Silence (roman)
Silence (en japonais æČé» ou Chinmoku) est un roman historique, Ă©crit en 1966 par ShĆ«saku EndĆ, Ă©crivain catholique japonais. Sous forme littĂ©raire de journal personnel et lettres envoyĂ©es en Europe, il illustre le drame de conscience vĂ©cu par des missionnaires jĂ©suites au Japon du XVIIe siĂšcle qui, lors des graves persĂ©cutions antichrĂ©tiennes, sont contraints dâĂȘtre tĂ©moins des tortures infligĂ©es Ă leurs ouailles. Explorant le thĂšme du âsilence de Dieuâ au milieu de la souffrance subie en son nom, le roman obtint le prix Tanizaki en 1966. Il est considĂ©rĂ© comme le chef-dâĆuvre de ShĆ«saku EndĆ.
Silence | |
Auteur | ShĆ«saku EndĆ |
---|---|
Pays | Japon |
Préface | William Johnson |
Genre | Roman historique |
Version originale | |
Langue | japonaise |
Titre | æČé» ou Chinmoku |
Lieu de parution | Tokyo |
Date de parution | 1966 |
Cadre historique et intrigue
Au XVIIe siĂšcle, aprĂšs un mouvement de conversions au christianisme, la jeune Ăglise japonaise entre dans une Ăšre de graves persĂ©cutions. La persĂ©cution des chrĂ©tiens et de leurs prĂȘtres (la plupart Ă©trangers) est sĂ©vĂšre ; les tortures infligĂ©es pour obtenir le reniement de la foi chrĂ©tienne sont raffinĂ©es et atroces, particuliĂšrement celle du tsurushi. Deux jĂ©suites missionnaires portugais, malgrĂ© les graves dangers qui les attendent, se rendent au Japon pour y soutenir les chrĂ©tiens et enquĂȘter sur le cas dâun missionnaire qui, succombant aux tortures, finit par abjurer la foi chrĂ©tienne. Ils y arrivent mais sont bientĂŽt dĂ©couverts et emprisonnĂ©s.
La moitiĂ© du roman est le âjournal personnelâ tenu par le jeune missionnaire rĂ©cemment arrivĂ©, SĂ©bastien Rodrigues[1], tandis que l'autre moitiĂ© est Ă©crit Ă la troisiĂšme personne, et consiste en lettres des autres associĂ©s au rĂ©cit narratif. Le roman raconte les procĂšs des chrĂ©tiens et les difficultĂ©s croissantes subies par Rodrigues.
SĂ©bastien Rodrigues et son compagnon, le pĂšre François Garpe arrivent au Japon en 1638. La population chrĂ©tienne y vit dans la clandestinitĂ©. Pour dĂ©nicher les chrĂ©tiens cachĂ©s, les policiers forcent ceux quâils soupçonnent de l'ĂȘtre Ă piĂ©tiner une image du Christ (l'Ă©preuve du fumi-e). Ceux qui refusent sont emprisonnĂ©s et torturĂ©s Ă mort.
Rodrigues et Garpe ne sont pas en mesure de poursuivre longtemps leur ministĂšre pastoral. BientĂŽt arrĂȘtĂ©s ils sont contraints Ă ĂȘtre tĂ©moins de la mort lente et cruelle de chrĂ©tiens japonais refusant dâabandonner leur foi chrĂ©tienne. Il n'y a pas de gloire dans ces martyres, pense maintenant Rodrigues au contraire de ce quâil avait imaginĂ©, mais seulement brutalitĂ© et cruautĂ©.
Avant l'arrivĂ©e de Rodrigues, les autoritĂ©s avaient tentĂ© de forcer les prĂȘtres de renoncer Ă leur foi chrĂ©tienne en les torturant. Le succĂšs obtenu avec le pĂšre Ferreira[2] qui apostasia, cĂ©dant sous la torture et devenant mĂȘme leur alliĂ©, les fait changer de stratĂ©gie. Ils forcent les prĂȘtres Ă regarder les tortures et tourments infligĂ©s Ă leurs chrĂ©tiens leur faisant comprendre quâils en sont responsables et quâil leur suffit de renoncer Ă la foi pour mettre fin Ă la souffrance de leurs ouailles.
