Souveraineté alimentaire
La souveraineté alimentaire est un concept développé et présenté pour la première fois par Via Campesina lors du Sommet de l'alimentation organisé par la FAO à Rome en 1996[1]. Il a depuis été repris et précisé par divers courants altermondialistes lors de différents Forums Sociaux Mondiaux.
La souveraineté alimentaire est présentée comme un droit international qui laisse la possibilité aux populations, aux États ou aux groupes d'États de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu'elles puissent avoir un effet négatif sur les populations d'autres pays. Elle se construit à l'origine dans l'objectif de permettre le respect des droits des paysans. La souveraineté alimentaire est donc une rupture par rapport à l'organisation actuelle des marchés agricoles mise en œuvre par l'OMC.
Complémentaire du concept de sécurité alimentaire qui concerne la quantité d'aliments disponibles, l'accès des populations à ceux-ci, l'utilisation biologique des aliments et le problème de la prévention et gestion des crises, la souveraineté alimentaire accorde en plus une importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments. Elle prône un accès plus équitable à la terre pour les paysans pauvres, au moyen si nécessaire d'une réforme agraire et de mécanismes de sécurisation des droits d'usage du foncier.
Au niveau local, les défenseurs de la souveraineté alimentaire favorisent le maintien d'une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les marchés régionaux et nationaux. Les cultures vivrières et l'agriculture familiale de petite échelle sont présentées par les défenseurs de la souveraineté alimentaire comme étant d'une grande efficacité économique, sociale et environnementale, comparée à l'agriculture industrielle et les plantations de grande échelle où travaillent de nombreux salariés. La place et le rôle des femmes sont privilégiés.
Au niveau international, la souveraineté alimentaire implique une réglementation plus poussée des flux de capitaux et financiers étrangers. Ses défenseurs appellent aussi à instaurer des régimes de droits à propriété foncière qui favorisent l'accès et l'usage des sols pour l'agriculture paysanne [2].
La souveraineté alimentaire privilégie des techniques agricoles qui favorisent l'autonomie des paysans. Elle est donc favorable à l'agriculture biologique et à l'agriculture paysanne. Elle refuse l'utilisation des plantes transgéniques en agriculture.
Commerce international
La souveraineté alimentaire est également favorable à ce que les pays en développement, qui souffrent des importations subventionnées des pays développés (surtout les États-Unis et l'Europe) puissent protéger leur marché intérieur, en dépit des accords de libre-échange de l'OMC.
Ce concept concerne en particulier la politique agricole protectionniste européenne, américaine et japonaise. La Confédération paysanne critique les subventions aux exportations des pays du Nord, qui permettent de vendre à l'extérieur à un prix inférieur aux coûts de production, empêchant la survie des paysans du « Sud ».
La souveraineté alimentaire prône un commerce international juste qui[3] :
- autorise des soutiens publics aux paysans, à condition qu'ils ne servent pas directement ou indirectement à exporter à des prix inférieurs aux coûts de production (Dumping) ;
- garantisse un niveau de prix agricoles suffisamment rémunérateur pour que les agriculteurs pauvres puissent investir et sortir de la misère, grâce à des accords régionaux et internationaux de maîtrise de la production (cartel de producteurs comme le pratique l'OPEP) ;
- autorise les différents pays ou groupes de pays à mettre en place, si besoin, des barrières douanières appropriées afin de développer leur propre secteur agricole et augmenter ainsi leur taux d'autosuffisance alimentaire ;
- considère que la satisfaction des besoins alimentaires de l'ensemble de l'humanité est une priorité de premier ordre et une condition essentielle de la paix et la démocratie, alors que plus de 800 millions d'êtres humains souffrent quotidiennement de la faim, ce qui met en évidence la violation flagrante de la Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948 par la plupart des États.
Ce dernier point tend à faire de la souveraineté alimentaire un mécanisme au service du droit à l'alimentation.
Critiques de la notion de souveraineté alimentaire
Les théoriciens libéraux soulignent que de nombreux pays sont dépendants d'exportations agricoles où ils possèdent un avantage comparatif certain. Ainsi, l'ouverture des marchés des pays industrialisés aux importations de produits agricoles peut contribuer à créer de l'activité économique dans les pays en voie de développement. Plus généralement, Jeffrey Sachs et Andrew Warner ont dégagé dans leurs travaux une corrélation entre la croissance annuelle du PIB et le degré d'ouverture de l'économie[4]. Ce qui fait dire à Johan Norberg qu'il est « insensé de réclamer que les pays deviennent autosuffisants »[5].
