Tatouage en Polynésie
Le tatouage historiquement pratiquĂ© en PolynĂ©sie, et aujourd'hui diffusĂ© dans le monde entier, a des origines diverses. En effet lâart du tatouage est intrinsĂšquement liĂ© Ă la culture polynĂ©sienne. Il traduit « ce quâil y a de plus profond dans lâhomme »[1]. Aux Marquises par exemple, « câest la peau qui fait lâEnata [2], qui le rend humain, mortel et non simplement esprit »[1]. Elle est son image et lâexpression de son identitĂ© qui reflĂšte le passĂ©, et dĂ©voile le futur dâune lignĂ©e qui remonte Ă une Ă©poque trĂšs ancienne. Le tatouage avait Ă©tĂ© transmis par les anciens, des ancĂȘtres divinisĂ©s, des dieux et lâon devait sâen montrer digne, sây prĂ©parer physiquement. DĂ©tourner cet art, et ses motifs, de leur destination originelle, câĂ©tait assurĂ©ment risquer leur couroux. L'histoire du tatouage (tatau) est trĂšs difficile Ă retracer, car mĂȘme s'il s'agit d'une pratique ancestrale, on ne peut pas encore la situer avec exactitude dans le temps.
Ătymologie
L'origine du mot tatouage vient d'OcĂ©anie. C'est en effet le capitaine britannique James Cook, Ă la fin du XVIIIe siĂšcle, qui rapporte de ses voyages en PolynĂ©sie le terme de tattoo, dans le journal de son deuxiĂšme voyage[3], avec les tatouages polynĂ©siens retranscrits par Sydney Parkinson, son illustrateur naturaliste l'accompagnant[4]. Le mot tattoo vient de la PolynĂ©sie. Le mot tatau est courant dans de nombreuses cultures polynĂ©siennes. En tahitien tatau veut dire « frapper », qui dĂ©rive lui-mĂȘme de lâexpression « TA-ATUA », combinaison de la racine « TA », littĂ©ralement « dessin inscrit dans la peau », et du mot « ATUA », qui signifie « Dieu ».
Câest en 1769 que le mot tatouage fit son entrĂ©e dans le langage courant, et en 1858 que le mot fut officiellement « francisĂ© » et fit donc son apparition dans le dictionnaire LittrĂ©.
LĂ©gende
Selon la lĂ©gende en PolynĂ©sie, le tatouage serait dâorigine divine. En effet, pendant le PĂŽ[5], la pratique du tatouage aurait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e par les deux fils du dieu Taâaroa : Mata Mata Arahu et Tu Raâi Po. Les deux frĂšres faisaient partie dâun groupe dâartisans dont faisaient Ă©galement partie un autre dieu, celui de lâhabilitĂ©, et Hina Ere Ere Manua, fille du premier homme. Lorsque Hina Ere Ere Manua devint une pahio[6], les deux dieux en tombĂšrent amoureux. Pour la sĂ©duire ils inventĂšrent le tatouage, sâornĂšrent dâun motif appelĂ© Tao Maro Mata et rĂ©ussirent Ă enlever la jeune fille du lieu oĂč elle avait Ă©tĂ© enfermĂ©e depuis quâelle Ă©tait devenue une jeune femme, car poussĂ©e elle aussi par le dĂ©sir elle trompa la vigilance de sa « prison » pour se faire tatouer.
Câest ainsi quâest nĂ© le tatouage en PolynĂ©sie. Cette pratique fut dâabord utilisĂ©e par les deux fils du dieu Taâaroa, puis ils transmirent leur savoir aux hommes qui trouvĂšrent cette pratique trĂšs intĂ©ressante et lâutilisĂšrent en abondance. Les deux frĂšres Mata Mata Arahu et Tu Raâi Po devinrent ainsi les dieux du tatouage.
