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Simulacres et Simulation

Simulacres et Simulation est un ouvrage de Jean Baudrillard, publié en 1981 aux éditions Galilée. Le philosophe français y poursuit et approfondit sa réflexion sur le concept de simulacre qu'il avait commencée dans L'échange symbolique et la mort. L'ouvrage est composé de dix-huit parties : la première, la plus longue, intitulée « La précession des simulacres », approche la définition de la notion et de la nature du simulacre tandis que les autres parties sont des exemplifications de la simulation dans la société contemporaine occidentale.

La précession des simulacres

Le chapitre « La précession des simulacres » s'ouvre sur une épigraphe paraphrasant l'Ecclésiaste, qui donne une première définition du simulacre : « Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité – c'est la vérité qui cache qu'il n'y en a pas. Le simulacre est vrai. »[1]

À l'aide de la métaphore de la carte, empruntée à un récit de Jorge Luis Borges dans lequel les cartographes de l'Empire dressent une carte si détaillée qu'elle finit par recouvrir très exactement le territoire, Baudrillard délimite la problématique du simulacre :

« Le territoire ne prĂ©cède plus la carte ni ne lui survit. C'est dĂ©sormais la carte qui prĂ©cède le territoire â€“ prĂ©cession des simulacres â€“, c'est elle qui engendre le territoire et, s'il fallait reprendre la fable, c'est aujourd'hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l'Ă©tendue de la carte. C'est le rĂ©el, et non la carte, dont des vestiges subsistent çà et lĂ , dans les dĂ©serts qui ne sont plus ceux de l'Empire, mais le nĂ´tre. Le dĂ©sert du rĂ©el lui-mĂŞme. »[2]

Pour définir le simulacre, Baudrillard cherche à cerner l'acte de simuler, par contraste avec l'activité connexe de feindre :

« Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu'on a. Simuler est feindre d'avoir ce qu'on n'a pas. L'un renvoie Ă  une prĂ©sence, l'autre Ă  une absence. Mais la chose est plus compliquĂ©e, car simuler n'est pas feindre : Celui qui feint une maladie peut simplement se mettre au lit et faire croire qu'il est malade. Celui qui simule une maladie en dĂ©termine en soi quelques symptĂ´mes. (LittrĂ©) Donc, feindre, ou dissimuler, laissent intact le principe de rĂ©alitĂ© : la diffĂ©rence est toujours claire, elle n'est que masquĂ©e. Tandis que la simulation remet en cause la diffĂ©rence du vrai et du faux, du rĂ©el et de l'imaginaire. »[3]

Il s'intéresse également aux cas des iconoclastes qui ont saisi que l'image de la divinité était sacrilège non pas parce qu'elle représentait le divin, mais parce qu'elle le faisait disparaître derrière elle.

« Telle est la simulation, en ce qu'elle s'oppose à la représentation. Celle-ci part du principe d'équivalence du signe et du réel (même si cette équivalence est utopique, c'est un axiome fondamental). La simulation part à l'inverse de l'utopie du principe d'équivalence, part de la négation radicale du signe comme valeur, part du signe comme réversion et mise à mort de toute référence. Alors que la représentation tente d'absorber la simulation en l'interprétant comme fausse représentation, la simulation enveloppe tout l'édifice de la représentation lui-même comme simulacre.

Telles seraient les phases successives de l'image :

  1. elle est le reflet d'une réalité profonde
  2. elle masque et dénature une réalité profonde
  3. elle masque l'absence de réalité profonde
  4. elle est sans rapport à quelque réalité que ce soit : elle est son propre simulacre pur.

Dans le premier cas, l'image est une bonne apparence â€“ la reprĂ©sentation est de l'ordre du sacrement. Dans le second, elle est une mauvaise apparence â€“ de l'ordre du malĂ©fice. Dans le troisième, elle joue Ă  ĂŞtre une apparence â€“ elle est de l'ordre du sortilège. Dans le quatrième, elle n'est plus du tout de l'ordre de l'apparence, mais de la simulation. »[4]

Baudrillard, dans une sorte d'expérience de pensée, s'interroge sur la réaction que le pouvoir politique et judiciaire aurait face à la simulation :

« Il serait intĂ©ressant de voir si l'appareil rĂ©pressif ne rĂ©agirait pas plus violemment Ă  un hold-up simulĂ© qu'Ă  un hold-up rĂ©el ? Car celui-ci ne fait que dĂ©ranger l'ordre des choses, le droit de propriĂ©tĂ©, tandis que l'autre attente au principe mĂŞme de rĂ©alitĂ©. La transgression, la violence sont moins graves car elles ne contestent pas le partage du rĂ©el. La simulation est infiniment plus dangereuse car elle laisse toujours supposer, au-delĂ  de son objet, que l'ordre et la loi eux-mĂŞmes pourraient bien n'ĂŞtre que simulation. »[5]