De façon plus générale, les travaux d'Adam Smith sur l'avantage absolu dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations et de David Ricardo sur l'avantage comparatif dans Des principes de l'économie politique et de l'impôt soulignent qu'en empêchant la spécialisation des pays et la division internationale du travail, on réduit la production totale et donc le revenu de ces pays.
Le concept de souveraineté alimentaire fait l'objet d'une réflexion critique au sein même du mouvement altermondialiste qui reproche à ce concept d'être trop axé sur les dimensions nationale et internationale du problème et de laisser de côté la dimension locale et son articulation avec les autres niveaux. Toutefois, le concept de souveraineté alimentaire est considéré par la plupart de ses promoteurs comme prenant en compte en priorité le droit des populations locales à définir leurs politiques agricoles et alimentaires.
Les altermondialistes opposés au concept de souveraineté alimentaire regrettent également qu'il soit essentiellement défini par rapport aux problèmes des productions agricole et de l'élevage, alors que la question alimentaire touche bien d'autres domaines comme la gestion des forêts, des ressources halieutiques, de l'eau. Cette question ne concerne donc pas seulement les agriculteurs, mais l'ensemble de nos sociétés.
Enfin, les mondialistes déplorent le renforcement des nationalismes auquel peut conduire un concept qui peut mener à une politique d'autarcie et de fermeture.
Tendance : investissements fonciers agricoles à l’étranger
Après une longue période coloniale où quelques pays du nord ont cherché à acquérir des terrains et ressources de pays du sud, de nouvelles pressions foncières émergent, y compris cette fois au sud ou dans les pays dits émergents, pour répondre à la crise qui est écologique et climatique, alimentaire et financière et parfois politique. Fait nouveau, plusieurs dizaines de pays émergents ou du sud cherchent à louer ou acheter des milliers à millions d'hectares dans d'autres pays, parfois très éloignés. Le réseau Grain parle de nouvelle « production alimentaire offshore »[6], souvent au profit d'investisseurs privés étrangers et au détriment de la forêt, de l'environnement, des populations autochtones dont les petits paysans expulsés de leurs terres ou obligés de travailler pour exporter leur production[7]. Par exemple, l'Afrique du Sud négocie la location de vastes superficies de terre au Congo[6] - [8]. Selon le GRAIN, la Banque mondiale et la BERD encouragent ce nouveau commerce mondial au profit d'intérêts privés[6].
La « colonisation des sols » (expression de la ministre sud-africaine de l'agriculture, Tina Joemat-Pettersson, pour souligner que ce phénomène est un héritage direct du colonialisme) s'est aggravé depuis la crise alimentaire mondiale de 2007-2008 mais aussi depuis la demande croissante en agro-biocarburants : entre 2000 et 2011, l'accaparement des terres concerne 203 millions d'hectares dont 134 millions en Afrique subsaharienne qui ont fait l'objet de négociations entre investisseurs privés régionaux ou nationaux et principalement les États propriétaires des terres (selon le principe de domanialité publique)[9].
Notes et références
- DÉCLARATION DU FORUM DES ONG ADRESSÉE AU SOMMET MONDIAL DE L'ALIMENTATION
- Samir Amin, La Souverainté au service des peuples : suivi de L'agriculture paysanne, la voie de l'avenir!, CETIM, , 104 p. (ISBN 978-2-88053-127-0), p. 63 - 90
- texte de Via Campesina sur la souveraineté alimentaire qui a été distribué à Porto Alegre 2003
- Jeffrey Sachs & Andrew Warner, Economic reform and the process of global integration, Brookings Papers on Economic Activity, 1995
- Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2003, p. 99
- rapport intitulé Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, par l'ONG GRAIN, 2008
- Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière (liste des pays concernés et des entreprises en cause), consulté 2009 10 15 (également disponible sous forme de tableau en ligne
- Voir aussi la carte faite par la revue Science et Avenir d'Oct 2009 (p. 18-19), rubrique Decryptage, commentée par Marion Sabourdy
- Jean-Jacques Gabas, « Investissements agricoles en Afrique », Afrique contemporaine, no 237, , p. 45-55
Voir aussi
Articles connexes
Documents
- [PDF] Protéger la paysannerie pauvre dans un contexte de mondialisation, Marcel Mazoyer, FAO, 2001.
- [MP3] Document audio, reportage sur l'agriculture vivrière en Suisse - Licence - Source RSR Radio suisse romande