celle-lĂ  abusivement (§ 91) :

« 90. La Cour observe qu'il est dans l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de maintenir la confiance des citoyens dans l'indĂ©pendance et la neutralitĂ© politique des autoritĂ©s de poursuite d'un État (voir, mutatis mutandis, Prager et Oberschlick c. Autriche, arrĂȘt du , sĂ©rie A no 313, § 34[6]). (
) la conclusion tirĂ©e par le journal dans ses articles, Ă  savoir que le parquet gĂ©nĂ©ral faisait l'objet d'une influence indue, peut avoir produit de forts effets nĂ©gatifs sur la confiance du public dans l'indĂ©pendance de cette institution.

91. Cela dit, la Cour considĂšre que l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Ă  ce que soient divulguĂ©es les informations faisant Ă©tat de pressions et d'agissements illicites au sein du parquet est si important dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique qu'il l'emporte sur l'intĂ©rĂȘt qu'il y a Ă  maintenir la confiance du public dans le parquet gĂ©nĂ©ral. Elle rappelle Ă  cet Ă©gard qu'une libre discussion des problĂšmes d'intĂ©rĂȘt public est essentielle en dĂ©mocratie et qu'il faut se garder de dĂ©courager les citoyens de se prononcer sur de tels problĂšmes (Barfod c. Danemark, arrĂȘt du , sĂ©rie A no 149, § 29[7]) »

— ArrĂȘt Guja c. Moldova[5]

La théorie des apparences est transposée en droit français par une circulaire générale du Garde des Sceaux imposant aux chefs de Cour et de parquet de veiller à la crédibilité de l'institution judiciaire et d'écarter tout risque de suspicion dans l'opinion à l'égard de la justice (voir la circulaire du [8] et question parlementaire no 3927 du , sa réponse publiée le [9]).

La théorie des apparences s'impose d'autant plus en France que la Cour européenne des droits de l'homme juge qu'une juridiction nationale confrontée à une jurisprudence européenne « applique directement la Convention et la jurisprudence de la Cour » (Verein gegen Tierfabriken Schweiz c. Suisse, 2007, § 55[10]).

De plus, l'Assemblée pléniÚre de la Cour de cassation française a accueilli et consacré cette jurisprudence européenne en jugeant que :

« Les États adhĂ©rents Ă  la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales sont tenus de respecter les dĂ©cisions de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, sans attendre d'ĂȘtre attaquĂ©s devant elle ni d'avoir modifiĂ© leur lĂ©gislation. »

— Cass. Ass. plĂ©n., , pourvoi no 10-30.313, Bull. 2011[11]

Elle le rappelle dans son Rapport annuel 2011 : « les États qui conservent dans leur ordre juridique respectif une ou des normes nationales similaires Ă  celles qui ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es contraires Ă  la Convention de sauvegarde sont tenus de respecter cette jurisprudence sans attendre d’ĂȘtre attaquĂ©s devant la Cour europĂ©enne (CEDH, , Modinos c. Chypre, requĂȘte no 15070/89) »[12].

Voir aussi

Bibliographie

  • FrĂ©dĂ©ric Sudre, Jean-Pierre MarguĂ©naud, JoĂ«l Andriantsimbazoniva, Adeline Gouttenoire et Michel Levinet, Les Grands arrĂȘts de la Cour europĂ©enne des droits de l'Homme, Paris, Presses universitaires de France, coll. « ThĂ©mis », , 902 p. (ISBN 978-2-13-058226-7)
  • Jean Du Jardin, « L'arrĂȘt Delcourt du », dans Ivan Verougstraete, Christian Storck, Guido Bresseleers, John Kirkpatrick, Imprat Lex : Liber Amicorum Pierre Marchal, Paris, Éditions Larcier, (ISBN 978-2-8044-1116-9)
  • Vincent Berger, Jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l'Homme, Paris, Éditions Sirey, , 13e Ă©d., 953 p. (ISBN 978-2-247-13082-5)
  • Revue trimestrielle des droits de l'Homme
  • Revue des droits de l'Homme

Articles connexes

Références

  1. Delcourt c. Belgique (arrĂȘt), no 2689/65, CEDH 1970-I [lire en ligne]
  2. Borgers c. Belgique (arrĂȘt et satisfaction Ă©quitable), no 12005/86, CEDH 1991-I [lire en ligne]
  3. Du Jardin 2003, p. 37 et s..
  4. RTBF c. Belgique (arrĂȘt et satisfaction Ă©quitable), no 50084/06, CEDH 2011-I [lire en ligne]
  5. Guja c. Moldova (arrĂȘt et satisfaction Ă©quitable), no 14277/04, CEDH 2008-I [lire en ligne]
  6. Prager et Oberschlick c. Autriche (arrĂȘt au principal), no 15974/90, CEDH 1995-I [lire en ligne]
  7. Barfod c. Danemark (arrĂȘt au principal), no 11508/85, CEDH 1989-I [lire en ligne]
  8. Circulaire du relative à la présentation de l'ensemble des dispositions de la loi du et commentaire analytique de celles d'entre elles qui modifient le code de procédure pénale, la loi du sur la liberté de la presse et l'ordonnance du relative à l'enfance délinquante
  9. « Question no 3927 », sur Assemblée nationale
  10. Verein gegen Tierfabriken Schweiz c. Suisse (arrĂȘt et satisfaction Ă©quitable), no 15070/89, CEDH 2009-I [lire en ligne]
  11. Cass. Ass. plén., , pourvoi no 10-30.313, Bull. 2011
  12. Commission du rapport et des études de la Cour de cassation, « Rapport annuel 2011 », sur Cour de cassation,
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