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Sols de Bretagne

Les sols de Bretagne, comme tous les sols, sont formés grâce à la pédogénèse, c'est-à-dire un ensemble de processus physiques, chimiques et biologiques, ce qui a conduit en Bretagne à différents types de sols. Ces sols bretons ont notamment évolué au cours du Quaternaire et au cours de la période récente, et ont un rôle comme interface dans l’environnement.

Les sols, couche meuble de 50 cm à 2 m d’épaisseur en moyenne, sont le résultat de l’action de processus et facteurs longs et diversifiés. Ces milieux complexes et organisés, multifonctionnels, vivants, variables dans le temps et dans l’espace, ne sont pas renouvelables à l’échelle humaine. Or, ils sont soumis à de multiples dégradations et pressions dont on prend aujourd’hui toute la mesure, qui altèrent la qualité des sols et leur capacité à remplir leurs fonctions. La mise en œuvre des programmes d’inventaire et de surveillance des sols bretons permet progressivement de dresser un diagnostic régional de l’état des sols bretons et d’esquisser des tendances d’évolution de leur qualité.

L'Ă©tat des connaissances

En Bretagne les sols présentent une faible diversité selon une analyse de la diversité mondiale des sols menée par une équipe australienne[1]. Ce constat peut être contesté. Certes les sols de Bretagne ont des caractéristiques communes[2] : ils sont en très grande majorité limoneux et acides. Cependant les variations à courte ou moyenne distances, par exemple à l’échelle des versants, sont significatives, mais difficiles à retranscrire sur des cartes globales. Ces variations ont des implications directes et très fortes sur la qualité agronomique des sols, mais également vis-à-vis de leur rôle environnemental, notamment comme interface avec l’eau et l’air.

Noms vernaculaires des sols

Les agriculteurs bretons utilisaient jusqu’à une pĂ©riode rĂ©cente tout un ensemble de termes vernaculaires permettant de diffĂ©rencier les sols en fonction de leur qualitĂ© agronomique. Les dĂ©signations des sols en breton ont Ă©tĂ© recueillies dans le Finistère par Coppenet et YĂ©zou et sont synthĂ©tisĂ©es dans le Tableau 1.  L’analyse de ce tableau montre que les agriculteurs distinguaient des sols au sein d’un paysage selon diffĂ©rents critères, notamment leur fertilitĂ©, leur Ă©paisseur, leur engorgement en eau, mais aussi leur texture. Ils percevaient ainsi des variations dans les propriĂ©tĂ©s des sols qui avaient des incidences sur leur mise en valeur et ils cherchaient Ă  adapter leurs cultures et leurs pratiques Ă  ces variations.

Terres acides sur granite
  • Douar skañv : terre lĂ©gère ou peu profonde
  • Douar treut : terre maigre, peu ou mal fertilisĂ©e, Ă  faible potentiel
  • Douar tirien : terre de pâture
  • Douar land : terre de sommet, caillouteuse, inculte
  • Douar ludu : terre sur granite, très riche en matière organique
Terres cultivées humides
  • Douar yen : terres cultivĂ©es humides se rĂ©chauffant lentement au printemps
  • Douar gleb : terres humides de bas de pente
  • Douar pri : terre humide et argileuse difficile Ă  travailler
Bonnes terres profondes sur granite ou schiste
  • Douar gwiniz : terre Ă   blĂ©
  • Douar tomm : terre chaude
  • Douar tu : terre se travaillant bien
  • Douar pounner : terres argileuses ou limoneuses, lourdes et collantes comparĂ©es aux terres sur granite                                   
Sols humides et tourbeux des fonds de vallée
  • Douar touarc’hen : terre de tourbière
  • Douar pri : terre de glaise
  • Douar yen : terre humide et froide
  • Douar lagenn : terre de boue
Limons très profonds du nord Finistère
  • Douar pounner : terres limoneuses profondes
Sols du littoral, dune           
  • Douar treaz : terre de sable

Sols marécageux

  • Yeunn : marais

Tableau 1 : Recueil de noms vernaculaires en breton dĂ©signant diffĂ©rents types de sols. Liste non publiĂ©e Ă©tablie en 1961 par M. Coppenet, directeur de la station d’Agronomie INRA de Quimper et N. YĂ©zou, ingĂ©nieur Ă  la direction des Services agricoles du Finistère[3].

Inventaires pédologiques depuis 1945

La cartographie des sols a connu en France un essor important entre 1945 et 1975 en parallèle Ă  l’intensification de l’agriculture. Les pĂ©dologues des Chambres d’Agriculture, des Ă©tablissements d’enseignement agronomique et agricole, de l’INRA, de bureaux d’études ont alors rĂ©alisĂ© de nombreuses cartes pĂ©dologiques. En Bretagne, comme dans les autres rĂ©gions, ces dĂ©marches ont permis d’accroĂ®tre les connaissances locales en lien notamment avec des thĂ©matiques agricoles, mais leur homogĂ©nĂ©isation s’avère aujourd’hui difficile, car les Ă©chelles de travail et les mĂ©thodologies employĂ©es Ă©taient très diffĂ©rentes d’une Ă©tude Ă  l’autre.

Inventaire des cartes pédologiques existantes
Figure 1 : Inventaire des cartes pédologiques existantes en Bretagne aux échelles du 1/10 000 au 1/100 000es

En parallèle Ă  ces travaux, des programmes nationaux de cartographie ont Ă©tĂ© initiĂ©s en respectant une mĂ©thodologie plus uniforme. Ainsi, en 1968, sous l’impulsion du service d’Etude des Sols et de la Carte pĂ©dologique de France, un programme de cartographie exhaustive Ă  l’échelle du 1/100 000 intitulĂ© Connaissance PĂ©dologique de la France a Ă©tĂ© initiĂ©. En Bretagne, la coupure Ă  1/100 000  de la feuille de JanzĂ©[4] a Ă©tĂ© publiĂ©e. Des cartes plus locales en lien avec des problĂ©matiques agronomiques ont ensuite Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es. Deux opĂ©rations ont permis d'accroĂ®tre les connaissances dans ce sens. Tout d’abord, les secteurs de rĂ©fĂ©rence pour le drainage, conduit au cours des annĂ©es 1980. Ils consistent en la cartographie des sols Ă  l’échelle du 1/10 000 d’une zone reprĂ©sentative d’une petite rĂ©gion agricole. Des cartes dĂ©partementales des terres agricoles (CDTA) Ă  1/50 000 ont Ă©galement Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es et visaient Ă  planifier l’usage des sols. En Bretagne, cinq secteurs de rĂ©fĂ©rence-drainage et sept CDTA ont vu le jour. MalgrĂ© cela, la connaissance de la rĂ©partition des sols et de leur Ă©volution restait relativement faible en Bretagne. Aux Ă©chelles allant du 1/10 000 au 1/100 000es, la couverture pĂ©dologique de la rĂ©gion n’est pas exhaustive (Figure 1) et est inĂ©gale selon les dĂ©partements. En effet, Ă  peine la moitiĂ© de la rĂ©gion est couverte Ă  ces Ă©chelles. 

Depuis les années 1990, le développement et la disponibilité accrue des Systèmes d’Information géographique (SIG), de méthodes statistiques et de données spatialisées ont profondément modifié les approches de cartographie des sols. Parallèlement, le contexte est devenu favorable au développement d’une nouvelle dynamique régionale sur les sols avec :

  • En 2001, la crĂ©ation du Groupement d’IntĂ©rĂŞt Scientifique sur les Sol (Gis Sol[5]) qui rĂ©unit des reprĂ©sentants des Ministères chargĂ©s de l’Agriculture et de l’Environnement, de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), de l’Agence de l’Environnement et la MaĂ®trise de l’Energie (ADEME), de l’Institut de Recherche pour le DĂ©veloppement (IRD) et de l'Institut GĂ©ographique National (IGN). Le Gis Sol a pour missions de constituer et gĂ©rer un système d'information sur les sols de France et rĂ©pondre aux demandes des pouvoirs publics et de la sociĂ©tĂ© au niveau local et national.
  • En 2002, la Commission EuropĂ©enne, dans sa communication « Vers une stratĂ©gie thĂ©matique de protection des sols » (CE, 2002) a reconnu l’importance et la vulnĂ©rabilitĂ© des sols, identifiant 8 menaces pesant sur les sols : l’érosion, la contamination, la diminution des teneurs en matières organiques, la salinisation, le tassement, la diminution de la biodiversitĂ© des sols, l’impermĂ©abilisation, les glissements de terrain et les inondations.
  • En 2003, le Conseil Scientifique de l’Environnement en Bretagne publie un document intitulĂ© « Gestion des sols et apports de dĂ©chets organiques en Bretagne » (CSEB, 2003[6]), qui remet les sols au cĹ“ur des prĂ©occupations rĂ©gionales.

Le programme Sols de Bretagne initié en 2005

L'acquisition de connaissance sur le sol a connu un nouvel élan en Bretagne à partir de 2005, avec le lancement du programme Sols de Bretagne coordonné par AGROCAMPUS OUEST. Il s’agit de décliner régionalement deux programmes nationaux coordonnés par le Gis Sol : Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS) et Inventaire, Gestion et Conservation des Sols (IGCS). Le RMQS vise à évaluer et suivre l’évolution de la qualité des sols, et IGCS à inventorier et cartographier les sols et à constituer les bases de données correspondantes. IGCS est multi-échelle, mais la priorité nationale est mise sur Référentiel Régional Pédologique (RRP) à l’échelle du 1/250 000. Les unités figurées regroupent plusieurs types de sols dont les contours ne sont pas délimités mais dont l’organisation spatiale et les caractéristiques sont précisées dans la base de données.

Logo du programme Sols de Bretagne
Logo du programme Sols de Bretagne

Le programme Sols de Bretagne[7] a vu le jour grâce au concours financier de l’Etat, de la Région Bretagne et des quatre Départements bretons, et à l’appui scientifique et technique des Chambres d’Agriculture de Bretagne, de l'Université de Rennes 1 (UMR CNRS Ecobio) et d’AGROCAMPUS OUEST, UMR INRA SAS.

Les objectifs du programme sont multiples :

  • ComplĂ©ter et organiser les informations sur les sols bretons

Les cartes préexistantes en Bretagne couvrent un peu moins de la moitié de la superficie de la région. En complément, des données continuent d'être acquises sur le terrain pour constituer une base de connaissances de la variabilité spatiale des sols. Le volet cartographique (IGCS) de Sols de Bretagne ne vise pas à remplacer les études à des échelles détaillées, mais à organiser la connaissance des sols en la structurant sous la forme d’une base de données valorisable au niveau régional et départemental, et à fournir des références (type de sol, succession des sols dans le paysage, données analytiques, potentialités agronomiques…) pour les études pédologiques locales. Inversement, celles-ci pourront être intégrées et ainsi enrichir progressivement les connaissances acquises au cours du programme. De plus, des techniques innovantes de cartographie numérique des sols permettent d'affiner la connaissance des sols à partir des données existantes.

  • Mettre en place un rĂ©seau de surveillance de la qualitĂ© des sols

La modification ou la dégradation des sols et de leurs fonctions constituent un risque majeur à surveiller. Le RMQS, calé sur un réseau de mailles carrées de 16 km de côté, au centre desquelles des descriptions de sol et des analyses de terre seront réalisées tous les 10 ans ou plus, permettra de dresser un état des lieux de la qualité des sols français et d’en suivre la qualité. La première campagne de mesures a été menée sur les 109 sites bretons entre 2005 et 2007 et la seconde a débuté en 2017.

En Bretagne, un programme complémentaire du RMQS a été proposé et réalisé par l’Université de Rennes 1 UMR CNRS Ecobio dans le cadre du programme de développement, validation et application de bioindicateurs soutenu par l’ADEME. Il s’agit du programme RMQS BioDiv Bretagne qui vise à acquérir des données sur la composante biologique des sols des sites du RMQS. Des informations sur ce programme sont disponibles sur le site internet EcobioSoil[8].

  • Communication et diffusion des informations

Pour améliorer la visibilité du sol et redonner sa place au sol dans les processus de production agricole, l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement, il est essentiel de communiquer efficacement vers les utilisateurs potentiels des sols et des données. Le site internet Sols de Bretagne[9] facilite l'accès du plus grand nombre aux informations sur le sol depuis 2006, en proposant des données, des outils et des liens.

Le programme Sols de Bretagne se poursuit actuellement. Après une première phase (2005 à 2012) marquée par l'acquisition d'information et la constitution des bases de données, une seconde phase (2013-2017) a permis la diffusion des données, et la période à venir se concentrera principalement sur l'intégration des données pédologiques aux outils d'aide à la décision dans les domaines de l'agronomie et de la gestion durable des territoires.

La formation et l'Ă©volution des sols

Les phases de formation du sol

mécanismes de la pédogenèse
Figure 2 : illustration simplifiée des mécanismes de base de la pédogenèse.

