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Roman-mémoires

Le roman-mémoires est un genre littéraire de roman dans lequel le récit, bien que fictif, est présenté sous la forme de mémoires.

Marie-Catherine de Villedieu, l’inventrice du roman-mémoires.

Le roman-mĂ©moires est la forme classique de la fiction en France entre 1728 et 1750. Issu des pseudo-mĂ©moires du dernier quart du XVIIe siècle, il s’en distingue par le fait que le je-narrateur ne vise pas Ă  donner sa version particulière de faits historiques auxquels il a participĂ©, mais Ă  s’interroger sur lui-mĂŞme, plus particulièrement sur sa vie sentimentale. Ce changement de perspective vise avant tout Ă  la dĂ©couverte de l’être et finalement du bonheur. L’analyse psychologique y occupe donc le devant de la scène. C’est le « moi Â» qui est le centre du rĂ©cit, et non plus les aventures singulières empruntĂ©es au roman baroque.

Le personnage principal du roman-mĂ©moires effectue ainsi un rĂ©cit Ă  la première personne de sa vie qui prend toutes les apparences d’une vĂ©ritable autobiographie. Le roman-mĂ©moires se revendique d’emblĂ©e cependant comme Ĺ“uvre de fiction, mĂŞme si des personnages et des Ă©vĂ©nements historiques ayant rĂ©ellement existĂ© y sont quelquefois insĂ©rĂ©s, de façon Ă  « authentifier Â» le rĂ©cit en augmentant l’effet de rĂ©el.

La biographie mise en œuvre dans le roman-mémoires se distingue des pseudo-mémoires en ce que le narrateur n’est pas une personne connue, dont l’identité est endossée par un auteur relatant, avec plus ou moins de fidélité, l’histoire à sa place, comme c’est le cas dans les Mémoires de M. d’Artagnan de Courtilz de Sandras (1700). Elle se distingue également des autobiographies romancées, comme le Page disgracié de Tristan L'Hermite (1643), en ce que, même si la narration emprunte effectivement des éléments diégétiques à la vie de son auteur, le Page disgracié n’est pas une autobiographie.

L’importance du roman-mémoires comme mode de récit réside dans les possibilités d’analyse et d’exploration de la personnalité du narrateur que cette forme permet. Le caractère entièrement fictif du roman-mémoires est donc pleinement assumé par son narrateur, même si celui-ci cherche à donner à son récit toutes les apparences – formelles (épistolaire, comme dans la Vie de Marianne) ou événementielles (un bref récit de vie effectué de façon fortuite à l’occasion d’une rencontre de passage dans une auberge, comme dans Manon Lescaut) – d’une biographie réelle, dont l’acte d’écriture ne se distingue que comme acte de pure création et non de recréation en référence au réel[1]. Le caractère subjectif de ce mode de narration a permis l’existence de personnages à la psychologie plus subtile et plus complexe que ceux des romans précédents où le narrateur était externe au récit.

On considère que le premier exemple de roman-mĂ©moires est les MĂ©moires de la vie d’Henriette-Sylvie de Molière publiĂ©s par Marie-Catherine de Villedieu en 1672[2], mais l’« Ă˘ge d’or Â» du genre est la littĂ©rature du XVIIIe siècle. PrĂ©vost s’est fait connaĂ®tre dans ce genre avec ses MĂ©moires et aventures d’un homme de qualitĂ© qui s’est retirĂ© du monde, d’oĂą est tirĂ© la cĂ©lèbre Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Marivaux s’est Ă©galement illustrĂ© dans le genre du roman-mĂ©moires, notamment avec le Paysan parvenu et, surtout, la Vie de Marianne, oĂą il a utilisĂ© dans le roman-mĂ©moires la technique diĂ©gĂ©tique du roman Ă©pistolaire, puisque la protagoniste raconte son histoire Ă  sa correspondante la demande de celle-ci, technique permettant de faire jouer un rĂ´le au destinataire dans l’accession du rĂ©cit au statut de littĂ©rature[3]. La Religieuse de Diderot fonctionne selon le mĂŞme principe Ă©pistolaire, Ă  cela près que le correspondant auquel elle est adressĂ©e est bien rĂ©el : il s’agit du marquis de Croismare, victime d’une mystification de la part de ses amis, au nombre desquelles on trouvait Diderot, visant Ă  le faire revenir Ă  Paris, qu’il avait quittĂ© pour la Normandie. C’est dire si le genre Ă©tait lu et apprĂ©ciĂ©. Un roman-mĂ©moires comme les Malheurs de l'amour de Claudine de Tencin (1747) fit mĂŞme partie jusqu’en 1760, avec les Lettres d'une PĂ©ruvienne ou les Confessions du comte de *** de Duclos des neuf romans les plus lus en France[4].

Les Égarements du cœur et de l’esprit ou Mémoires de M. de Meilcour (1736) de Crébillon fils sont une bonne illustration de ce qu’a pu produire le genre romanesque du roman-mémoires dans la première moitié du XVIIIe siècle, alors que, par contraste, les Amours du chevalier de Faublas (1787-90) de Louvet de Couvray, dont la publication s’achève pendant la Révolution, marquant l’abandon par Louvet du roman au profit du journalisme politique, évolue de la frivolité initiale pour s’achever sur une fin très sombre, qui laisse déjà présager l’avènement du romantisme au siècle suivant.

Notes

  1. Loïc Thommeret, La Mémoire créatrice, Paris, L’Harmattan, 2006, (ISBN 9782296008267), p. 20-21.
  2. René Démoris, Préface des Mémoires de la vie d’Henriette-Sylvie de Molière, Desjonquères, Paris, 2003, (ISBN 9782843210549), p. 18 & 29.
  3. LoĂŻc Thommeret, op. cit., p. 119.
  4. Daniel Mornet, « Les Enseignements des bibliothèques privĂ©es (1750-1780) Â», Revue d'Histoire littĂ©raire de la France, Paris, Colin, 1910, p. 449-496.

Références

  • Florence Magnot-Ogilvy, La Parole de l’autre dans le roman-mĂ©moires : (1720-1770), Louvain ; Dudley, Peeters, 2004, 395 p., (ISBN 9782877238045)
  • Ulla Musarra-Schrøder, Le Roman-mĂ©moires moderne : pour une typologie du rĂ©cit Ă  la première personne, prĂ©cĂ©dĂ© d’un modèle narratologique et d’une Ă©tude du roman-mĂ©moires traditionnel de Daniel Defoe Ă  Gottfried Keller, Amsterdam, APA, Holland University Press, 1981, 393 p., (ISBN 9789030212362) ;
  • (en) Philip R. Stewart, Imitation and Illusion in the French Memoir-Novel, 1700-1750. The Art of Make-Believe, New Haven & London, Yale University Press, 1969, 350 p., (ISBN 9780300011494) ;
  • Jean Sgard, L’AbbĂ© PrĂ©vost : Labyrinthes de la mĂ©moire, Paris, PUF, 1986, 239 p., (ISBN 9782130392828) ;
  • LoĂŻc Thommeret, La MĂ©moire crĂ©atrice. Essai sur l’écriture de soi au XVIIIe siècle , Paris, L'Harmattan, 2006, 273 p., (ISBN 9782296008267).
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