Histoire du tatouage
Avant lâarrivĂ©e des missionnaires, les PolynĂ©siens nâutilisaient pas le langage Ă©crit, transmettant leur savoir oralement. Les motifs symboliques des tatouages sur le corps permettaient dâexprimer lâidentitĂ© et la personnalitĂ© dâune personne. Ils indiquaient Ă©galement le rang social dans la hiĂ©rarchie, la maturitĂ© sexuelle ou encore la gĂ©nĂ©alogie. Lâart du tatouage Ă©tait considĂ©rĂ© par les PolynĂ©siens comme Tapu [7] et rĂ©servĂ© aux seuls initiĂ©s. Traditionnellement il Ă©tait surtout rĂ©servĂ© aux classes supĂ©rieures (chefs de tribu).
Rite de passage
Le tatouage permettait une valorisation de lâindividu, il le suit toute sa vie tout au long de son parcours. Câest Ă lâadolescence quand le garçon ou la fille sort de lâenfance pour devenir un homme ou une femme que commence ce processus de formation de marquage. Lâindividu est ainsi identifiĂ© Ă la communautĂ© Ă laquelle il appartient, par des motifs le reprĂ©sentant le mieux en tant que personne. Ă ces signes premiers sâajoutaient dâautres au fur et Ă mesure sur lâĂ©volution de lâindividu et de sa maturitĂ© sociale.
Rang social
Plus lâhomme Ă©tait tatouĂ©, plus son prestige Ă©tait grand. Ătre tatouĂ© Ă©tait un signe de force, de pouvoir et de richesse pour lâindividu. Par consĂ©quent on pouvait observer les tatouages les plus Ă©laborĂ©s sur les guerriers ou les chefs. Les individus non tatouĂ©s Ă©taient mĂ©prisĂ©s tandis que ceux qui Ă©taient entiĂšrement tatouĂ©s de la tĂȘte au pied pouvaient jouir dâun grand prestige.
Différenciation homme/ femme.
Homme et femme ne portaient pas les mĂȘmes tatouages.
En effet, ceux des femmes sont moins ornés, mais sont cependant plus élégant et mieux exécutés que ceux des hommes. Elles portent leurs tatouages comme des parures. Les tatouages des femmes sont moins étendus que ceux des hommes, elles se limitent aux extrémités comme les mains, les pieds, les lÚvres. Seules les femmes de haut rang (femme de chef) pouvaient avoir les cuisses et les fesses tatouées.
Les hommes eux ont le corps entiÚrement tatoué.
- Femme de Nuku Hiva, Ăźles Marquises (1894?)
- Guerrier marquisien, 1925.
- Guerrier de Nuku Hiva, 1813.
Renaissance dâune tradition polynĂ©sienne perdue
Peu aprĂšs la dĂ©couverte de la PolynĂ©sie par les missionnaires en 1797, lâart du tatouage fut banni. En effet cet art Ă©tait considĂ©rĂ© par les missionnaires comme « barbare » Ă cause des techniques de lâĂ©poque oĂč lâon utilisait des dents de requins ou des os taillĂ©s pour tatouer. Elle disparut donc pendant plus de 150 ans. Cependant on redĂ©couvrit le tatouage polynĂ©sien grĂące aux notes et aux croquis du missionnaire allemand Karl von den Steinen qui avait fait plus de 400 schĂ©mas de tatouages polynĂ©siens. Cette dĂ©couverte a permis Ă quelques pionniers de rĂ©habiliter le tatouage polynĂ©sien, au cours des annĂ©es 1980, Ă lâoccasion des fĂȘtes de Tiurai[8].
Techniques et outils
Les outils de tatouage traditionnel Ă©taient composĂ©s dâun peigne aux dents en os ou en Ă©cailles de tortue, fixĂ© Ă un manche de bois. Les dents Ă©taient trempĂ©es dans une encre Ă base de charbon de noix diluĂ©e dans lâhuile ou dans lâeau. Autrefois, pour tatouer, on introduisait sous la peau une suie d'un bois calcinĂ© maintenue dans la coque sĂšche d'une noix de coco. Pour obtenir cette Tia Iri[9], on faisait brĂ»ler des amandes de coco et on le diluait dans de l'eau tiĂšde ou de l'huile de coco Ă l'utilisation. On insĂ©rait le tia iri dans la peau grĂące Ă une dent de requin ou un coquillage attachĂ© Ă l'extrĂ©mitĂ© d'un « TA » [10] que l'on frappait par petits coups avec un maillet, provoquant lâincision de la peau et la pĂ©nĂ©tration de lâencre. Le maĂźtre-tatoueur tenait toujours dans l'autre main un petit bout de Tapa[11]. Il rangeait toujours ses instruments dans un Ă©tui en bambou couvert de tapa. Il Ă©tait aidĂ© par des assistants pour tenir le tatouĂ© et pour tendre la peau. Les assistants accompagnaient de temps Ă autre ce rite de chants appropriĂ©s. Cette opĂ©ration Ă©tait longue et douloureuse. La pratique du tatouage avec des outils traditionnels fut interdite en 1986 par le ministĂšre de la santĂ© pour cause dâune mauvaise hygiĂšne des outils qui Ă©taient fait de bois et dâos et donc mal stĂ©rilisĂ©s.
