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Sans feu ni lieu : Signification biblique de la Grande Ville

Sans feu ni lieu est un essai théologique de Jacques Ellul paru en 1975 (écrit en 1951) qui retrace l'histoire de la Ville dans la Bible et cherche à délivrer la signification biblique de ce qu'est la Ville.

Sans feu ni lieu, signification biblique de la Grande Ville
Auteur Jacques Ellul
Pays France
Genre Essai
Éditeur Gallimard
Lieu de parution Paris
Date de parution 1975
Nombre de pages 302

Éditions

Paris, Gallimard, collection Voies ouvertes, 1975

2e Ă©dition : Paris, La Table Ronde / La petite vermillon, 2003

Résumé

Où se situe le fondement de la ville? Toutes les mythologies parlent d'un jardin originel, et l'homme n'a qu'un seul désir, le retrouver. La Ville est le monde de l'homme : c'est lui qui l'a créée, c'est une œuvre fabriquée à l'image de l'homme, elle est sa fierté car elle reflète sa culture et sa civilisation. C'est aussi le lieu de l'absurde, du chaos, de la puissance de l'homme sur la Nature et sur l'homme, le lieu de l'esclavage par excellence. Jacques Ellul retrace, à travers un parcours biblique, les origines de la ville. Dieu a placé l'homme dans un jardin, car c'est son lieu naturel, le lieu qui lui est le mieux adapté. Mais l'homme a voulu se détacher de Dieu et se construire une histoire qui lui soit propre. Toutes les mythologies annoncent à l'homme un retour à la nature, un retour à l'état originel. À l'inverse, la Bible annonce la Ville parfaite. « Cela signifie que, par amour, Dieu révise ses propres desseins, pour tenir compte de l'histoire des hommes, y compris de leurs plus folles révoltes »[1]. Ainsi, de la Genèse à l'Apocalypse, Ellul fait vivre le lecteur au rythme de la Ville et démasque les illusions qui y sont attachées, naviguant dans la dialectique chrétienne entre chute et rédemption pour donner tout son sens à la situation dans laquelle vit l'homme aujourd'hui, qui dépend de la Grande Ville pour tous ses actes.

Exégèse

Jacques Ellul fait l'exégèse de la Ville dans la Bible. Non pas une exégèse dite classique (Formgeschichte, structuralisme...), mais une exégèse traditionnelle, c'est-à-dire qu'il cherche à prendre le texte tel qu'il se présente aujourd'hui et dans sa globalité. Cela signifie que l'auteur, ici, va chercher dans la Bible tous les textes qui ont un rapport avec la ville, pour tenter de donner une définition biblique de ce lieu. Si l'auteur "entend" les sens développés dans les recherches exégétiques de ses contemporains, il considère néanmoins qu'on "ne peut pas honnêtement interpréter un texte en dehors du contenu et du sens qu'il se donne à lui-même"[2]. Il refuse ainsi de couper le texte en fragments indépendants les uns des autres, mais il le prend dans son entier, considérant d'ailleurs que ce texte est, par essence, dialectique, c'est-à-dire que le sens du texte se construit à l'intérieur d'un ensemble de déclarations contraires. Ce faisant, Jacques Ellul ne cherche pas à expliquer pourquoi la Bible dit ce qu'elle dit au sujet des villes, mais à montrer ce que la Bible dit.

Critique de la Ville

C'est dans le cadre de sa critique de la technique que Jacques Ellul s'attaque Ă  la ville. En effet, selon lui, la ville est le lieu mĂŞme oĂą la technique devient système, empĂŞchant ainsi l'homme de vivre sa libertĂ©. Et selon Ellul, cette libertĂ© se met en Ĺ“uvre dans la proximitĂ© avec Dieu, en suivant l'exemple parfait de JĂ©sus-Christ. Ainsi, « si l’on suit Ellul, la libertĂ© de choix de l’humanitĂ© semble singulièrement restreinte : retrouver le chemin du Dieu chrĂ©tien ou se rĂ©signer Ă  la disparition de l’humanitĂ©. Stricto sensu cette conception de la libertĂ© est une nĂ©gation de l’autonomie, c’est une hĂ©tĂ©ronomie. Face au dilemme auquel nous condamne Ellul, comment relever le dĂ©fi, comment retrouver une libertĂ© vĂ©ritablement autonome, c’est-Ă -dire trouvant en elle-mĂŞme ses propres dĂ©terminations et ses propres limites ? »[3]. Cette remarque, parue dans la revue du Mauss, critique la visĂ©e thĂ©iste d'Ellul, mais montre bien Ă  quel point l'homme veut vivre sans Dieu, estimant que sa libertĂ© vĂ©ritable ne peut pas exister en relation avec un CrĂ©ateur.