La formation et l’évolution des sols Ă©galement appelĂ©e pĂ©dogĂ©nèse (Figure 2) correspond Ă  l’ensemble des processus  physiques, chimiques et biologiques qui interagissent et aboutissent Ă  la diffĂ©renciation du sol[10]. Cette couverture pĂ©dologique se forme Ă  partir d’un substratum, qui peut ĂŞtre d’origine gĂ©ologique (roche granitique, schisteuse, gneissique, calcaire…), Ă©olienne (limons dĂ©posĂ©s lors des glaciations, dune), fluviatile ou marine (alluvions). Ce substrat est exposĂ© aux effets du climat, du relief, des organismes vivants (plantes, animaux, microorganismes) et des activitĂ©s humaines. Quatre phases de formation du sol sont identifiĂ©es :

  1. La roche, soumise à l’action de l’eau, aux variations saisonnières de température (alternance des périodes de gel/dégel), à l’enracinement et au vent, se fragmente. Cette désagrégation physique ou mécanique produit des éléments de plus petites tailles qui s’altèrent chimiquement plus ou moins en fonction des conditions climatiques.
  2. L’altération transforme les minéraux primaires dans les roches, chimiquement ou par dissolution[11]. Elle modifie ainsi la composition minéralogique du substrat initial (néoformation de minéraux secondaires tels que les argiles). Les réactions biochimiques (dissolution, hydratation, oxydo-réduction, hydrolyses) dépendent de la présence d’eau, d’oxygène, de dioxyde de carbone ou encore d’acides organiques[12].
  3. La fraction minérale des sols, produite par les deux premières étapes de désagrégation et l’altération, est enrichie par la matière organique issue de l’installation de mousses, lichens, champignons, bactéries et de la décomposition des végétaux.
  4. Au cours de la pédogénèse, des redistributions chimiques (migration de matière organique, d’argiles, de fer et d’aluminium notamment) et physiques (différenciations texturale et structurale) sont induites par la circulation de l’eau dans la porosité du sol. Elles aboutissent à la réorganisation du sol en horizons pédologiques.

Les processus liés à l'humification

Brunification

La brunification est un processus de faible néoformation d’argile et d’altération modérée de la matière organique qui évolue vers des complexes humiques stables. En climat tempéré humide de type atlantique ou semi-continental, l’altération de la plupart des substrats cristallins (granite, gabbro…), sédimentaires (schiste et grès notamment), et d’apports (limons) a pour conséquence l’extraction du fer des réseaux cristallins (Fe2+) et son oxydation en Fe3+ au contact de l’oxygène de l’air[10]. Ce processus donne sa couleur brun-ocre au sol. La brunification est le processus dominant en Bretagne.

Lessivage (ou illuviation)

Le lessivage est un processus d’entraînement de particules par l'eau, essentiellement des argiles, et de substances associées. Le lessivage des argiles ou argilluviation aboutit à une différenciation morphologique nette entre les horizons. Le lessivage est accompagné d’une diminution du pH des horizons supérieurs, qui, si elle s’accentue, peut entrainer une altération des minéraux argileux ou une acidification des humus en surface (début d’un processus de podzolisation). L’intensité du lessivage dépend notamment de la nature du matériau parental. Ainsi les matériaux sédimentaires meubles, profonds, suffisamment filtrants, non ou peu calcaires sont les plus favorables à l’argilluviation[13].

Podzolisation

La podzolisation résulte d’une acidification accentuée qui conduit à l’accumulation de résidus végétaux en surface et à leur lente évolution, pour constituer des horizons holorganiques épais formant des humus de type mor[14]. Des acides organiques sont libérés par ces humus et altèrent biochimiquement les silicates et parfois les minéraux argileux par acido-complexolyse. Le processus de podzolisation est peu répandu en Bretagne, mais observé dans les zones les plus froides et acides du centre-ouest.

Les processus liés aux conditions physico-chimiques

Hydromorphie

Il s’agit de l’ensemble des manifestations morphologiques observées dans un sol qui sont liées à un engorgement en eau de la porosité du sol, temporaire ou permanent. Ces manifestations se traduisent sous forme de taches, de ségrégations, de colorations ou décolorations[11], principalement liées au processus d’oxydo-réduction affectant le fer selon l’état d’aération du sol. Les engorgements temporaires en eau induisent une alternance des périodes d’immobilisation (phase d’oxydation) et de mobilisation (phase de réduction) du fer. Ils se traduisent par une juxtaposition de zones de départ (taches de couleur grise) et de zones d’accumulation (taches de couleur rouille et parfois nodules d’accumulation) du fer.

Acidification

C’est un processus d’élimination des cations échangeables alcalins et alcalino-terreux (principalement Ca2+ et Mg2+) dans un ou plusieurs horizons, qui se traduit par un abaissement du pH. Ce processus est favorisé par une pluviométrie et une teneur en matière organique importantes.

Salinisation

Processus d’accumulation de sels dans la solution du sol, il fait plus particulièrement intervenir le chlorure de sodium (NaCl)[10]. En Bretagne, les sols salés se trouvent en zones côtières à la faveur d’une nappe souterraine, salée, peu profonde et d’origine marine ou d’apports éoliens par des embruns.

Les processus d'altération prolongée

Rubéfaction

Dans les zones de terrasse du Sud de la Bretagne ou dans des sols issus de grès, on peut observer des sols rubéfiés qui présentent des horizons rougeâtres (couleur lie-de-vin) riches en argile. L’hématite (xFe2OH3), un oxyde qui s’associe aux argiles, est responsable de cette couleur rouge. La rubéfaction consiste en l’extraction du fer contenu dans le substrat et sa transformation en hématite qui devient majoritaire parmi les oxydes de fer[10]. Le processus de rubéfaction est favorisé en milieu sec et aéré et est considéré en Bretagne comme un processus ancien lié à des climats anciens (paléoclimats) de type tropical.

Le climat

Le gel, la pluviomĂ©trie, l’évapotranspiration, la tempĂ©rature, l’humiditĂ© et les variations climatiques saisonnières influencent la formation des sols. La Bretagne est dominĂ©e par un climat ocĂ©anique. Il s’agit d’un climat dont les pluies hivernales favorisent l'exportation hors des sols d'Ă©lĂ©ments solubles et le transfert de particules par lessivage. Cependant la variabilitĂ© climatique interne engendre une diversitĂ© de processus pĂ©dogĂ©nĂ©tiques. Ainsi, les zones de relief les plus Ă©levĂ©es (Menez Hom, Monts d’ArrĂ©e, Montagnes Noires) sont plus froides, les sols y sont souvent podzolisĂ©s. Le climat rĂ©gulièrement humide Ă  l’ouest de la Bretagne associĂ© Ă  des pH acides limite la transformation des humus et la minĂ©ralisation du carbone organique. 

Le matériau parental

Le  matĂ©riau parental (ou substrat)  dans lequel s’est dĂ©veloppĂ© le sol actuel, influence surtout la granulomĂ©trie, la permĂ©abilitĂ© et la richesse en Ă©lĂ©ments minĂ©raux du sol. Le Massif armoricain est un massif ancien. Il a Ă©tĂ© modelĂ© par trois cycles de formation de montagnes. Il est constituĂ© de roches cristallines, mĂ©tamorphiques et sĂ©dimentaires auxquelles peuvent se surimposer des formations d’apports (Ă©oliens, de versant, fluviatiles ou marins) plus ou moins Ă©paisses.

Roches cristallines

Granite

Le granite est une roche magmatique plutonique très courante en Bretagne. Elle est grenue et de couleur variable (blanche, grise, rosĂ©e, rouge ou bleue). Il existe de nombreuses dĂ©clinaisons  de granites en Bretagne (porphyroĂŻdes, alcalins, monzonitiques…), dont l’altĂ©ration produit une arène sableuse, rarement argileuse, plus ou moins dĂ©veloppĂ©e (de quelques cm Ă  plusieurs mètres). Les paysages granitiques sont très souvent une mosaĂŻque de buttes aux versants convexes. Si le granite est peu altĂ©rĂ©, il n’est pas rare d’observer des chaos ou boules de granite. Le relief est gĂ©nĂ©ralement marquĂ© par des vallĂ©es Ă©troites et encaissĂ©es. En Bretagne, les sols issus de granites sont acides et filtrants.

Roches sédimentaires

Schistes

Il s’agit d’un groupe de roches fortement reprĂ©sentĂ©es en Bretagne, qui s’organisent en feuillets. Les pĂ©dologues distinguent trois groupes de schistes sur la base de leur altĂ©rabilitĂ©[15] :

  • Les schistes tendres (type BriovĂ©rien)

De couleur gris-vert, ils sont associés à des sols de texture limoneuse, de profondeur supérieure à 60 cm. La transition entre la roche mère et le sol est souvent progressive, elle se caractérise par une altération au toucher talqueux. Cette altérite peut être imperméable et provoquer des phénomènes d’hydromorphie temporaire. Le relief généralement doux est peu marqué par le réseau hydrographique.

  • Les schistes intermĂ©diaires (type ardoisier)

La couleur bleu-gris de l’ardoise confère au sol une couleur très foncée. Les sols, de profondeur moyenne, avec une charge en éléments grossiers importante sont moins propices à l’agriculture. Ils forment parfois de vastes espaces avec des dénivelés faibles accompagnés de sommets résiduels peu marqués dans le paysage. Les sols issus de ces schistes sont généralement plus riche en argile que les sols issus des autres schistes.

  • Les schistes durs (type Pont-RĂ©an)

Ce sont des schistes pourprĂ©s, rouges, extrĂŞmement durs, qui ne prĂ©sentent pas d’altĂ©ration notable. Ils sont le support de sols principalement de faible profondeur (infĂ©rieure Ă  40 cm) et très riches en matière organique. Le relief prĂ©sente de nombreuses aspĂ©ritĂ©s et affleurements. Ils sont caractĂ©ristiques des paysages de landes que l’on observe au Sud de Rennes et dans le pourtour de la forĂŞt de Paimpont.       

Grès

C’est une roche Ă  grains très fins, non foliĂ©e, dure. Les sols qui s’y dĂ©veloppent prĂ©sentent gĂ©nĂ©ralement une charge importante en Ă©lĂ©ments grossiers, une texture limono-sableuse ; leur fertilitĂ© est souvent faible. Le relief se caractĂ©rise gĂ©nĂ©ralement par des lignes de crĂŞtes du fait de la duretĂ© de ce substrat.

Substrats d'apports

Limons Ă©oliens

Extension des limons Ă©oliens en Bretagne
Figure 3 : Carte de l’extension des limons éoliens en Bretagne.

Ce sont des matĂ©riaux d’origine Ă©olienne (sĂ©diments de arrachĂ©s par le vent) dĂ©posĂ©s lors de la dernière glaciation sur les autres matĂ©riaux. Ils proviennent de l'Ă©rosion Ă©olienne des fonds de la Manche exondĂ©s, l'eau Ă©tant alors rĂ©tractĂ©e dans les calottes glaciaires. L’épaisseur des dĂ©pĂ´ts suit un gradient dĂ©croissant Nord/Sud (Figure 3) : elle diminue du nord de la Bretagne (2 Ă  5 m) au centre (1 m) pour disparaĂ®tre Ă  la latitude des landes de Lanvaux[15]. En Bretagne, les sols dĂ©veloppĂ©s dans les limons Ă©oliens prĂ©sentent une texture limoneuse, avec une proportion de limons grossiers (20 Ă  50 micromètres) supĂ©rieure Ă  40 %[16] et des teneurs en sables et argiles infĂ©rieures Ă  15 %. Ils sont souvent affectĂ©s par des processus de lessivage des argiles et d’hydromorphie en zone de plateau.

Alluvions

Ces matériaux sont transportés par les cours d’eau et déposés lors des crues. Le dépôt est stratifié et granoclassé (classé en fonction de la taille des particules) et peut être riche en éléments grossiers roulés. Les alluvions sont cantonnées aux vallées, au contact du réseau hydrographique et sont typiques des zones planes des bas de versants en Bretagne. Les sols affectés par une nappe d’eau temporaire ou permanente sont rédoxiques et/ou réductiques, c'est-à-dire affectés par l'hydromorphie, et présentent souvent des différences de texture marquées au sein du profil.

Colluvions

Déposés au bas des versants à la faveur de replats ou en situation de cuvette, ces matériaux proviennent de la partie supérieure des versants et sont déplacés à la suite de l'érosion des sols. Ce colluvionnement est dû à un entraînement de particules en suspension dans l’eau qui ruisselle à la surface du sol ou par entraînement en masse de l’ensemble du sol, puis redéposition. Les sols qui en découlent sont caractérisés par leur homogénéité sur plusieurs dizaines de centimètres.

GĂ©omorphologie et Ă©rosion

La topographie a un rôle déterminant en Bretagne sur la distribution spatiale des sols. Selon les situations topographiques, l’écoulement des eaux se partage de façon variable entre infiltration dans le sol et/ou ruissellement de surface. En zone de plateau, les transferts d'eau sont essentiellement verticaux (infiltration), l’absence de pente limitant l’écoulement latéral. Des nappes d’eau temporaires se forment et entraînent l’apparition de signes d’hydromorphie dans le sol. Le long des versants, l’écoulement est favorisé par la pente et les sols sont généralement bien drainés (non engorgés). Les fonds de vallées collectent les eaux qui circulent dans le versant et sont souvent le siège d’engorgements plus ou moins permanents (nappes d’eau affleurantes). La pédogénèse produit alors des sols hydromorphes à caractère réductique (engorgement permanent) et/ou rédoxique (engorgement temporaire).

ruissellement et Ă©rosion
Ruissellement et Ă©rosion des sols dans le nord de l'Ille-et-Vilaine en mai 2007.

La topographie agit Ă©galement sur le transfert de particules de terre le long des versants et de ce fait sur les processus d’érosion et de sĂ©dimentation. Cela conduit Ă  un dĂ©capage des horizons de surface au sommet des versants. Les particules de terres arrachĂ©es sont transportĂ©es le long des pentes et s’accumulent Ă  la faveur de replats, dans les talwegs, les zones de dĂ©pressions et en bas des versants (colluvions). La pente est le facteur principal de ce processus. Les sols bretons s’organisent très souvent en toposĂ©quences le long des versants. Ces derniers sont relativement courts (en moyenne de 500 Ă  de long) avec des variations de pentes parfois importantes. Bien que son altitude maximale s’établisse Ă  une valeur relativement faible de 385 m, la Bretagne prĂ©sente nĂ©anmoins des domaines gĂ©omorphologiques très variĂ©s (littoral, collinaire, pĂ©nĂ©plaines, bassins, vallons encaissĂ©s…) qui sont le support d’une diversitĂ© de sols importante.

