Théorie de l'humus
La théorie de l'humus est une théorie scientifique obsolÚte, considérant que les plantes tirent leurs nutriments de la matiÚre organique des sols. Elle a ensuite été remplacée par la théorie de la nutrition minérale des plantes. Son principal théoricien est Albert Thaer et son principal détracteur est Justus von Liebig.
Le terme d'humus est cependant toujours utilisĂ© en pĂ©dologie et en âŁâŁagronomieâŁâŁ, ⣠bien qu'il tend Ă ĂȘtre remplacĂ© par celui de MOS pour matiĂšre organique des sols.
Histoire
Jusqu'à la fin du XVIIIe siÚcle, le terme d'humus n'est pas utilisé en français, et est utilisé en latin avec le sens de terre ou de sol.
En 1765, lâEncyclopĂ©die de Diderot et dâAlembert dĂ©finis l'humus comme la « terre vĂ©gĂ©tale » (t. 16 : 871)[1]
l'Abbé Rozier, dans son Cours complet d'agriculture, est un des premiers à utiliser le terme d'humus pour déterminer la fraction de la terre qui entre dans la composition des plantes. Cependant, sa définition reste imprécise, pouvant definir une « terre » une « terre végétale » ou un « constituant »[1].
Le chimiste Jean-Henri Hassenfrantz, en 1792, soutien que le charbon, présent dans la terre, est la source du carbone des plantes, et conteste les théories adverses qui voient dans le carbone de l'air la source du carbone des plantes.
En 1804, Nicolas Théodore de Saussure, un chimiste, adopte une position intermédiaire en affirmant que l'air et l'eau sont la source de la majorité de la matiÚre sÚche des plantes, la terre ne fournissant que 1/20Úme du poids[2].
LâHumus est le rĂ©sidu de la putrĂ©faction vĂ©gĂ©tale et animale, câest un corps noir », accompagnĂ©e dâune description dĂ©taillĂ©e de ses propriĂ©tĂ©s (composition, rĂ©activitĂ©, extractibilitĂ©) ([1810] 1812, t. 2 : 102-114),
Mais le vĂ©ritable Ă©vĂ©nement fondateur de la thĂ©orie de l'humus, est la publication des "Principes raisonnĂ©es d'agriculture"[3] par Albert Thaer en 1809, oĂč il considĂšre que la majoritĂ© de la matiĂšre sĂšche des plantes est dĂ©rivĂ©e de l'humus des sols, et que les besoins des plantes en "sucs nutritifs" varient d'une espĂšce Ă l'autre[4]. Dans cet ouvrage il dĂ©finit l'humus comme :
« le rĂ©sidu de la putrĂ©faction vĂ©gĂ©tale et animale, câest un corps noir »[3]
Cette approche trÚs précise de l'humus est encore acceptable aujourd'hui[1].
La théorie de l'humus est ensuite défendue par Humphry Davy et Jöns Jacob Berzelius[2]. Elle présente l'avantage de rester en phase avec l'idée, présente à l'époque, qu'un organisme ne peut se nourrir que de ce qui lui est semblable et que donc que seule de la matiÚre organique peut donner naissance à de la matiÚre organique.
La théorie reste trÚs influente jusque dans les années 1840[5].
Contestation et invalidation de la théorie
Des expĂ©riences prouvant lâabsorption du carbone atmosphĂ©rique par les plantes avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s par Ingenhousz en 1779, Senebier en 1782, De Virey en 1803 et de de Saussure en 1804.
Cependant, ce sont les travaux de Carl Philipp Sprengel et de Justus von Liebig qui contribueront le plus à discréditer la théorie de l'humus. Liebig montre que le fumier, apporté comme engrais, n'est pas directement absorbé par les plantes, mais qu'il se décompose en éléments minéraux qui sont ensuite absorbés. Il démontre ensuite que la plante peut absorber certains éléments nutritifs issus de la fraction minérale des sols (comme le phosphore ou le potassium)[5].
Survie et résurgences
La théorie minérale de la nutrition des plantes aura une influence capitale sur les rendements mondiaux aprÚs la 2nd guerre mondiale donnant lieu à la revolution verte.[6]Cependant, il existe des conséquences négatives liées à la faible restitution d'éléments organiques au sol. Cela se traduit par une diminution du stock de matiÚre organique du sol (en)(MOS) et une dégradation de nombreuses propriétés du sol[6].De plus, cette situation a des répercussions sur l'environnement en réduisant les services écosystémiques que les sols peuvent offrir à l'humanité.
Il est maintenant largement reconnu que le maintien des stocks de MOS, Ă la fois Ă l'Ă©chelle locale et mondiale, revĂȘt une importance capitale pour lutter contre les changements globaux, notamment le changement climatique[6]. Par consĂ©quent, la question de l'humus du sol est devenue un sujet de premier plan dans le contexte des enjeux mondiaux et des nĂ©gociations internationales. Sous le concept de "sĂ©questration du carbone", l'importance de l'humus est Ă nouveau mise en avant[6].
Albert Horward, un des pÚres de l'agriculture biologique, fonde son approche de l'agriculture sur la critique de la théorie minérale de Liebig, et réintroduit une réflexion sur la gestion de l'humus en agriculture, qui sera ensuite développée par le mouvement de l'agriculture biologique[7].
Notes et références
- Christian Feller, Bernard Jabiol et Denis Baize, « Histoires dâhumus, 1. Quâest-ce que lâhumus ? », sur Les mots de l'agronomie, (consultĂ© le )
- Christian Feller, Jean Boulaine, LA RĂAPPARITION DU MOT HUMUS AU XVIIIe SIĂCLE ET SA SIGNIFICATION AGRONOMIQUE, R.F.F. - XXXlX - 6-1987
- Albrecht Daniel Thaer, GrundsÀtze der rationellen Landwirthschaft, Realschulbuchhandlung, (lire en ligne)
- (en) Christian L. Feller, Laurent J.-M. ThuriĂšs, RaphaĂ«l J. Manlay et Paul Robin, « âThe principles of rational agricultureâ by Albrecht Daniel Thaer (1752â1828). An approach to the sustainability of cropping systems at the beginning of the 19th century », Journal of Plant Nutrition and Soil Science, vol. 166, no 6,â , p. 687â698 (ISSN 1522-2624, DOI 10.1002/jpln.200321233, lire en ligne, consultĂ© le )
- Robin, Paul., Aeschlimann, Jean-Paul. et Feller, Christian., Histoire et agronomie : entre ruptures et durĂ©e, Paris, IRD, , 512 p. (ISBN 978-2-7099-1626-4, OCLC 422055680, lire en ligne), Chapitre Sol, humus et nutrition des plantes. De la chimie agricole Ă lâagrogĂ©ochimie. (du 18e au 20e siĂšcle) Georges PĂ©dro
- « Histoires dâhumus, 2. De la « thĂ©orie de lâhumus » Ă la thĂ©orie minĂ©rale â Les Mots de l'agronomie », sur mots-agronomie.inra.fr (consultĂ© le )
- Robin, Paul., Aeschlimann, Jean-Paul. et Feller, Christian., Histoire et agronomie : entre ruptures et durĂ©e, Paris, IRD, , 512 p. (ISBN 978-2-7099-1626-4, OCLC 422055680, lire en ligne), Chapitre Le point de vuedâun agronome. Paul Robin