Justement, la ville est le lieu crĂ©Ă© par l'homme. Elle est l'affirmation que l'homme prend sa vie en main, indĂ©pendamment de Dieu : elle est l'expression de la rĂ©bellion de l'homme contre Dieu. En effet, Dieu avait mis l'homme dans un jardin, lieu adaptĂ© Ă  l'homme. Mais l'homme refuse la vie que Dieu lui destine, Ă  savoir l'errance, et les hommes se rassemblent et s'organisent pour ne plus dĂ©pendre de la nature. Ce projet politique - la gestion de la citĂ©, est sous-jacent Ă  la ville : sĂ©curitĂ©, survivance, commerce, vivre ensemble... Mais cette ville, construite pour faciliter les solidaritĂ©s et pour protĂ©ger l'homme contre les agressions naturelles, devient le lieu de l'isolement et de l'insĂ©curitĂ©. « Divine ou cĂ©leste, la citĂ© renvoie dans l’espace culturel europĂ©en Ă  l’image d’un idĂ©al religieux du « vivre ensemble » oĂą convergent tous les enjeux majeurs de la sociĂ©tĂ© future. Mangeuse d’hommes et productrice de nouvelles Ă©conomies, la ville s’apparente Ă  un espace oĂą s’opèrent toutes sortes de mobilitĂ©s dĂ©mographiques, de rĂ©gulations sociales, de conflits de pouvoir et de chocs culturels »[4]. L'histoire des villes et l'histoire des religions se croisent et s'entremĂŞlent, et le christianisme tĂ©moigne de cette relation : c'est principalement grâce Ă  la conquĂŞte urbaine que la religion se rĂ©pand. Des penseurs interrogent, Ă  partir des annĂ©es soixante, la question de la "CitĂ© SĂ©culière"[5] - [6] - [7], et la ville devient alors un "enjeu thĂ©ologique"[8]. Quoi qu'il en soit, ce projet urbain, qui dĂ©tourne l'homme de Dieu, sera en dernier ressort jugĂ© sĂ©vèrement.

La ville est aussi un lieu spirituel oĂą s'affrontent les puissances. La ville a donc une signification profonde, une marque spirituelle, qui est le signe de la malĂ©diction, et le bâtisseur de la ville est maudit entre tous. « C'est dans l'esclavage que se lie [sic] IsraĂ«l et la ville »[9].Toutes les villes, dans la Bible, sont maudites, et « jamais une parole d'espĂ©rance, jamais une parole de pardon pour la ville en tant que ville, parce qu'elle est cette terrible manifestation de l'astre brillant du matin, qui a dĂ©tournĂ© les hommes »[10]. Cette malĂ©diction explique toutes les difficultĂ©s, tous les problèmes rencontrĂ©s dans les villes, et l'on a beau essayer de trouver des solutions (sĂ©curitĂ©, urbanisme, isolement...), l'homme ne pourra jamais faire de la ville autre chose que ce qu'elle est. Ici, on sent bien l'influence de Bernard Charbonneau, grand ami d'Ellul. « Ellul a toujours reconnu sa dette envers Charbonneau Â», dira Jean-SĂ©bastien Ingrand, pasteur et thĂ©ologien, directeur de la MĂ©diathèque protestante de Strasbourg. Ils publient ensemble « Directives pour un manifeste personnaliste Â»[11], dans lequel ils dĂ©noncent entre autres la ville, accusĂ©e de remettre en cause la libertĂ©. « L’homme des villes est riche d’argent, mais pauvre d’espace et de temps Â», Ă©crivent-ils. « La ville est un lieu d’inhumanitĂ©, la banlieue surtout, espace banalisĂ© et uniforme, l’exact opposĂ© de la campagne. La ville est un lieu d’artifice, oĂą la nature est vaincue. Mais attention : il ne faut pas idĂ©ologiser la nature, qui se dĂ©fend très bien toute seule. C’est l’homme qui est fragile, et surtout sa libertĂ©. Bernard Charbonneau avec Le jardin de Babylone (1969) et Jacques Ellul avec Jacques Ellul, Sans feu, ni lieu (1975), se retrouvent sur ce point. »[12].