Rôles de la végétation et des organismes vivants dans le sol

La végétation intervient dans la différenciation des sols, tandis que le sol joue un rôle dans la sélection des végétaux qu’il porte[10]. La végétation participe de manière directe (racines) et indirecte (résidus organiques par les litières) à la formation et l’évolution des sols.

En prélevant l’eau disponible dans le sol, les racines absorbent les cations de la solution du sol en échange d’ions H+ qui acidifient le milieu au contact de la racine. En outre, elles exercent plusieurs rôles physiques : elles accélèrent la fracturation du matériau parental en s’engouffrant dans ses fissures et limitent l’érosion en retenant le sol. Les résidus organiques acidifient le sol en échangeant des protons contre des cations (minéraux), transforment (réduction, solubilisation, complexation) les métaux (fer, manganèse…), s’associent avec les argiles qui structurent le sol et constituent un stock d’éléments (carbone, azote, phosphore, et cations nutritifs).

Plus spĂ©cifiquement, les vĂ©gĂ©taux supĂ©rieurs des forĂŞts et la vĂ©gĂ©tation des landes fournissent aux sols des quantitĂ©s importantes de carbone organique, ou de matières organiques fraĂ®ches. Ces dernières subissent une transformation essentiellement biologique, appelĂ©e humification, qui conduit sous forĂŞt ou lande, Ă  la formation de trois horizons organiques[14] :

  • OL : litière constituĂ©e de feuilles, aiguilles, racines peu dĂ©composĂ©es
  • OF : horizon constituĂ© notamment de feuilles fragmentĂ©es identifiables
  • OH : horizon noir contenant plus de 70 % de matière organique fine sans structure apparente
Humus en forêt de Fougères
Humus de type Moder en forêt de Fougères (Ille-et-Vilaine)

Les caractéristiques physico-chimiques de l’humus ainsi formé influencent la pédogénèse des sols des forêts et des landes qui représentent environ 430 000 ha en Bretagne[17]. Ainsi, la présence ou l’absence de ces différentes couches et leurs épaisseurs respectives conduisent à distinguer trois principales formes d’humus[14]. Les humus de type mor et moder correspondent à une décomposition lente de la litière. Ils se forment généralement sous des végétations à forte productivité (forêts de conifères, landes) qui exportent de manière importante les cations du sol et produisent une litière acidifiante. En Bretagne, ces humus favorisent les processus d’acidification et de podzolisation du sol. Les humus de type mull sont associés à une décomposition rapide de la litière. Ils sont fréquents sous forêts de feuillus qui, bien que plus exigeants en cations, ont une productivité moindre. L’acidification des sols est moins prononcée.

La faune et la flore du sol prĂ©sentent une grande diversitĂ© d’organismes qui accomplissent des fonctions très diverses. Les invertĂ©brĂ©s, par exemple, participent au recyclage de la matière organique, les bactĂ©ries et champignons assurent la dĂ©gradation et la transformation de cette matière organique fraĂ®che, etc. De plus, les bactĂ©ries interviennent dans le cycle de l’azote dans le sol, dans la disponibilitĂ© de certains minĂ©raux et dans l’accumulation de certains mĂ©taux ; avec les champignons, elles fournissent et vĂ©hiculent les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la plante. Les vers de terre sont des animaux fouisseurs, qui aèrent le sol, mĂ©langent les matières organique et minĂ©rale du sol. Leur rĂ´le sur la fertilitĂ© du sol est essentiel.

Les actions de l'homme

L’homme influence souvent de façon déterminante le fonctionnement des sols, puisque son action modifie leurs caractéristiques physico-chimiques (apports d’amendements et de fertilisants), leurs régimes hydrique et thermique (assainissement, drainage) et leur activité biologique (amendements organiques, choix de culture, travail du sol).

L’amélioration de la fertilité des sols est réalisée, depuis les années 1950, par l'utilisation d'engrais chimiques et d’amendements organiques qui contribuent à compenser les exportations des cultures. Les principaux éléments nutritifs apportés sont l’azote (N), le phosphore (P), le potassium (K), le calcium (Ca), le magnésium (Mg) et le soufre (S). Les éléments N, P et K sont souvent apportés sous forme d’engrais minéraux de synthèse mais aussi sous forme d’amendements organiques (fumiers, composts et résidus divers).

En amĂ©nageant le paysage agricole par l'implantation de haies, talus ou bandes enherbĂ©es, l’homme contribue localement Ă  rĂ©duire la vitesse du ruissellement, favoriser l’infiltration de l’eau et la sĂ©dimentation des particules. De plus, l’amĂ©lioration des sols par le drainage ou la poldĂ©risation, permet l’exploitation de nouvelles parcelles. En effet, le drainage agricole, qui consiste en l’évacuation des eaux superficielles ou souterraines excĂ©dentaires au moyen de drains enterrĂ©s ou de fossĂ©s, amĂ©liore la portance et la productivitĂ© des sols. Il autorise un pâturage prolongĂ© et facilite les interventions culturales. Il fut essentiellement pratiquĂ© avant 1990. En Bretagne, la superficie drainĂ©e reprĂ©sente, en 2000, 6,8 % de la superficie agricole utilisĂ©e[18].

La poldĂ©risation, quant Ă  elle, a permis de gagner des Ă©tendues sur la mer, par la mise en place de digues entrainant un assèchement de ces milieux. Les polders ainsi crĂ©Ă©s sont particulièrement importants au nord de l’Ille-et-Vilaine (Marais de Dol, baie du Mont St Michel). Le dessalement naturel polders intervient au bout d'une dizaine d'annĂ©es ; ces sols sont ensuite exploitĂ©s en prairies de longue durĂ©e (10 Ă  50 ans) afin de remonter leur taux de matière organique. Ils peuvent alors ĂŞtre cultivĂ©s.

L’homme transforme ainsi durablement les sols et est considéré comme un acteur majeur de la pédogenèse, en particulier dans une région comme la Bretagne, où la mise en valeur agricole des sols est généralement ancienne. Les conséquences pour les sols de certaines pratiques et aménagements seront précisées par la suite.

Le temps

Le temps nécessaire à l’obtention d’un sol diffère selon les processus pédogénétiques dominants. En effet, on distingue les sols résultant de processus pédogénétiques longs, des sols issus de processus pédogénétiques courts. Malgré l’amélioration des méthodes de datation isotopique, la détermination des durées de pédogenèse reste imprécise surtout dans le cas de processus qui nécessitent beaucoup de temps pour être perceptibles. Par exemple l’établissement d’un PODZOSOL nécessiterait entre 3000 et 5000 ans, alors qu’un PLANOSOL requiert entre 300000 et 500000 ans[10]. Ce sont des ordres de grandeur considérables, sachant que l’érosion est capable de décaper plusieurs centimètres de sols en quelques minutes.

Ainsi, les sols que nous observons sont les tĂ©moins de l’action de multiples processus et facteurs qui, pour certains, se poursuivent encore aujourd’hui. 

Les grands types de sols

L’ensemble des processus et facteurs de formation des sols concourent à la mise en place d’une grande diversité de types de sols. Le programme Sols de Bretagne a ainsi permis d'identifier 330 types de sol différents, mais dont les 4 types principaux représentent à eux seuls 20 % de la superficie régionale. Une carte régionale au 1/250 000e des pédopaysages (unités cartographiques regroupant un nombre limité de types de sol[7]) a été établie.

Les principaux sols rencontrés en Bretagne sont présentés ci-après, en détaillant leurs caractéristiques, le lien avec la géomorphologie et l’occupation du sol ainsi que leurs potentialités agricoles. Les sols sont nommés d’après le Référentiel Pédologique[13] en vigueur en France et des illustrations sont proposées.

Sols brunifiés

Les brunisols et alocrisols font partie des sols agricoles et forestiers majoritaires en Bretagne. En effet, ils se développent sur une large variété de substrats (hormis les alluvions marines), en contexte d’acidité modérée, et occupent près de 50 % de la surface régionale. Ces sols, issus d’une pédogenèse récente (de l’ordre du millier d’années), présentent une forte porosité fissurale et biologique ainsi qu’une homogénéité verticale des textures. Ils sont caractérisés par la présence d’un horizon structural développé (codé S), issu de l’altération de la roche-mère. La couleur et la structure particulière de cet horizon diffèrent de l’horizon de surface qui est plus riche en matière organique et présente une structure d’origine essentiellement biologique. Les teneurs en matière organique en surface sont généralement plus fortes sur granite (>4 %) que sur schiste.

BRUNISOL
BRUNISOL sur granite (Kerbernez, Finistère)

Ces sols s’observent plutĂ´t en bordure des plateaux, sur de lĂ©gers dĂ´mes (sur schistes) ou le long de versants Ă  pente moyenne Ă  forte (sur granite par exemple). Lorsqu’ils se dĂ©veloppent sur des plateaux ou sur des pentes très faibles, des phĂ©nomènes d’engorgement en eau plus ou moins prononcĂ©s peuvent apparaĂ®tre. Cette hydromorphie temporaire est frĂ©quente au niveau de la zone de contact du sol avec l’altĂ©rite. Le type d’occupation du sol prĂ©sent peut influencer la morphologie et le fonctionnement de ses sols. Ainsi les alocrisols correspondent Ă  des sols forestiers ou sous vĂ©gĂ©tation naturelle. Dans ces contextes oĂą le pH est en gĂ©nĂ©ral infĂ©rieur Ă  5, la gĂ©ochimie de la solution du sol est modifiĂ©e par l’abondance d’aluminium Ă©changeable. De plus, la structure de l’horizon de surface devient microgrumeleuse, et la couleur plus ocre. 

Les brunisols ont des potentialitĂ©s agricoles qui dĂ©pendent essentiellement de leur Ă©paisseur et de leur charge en Ă©lĂ©ments grossiers. La fertilitĂ© des alocrisols dĂ©pend notamment de leur rĂ©serve en Ă©lĂ©ments nutritifs, qui peut devenir limitante pour la croissance des plantes et des arbres. Selon les conditions du milieu, des phĂ©nomènes de lessivage et/ou de podzolisation peuvent les faire Ă©voluer vers des luvisols ou des podzosols.

Sols hydromorphes et à caractères hydromorphes

REDOXISOL
REDOXISOL de la région de Pleslin (Côtes-d'Armor).

Ils regroupent une large variété de sols affectés plus ou moins intensément par des processus d’oxydo-réduction, consécutifs à un excès d’eau. On distingue les sols à caractères hydromorphes des sols hydromorphes. Dans le cas des sols à caractère hydromorphe, les manifestations de l’hydromorphie débutent au-delà de 50 cm et les processus d’oxydo-réduction s’ajoutent à des caractères relatifs à d’autres processus pédogénétiques. Dans les sols hydromorphes, les traits caractéristiques apparaissent à moins de 50 cm de profondeur et se maintiennent et/ou s’intensifient en profondeur (Tableau 2). Les processus d’oxydoréduction sont alors jugés prédominants dans le fonctionnement et l’évolution du sol.

HISTOSOL-REDUCTISOL dans des alluvions de la région de Quintin (Côtes-d'Armor).

Quand l'engorgement en eau est quasiment permanent ou permanent, le fer est principalement sous sa forme réduite (Fe2+), de couleur bleue, qui donne au sol une teinte caractéristique. Le sol correspond alors à un Reductisol, marqué par des traits réductiques. Quand l'engorgement est temporaire, et que les traces d'hydromorphie débutent à moins de 50 cm de profondeur, le sol correspond à un Redoxisol.

Les sols hydromorphes occupent environ 20 % de la surface régionale[19]. Ils se développent sur tout type de roche-mère et dans des conditions morphologiques variées. En effet, leur extension ne se limite pas aux zones colluvio-alluviales ou alluviales affectées par la présence d’une nappe superficielle temporaire ou permanente. Ainsi, il n’est pas rare d’observer des traits d’hydromorphie dans des sols situés en position de plateau, lorsqu’un horizon moins perméable (altérite argileuse, horizon argilluvial codé BT, par exemple) limite l’infiltration des eaux de pluie et contribue à la formation d’une nappe perchée temporaire. Des situations topographiques de convergence des flux d’eau, à l’image des têtes de talwegs, peuvent également être à l’origine des processus d’oxydo-réduction.

  Sols Ă  caractères hydromorphes Sols hydromorphes
REDOXISOLS REDUCTISOLS
Fréquence en Bretagne +++ ++ +
Saturation en eau temporaire permanente
Profondeur minimale d'apparition de traits d'hydromorphie fonctionnelle ≥ 50 cm < 50 cm
Horizons de référence Horizons rédoxiques (g ou -g) Horizons réductiques (Gr, Go)
Couleur dominante du sol coexistence de zones claires appauvries en fer et de zones plus colorées de précipitation du fer gris/bleu
Teneur en matières organiques en surface moyenne (2 à 6 %) moyenne à forte (3 à 10 %) généralement forte (> 6 %)
Contraintes Ă  la mise en culture faible moyenne forte

Tableau 2 : Caractéristiques générales des sols à caractères hydromorphes et des sols hydromorphes en Bretagne.

Les potentialités agronomiques de ces sols sont d’autant plus faibles que les périodes de saturation en eau sont longues, car cela limite le développement des végétaux, diminue la portance des sols et restreint la période disponible pour intervenir sur les parcelles. Pour les améliorer, d’importants travaux de drainage ont été entrepris, plus particulièrement entre 1970 et 1990. De nombreuses prairies permanentes subsistent dans les zones les plus humides, notamment dans les fonds de vallées, mais en raison de leur entretien difficile, elles sont de plus en plus souvent boisées. Les fonctions environnementales essentielles de ces milieux seront présentées dans la partie "Sols et fonctionnement hydrologique".

