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Simulacre

En philosophie, un simulacre désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente, et prétend valoir pour cette réalité elle-même. C'est là, du moins, le sens grec de phantasma (ϕάντασμα) qui est traduit par simulacre, par opposition à l'icône (eikôn, εἰκών), traduit par copie : la copie renvoie toujours à une imitation du réel qui ne se dissimule pas (voir Le Sophiste de Platon).

Philosophie grecque

Le simulacre chez Platon

Dans Le Sophiste (235d) de Platon, le personnage de L'Étranger – qui dialogue avec Théétète – distingue deux types d'images (eidôlon, εἴδωλον, qui a donné idole via le latin) : l'eikôn (εἰκών), que l'on peut traduire par copie ou icône, et le phantasma (ϕάντασμα), que l'on peut traduire par simulacre[1] ou par illusion[2]. La différence entre les deux est que la copie respecte les proportions du modèle tandis que le simulacre ne les respecte pas. Le simulacre est ainsi une apparence trompeuse reposant sur une illusion d'optique. L'Étranger introduit cette distinction pour définir le sophiste comme un illusionniste, c'est-à-dire comme un producteur de simulacres. Platon opère ainsi une dévalorisation du simulacre relativement à la copie.

Le simulacre et la copie ne sont cependant que deux espèces de l'image. Platon oppose l'ensemble des images aux Formes intelligibles (eidos et idea ἰδέα)[3]. La portée exacte de la distinction entre simulacre et copie est l'objet d'un désaccord entre les interprètes de Platon, Jean-Pierre Vernant soutient notamment que cette distinction ne remet pas en cause la thèse générale de la disqualification des images comme moyens de connaissance[4].

Le simulacre chez Épicure

Le concept de simulacre est ensuite repris, en un sens radicalement différent, dans la théorie matérialiste des épicuriens (notamment de Lucrèce et Épicure).

Philosophie contemporaine

Le simulacre chez Deleuze

En 1969, Gilles Deleuze, dans son article 'Platon et le simulacre' dans Logique du sens, met en évidence la stratégie de Platon dans Le Sophiste, stratégie qui vise à faire disparaître le simulacre au profit de la copie, afin de valoriser, en négatif, l'hypothèse des Idées (ou Formes) par le contraste avec l'image-copie, éloignée de deux degrés de la véritable réalité (tandis que le simulacre fait disparaître la distinction entre le modèle et la copie).

Le simulacre chez Baudrillard

Cette réflexion sur le simulacre a été reprise et approfondie par Jean Baudrillard. Dans son ouvrage Simulacres et simulation, il propose en épigraphe à son premier chapitre (« La précession des simulacres ») l'affirmation suivante qu'il dit reprendre de l'Ecclésiaste, bien qu'elle n'y figure pas :

« Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité – c'est la vérité qui cache qu'il n'y en a pas. Le simulacre est vrai[5]. »

Baudrillard opère une série de distinctions pour cerner la notion de simulation :

« Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu'on a. Simuler est feindre d'avoir ce qu'on n'a pas. L'un renvoie à une présence, l'autre à une absence. Mais la chose est plus compliquée, car simuler n'est pas feindre : celui qui feint une maladie peut simplement se mettre au lit et faire croire qu'il est malade. Celui qui simule une maladie en détermine en soi quelques symptômes. (Littré) Donc, feindre, ou dissimuler, laissent intact le principe de réalité : la différence est toujours claire, elle n'est que masquée. Tandis que la simulation remet en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l'imaginaire[6]. »

Pour un approfondissement et une illustration des notions de simulation et de simulacre, voir l'article Simulacres et simulation.

Dans Oublier Foucault, Baudrillard lit la politique à travers le filtre de la simulation :

« […] le secret des grands politiques fut de savoir que le pouvoir n'existe pas. Qu'il n'est qu'un espace perspectif de simulation, comme le fut celui, pictural, de la Renaissance, et que si le pouvoir séduit, c'est justement […] parce qu'il est simulacre[7]. »

Le simulacre chez Stoichita

Dans son ouvrage L'Effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres (Droz, 2008), Victor I. Stoichita, anthropologue de l'art, aborde la question du simulacre à travers une investigation dans l'histoire de l'art et à partir du mythe fondateur de Pygmalion.

Il propose en particulier, dans son dernier chapitre intitulé "La copie originale" une lecture très stimulante du film Vertigo (Sueurs froides) d'Alfred Hitchcock, réalisé en 1958.

Références

  1. Traduction de Auguste Diès
  2. Traduction de Nestor Cordero Platon (trad. Nestor Cordero), Le Sophiste, Paris, GF-Flammarion,
  3. Eidôlon in Vocabulaire européen des philosophies (dir. Barbara Cassin).
  4. Cf Jean-Pierre Vernant, 1975, « Image et apparence dans la théorie platonicienne de la mimesis », Journal de psychologie, no 2.
  5. Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 1981, p. 9 (ISBN 978-2-7186-0210-3)
  6. Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Éditions Galilée,
  7. Jean Baudrillard, Oublier Foucault, Galilée, Auvers-sur-Oise, 1977 (ISBN 2-7186-0060-8)

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 1981, 233 p. (ISBN 978-2-7186-0210-3)
  • Gilles Deleuze, Logique du sens, Édition du minuit, Paris, 1969, 392 p.
  • Pierre-Paul Dupont et Claude Lorent (dir.), Faux-semblants : ou le simulacre dans l'art contemporain (exposition, Maison de la Culture de la Province de Namur, du au ), Stichting Kunstboek, Oostkamp, 2009, 108 p. (ISBN 978-90-5856-331-6)
  • Aurélia Gaillard, Le corps des statues : le vivant et son simulacre à l'âge classique (de Descartes à Diderot), H. Champion, Paris, 2003, 340 p. (ISBN 2-7453-0861-0)
  • Jean-François Mattéi, L'étranger et le simulacre : essai sur la fondation de l'ontologie platonicienne, Presses universitaires de France, Paris, 1983, 573 p. (ISBN 2-13-037672-X)
  • Victor I. Stoichita, L'Effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres, Genève, Droz, 2008.
  • Quand je serai grand, je serai : Jeux et jouets de simulacre, Association des Amis des Arts et Traditions Populaires de l'Ain, Musée du Bugey-Valromey, Lochieu, 1997 (ISBN 2-910683-04-4)

Articles connexes

Liens externes

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