Tatouage polynésien de nos jours
Le tatouage polynĂ©sien revenu au goĂ»t du jour devient de plus en plus populaire auprĂšs des jeunes PolynĂ©siens toujours en quĂȘte dâun retour aux valeurs culturelles et traditionnelles. Ils considĂšrent le tatouage polynĂ©sien comme marque dâune identitĂ© Maohi[12] retrouvĂ©e. De nos jours, de plus en plus de tatoueurs se mettent au style polynĂ©sien. Certains privilĂ©gient le cĂŽtĂ© esthĂ©tique ; dâautres plus le cĂŽtĂ© symbolique. On observera que câest surtout le tatouage marquisien qui revient le plus souvent dans les motifs prĂ©sentĂ©s chez les tatoueurs, car les tatouages tahitiens se confondent avec le tatouage marquisiens ; les motifs sont semblables alors que ça nâĂ©tait pas le cas autrefois. Lâengouement pour les tatouages polynĂ©siens a prolifĂ©rĂ© depuis les annĂ©es 1980 jusquâĂ nos jours et il est dĂ©sormais possible de se faire tatouer avec un motif polynĂ©sien chez nâimporte quel tatoueur du monde.
Références
- Extrait de l'article de M.N Ottino Garanger "Tatouage", paru dans le "Dixit 98" (revue économique, sociale et culturelle de Polynésie française no 7)
- En marquisien, Enata signifie "Ătre humain", l'Homme en gĂ©nĂ©ral
- https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3041697c/ Voyages du Capitaine Cook Tome 2 Texte en ligne] sur Gallica
- (en) « The Cook Myth : Common Tattoo History Debunked : Le mythe de Cook : L'histoire commune du tatouage est démystifiée », sur tattoohistorian.com, (consulté le ).
- Période « Obscure »: Notion qui a été introduite lors de la christianisation de la région au XIXe siÚcle, autre signification le PÎ (signifiant passé, nuit en polynésien) représentait le « monde des morts » contrairement au AÎ (LumiÚre, monde présent) représentant « le monde des vivants ». Pendant la période PÎ, le dieu Taaroa autorisaient les ùmes à retourner sur terre pour s'occuper (en bien) de leurs familles
- Jeune femme
- sacré
- Festivités culturelles polynésiennes
- Teinture en tahitien
- Petit bĂąton en tahitien
- Etoffes fabriquées à partir de l'écorce de certaines plantes ou arbres pour éponger le sang
- Qui est originaire de la Polynésie Française
Voir aussi
Bibliographie
- Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, GF Flammarion
- Catherine Grognard, « Tatouage », dans Encyclopédie Universalis sur CD-ROM
- Ernest Berchon, Le tatouage aux Ăles Marquises, (OCLC 456944347, lire en ligne)
- Karl von den Steinen, Les marquisiens et leur art, vol. 1 : le tatouage, (1re Ă©d. 1925) (EAN 9782367340708, OCLC 950864441)
Filmographie
- Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier, Patutiki, lâart du tatouage des Ăźles Marquises, (prĂ©sentation en ligne) â primĂ© en 2019 au FIFO (festival international du film ocĂ©anien.)
Liens externes
- « Pourquoi les tatouages des ßles Marquises se retrouvent sur les corps du monde entier », sur Télérama, (consulté le ).