Sols présentant un lessivage d’argile

LUVISOL dégradé
LUVISOL-DEGRADE sur limon Ă©olien recouvrant le granite (Ille-et-Vilaine).

Ces sols se répartissent dans toute la Bretagne, mais leur extension est particulièrement importante au nord de la région, dans la zone de dépôt des limons éoliens. Il n’est pas rare d’en retrouver également sur les schistes tendres et durs, les grès, et dans une moindre mesure sur les granites. On estime qu’ils occupent environ 20 % de la surface régionale.

On distingue, selon une intensitĂ© de lessivage croissante, des nĂ©oluvisols, des luvisols et des luvisols dĂ©gradĂ©s. Des phĂ©nomènes d’oxydo-rĂ©duction plus ou moins prononcĂ©s peuvent se surimposer au lessivage[20]. Ces sols, globalement profonds (plus d’un mètre), sont caractĂ©risĂ©s par la prĂ©sence, sous l’horizon organo-minĂ©ral de surface, d’un horizon homogène beige Ă  blanc (selon l’intensitĂ© du lessivage), peu structurĂ©, appauvri en argile et en fer, appelĂ© horizon Ă©luvial (E). Ce dernier surmonte un horizon nettement plus foncĂ©, enrichi en argile et en fer, structurĂ©, ou horizon argilluvial (BT). Lorsque cet horizon est structurĂ© en agrĂ©gats, de nombreux revĂŞtements argileux sont observables sur les faces des agrĂ©gats. En conditions acides et Ă  la suite d'une alternance de phases oxydantes et rĂ©ductrices, des processus de dĂ©gradation peuvent conduire Ă  la formation de langues plus claires, limoneuses ; on parle alors d’un horizon argilluvial dĂ©gradĂ© (BTd). Au sein des nĂ©oluvisols, la circulation de l’eau s’effectue verticalement ; dans les luvisols et les luvisols dĂ©gradĂ©s, la prĂ©sence d’horizons enrichis en argile et de moindre porositĂ© (infiltrabilitĂ© rĂ©duite) induit la mise en place de circulations horizontales (Ă  la base de l’horizon Eg par exemple) et de voies de circulation prĂ©fĂ©rentielles dans les fissures inter-agrĂ©gats.

Les néoluvisols ou luvisols sont fréquemment observés au sein de plateaux légèrement ondulés avec des pentes faibles (<2 %). Les luvisols dégradés sont couramment rencontrés en milieu de plateau et en tête de talweg, sur des pentes faibles (<2 %) ainsi qu’au pied des fortes pentes, en amont de la zone colluvio-alluviale. Ainsi, les sols affectés par le lessivage s’observent préférentiellement dans des situations planes qui favorisent le transfert vertical des particules et donc de l’argile.

Les nĂ©oluvisols ont de fortes potentialitĂ©s agricoles qui s’expliquent par leur profondeur, leur rĂ©serve utile Ă©levĂ©e, et l’absence d’élĂ©ments grossiers. Lorsqu’ils se dĂ©veloppent dans des limons, ils peuvent nĂ©anmoins prĂ©senter un risque de battance Ă©levĂ©. Cela est Ă©galement le cas pour les luvisols et les luvisols dĂ©gradĂ©s dans lesquels l’horizon de surface est moins cohĂ©rent et plus limoneux. L’accumulation d’argile en profondeur observĂ©e au sein de ces deux types de sols freine l’infiltration verticale de l’eau et peut entraĂ®ner la formation d’une nappe perchĂ©e temporaire. Tout travail du sol doit donc ĂŞtre rĂ©alisĂ© en condition de ressuyage suffisant sous peine d’aggraver ces phĂ©nomènes. Dans les zones lĂ©gumières, implantĂ©es sur les dĂ©pĂ´ts Ă©oliens recouvrant les cĂ´tes nord de la rĂ©gion, les pĂ©riodes d’interventions culturales ne sont pas toujours adaptĂ©es aux spĂ©cificitĂ©s de ces sols.

Sols peu épais et non différenciés

RANKOSOL sur granite sur l'ĂŻle de Berder (Morbihan).

Les rankosols, sols minces de moins de 40 cm, et les lithosols, sols très minces de moins de 10 cm se caractĂ©risent par la prĂ©sence d’horizons organiques et/ou organo-minĂ©raux reposant directement sur la roche. Ils occupent des surfaces relativement importantes en Bretagne (10 Ă  20 %), sur une grande variĂ©tĂ© de roches-mères, notamment les granites et les schistes durs, de prĂ©fĂ©rence en position de sommet de butte, dans les pentes fortes Ă  très fortes ou encore dans les zones de rupture de pente. L’érosion entraĂ®ne un rajeunissement constant de ces sols et limite la diffĂ©renciation d’horizons. Ces sols ont un fonctionnement hydrique particulier, puisqu’ils peuvent ĂŞtre saturĂ©s en eau l’hiver si la roche sous-jacente est impermĂ©able et au contraire très secs l’étĂ©. Leur faible profondeur constitue un frein important Ă  la mise en culture, car leur rĂ©serve hydrique est très faible et les racines ont peu de place pour se dĂ©velopper. Lorsqu’ils sont cultivĂ©s, la charge en Ă©lĂ©ments grossiers de surface est souvent très importante, ce qui use prĂ©maturĂ©ment le matĂ©riel agricole et rend dĂ©licat le travail du sol et l’implantation des cultures. Dans les systèmes de polyculture-Ă©levage bretons, ces sols sont souvent valorisĂ©s en prairies, si la pente n’est pas trop importante. Ils sont Ă©galement frĂ©quents sous vĂ©gĂ©tation naturelle de landes ; l’implantation de feuillus ou rĂ©sineux est parfois observĂ©e, mais en gĂ©nĂ©ral la croissance des arbres y est faible.

Sols d’apports

Les deux grands matériaux des sols d’apports sont les alluvions fluviatiles, lacustres ou marines, particules transportées par l’eau, et les colluvions, transportées le long des versants par ruissellement, sur des distances plus courtes que les alluvions.

Ils constituent environ 10 % des sols bretons, prĂ©fĂ©rentiellement en position basse dans les paysages. Ils occupent ainsi les zones planes des bas-fonds souvent inondables et forment les lits mineurs et majeurs des cours d’eau pour les alluvions fluviatiles, le fond des lacs pour les alluvions lacustres, les marais cĂ´tiers pour les alluvions marines ou encore le piedmont des versants pour les colluvions. La mise en place de ces matĂ©riaux est rĂ©cente (de l’ordre de quelques milliers d’annĂ©es) et reste active dans les zones inondables ou les zones sensibles Ă  l’érosion. Cela explique une superposition d’horizons Ă©ventuellement hĂ©tĂ©rogènes, mais peu diffĂ©renciĂ©s par des processus pĂ©dogĂ©nĂ©tiques. Des redistributions de fer sont nĂ©anmoins frĂ©quemment observĂ©es dans des conditions d’engorgement en eau. La composition de ces sols jeunes, gĂ©nĂ©ralement Ă©pais, est très dĂ©pendante des particules arrachĂ©es en amont du bassin versant. Ils peuvent ainsi prĂ©senter une grande homogĂ©nĂ©itĂ© granulomĂ©trique ou au contraire ĂŞtre très hĂ©tĂ©rogènes. 

Colluviosol
colluviosols en amont d'une haie, superposé à un luvisol sur limon éolien (Vieux-Viel, 35).

Plus prĂ©cisĂ©ment, les alluvions ou colluvions peuvent ĂŞtre les constituants exclusifs du sol ; dans ce cas, on parlera respectivement de fluviosols ou de colluviosols. Ils peuvent Ă©galement recouvrir un sol prĂ©existant, ou encore ĂŞtre en mĂ©lange et constituer le domaine colluvio-alluvial qui, selon l’encaissement des vallĂ©es, est plus ou moins large.

ConsidĂ©rons tout d’abord les sols issus d’alluvions d’origine continentale (fluviatiles et lacustres). Il existe très peu de fluviosols stricts en Bretagne, hormis au sein des quelques grandes vallĂ©es alluviales comme l’Oust, la Vilaine, etc. En effet les sols alluviaux sont frĂ©quemment affectĂ©s par des phĂ©nomènes d’oxydo-rĂ©duction avant 50 cm de profondeur qui modifient leur fonctionnement et conduit Ă  les rattacher Ă©galement aux redoxisols (lors d’engorgements temporaires) ou aux rĂ©ductisols (en prĂ©sence d’une nappe permanente). En profondeur, la prĂ©sence d’un lit de cailloux Ă©moussĂ©s ou roulĂ©s dans lequel circule la nappe phrĂ©atique superficielle est frĂ©quente. Ils prĂ©sentent une granulomĂ©trie souvent hĂ©tĂ©rogène (verticalement et latĂ©ralement) qui dĂ©pend des particules arrachĂ©es en amont ainsi qu’un gradient d’hydromorphie dĂ» Ă  une saturation plus ou moins longue par la nappe alluviale. Dans le domaine colluvio-alluvial, il y a une superposition souvent dĂ©sordonnĂ©e de matĂ©riaux colluvionnĂ©s des versants et des matĂ©riaux apportĂ©s par les cours d’eau. Ces sols ont des potentialitĂ©s agricoles variables selon leur Ă©paisseur, leur teneur en Ă©lĂ©ments grossiers, mais surtout selon leur durĂ©e d’engorgement en eau. Ils sont souvent exploitĂ©s en prairie permanente, mĂŞme si le drainage a permis la mise en culture de certaines terres. Dans les grandes vallĂ©es alluviales, une utilisation non agricole est possible par l’extraction des granulats (gravières). Les fonctions environnementales des zones humides sont dĂ©veloppĂ©es dans la partie "Sols et fonctionnement hydrologique".

Thalassosol
thalassosol du polder du Mt St Michel développé dans les alluvions marines.

Les sols issus d’alluvions marines occupent des surfaces encore plus restreintes que les sols prĂ©cĂ©dents, limitĂ©es Ă  des zones planes de faibles Ă  très faibles altitudes, en bordure des cĂ´tes basses, comme les marais ou les polders. Ces sols ont Ă©tĂ© (ou sont encore) recouverts temporairement par les eaux salĂ©es. On distingue deux catĂ©gories de sols : les THALASSOSOLS et les vertisols. Les premiers se dĂ©veloppent dans des sĂ©diments marins appelĂ©s « tangue Â» constituĂ©s de limons, sables fins et de dĂ©bris calcaires. Mis en culture dès le Moyen-âge, ils constituent la zone de maraĂ®chage intensif des polders du Nord de l’Ille-et-Vilaine ou des marais blancs de Dol-de-Bretagne. Ils sont très importants dans le dĂ©veloppement Ă©conomique du secteur qu'ils occupent, Ă©tant très productifs. Ces sols sont naturellement non acides, prĂ©sentent une très bonne rĂ©serve en eau du fait de leur profondeur, sont lĂ©gers mais difficiles Ă  travailler car ils sont globalement peu structurĂ©s. De plus, la proportion importante de sables fins dans ces sĂ©diments fait qu’ils sont peu battants (sauf en cas de travail du sol inappropriĂ©). Les vertisols, quant Ă  eux, prĂ©sentent des horizons de texture argileuse Ă  faible profondeur et constituent les marais que l’on peut observer, par exemple, Ă  l’aval de Redon. Ils peuvent ĂŞtre observĂ©s localement dans des zones d’alluvions fluviatiles et lacustres, si les alluvions sont constituĂ©es de sĂ©diments fins riches en argile smectitique. Ces argiles prĂ©sentent des propriĂ©tĂ©s de gonflement-retrait selon l’état d’humiditĂ© du sol. Des horizons tourbeux peuvent ĂŞtre rencontrĂ©s en profondeur, tĂ©moignant de conditions particulièrement humides. La granulomĂ©trie des diffĂ©rents horizons est relativement constante ; la salinitĂ© est modĂ©rĂ©e Ă  Ă©levĂ©e en allant vers la profondeur, les pH acides ou neutres. Ces sols prĂ©sentent un fonctionnement hydrique très contrastĂ© selon les saisons, avec en Ă©tĂ© un dessèchement intense et en hiver la formation d’une nappe perchĂ©e temporaire au-dessus des horizons argileux. AssociĂ© Ă  une structuration grossière et Ă  des contraintes d’ordre chimique (salinitĂ©, aciditĂ©), ce fonctionnement hydrique explique la difficultĂ© de mise en culture de ces sols et leur faible productivitĂ©. Au cours du temps, ces sols ont Ă©tĂ© assainis (rigoles, ados), le travail du sol a Ă©tĂ© adaptĂ© pour maintenir ou crĂ©er l’état structural (interventions sur sol ressuyĂ©) et les caractĂ©ristiques chimiques ont Ă©tĂ© amĂ©liorĂ©es (dĂ©salinisation, apports d’amendements calciques). Ils sont souvent valorisĂ©s en prairies naturelles ou par l’implantation de cultures de printemps.

Enfin, les colluviosols ont des caractĂ©ristiques en lien avec les matĂ©riaux qui les composent. Les colluvions recouvrent un sol prĂ©existant dont ils sont indĂ©pendants. Ils sont très souvent riches en Ă©lĂ©ments grossiers ; leur teneur en matière organique dĂ©pend de celle des matĂ©riaux transportĂ©s et de la vĂ©gĂ©tation enfouie. Comme pour les sols alluviaux, leurs propriĂ©tĂ©s sont fonction des matĂ©riaux transportĂ©s.

