Théorème de Schmidt
Le théorème de Schmidt est un slogan politique énoncé par le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt le , selon lequel « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ». Ce slogan soutient qu'il faut maximiser les profits des entreprises afin que, en investissant plus, elles créent de l'emploi.
Histoire
Dans les années 1970, Helmut Schmidt souhaite mettre en avant une politique économique d'inspiration néoclassique. Afin de justifier la libéralisation de l'économie, il énonce qu'il est nécessaire, pour réduire le chômage, d'augmenter les profits des entreprises[1]. L'application du théorème ne permet toutefois pas d'augmenter la croissance allemande[2].
L'expression voyage de l'autre côté du Rhin car il est utilisé par le président de la République française Valéry Giscard d'Estaing, qui le cite à plusieurs reprises après 1976[3].
Dans les années 1980, le théorème de Schmidt préside à de nombreuses politiques économiques de « désinflation compétitive », visant à « restaurer les marges des entreprises »[4]. D'abord motivées par les dégâts cumulés des deux chocs pétroliers, inflation et déficits de certaines entreprises, ces politiques économiques vont ensuite considérer que les bénéfices réalisés par les entreprises en haut de cycle économique, doivent rester la norme, même en bas de cycle économique : il faut les restaurer, quelle que soit la conjoncture, la variable d'ajustement étant l'emploi, qui est censé se rétablir plus tard, « après-demain ».
Critiques
Le théorème de Schmidt fait l'objet de débats au sein de la profession économique. La principale critique touche à l'utilisation par les entreprises des profits. L'investissement financier n'est pas nécessairement un investissement productif[3]. En effet, une partie des profits de l'entreprise non reversés aux salariés est utilisé pour verser des dividendes ou pour effectuer des rachats d'actions, ce qui soulève la question de l'effet de ces mesures sur l'emploi.
Liêm Hoang Ngoc soutient que la France a tenté d’appliquer à la lettre le théorème de Schmidt à un tel point que, de tous les pays développés, la France serait celui où le partage des richesses entre salaires et bénéfices a été le plus favorable aux seconds. Il soutient que le taux de marge des entreprises a connu une forte hausse tendancielle entre 1980 et 2012, qui ne s'est pas accompagnée d'une hausse, mais d'une baisse tendancielle des taux d'investissement dans la production de biens et services (hors-dividendes et rachats d'actions)[5]. Selon la Banque de France, toutefois, le taux de marge a augmenté au cours des années 1980, et a stagné depuis[6].
D'autres critiques portent sur le fait que les marges peuvent être utilisés en salaires, dividendes, baisse des prix de ventes ou au désendettement. De plus, l'investissement n'est pas forcément toujours créateur d'emplois. Mais globalement la formule de Schmidt est vérifiée et c'est plutôt les profits qui sont nécessaires à l'investissement et l'investissement à l'emploi[7]. De plus, il faut aussi considérer le fait que les dividendes peuvent être comptabilisés deux fois du fait des montages (une filiale verse des dividendes à sa holding qui distribue ensuite ces dividendes à des actionnaires, ce qui fait qu'un même dividende est comptabilisé deux fois). En prenant cela en compte, la proportion des dividendes dans le PIB est passée de 3 % dans les années 80 pour se stabiliser à environ 5 % après 2000. Aussi, la part de dividendes est variable : la crise a fait chuter leur part entre 2008 et 2010, mais ils sont aujourd'hui à leur niveau d'avant-crise. Aussi, les PME versent peu de dividendes (60 % en 1992 contre 8 % en 2011) tandis que les grandes entreprises en versent autant qu'avant la crise. Encore, les dividendes peuvent être réinvestis, et les actionnaires peuvent être des retraités à travers leur fonds de pension ou des classes moyennes. L'État est aussi actionnaire dans des entreprises du CAC 40 comme GDF-Suez, et en 2014, cette entreprise avait prévu de distribuer 3,6 milliards d'euros de dividendes soit 200 millions de plus que son bénéfice de 2013, car l'État l'avait exigé. Il en fut de même pour Renault (80 % de son bénéfice), Orange (83 %) ou encore EDF (63 %). De plus, cette hausse de la part des dividendes recouvre un changement du mode de financement des entreprises. Jusqu'au milieu des années 90, les entreprises se finançaient grâce aux banques, mais ont ensuite eu des difficultés à le faire et se sont donc tournées vers les marchés financiers (grandes entreprises), leur famille (PME et TPE), les 'business angels" (pour les start-up) et leur maison mère.
En favorisant les profits, et donc le versement des dividendes, le théorème mènerait à une croissance des inégalités de revenu[8].
Notes et références
- « Relance: le maudit théorème de Schmidt », par Malakine, le 9 décembre 2008.
- L'Économie, Société L'Économie-Infipresse, (lire en ligne)
- Gilles Le Bohec, L'Economie de la mante religieuse: essai sur la perversité de l'économie héritée de Friedman, Reagan et Thatcher, une offre détruisant mécaniquement sa demande, Connaissances et Savoirs, (ISBN 978-2-7539-0196-4, lire en ligne).
- Modèles de dissertations d'économie par Jean-Luc Dagut, Éditions Studyrama, 2006, page 70.
- « Les dividendes d'aujourd'hui empêchent la croissance de demain », dans Marianne du 26 février 2008.
- « Alerte rouge sur la rentabilité des entreprises françaises », sur LExpansion.com, (consulté le )
- « L'édito éco », sur France-Inter, .
- Delphine Pouchain, Jérôme Ballet, Julien Devisme et Catherine Duchêne, Économie des inégalités, dl 2020 (ISBN 978-2-35030-675-9 et 2-35030-675-5, OCLC 1232167690, lire en ligne)