La ville prend l'ampleur annoncĂ©e par Ellul et Charbonneau, qui voyaient dans l'urbanisation du monde le moyen d'universaliser la technique, et d'uniformiser toutes les civilisations[13]. En effet, en 2008, la population urbaine mondiale dĂ©passe la population rurale [lire en ligne]. Autant Charbonneau s’attache au symbole de Babylone, autant Ellul focalise sur celui de Ninive. La grande ville est une masse qui ne peut survivre que par le sacrifice des libertĂ©s. « C’est alors que les deux hommes se sĂ©parent : contre le catastrophisme de Charbonneau, Ellul s’attache Ă  l’espĂ©rance chrĂ©tienne, qui mène du jardin d’Éden Ă  la nouvelle JĂ©rusalem annoncĂ©e dans l’Apocalypse. »[12].

Plan

Les bâtisseurs
  1. CaĂŻn
  2. Nimrod
  3. Israël
  4. Bâtissons
II. Tonnerre sur la ville
  1. Malédiction
  2. Sodome et Ninive
  3. Dans ces villes, pourtant
III. La rémission de l'aube
  1. Élection temporelle
  2. JĂ©rusalem
IV. JĂ©sus-Christ
  1. Accomplissement
  2. Sans feu ni lieu
  3. La foule
  4. JĂ©sus et JĂ©rusalem
V. Les horizons authentiques
  1. Histoire de la ville
  2. De CaĂŻn Ă  JĂ©rusalem
  3. D'Éden à Jérusalem
VI. Yahvé Chamma
  1. La dernière ville
  2. Symbolique
Index

Bibliographie liée à ce sujet

Liens externes

[lire en ligne]

Notes et références

  1. Frédéric Rognon, Jacques Ellul : Une pensée en dialogue, éd. Labor et Fides, 2007, p.86 [lire en ligne]
  2. Jacques Ellul, Sans feu, ni lieu, Paris, Gallimard, collection Voies ouvertes, 1975, p.11
  3. Jean-Pierre Jézéquel, Jacques Ellul ou l’impasse de la technique, Revue du Mauss, 2010
  4. Bruno Dumons et Bernard Hours, Ville et religion en Europe du XVIe au XXe siècle - La cité réenchantée, la pierre et l'écrit, 2010, p.10)
  5. Harvey Cox, La Cité séculière. Essai théologique sur la sécularisation et l’urbanisation, Paris, Casterman, 1968
  6. Joseph Comblin, Théologie de la ville, Paris, Éditions Universitaires, 1968
  7. Jacques Ellul, Sans feu, ni lieu, Paris, Gallimard, 1975
  8. Bruno Dumons et Bernard Hours, Ville et religion en Europe du XVIe au XXe siècle - La cité réenchantée, la pierre et l'écrit, 2010, p.11)
  9. Jacques Ellul, Sans feu, ni lieu, Paris, Gallimard, collection Voies ouvertes, 1975, p.54-55
  10. Jacques Ellul, Sans feu, ni lieu, Paris, Gallimard, collection Voies ouvertes, 1975, p.82
  11. Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, Directives pour un manifeste personnaliste, 1935, texte dactylographié édité par les groupes d'Esprit de la région du Sud-ouest; publié en 2003 par les Cahiers Jacques-Ellul n°1, "Les années personnalistes", p. 68
  12. Roger Cans, compte-rendu d’un colloque sur Bernard Charbonneau, précurseur de l’écologie, organisé du 2 au 4 mai 2011 à l’IRSAM (université de Pau)
  13. Jean-Luc Porquet, « Nous tous pareils Â» in Jacques Ellul - L'homme qui avait (presque) tout prĂ©vu, Le Cherche-Midi, 2003, p. 151-158
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