Sols anthropisés

Anthroposol
Sol anthropisé (ANTHROPOSOL) de l'agglomération rennaise (25).

Ce sont des « sols intensĂ©ment utilisĂ©s et perturbĂ©s par l’homme Â»[21] qui constituent le support de nos habitations, de nos routes, de nos jardins, mais que l’on retrouve Ă©galement dans les chantiers, les carrières, les terrains vagues. Ils incluent donc les sols urbains. Cette diversitĂ© de lieu englobe une diversitĂ© de « sols Â» jusqu’ici peu Ă©tudiĂ©s et que l’on regroupe sous l’appellation « sols anthropisĂ©s Â» ou anthroposols. En 2006, les surfaces occupĂ©es par ces sols artificialisĂ©s (bâtis ou non bâtis) atteignaient 12 % de la superficie rĂ©gionale[22].

On distingue trois catĂ©gories de sols anthropisĂ©s[13]. Ils peuvent ĂŞtre entièrement fabriquĂ©s par l’homme par dĂ©capage du sol naturel puis apport de matĂ©riaux divers (cas des industries, carrières…), ou provenir de l’évolution d’un sol naturel soumis Ă  de profondes modifications que ce soit pour amĂ©liorer le sol agricole (apport de matĂ©riaux terreux, surfertilisation, travail profond) ou pour crĂ©er un sol urbain ou pĂ©riurbain (impermĂ©abilisation de la surface par un revĂŞtement, compactage, pollution). Enfin, certains de ces sols sont reconstituĂ©s par apports de matĂ©riaux terreux. Il s’agit ici de fabriquer un sol fertile, support notamment de nos espaces verts. 

Il y a ainsi une grande diversité de sols anthropiques ce qui induit une difficulté de caractérisation globale. De plus, il peut exister, au sein d’un même sol, une forte hétérogénéité verticale et/ou horizontale selon les matériaux apportés, qui pose problème lorsqu’on veut les cartographier. Dans ces sols, considérés comme jeunes et peu évolués, il est tout de même possible de distinguer des horizons dits anthropiques (Z) que l’on décrit par le type de matériaux apporté, la texture dominante, la profondeur, etc.

La gĂ©omorphologie et le type d’occupation du sol ne sont pas ici les facteurs explicatifs de la distribution de ces sols, mais ils interviennent dans l’évolution de ces « nĂ©o-sols Â». Les potentialitĂ©s de ces sols sont variables. Elles peuvent ĂŞtre supĂ©rieures au « sol naturel Â» (ex : apport de matĂ©riau terreux pour approfondir un sol), mais bien souvent des dĂ©gradations de leurs propriĂ©tĂ©s physiques, chimiques et biologiques sont observĂ©es.

Sols rares 

Plusieurs types de sol sont présents avec une faible extension régionale (de l’ordre de quelques pourcents au total), car liés à un processus ou matériau parental particulier. Ils sont néanmoins intéressants à considérer, car ils sont souvent associés à des écosystèmes remarquables et constituent par eux-mêmes un patrimoine pédologique à préserver.

PODZOSOL
PODZOSOL issu du grès armoricain sou forêt de pins dans le Morbihan

Les podzosols, tout d’abord, sont des sols très contrastés dans lesquels le processus de podzolisation est dominant. Ils se développent sur des substrats acides, sableux, pauvres en minéraux altérables, notamment des grès et quartzites, mais aussi sur des schistes et granites. Ils se caractérisent idéalement par la présence de trois horizons spécifiques, sous une litière épaisse (humus de type mor) et un horizon organo-minéral. Tout d’abord un horizon blanchi à structure particulaire, très poreux, très pauvre en argile formant un horizon lessivé (E). Il surmonte un horizon très sombre, noirâtre, riche en matières organiques, en aluminium et/ou en fer (BPh) puis un horizon ocre enrichi en fer, aluminium et dans une moindre mesure en matières organiques (BPs). Ils occupent généralement les sommets de butte ou les pentes fortes exposées au Nord et sont souvent en association avec des sols peu différenciés. Ces sols sont absents à très rares en milieu cultivé, du fait notamment de leur forte acidité, de leur pauvreté en éléments qui induisent une très faible activité biologique, et de leur abondance en éléments grossiers. Ils sont généralement filtrants et peu profonds ce qui se traduit par une réserve utile faible en été. Du fait de ces contraintes, ils sont fréquemment associés à des résineux ou à des landes à bruyère.

Les sols de dunes littorales se développent quant à eux à partir d’un substrat meuble, le sable éolisé, provenant de l’érosion des plages. Cette forte proportion de sables quartzeux, peu altérables, associée à une érosion éolienne très forte et à des processus pédogénétiques peu intenses, conduit à des sols peu évolués de type arénosol ou régosols. Les premiers possèdent des quantités de matière organique non négligeables et peuvent être le siège d’une activité biologique, contrairement aux seconds. Ces sols très secs, bien aérés, calcaires ou non, ont une faible fertilité. Ils portent généralement une très maigre végétation très sensible au piétinement. Ils forment les cordons dunaires en bordure des plages et sont fréquemment associés à des étangs ou zones humides en arrière des dunes. Ils sont surtout représentés de façon discontinue le long de la côte sud, de Tréguennec (Finistère) à Damgan (Morbihan) et sur la côte Nord du Finistère.

Histosol
HISTOSOL dans le Finistère.

Les tourbières sont caractĂ©risĂ©es par une accumulation de dĂ©bris vĂ©gĂ©taux morts en milieu humide Ă  nappe d’eau peu renouvelĂ©e ou en milieu saturĂ© par de l’eau oxygĂ©nĂ©e, mais dans lequel l’activitĂ© bactĂ©rienne est faible[23]. Les sols qui les caractĂ©risent sont des histosols, composĂ©s quasi-exclusivement d’horizons histiques. Selon le degrĂ© de  dĂ©composition des vĂ©gĂ©taux, on distingue les horizons sapriques (dĂ©composition forte Ă  totale), mĂ©siques ou fibriques (dĂ©composition nulle Ă  très faible). La teneur en matière organique dĂ©passe très souvent les 40 %. Il n’est pas rare de retrouver des horizons histiques au sein de sols alluviaux, mais leur faible Ă©paisseur ne suffit pas Ă  former un HISTOSOL. Sur les 6 000 ha de tourbières recensĂ©es en Bretagne (0,2 % de la superficie rĂ©gionale), les trois quarts sont observĂ©es dans le Finistère, notamment dans les Monts-d’ArrĂ©e et les Montagnes Noires[24]. Elles sont associĂ©es Ă  des paysages de landes, prairies humides ou roselières, dans des positions topographiques favorisant la saturation en eau du sol (tĂŞte de talweg, vallon Ă  fond plat, dĂ©pression humide...). Depuis le XVIe siècle et jusque dans les annĂ©es soixante, la tourbe Ă©tait traditionnellement extraite et utilisĂ©e comme combustible familial. Une exploitation industrielle Ă  des fins Ă©nergĂ©tiques s’est Ă©galement dĂ©veloppĂ©e. Elle est encore aujourd’hui utilisĂ©e, mais cette fois-ci comme support de culture en horticulture[25].

Fersialsols
FERSIALSOLS de Belle-Ile (Morbihan).

Il est possible d’observer en Bretagne des sols rouges similaires Ă  ceux observĂ©s en contexte mĂ©diterranĂ©en. Ces couleurs vives sont dues Ă  la prĂ©sence de fer qui a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© Ă  la suite d'une altĂ©ration très importante d’une roche mère. Ce type d’altĂ©ration ne se produit plus sous notre climat ocĂ©anique actuel. Les sols ayant subi cette pĂ©dogenèse ancienne sont appelĂ©s des PalĂ©osols. Deux catĂ©gories de sols peuvent ĂŞtre rencontrĂ©es : les fersiasols et les ferrallitisols. Les premiers se dĂ©veloppent au sein d’anciennes terrasses alluviales ou de dĂ©pĂ´ts gravelo-sablo-argileux du Pliocène appelĂ©s sables rouges, qui parsèment le sud-est de la Bretagne et peuvent ĂŞtre affectĂ©s par des phĂ©nomènes d’oxydo-rĂ©duction liĂ©s Ă  la prĂ©sence d’une nappe temporaire. Les seconds, observĂ©s principalement dans le sud de l’Ille-et-Vilaine, constituent les cuirasses ferrugineuses. Ces indurations que l’on retrouve en haut de versant ou sur les plateaux, sont parfois Ă©paisses de plusieurs mètres ; elles Ă©taient autrefois exploitĂ©es comme minerais de fer. Ces horizons d’accumulations d’oxydes mĂ©talliques, indurĂ©s, sont appelĂ©s horizon pĂ©troxydique OXm. En plus de la prĂ©sence de ces indurations, les FERRALLITISOLS se distinguent des FERSIALSOLS par l’absence de minĂ©raux argileux de type 2/1 et d’illuviation d’argile[13]. En effet, l’altĂ©ration ferrallitique conduit Ă  la disparition totale des minĂ©raux primaires et Ă  la formation de minĂ©raux argileux de type 1/1.

Calcosol
Calcosol sur falun du Quiou (CĂ´tes-d'Armor).

Les potentialitĂ©s agricoles de ces sols sont variables. Leur couleur rouge fait qu’ils se rĂ©chauffent plus rapidement que les sols bruns, ce qui est un atout pour l’implantation des cultures. Leur richesse en argile contribue Ă  structurer le sol ; leur charge en Ă©lĂ©ments grossiers, liĂ© Ă  la prĂ©sence de quartz ou Ă  la dĂ©gradation de la cuirasse, peut ĂŞtre un facteur limitant Ă  la mise en culture (faible rĂ©serve en eau, usure du matĂ©riel). De plus, leur pauvretĂ© en Ă©lĂ©ments nutritifs, leur pH acide Ă  très acide, contraignent Ă  des apports de chaux, engrais et matières organiques. Enfin, signalons la prĂ©sence très ponctuelle en Ille-et-Vilaine et dans les CĂ´tes-d'Armor de calcosols. Ces sols carbonatĂ©s, dans lesquels le carbonate de calcium domine, se sont dĂ©veloppĂ©s dans une roche sĂ©dimentaire dĂ©tritique constituĂ©e de dĂ©bris coquilliers et appelĂ©e faluns. Ces dĂ©pĂ´ts se sont mis en place au Tertiaire Ă  l’emplacement de l’ancienne mer des Faluns. De nombreuses carrières encore visibles aujourd’hui tĂ©moignent de l’exploitation de ces faluns. Les calcosols se dĂ©veloppent dans un relief mollement ondulĂ©. Ils sont en gĂ©nĂ©ral surmontĂ©s d’une terrasse alluviale caillouteuse ; la charge en Ă©lĂ©ments grossiers peut donc ĂŞtre limitante pour la mise en culture. Ils  prĂ©sentent des textures limono-argilo-sableuses, une bonne stabilitĂ© structurale liĂ©e Ă  la prĂ©sence de calcium, et des pH basiques.

Ainsi sous leur apparente uniformité, les sols bretons montrent une grande diversité. Le Tableau 4 propose une synthèse des types de sols bretons observés et une comparaison avec les sols rencontrés en France. La figure 5 propose quelques illustrations de la répartition régionale de grands types de sol.

Sol dominant légende FAO Références de sols correspondantes1 Fréquence en France 2 Fréquence en Bretagne
Cambisol Brunisol, Alocrisol 42,3 Majoritaires en Bretagne, sur tout type de substrat
Luvisol Luvisols 15,0 Fréquent, surtout dans le Nord de la région, sur limons
Rendzine Calcosol/Calcisol 12,4 Peu représenté
Podzol/Podzoluvisol Podzosol 12,0 Peu représenté
Fluvisol Fluviosol/Thalassosol 7,8 Fréquent mais représente peu de surface au niveau régional
Lithosol Lithosol 3,2 Peu représenté
Ranker Rankosol 2,3 Fréquent
Agglomération Anthroposol 1,2 En forte augmentation
Arénosol arénosol 0,9 Peu représenté
Andosol Andosol 0,9 Inexistant
Régosol Régosol 0,6 Peu représenté
Solonchak Salisol 0,4 Inexistant
Gleysol Rédoxisol/Réductisol 0,4 Fréquent
Histosol Histosol 0,3 Peu représenté, majoritairement dans le Finistère
Planosol Planosol 0,1 Peu représenté
Vertisol Vertisol 0,1 Peu représenté
glacier 0,1 Inexistant
Phaeozem Phaeosol, Grisol 0,1 Non observé
1 RĂ©fĂ©rences  indiquĂ©es selon le RĂ©fĂ©rentiel PĂ©dologique de 2008[13]
2 DonnĂ©es extraites de la base de donnĂ©es gĂ©ographiques des sols d'Europe au 1/1 000 000ème, 1997

Tableau 4 : Comparaison de la frĂ©quence des grands types de sols en France et en Bretagne.

[7] Figure 5: Distribution rĂ©gionale de quelques grands types de sols 1.     Carte de prĂ©diction de la rĂ©partition des sols prĂ©sentant des traits d’hydromorphie avant 40 cm de profondeur se prolongeant et/ou s’intensifiant en profondeur. Elle est obtenue par modĂ©lisation pĂ©dologique Ă  partir de donnĂ©es ponctuelles 2.     PĂ©dopaysages au sein desquels la proportion de sols affectĂ©s par un lessivage d’argile est dominante. Cela correspond essentiellement aux sols issus des limons Ă©oliens et des schistes des bassins briovĂ©riens ; au sein de ces derniers, ils sont associĂ©s Ă  des Brunisols.3.     PĂ©dopaysages au sein desquels la proportion de sols peu Ă©pais est dominante.4.     PĂ©dopaysages au sein desquels la proportion de sols issus d’alluvions fluviatiles est dominante.5.     PĂ©dopaysages au sein desquels des sols d’apports marins ou fluvio-marins sont observĂ©s.6.     Illustration de l’artificialisation des sols par la reprĂ©sentation des types de paysages correspondant Ă  l’urbain dense, au pĂ©riurbain et bourgs et Ă  l’habitat diffus en Bretagne.7.     PĂ©dopaysages au sein desquels des Podzosols sont observĂ©s.8.     RĂ©partition des forĂŞts bretonnes   ; les Alocrisols sont les sols forestiers majoritairement observĂ©s. 9.     Inventaire des tourbières bretonnes 10.  PĂ©dopaysages au sein desquels la proportion de palĂ©osols est dominante.