Illustrations

Le reste de l'ouvrage prĂ©cise les notions de simulation et de simulacres Ă  l'aide de nombreux exemples tirĂ©s de l'actualitĂ©. En voici quelques-uns :

  • En 1971, des anthropologues dĂ©couvrent aux Philippines une dizaine de membres de l'ethnie Tasaday, sur lesquels le gouvernement Marcos interdit toute investigation ethnographique. D'après Baudrillard, cette dĂ©cision aurait Ă©tĂ© prise Ă  l'initiative des anthropologues eux-mĂŞmes, « qui voyaient Ă  leur contact les indigènes se dĂ©composer immĂ©diatement, comme une momie Ă  l'air libre. »

« Pour que vive l'ethnologie, il faut que meure son objet, lequel se venge en mourant d'avoir Ă©tĂ© 'dĂ©couvert' et dĂ©fie par sa mort la science qui veut le saisir. […] C'est contre cet enfer du paradoxe que les ethnologues ont voulu se prĂ©munir en refermant le cordon de sĂ©curitĂ© de la forĂŞt vierge autour des Tasaday. Personne n'y touchera plus : le gisement se referme comme une mine. La science y perd un capital prĂ©cieux, mais l'objet sera sauf, perdu pour elle, mais intact en sa 'virginitĂ©'. […] L'Indien ainsi renvoyĂ© au ghetto, dans le cercueil de verre de la forĂŞt vierge, redevient le modèle de simulation de tous les Indiens possibles d'avant l'ethnologie. »[6]

  • « Disneyland est un modèle parfait de tous les ordres de simulacre enchevĂŞtrĂ©s. […] Ce qui attire les foules, c'est sans doute […] le microcosme social, la jouissance religieuse, miniaturisĂ©e, de l'AmĂ©rique rĂ©elle, de ses contraintes et de ses joies. »[7]
  • En 1974, une affaire d'espionnage, nommĂ©e par la suite Scandale du Watergate, aboutit Ă  la dĂ©mission de Richard Nixon, alors prĂ©sident des États-Unis. Baudrillard lit ce scandale comme une simulation : « Watergate. MĂŞme scĂ©nario qu'Ă  Disneyland (effet imaginaire cachant qu'il n'y a plus de rĂ©alitĂ© au-delĂ  qu'en deçà des limites du pĂ©rimètre artificiel) : ici effet de scandale cachant qu'il n'y a aucune diffĂ©rence entre les faits et leur dĂ©nonciation. »[8]
  • En 1979 est diffusĂ©e en France la mini-sĂ©rie amĂ©ricaine Holocauste : « Holocauste est d'abord (et exclusivement) un Ă©vĂ©nement, ou plutĂ´t un objet tĂ©lĂ©visĂ© […], c'est-Ă -dire qu'on essaie de rĂ©chauffer un Ă©vĂ©nement historique froid, tragique mais froid […], Ă  travers un mĂ©dium froid, la tĂ©lĂ©vision, et pour des masses elles-mĂŞmes froides, qui n'auront lĂ  l'occasion que d'un frisson tactile et d'une Ă©motion posthume, frisson dissuasif lui aussi, qui le fera verser dans l'oubli avec une sorte de bonne conscience esthĂ©tique de la catastrophe. »[9]
  • Dans le chapitre « L'implosion du sens dans les mĂ©dias Â», Baudrillard s'interroge sur la prolifĂ©ration des informations dans les mĂ©dias : « Nous sommes dans un univers oĂą il y a de plus en plus d'information, et de moins en moins de sens. »[10]
  • Le point de dĂ©part du chapitre « Clone Story » est la naissance (hypothĂ©tique), aux États-Unis, d'un enfant par clonage. Baudrillard Ă©labore alors une rĂ©flexion sur le clonage[11] : « Le clone est la matĂ©rialisation du double par voie gĂ©nĂ©tique, c'est-Ă -dire l'abolition de toute altĂ©ritĂ© et de tout imaginaire. » « Le clonage est donc le dernier stade de l'histoire de la modĂ©lisation du corps, celui oĂą, rĂ©duit Ă  sa formule abstraite et gĂ©nĂ©tique, l'individu est vouĂ© Ă  la dĂ©multiplication sĂ©rielle. »[12] Ce processus est comparĂ© Ă  ce qui se passe dans l'Ĺ“uvre d'art Ă  l'Ă©poque de sa reproductibilitĂ© technique, selon l'analyse de Walter Benjamin.

Notes et références

  1. Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, éditions Galilée, , p. 9.
  2. op. cit., p. 10.
  3. op. cit., p. 12.
  4. op. cit., p. 16-17.
  5. op. cit., p. 36.
  6. op. cit., p. 18.
  7. op. cit., p. 24-25.
  8. op. cit., p. 28.
  9. op. cit., p. 78-79.
  10. op. cit., p. 119.
  11. op. cit., p. 146.
  12. op. cit., p. 149.
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