Dans son journal intime Rodrigues dĂ©crit ses combats et dĂ©bats intĂ©rieurs. Il comprend que lâon puisse accepter de souffrir pour le bien de sa propre foi. Mais refuser une abjuration lui semble ĂȘtre Ă©gocentrique et impitoyable, si cette rĂ©tractation peut mettre fin Ă la souffrance dâun autre.
Ă un moment paroxystique de lâaction, Rodrigues entend les gĂ©missements de ceux qui ont abjurĂ©, mais doivent rester dans le puits de torture jusqu'Ă ce que lui-mĂȘme bafoue l'image du Christ. Alors que le regard de Rodrigues se porte sur lâimage du Christ, prĂȘte pour le fumi-e, celui-ci rompt son silence et Rodrigues entend : « PiĂ©tine ! PiĂ©tine ! Mieux que quiconque je connais la souffrance. PiĂ©tine ! Câest pour ĂȘtre piĂ©tinĂ© par les hommes que je suis venu au monde ! Câest pour partager la douleur des hommes que jâai portĂ© ma croix ! » Rodrigues sâexĂ©cute et les chrĂ©tiens sont libĂ©rĂ©s.
RĂ©ception
Le roman fut un grand succĂšs en librairie. Au Japon, il reçut le prix Tanizaki, - un important prix littĂ©raire japonais - comme Ă©tant le meilleur roman de lâannĂ©e 1966, et fut souvent lâobjet dâanalyses critiques. La reprĂ©sentation dâun Dieu qui souffre avec lâhomme au lieu de supprimer la souffrance, interpelle la culture japonaise. EndĆ, dans son livre Une vie de JĂ©sus, affirme que la culture japonaise sâidentifie volontiers avec Celui qui « souffre avec nous » et qui ne tient pas compte de nos faiblesses... « J'ai essayĂ©, non pas tellement de raconter un Dieu-PĂšre, image qui a tendance Ă caractĂ©riser le christianisme, mais plutĂŽt de reprĂ©senter l'aspect maternel et bienveillant de Dieu rĂ©vĂ©lĂ© dans la personne de JĂ©sus ».
Silence ne fut pas immĂ©diatement un succĂšs auprĂšs des Japonais catholiques, certains d'entre eux en furent d'ailleurs parmi les critiques les plus virulents. Effectivement, la popularitĂ© du roman d'EndĆ naquit d'abord parmi les lecteurs de gauche qui y voyait un parallĂšle avec les marxistes japonais des annĂ©es 1930, persĂ©cutĂ©s comme les chrĂ©tiens du XVIIe siĂšcle[3] - [4].
Adaptations
- Le film Silence (1971) de Masahiro Shinoda est une adaptation du roman.
- Le compositeur et poĂšte TeizĆ Matsumura Ă©crivit la musique et la partie lyrique dâun opĂ©ra (du mĂȘme titre) qui fut mis en scĂšne au ThĂ©Ăątre national de Tokyo en 2000.
- Le roman inspira la symphonie No 3 (Silence) composée (2002) par le musicien écossais James MacMillan
- En 2007, le rĂ©alisateur amĂ©ricain Martin Scorsese annonça son intention de porter le roman Ă lâĂ©cran. Le projet prend du retard et le film Silence sort finalement le sur les Ă©crans français.
Notes et références
- Le personnage de Sébastien Rodrigues est inspiré du missionnaire jésuite Giuseppe Chiara (en).
- Un cas historiquement documenté.
- (en) B. Hoffer, Shusaku Endo and Graham Greene: Cross-Cultural Influences in Literary Structure, Language & Literature, .
- (en) Roy Peachey, « The Troubling Legacy of ShĆ«saku EndĆ's Silence », sur First Things, (consultĂ© en ).