Propriétés et fonctionnement des sols

La texture

Fractions granulométriques
Figure 6 : Teneurs en argile, limons et sables des horizons de surface des sols bretons.

La texture des horizons de surface des sols bretons est dominĂ©e par les limons  (particules de 2 Ă  50 µm) (Figure 6). Cette prĂ©dominance s’accompagne d’une variabilitĂ© limitĂ©e des teneurs en argile (particules infĂ©rieures Ă  2 µm) variant le plus souvent de 10 Ă  17 %. Cependant certains sols spĂ©cifiques prĂ©sentent des teneurs en argile nettement plus Ă©levĂ©es.

Deux facteurs expliquent l’importance de la fraction limoneuse dans le contexte breton :

  • l’extension des substrats gĂ©ologiques dont l’altĂ©ration conduit Ă  des particules de la taille des limons, en particulier les diffĂ©rentes roches sĂ©dimentaires et mĂ©tamorphiques prĂ©sentes.
  • les apports Ă©oliens de particules de taille comprise entre 20 et 50 µm, d’importance dĂ©croissante du nord au sud, qui ont recouvert les diffĂ©rents substrats et ont pu homogĂ©nĂ©iser les textures de surface. Ces limons d’altĂ©ration ou d’apport peuvent ĂŞtre distinguĂ©s sur le terrain par la distribution de la taille des particules, qui est en faveur des limons grossiers dans le cas des limons Ă©oliens ; ils prĂ©sentent Ă©galement des caractĂ©ristiques minĂ©ralogiques diffĂ©rentes. Mais, très souvent, les matĂ©riaux d’apports Ă©oliens ont Ă©tĂ© mĂ©langĂ©s aux matĂ©riaux en place, du fait de redistributions locales postĂ©rieures aux dĂ©pĂ´ts. Des modèles de mĂ©lange, associant diffĂ©rents pĂ´les de matĂ©riaux en place ou d’apport, permettent d’expliquer l’essentiel de la variabilitĂ© observĂ©e dans les secteurs de Bretagne oĂą ce mĂ©lange est survenu[26].

Deux variations importantes perturbent nĂ©anmoins ce schĂ©ma :

  • Les grands massifs granitiques, notamment au sud de la rĂ©gion, mais Ă©galement au nord dans des situations de plus faibles apports de limons, correspondent Ă  des sols nettement plus sableux, contenant plus de 35 % de sables. Des apports de sables Ă©olisĂ©s  peuvent renforcer ce trait le long du littoral sud.
  • Certains substrats schisteux conduisent Ă  des sols plus riches en argile, avec des teneurs moyennes de l’ordre de 18 Ă  22 %, notamment dans la partie centrale du Massif armoricain. Ces variations d’apparence limitĂ©es se traduisent par des variations de comportement physique significatives.

Il faut aussi noter que l’uniformisation des textures en surface par les processus de mĂ©lange et de redistribution locale, est beaucoup moins marquĂ©e dans les horizons profonds. On observe ainsi très souvent des variations verticales des textures très importantes, liĂ©es Ă  des superpositions de matĂ©riaux (par exemple un limon Ă©olien reposant sur une arène sableuse granitique) et dans une moindre mesure aux processus de lessivage d’argile. 

Statut organique et qualité chimique des sols

Le statut organique et les propriétés chimiques des sols cultivés sont relativement bien documentés en Bretagne, à travers les études statistiques menées par canton sur les analyses de terres des horizons de surface[27]. Une Base de Données des Analyses de Terre (BDAT)[28] existe en effet au niveau national et permet d'obtenir des statistiques sur de nombreux paramètres des sols à l'échelle du canton ou de la petite région agricole. De telles références ne sont pas disponibles pour les milieux naturels et urbanisés et leurs sols sont donc moins bien caractérisés. Néanmoins, l’utilisation des plantes bioindicatrices des conditions pédologiques a permis une première cartographie des variations des pH dans les sols forestiers[29].

pH, P et C des sols bretons
Figure 7 : Cartographie de propriĂ©tĂ©s chimiques (pH, teneur en phosphore) et de la teneur en carbone organique des horizons de surface des sols bretons.

Obtenues à partir de démarches très différentes, les deux cartes du pH des sols en milieu forestier et en milieu agricole, ne sont pas directement comparables (Figure 7). Mais, leur rapprochement permet de se rendre compte de l’acidité nettement plus marquée (pH généralement inférieur à 5, très souvent inférieur à 4,5) en milieu forestier qu’en milieu agricole. Le faible pouvoir tampon des matériaux parentaux des sols bretons explique cette très forte acidité des sols, qui induit des milieux très fréquemment oligotrophes, support de communautés végétales spécifiques, tolérantes à la toxicité aluminique et à la fertilité chimique médiocre des sols.

La mise en valeur agricole des sols a longtemps Ă©tĂ© freinĂ©e par ces problèmes d’aciditĂ© et certaines cultures peu tolĂ©rantes Ă  l’aciditĂ© (par exemple le blĂ©) ne pouvaient ĂŞtre implantĂ©es dans une grande partie de la Bretagne : seules les zones littorales bĂ©nĂ©ficiant d’apports de matĂ©riaux calcaires d’origine marines ou encore les zones dĂ©veloppĂ©es dans des alluvions marines (par exemple le Marais de Dol), disposaient de sols agricoles, pour lesquels les problèmes d’aciditĂ© n’étaient pas une contrainte.

La disponibilitĂ© croissante Ă  partir du XIXe siècle d’amendements calcaires (chaux, marnes) a permis un accroissement gĂ©nĂ©ralisĂ© et remarquable du pH des sols et a levĂ© un verrou majeur Ă  l’intensification de la production.  Les pH actuels, compris majoritairement entre 6,0 et 6,5 correspondent Ă  des sols lĂ©gèrement acides (Figure 6), qui nĂ©cessitent des apports rĂ©guliers d’amendements calcaires pour Ă©viter leur acidification naturelle. Notons Ă©galement que ce redressement du pH des sols s’est accompagnĂ© Ă  partir des annĂ©es 1960 d’une correction d’autres contraintes chimiques, notamment celles liĂ©es Ă  des carences très frĂ©quentes en certains oligo-Ă©lĂ©ments (Cu, Zn, Bo), mais aussi des dĂ©ficiences en K, Mg et P. Les analyses de terre ont ainsi permis au cours des dernières dĂ©cennies de modifier les caractĂ©ristiques physico-chimiques des sols agricoles, en faveur de teneurs et de compositions optimales sur le plan agronomique.

Il faut nĂ©anmoins noter que la cartographie du pH des sols cultivĂ©s (Figure 7) rĂ©vèle deux autres structures majeures :

  • un pH plus acide dans le sud associĂ© aux sols dĂ©veloppĂ©s sur granite et qui peut s’expliquer par une aciditĂ© initiale plus forte, mais Ă©galement une moindre intensification et correction chimique de ces sols ;
  • des pH nettement plus Ă©levĂ©s le long du littoral nord, qui s’expliquent par des apports d’amendements calcaires plus anciens et plus beaucoup plus importants, notamment dans les zones lĂ©gumières.  

La carte des teneurs mĂ©dianes en carbone organique (Figure 7) rĂ©vèle un autre trait remarquable de la variabilitĂ© des sols bretons, i.e. un gradient très important de teneurs en matière organique des sols, de 1 Ă  4,5 % de carbone organique, soit de 1,7 Ă  7,8 % de matière organique en se limitant aux seules terres cultivĂ©es). Ce gradient, structurĂ© gĂ©ographiquement du nord-est au sud-ouest, couvre une Ă©tendue de variation du mĂŞme ordre que celle observĂ©e Ă  l’échelle de la France entière et reprĂ©sente un trait essentiel de la diversitĂ© rĂ©gionale des sols, mais aussi de leur fonctionnement. L’origine de ce gradient n’est pas pleinement Ă©lucidĂ©e, mais les processus susceptibles de l’expliquer sont connus :

  • une variabilitĂ© climatique (prĂ©cipitations, tempĂ©rature)
  • des diffĂ©rences d’historique et d’intensitĂ© d'utilisation agricole des sols (proportion de prairies dans les rotations, dates de mise en cultures
  • des variations intrinsèques des sols (pH, teneur en argile, minĂ©ralogie). Ces dĂ©terminants influencent les quantitĂ©s de carbone issues de rĂ©sidus vĂ©gĂ©taux qui entrent annuellement dans le sol, mais Ă©galement les dynamiques de minĂ©ralisation du carbone, notamment par l’intermĂ©diaire de leurs effets sur l’activitĂ© macrobiologique et microbiologique des sols. Ainsi, les zones oĂą les teneurs en carbone sont les plus fortes correspondent Ă  des secteurs Ă  plus forte pluviomĂ©trie, avec un historique de retournement de prairies rĂ©cent, des pH souvent plus acides, … alors que les zones Ă  teneur très faibles ont une pluviomĂ©trie moindre, sont exploitĂ©es intensivement de plus longue date, avec des pH plus Ă©levĂ©s.

La carte des teneurs en phosphore extractible selon la mĂ©thode Dyer (Figure 7) illustre un dernier trait majeur, qui est l’enrichissement important des sols bretons en phosphore au cours des dernières dĂ©cennies. D’une situation de carence quasi-gĂ©nĂ©ralisĂ©e en phosphore observĂ©e dans les premières analyses de terre disponibles Ă  partir des annĂ©es 1960, nous sommes passĂ©s Ă  une situation gĂ©nĂ©rale de teneurs Ă©levĂ©es Ă  très Ă©levĂ©es, qui s’explique par les apports de redressement effectuĂ©s Ă  partir de cette date, mais aussi par l’importance du recyclage des effluents d’élevage sur les sols, Ă  des doses  quasi-systĂ©matiquement excĂ©dentaires en phosphore par rapport aux besoins des plantes.

Les organismes vivants du sol

Le sol abrite une faune très diverse. Bien que l’ensemble des organismes vivants dans le sol ne reprĂ©sente que 0,08 % de la masse du sol, son activitĂ© est primordiale dans le fonctionnement du sol[30]. Ainsi, la faune du sol a des effets d'ordre biologique (stimulation de la flore microbienne des sols, etc.), chimique (enrichissement en minĂ©raux assimilables, Ă©purations biologiques, etc.) et physique (fragmentation des matières organiques fraĂ®ches, brassage, transfert de carbone et nutriments, crĂ©ation de porositĂ©, agrĂ©gation et stabilitĂ© structurale, etc.)[31].

Taille et diversité des organismes du sol
Figure 8 : Taille et diversité des organismes du sol.

La faune du sol peut être classée selon des critères de taille (Figure 8), qui permettent de comprendre les rôles complémentaires de cette diversité biologique vis-à-vis de l’utilisation des niches écologiques et de leurs capacités à réagir aux modifications de leur environnement. . Les organismes de taille inférieure à 0,2 mm constituent la microfaune (protozoaires et certains nématodes). La mésofaune, de taille comprise entre 0,2 et 4 mm, rassemble entre autres les grands nématodes, les acariens, les collemboles et les enchytréides. La faune de taille comprise entre 4 et 80 mm compose la macrofaune (vers de terre, termites, larves d'insectes, fourmis, limaces, araignées, cloporte, myriapodes ou millepattes, etc.).

Les micro-organismes (microflore et microfaune) vivent et agissent à l’échelle de l’agrégat (univers de vie de l’ordre de quelques mm à 5 cm). Ils interviennent dans les étapes de biodégradation, de minéralisation et d'humification de la matière organique. Leur activité permet la libération d'éléments nutritifs pour la plante, alors que leur inactivité entraîne le blocage des cycles du carbone, de l'azote et du soufre, associé à un mauvais fonctionnement du sol. Malgré leur petite taille, les micro-organismes peuvent aussi influencer la structure du sol : les bactéries et les champignons jouent un rôle fondamental dans la structuration du sol, via la formation et la stabilisation des agrégats[23]. Les protozoaires, qui sont microphages, participent à la régulation des communautés bactériennes.

La mésofaune vit et agit à l’échelle de la motte de terre (univers de vie variant de 10 à 50 cm). Ce sont des broyeurs de feuilles, des fragmenteurs de matières organiques mortes, ou encore des prédateurs (exemple de certains acariens).

Les organismes de la macrofaune vivent et agissent Ă  l’échelle du profil de sol (univers de vie variant de 1 Ă  5 m d’extension). Ils peuvent modifier les propriĂ©tĂ©s physiques et chimiques de leur environnement, si bien qu’on les qualifie souvent « d’ingĂ©nieurs de l’écosystème Â»[30]. Ils crĂ©ent des structures physiques plus ou moins pĂ©rennes Ă  travers lesquelles ils modifient la disponibilitĂ© ou l'accessibilitĂ© d'une ressource pour d'autres organismes. Ils agissent sur l’évolution de la matière organique, son intĂ©gration et sa redistribution dans le profil de sol : la matière organique morte, prĂ©levĂ©e Ă  la surface ou dans le sol, est fragmentĂ©e, brassĂ©e dans le tube digestif avec la matière minĂ©rale ingĂ©rĂ©e lors de la crĂ©ation des galeries, et rejetĂ©e sous forme de dĂ©jections qui seront dĂ©posĂ©es Ă  la surface ou dans le profil le sol.

Les organismes du sol sont des acteurs de l’état et de l’évolution du système interactif sol, mais également des indicateurs de perturbations[32]

Les sols au cours du temps

Évolution au cours du Quaternaire

Les traces de sols anciens sont nombreuses en Bretagne[33]. Le long de certaines falaises de bord de mer, on voit aisĂ©ment plusieurs sols superposĂ©s rĂ©sultant de cycles d’érosion et  dĂ©pĂ´ts successifs, mais Ă©galement de processus pĂ©dogĂ©nĂ©tiques diffĂ©rents : par exemple, la coupe de Nantois en PlĂ©neuf-Val AndrĂ© permet d’observer, sur une vingtaine de mètres d’épaisseur, des sĂ©quences d’horizons attribuĂ©s Ă  une dizaine de palĂ©osols diffĂ©rents, datĂ©s depuis 200 000 ans BP jusqu’à la pĂ©riode actuelle. Les traits pĂ©dologiques des sols dĂ©veloppĂ©s dans des dĂ©pĂ´ts successifs d'origine Ă©olienne, diffèrent fortement. La variabilitĂ© climatique au cours du Quaternaire a ainsi eu une influence dĂ©terminante sur la pĂ©dogenèse des sols. Des palĂ©osols encore plus anciens subsistent Ă  l’échelle rĂ©gionale, notamment des Fersialsols (320 000 ans BP). Par ailleurs, des reliques de sols ferralitiques peuvent ĂŞtre observĂ©es et sont antĂ©rieures au Quaternaire.

MalgrĂ© tous ces indices de pĂ©dogenèse ancienne, il faut noter que la couverture pĂ©dologique a Ă©tĂ© fortement rajeunie Ă  l’issue de la dernière pĂ©riode glaciaire du WeichsĂ©lien, comprise entre 17 000 et 20 000 ans BP. Au cours de celle-ci, les sols de Bretagne, situĂ©s  alors au sud de la calotte glaciaire, subissent de nombreux processus pĂ©riglaciaires qui les dĂ©stabilisent fortement et qui apportent Ă  la surface des sols de nouveaux matĂ©riaux, issus d’une redistribution locale ou d’origine allochtone.

Les sols actuels rĂ©sultent ainsi pour l’essentiel des matĂ©riaux mis en place il y a 15 000 ans et des processus pĂ©dogĂ©nĂ©tiques qui les ont  affectĂ©s depuis lors : il s’agit donc de sols relativement « jeunes » dont la diffĂ©renciation des horizons reste globalement peu marquĂ©e. La pĂ©riode postglaciaire de l’Holocène permet l’implantation d’un couvert forestier et est considĂ©rĂ©e comme une pĂ©riode de stabilitĂ©, oĂą les processus d’érosion et de sĂ©dimentation sont modĂ©rĂ©s. Selon la nature des matĂ©riaux et les conditions locales, les sols sont affectĂ©s par des processus dominants de brunification, d’illuviation, d’hydromorphie ou de podzolisation, qui conduisent aux grands types de sols observĂ©s aujourd’hui.

Néanmoins, la colonisation progressive du Massif armoricain par l’homme induit une déforestation et une mise en culture qui affectent directement les sols. L’installation de parcellaires et les pratiques culturales associées entrainent une augmentation forte des processus d’érosion, notamment au cours de la période romaine et à nouveau à partir du Haut Moyen-Âge, qui génèrent un colluvionnement de bas de versant ou en amont des talus : dans le secteur de Montours (Ille-et-Vilaine), la datation au carbone 14 de charbons de bois prélevés dans des colluvions accumulées en amont d’anciennes haies, donne des âges compris entre les Xe et XIIIe siècles, en accord avec une augmentation forte de la mise en culture révélée par des diagrammes polliniques établis dans une tourbière à proximité du site.

Haies et paysages
Figure 10 : Modifications du paysage par la mise en place de haies bocagères.

La mise en culture des terres défrichées au Moyen-Âge s’accompagne de la mise en place de haies qui délimitent les champs et atténuent les effets de l’érosion. Entre les haies, la terre démobilisée lors des phénomènes d’érosion vient s’accumuler contre la haie positionnée en contrebas. En amont de la parcelle le sol subit une ablation, tandis qu’en aval il s’épaissit par colluvionnement, la pente se modifiant ainsi progressivement (Figure 10). Ainsi, la distribution des sols peut être profondément modifiée par l’homme[34].

L’activité humaine a donc un impact sur les sols de façon importante depuis au moins un millénaire : à l’accroissement de l’érosion, il faut ajouter les effets du travail du sol, des apports de matière organique, de l’implantation des cultures ou encore des techniques d’assainissement. Les fonctionnements physico-chimiques et biologiques des sols ont donc été fortement influencés par l’homme bien avant l’intensification de l’agriculture des dernières décennies, mais sans avoir la possibilité de lever certaines contraintes majeures, notamment liées à l’acidité et aux carences en éléments nutritifs.

 Ă‰volutions rĂ©centes

Depuis les annĂ©es 1950, les Ă©volutions de l’agriculture et de la gestion des sols ont Ă©tĂ© particulièrement fortes. Les choix rĂ©alisĂ©s au sortir de la guerre pour assurer l’autosuffisance alimentaire du pays ont conduit Ă  une intensification des modes de production agricole bretons. Ainsi, en 50 ans, la Bretagne est devenue l’une des premières rĂ©gions agricoles d’Europe, notamment pour l’élevage. La modernisation des mĂ©thodes culturales a permis de s’affranchir peu Ă  peu des caractĂ©ristiques intrinsèques du sol pour l’adapter aux nĂ©cessitĂ©s de la production. De nombreuses terres jusqu’alors impropres Ă  la culture sont converties en terres cultivĂ©es productives. L’amĂ©lioration des connaissances des caractĂ©ristiques physiques et chimiques des sols, au cours des annĂ©es 1980, conduit Ă  l’élaboration des premiers plans de fertilisation. L’intensification des productions se poursuit avec l’accroissement des productions bovines et l’apparition des Ă©levages de volailles et de porcs, ces derniers nĂ©cessitant des surfaces aptes Ă  l’épandage des effluents produits. Le drainage des terres humides se poursuit jusque dans les annĂ©es 1990, date Ă  laquelle l’émergence des prĂ©occupations environnementales et la dĂ©gradation des ressources en eau amènent Ă  la prise en compte de nouvelles fonctions : les sols ne sont plus perçus comme de simples supports de cultures, mais Ă©galement comme des systèmes Ă©purateurs vis-Ă -vis des pollutions liĂ©es aux nitrates, pesticides, phosphore, etc[19].

L’impact de ces mutations techniques et économiques sur les sols bretons n’est pas totalement connu, car on ne dispose pas de données anciennes fiables permettant d’analyser l’évolution des sols. Néanmoins, la constitution progressive de bases de données permet d’identifier les évolutions récentes des sols bretons, détaillées par la suite.

Diminution des teneurs en matières organiques

L’évolution des pratiques agricoles, ainsi que la modification des apports organiques liés à l’élevage, ont eu des répercussions sur la matière organique des sols. Ainsi, on observe depuis 40 ans une tendance à la diminution de la teneur en matière organique dans les sols bretons, avec une baisse d’autant plus importante que la teneur initiale était forte[27]. Cela affecte l’activité biologique des sols, la stabilité de sa structure et ses capacités à stocker les nutriments comme le phosphore, à absorber et à biodégrader des polluants. La fertilité des sols peut donc être affectée. Les conséquences environnementales de cette moindre richesse en matières organiques peuvent être importantes notamment en ce qui concerne le ruissellement, l’érosion ou l’entrainement des molécules potentiellement polluantes vers les cours d’eau. Il semble néanmoins qu’au cours de la dernière décennie, on tende vers une stabilisation de ces teneurs[35].

Maîtrise de l’acidité

L'exploitation agricole des sols a longtemps Ă©tĂ© freinĂ©e par des problèmes d’aciditĂ© et certaines cultures peu tolĂ©rantes Ă  l’aciditĂ© ne pouvaient ĂŞtre implantĂ©es dans une grande partie de la Bretagne : seules les zones littorales bĂ©nĂ©ficiant d’apports de matĂ©riaux calcaires d’origine marines ou encore les zones dĂ©veloppĂ©es dans des alluvions marines, disposaient de sols agricoles pour lesquels les problèmes d’aciditĂ© n’étaient pas une contrainte Ă  la production agricole. La disponibilitĂ© croissante Ă  partir du XIXe siècle d’amendements calcaires a permis un accroissement gĂ©nĂ©ralisĂ© et remarquable du pH des sols et a levĂ© un verrou majeur Ă  l’intensification de la production. 

Notons également que ce redressement du pH des sols s’est accompagné à partir des années 1960 d’une correction d’autres contraintes chimiques, notamment celles liées à des carences très fréquentes en certains oligo-éléments, mais aussi des déficiences en K, Mg et P.

Ainsi, au cours des dernières décennies, les analyses de terre ont permis d'établir des diagnostics de fertilité des sols et les apports de fertilisants et amendements chimiques et organiques ont permis de modifier les caractéristiques physico-chimiques des sols agricoles, en faveur de teneurs et de compositions jugées optimales sur le plan agronomique.

Contamination par les éléments traces métalliques

Nous ne considĂ©rons ici que les Ă©lĂ©ments cuivre et zinc qui sont les deux Ă©lĂ©ments traces mĂ©talliques principaux apportĂ©s aux sols par l’agriculture. Ces Ă©lĂ©ments sont issus des Ă©pandages de lisiers de porcs et dans une moindre mesure des engrais et boues de stations d’épuration[36]. Non dĂ©gradables, ils sont stockĂ©s dans les sols en se fixant sur les particules solides, mais peuvent, selon les conditions du milieu, ĂŞtre remobilisĂ©s. Les propriĂ©tĂ©s du sol qui affectent leur mobilitĂ© sont la texture, le pH, la teneur en matière organique et la prĂ©sence d’oxydes. Ainsi solubles et disponibles, ils peuvent affecter les organismes du sol et les vĂ©gĂ©taux et migrer vers les eaux de surface et souterraines. Dans les sols acides, les cas de phytotoxicitĂ© se manifestent aux environs de 120 ppm de cuivre et/ou de zinc EDTA. La teneur des sols bretons en Cu et Zn a significativement augmentĂ© au cours des dernières dĂ©cennies, sans nĂ©anmoins approcher ces teneurs de phytotoxicitĂ©. La contamination des sols par ces Ă©lĂ©ments est donc un problème sĂ©rieux, mais liĂ©e Ă  une accumulation lente Ă  des Ă©chelles de temps de l’ordre du siècle[37].

Au sein des paysages, les zones humides de fonds de vallée jouent un rôle particulier vis-à-vis des éléments traces. Les variations de l’état hydrique du sol entrainent des alternances de phases d’immobilisation en conditions oxydantes et de relargage en conditions réductrices. Les sols saturés de manière permanente, caractérisés par des accumulations importantes de matière organique et un milieu anoxique, sont le siège d’une accumulation des éléments traces.

Erosion des sols

Ce processus de dĂ©placement des particules de terres Ă  la surface du sol sous l’action de l’eau, du vent, de l’homme ou simplement de la gravitĂ©, peut affecter les fonctions du sol et, dans les cas extrĂŞmes, entraĂ®ner sa disparition[38]. Les manifestations d’érosion hydriques les plus marquantes, sous forme de coulĂ©es de boues, infligent des dommages aux infrastructures , aux zones rĂ©sidentielles ou Ă  la qualitĂ© de l’eau. Des signes moins spectaculaires, tels que la formation d’atterrissements en contrebas d’une parcelle, sont eux plus frĂ©quents et traduisent de la mĂŞme manière cette perte en sol. L’érosion est dĂ©clenchĂ©e par une combinaison de facteurs parmi lesquels la topographie, le climat et l’occupation des sols sont prĂ©pondĂ©rants. Certaines caractĂ©ristiques des sols les rendent plus sensibles aux phĂ©nomènes Ă©rosifs : textures limoneuses, faibles teneurs en matières organiques, etc. 

Aléa érosif en Bretagne
Figure 9 : Evaluation de l’aléa érosif en Bretagne intégrant l’effet du climat, les caractéristiques topographiques, l’érodibilité des sols et l’occupation du sol selon le modèle MESALES de l'INRA.

La figure 9 représente la répartition de l’aléa érosif en Bretagne obtenu par modélisation[39]. On constate que les zones les plus sensibles sont les grands bassins de productions de céréales du centre de la région et les zones légumières du nord.

En Bretagne, ce phĂ©nomène naturel s’est accentuĂ© au cours des dernières dĂ©cennies, notamment par l’action de l’homme. En effet, la modification profonde des modes de production bretons depuis les annĂ©es 1950 s’est accompagnĂ©e d’une mutation du paysage agricole. Les remembrements ont tout d’abord entraĂ®nĂ© des Ă©volutions des parcellaires, en les rapprochant des centres des exploitations et en augmentant la taille des parcelles. Des linĂ©aires considĂ©rables de talus et haies ont alors Ă©tĂ© arasĂ©s : en 50 ans, environ 250 000 km de haies ont Ă©tĂ© supprimĂ©s sur un total de plus de 500 000 km[19].  Ces haies ont pourtant un rĂ´le fondamental dans la limitation de l’érosion des sols et influencent l’organisation des sols le long des versants.

Même si aucune mesure spécifique à la gestion durable des sols n’existe actuellement, des dispositions visant à protéger l’eau notamment, influencent les sols. Ainsi, l’obligation de couverture totale des sols en période de lessivage, en application de la directive européenne sur les nitrates, va dans le sens d’une limitation du ruissellement de surface et donc d’une diminution de l’érosion des sols en période hivernale.

L'artificialisation des sols

L’impermĂ©abilisation des sols, reconnue comme l’une des huit principales menaces pesant sur les sols dans l’Union EuropĂ©enne[40], limite ses capacitĂ©s d’infiltration. Elle favorise le ruissellement des eaux de pluie augmentant les risques d’inondations, de coulĂ©es boueuses ou encore de pollutions des eaux de surface. Les surfaces dites artificialisĂ©es sont en forte augmentation : en Bretagne, entre 1992 et 2006, les surfaces des sols artificialisĂ©s ont progressĂ© de 27 % aux dĂ©pens des terres agricoles. Ainsi, entre 1989 et 2006, les territoires agricoles bretons ont perdu en moyenne 3600 ha par an, au profit des zones urbanisĂ©es (+ 2 550 ha) et des surfaces boisĂ©es (+ 1050 ha)[22]. Tous les 10 ans, on estime que l’équivalent de la surface agricole d’un petit dĂ©partement français est perdu pour l’agriculture en France. Cette artificialisation rĂ©sulte de l’urbanisation au sens large, incluant l’habitat mais aussi les  infrastructures de transports et les locaux d’entreprises. En Bretagne, elle est particulièrement marquĂ©e dans les zones littorales, le long des grands axes de transports et Ă  proximitĂ© des grandes agglomĂ©rations. L’urbanisation et l’étalement urbain consomment non seulement les sols des terres agricoles Ă  bon potentiel, mais aussi les sols des zones naturelles riches en biodiversitĂ© (zones bocagères, alluviales, dunaires…). Le paysage perd ainsi progressivement son caractère rural et naturel au profit d'une juxtaposition d’ilots verts et de zones construites. Les zones tampons (zones humides, prairies, bocage), vĂ©ritables interfaces et remparts protecteurs lors de phĂ©nomènes pluvieux importants, s’amenuisent.

L'élaboration de la Trame Verte et Bleue a pour objectif de raisonner le développement territorial en tenant compte des continuités écologiques. Elle est intégrée dans les politiques territoriales et les documents de planification (Schéma régional de Cohérence Ecologique, Schéma de Cohérence Territorial, etc) de façon à éviter le mitage des écosystèmes et à maintenir leurs fonctionnalités.

Les sols comme interface dans l'environnement

Le sol comme réservoir de biodiversité

La faune du sol est représentée par de nombreux taxons comprenant eux-mêmes des centaines, voire des milliers d’espèces. Cela représente donc une source de biodiversité qui reste en grande partie à décrire.

Le premier inventaire régional de la biodiversité des sols a été réalisé dans le cadre du programme RMQS BioDiv Bretagne en 2006 et 2007[41]. La collaboration de dix équipes de recherche a permis d’appréhender un grand nombre de populations biologiques : la macrofaune (lombriciens, macrofaune totale), la mésofaune (collemboles et acariens), la microfaune (nématodes) et la microflore (biomasse microbienne, structure des communautés bactériennes et gènes fonctionnels).

L’échantillonnage de la biodiversité, qui a concerné les 109 sites RMQS bretons, a conduit à la quantification de la richesse taxonomique des sols bretons, c’est-à-dire au dénombrement des taxons observés au sein des groupes biologiques étudiés dans ce programme (Tableau 6).

Sous Ordre Famille Genre Espèces Variétés
NĂ©matodes nr 48 86 210 nr
Collemboles nr 14 33 67 nr
Acariens 4 nr nr nr nr
Lombriciens 1 1 8 23 29
Insectes nr nr nr nr nr

nr : non renseignĂ©

Tableau 6 : Richesse taxonomique par groupes biologiques identifiĂ©e sur les 109 sites RMQS BioDiv en Bretagne[41].

richesse taxonomique dans RMQS Biodiv
Figure 10 : Cartes de la richesse taxonomique des nématodes et des collemboles sur les sites RMQS Biodiv de Bretagne.

48 familles de nématodes ont été identifiées, sachant que 16 familles étaient en moyenne retrouvées sur un site (Figure 10a). La détermination des acariens a été réalisée au niveau du sous-ordre (Oribatida, Gamasida, Actinedida et Acaridida) tandis que celle des collemboles a été conduite, dans la mesure du possible, jusqu’au niveau de l’espèce. Ainsi, 67 espèces de collemboles ont été inventoriées en Bretagne (Figure 10b), de même que 23 espèces lombriciennes correspondant à 29 taxons (niveau infra-spécifique) avec 8 taxons présents en moyenne sur un site.

Notons que les paramètres de richesse taxonomique, quel que soit le groupe biologique étudié, ne présentent pas de structuration spatiale systématique à l'échelle régionale. Ainsi, ni le gradient climatique Est-Ouest, ni les grandes formations géologiques ne semblent gouverner la distribution spatiale des richesses taxonomiques. A contrario, la mise en regard des données biologiques et des données d’occupation des sols et pratiques agricoles (fertilisation, travail du sol, traitements phytosanitaires) montre l’impact des usages sur certaines richesses taxonomiques.

richesse taxonomique selon l'occupation des sols
Figure 11 : Richesse taxonomique des lombriciens en fonction de l’occupation des sols : culture (n=52), prairie (n=47) ou forĂŞt (n=8).

Ainsi, si les richesses taxonomiques des nĂ©matodes, des collemboles ou des acariens ne varient pas en fonction de l’occupation du sol et des pratiques agricoles, a contrario celle des lombriciens est influencĂ©e par l’usage des sols : les prairies se caractĂ©risent par une richesse taxonomique lombricienne plus importante (9,6 taxons) que les sites cultivĂ©s et forestiers qui prĂ©sentent des richesses moindres, respectivement de 7,4 et 5 taxons (Figure 11). De la mĂŞme manière, la richesse taxonomique lombricienne varie en fonction des pratiques agricoles. D’autres paramètres biologiques, tels que l’abondance de certains nĂ©matodes (nĂ©matodes phytoparasites) ou de certains acariens (oribates) varient Ă©galement en fonction de l’usage des sols.  

A l’échelle rĂ©gionale, le sol abrite donc une large biodiversitĂ©, qui est majoritairement  influencĂ©e par les conditions environnementales liĂ©es Ă  l’action de l’homme (usages des sols, pratiques agricoles, urbanisation), sachant que des conditions naturelles (type de sol, climat) peuvent aussi agir plus localement.

Sols et fonctionnement hydrologique

Les caractéristiques des sols influencent la ressource en eau, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Ce lien avec l’hydrosphère est particulièrement fort en Bretagne, où le paysage est structuré par un réseau hydrographique très dense drainant plusieurs centaines de bassins versants et où l’approvisionnement en eau potable est assuré à 80 % par les eaux de surface, soumises à de multiples pressions. Dans un contexte de reconquête et de maintien de la qualité des eaux de surface bretonnes, les zones humides des fonds de vallées (ZHFV) jouent un rôle particulier. Ces zones potentiellement hydromorphes sont situées à proximité des cours d’eau et se développent au sein de matériaux alluviaux et/ou colluviaux. Il existe bien évidemment des zones humides en dehors des fonds de vallées, mais elles ont un impact moindre sur l’amélioration de la qualité de l’eau. En effet, selon leur emplacement, leur connexion au réseau hydrographique, le mode d’occupation du sol, les zones humides n’ont pas la même efficacité concernant cette fonction d'épuration des eaux.

A l’interface entre les eaux de la nappe phrĂ©atique et les eaux de surface, les ZHFV contribuent Ă  la rĂ©gulation du fonctionnement hydrologique des bassins versants. Ainsi, en hiver, elles retiennent les eaux issues des prĂ©cipitations et du ruissellement et contribuent Ă  diminuer les crues ; en Ă©tĂ©, elles soutiennent le dĂ©bit d’étiage en alimentant les cours d'eau. Elles participent donc au contrĂ´le des inondations, qui reprĂ©sentent un risque majeur sur le territoire breton, avec plus d’une commune sur cinq de concernĂ©es. Cependant, l’urbanisation de certaines zones d’expansions des crues et une gestion agricole parfois inadaptĂ©e de ces sols en limitent les effets.

Ces milieux participent Ă©galement Ă  la protection et Ă  l’amĂ©lioration de la qualitĂ© des eaux, car ils fonctionnent comme des zones tampons entre les milieux terrestres et aquatiques. Selon les conditions d’oxydorĂ©duction, une partie des nutriments et des polluants traversant la zone humide sont retenus, stockĂ©s voire Ă©liminĂ©s dans ces zones, qui se comportent alors comme des « puits Â» d’élĂ©ments. Elles ont donc potentiellement un rĂ´le Ă©purateur et de rĂ©tention, mais peuvent Ă©galement devenir des lieux « sources Â» d’élĂ©ments, par exemple, lors de la remise en suspension des particules au moment des crues. Les zones humides sont aussi, dans certaines conditions, Ă©mettrices de protoxyde d’azote et de mĂ©thane qui sont des gaz Ă  effet de serre.

organisation des sols dans les fonds de vallée
Figure 12 : Modèle conceptuel d’organisation des systèmes de fonds de vallée en fonction de l’ordre des cours d’eau.

Les sols des zones humides sont très divers par la nature des matériaux qui les constituent et les manifestations des traits d’hydromorphie. Ils présentent de plus, une variabilité importante à courte distance. Cette hétérogénéité et la variabilité des conditions d’expression de leurs fonctions induisent une variabilité spatiale et temporelle de leur fonctionnement qui rend délicate l’évaluation de leur efficacité épuratoire.

L’intensification de l’agriculture bretonne a conduit au drainage et Ă  la mise en culture d’importantes surfaces de ZHFV, modifiant parfois profondĂ©ment leur fonctionnement. Aujourd’hui protĂ©gĂ©es, les zones humides font l’objet d’inventaires selon des mĂ©thodologies qui dĂ©pendent de l’échelle de travail et des informations disponibles. Au niveau local, l’observation de la vĂ©gĂ©tation et/ou des sols conduit Ă  les dĂ©limiter in situ. A des niveaux d’investigation plus larges, l’analyse numĂ©rique de la topographie permet de prĂ©dire la localisation de sols hydromorphes en fonction d’indices topographiques[42]. La surface des bassins versants bretons occupĂ©e par les ZHFV a ainsi Ă©tĂ© estimĂ©e environ 30 % (chiffre vraisemblablement surestimĂ©) de la superficie rĂ©gionale, en majoritĂ© dans des bassins versants d’ordre 1[43]. Dans le cas de larges vallĂ©es alluviales, les critères topographiques ne sont pas suffisants pour comprendre l’extension et l’organisation des sols hydromorphes et proposent de tenir compte de l’ordre des cours d’eau selon la classification de Strahler (Figure 12) : dans le bassin versant de la Vilaine, les sols situĂ©s en tĂŞte de bassin versant (ordres 1 Ă  3) sont plus frĂ©quemment affectĂ©s par l’hydromorphie que ceux situĂ©s en aval, et l’augmentation de l’ordre des cours d’eau est associĂ©e Ă  un Ă©largissement des vallĂ©es et une diminution de la pente. Ainsi Ă  l’amont (ordre faible), les sols se dĂ©veloppent dans un mĂ©lange complexe d’alluvions et de colluvions, relativement peu drainant, qui favorise les engorgements. A l’inverse, dans des situations d’ordre Ă©levĂ©, les dĂ©pĂ´ts sont mieux organisĂ©s avec une accumulation des colluvions au pied des versants et des alluvions Ă  proximitĂ© immĂ©diate du cours d’eau. Les alluvions sont gĂ©nĂ©ralement plus permĂ©ables que l’ensemble colluvio-alluvial des tĂŞtes de bassin versant et la rivière jour le rĂ´le de drain. Les sols alluviaux des grandes vallĂ©es sont donc mieux drainĂ©s que les sols colluvio-alluviaux.

Conclusion

Les sols bretons, couche meuble de 50 cm Ă  2 m d’épaisseur en moyenne, sont le rĂ©sultat de l’action de processus et facteurs longs et diversifiĂ©s. Ces milieux complexes et organisĂ©s, multifonctionnels, vivants, variables dans le temps et dans l’espace ne sont pas renouvelables Ă  l’échelle humaine. Or, ils sont soumis Ă  de multiples dĂ©gradations et pressions dont on prend aujourd’hui toute la mesure, qui altèrent la qualitĂ© des sols et leur capacitĂ© Ă  remplir leurs fonctions. La mise en Ĺ“uvre des programmes d’inventaire et de surveillance des sols bretons permet progressivement de dresser un diagnostic rĂ©gional de l’état des sols bretons et d’esquisser des tendances d’évolution de leur qualitĂ©.

« La sagesse de la terre est une complicitĂ© totale entre l'homme et son environnement Â». Cette citation d’un cĂ©lèbre Ă©crivain breton, Pierre Jakez-Helias[44], renvoie Ă  une utilisation des sols fondĂ©e sur une connaissance approfondie des milieux et une adaptation des moyens mis en Ĺ“uvre Ă  la diversitĂ© des situations rencontrĂ©es. De par leur diversitĂ© et leur mise en valeur progressive par l’homme, les sols bretons reprĂ©sentent un patrimoine commun important qui contribue au dĂ©veloppement Ă©conomique de la rĂ©gion, tout en ayant un rĂ´le environnemental majeur. Leur protection est donc  bien une composante incontournable du dĂ©veloppement durable.

Voir aussi

Article connexe

Liens externes

Notes et références

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