Robinson Crusoé de Varsovie
Robinson CrusoĂ© de Varsovie est le surnom donnĂ© aux personnes qui ont dĂ©cidĂ© de rester Ă Varsovie aprĂšs la capitulation de la rĂ©sistance polonaise ayant menĂ© lâinsurrection contre l'occupant allemand, dans la capitale entre le 1er aoĂ»t et le 3 octobre 1944. Ces personnes se sont cachĂ©es dans les ruines de la ville, et pour beaucoup d'entre elles, jusquâĂ lâentrĂ©e Ă Varsovie des unitĂ©s de lâArmĂ©e rouge et de lâArmĂ©e populaire polonaise le 17 janvier 1945, appelĂ©e « lâopĂ©ration de Varsovie » (pol : Operacja warszawska). Le « Robinson CrusoĂ© de Varsovie » le plus cĂ©lĂšbre a Ă©tĂ© WĆadysĆaw Szpilman.
Origine
Le terme « Robinson CrusoĂ© de Varsovie » est apparu pour la premiĂšre fois avant la guerre, dans le roman de science-fiction dâAntoni SĆonimski « Dwa koĆce Ćwiata » en 1937.
Dans le roman, presque toute lâhumanitĂ© est anĂ©antie Ă cause des « rayons bleus de la mort », Ă©mis par Hans Retlich, qui jugeait le programme politique dâAdolf Hitler insuffisamment radical. Un des protagonistes nommĂ© Henryk Szwalba, vendeur dans la librairie, survit miraculeusement Ă lâattaque de Retlich. Dans le titre du 4e chapitre, lâauteur lui donne le surnom de « Robinson CrusoĂ© de Varsovie ». Au cours de lâintrigue, il fait plusieurs fois rĂ©fĂ©rences au roman « Robinson CrusoĂ© » de Daniel Defoe et notamment, dans la Varsovie dĂ©serte oĂč Szwalba rencontre son « Vendredi », un homme appelĂ© Chomiak, alcoolique parlant en dialecte de Varsovie (appelĂ© en polonais « wiech »).
Ăvacuation de Varsovie
ConformĂ©ment à « lâaccord sur la cessation des hostilitĂ©s », signĂ© le , tous les civils doivent quitter Varsovie avec les unitĂ©s de la rĂ©sistance polonaise dâArmia Krajowa. La majoritĂ© des survivants de la ville partent lors de cette Ă©vacuation. AprĂšs un court sĂ©jour dans le camp de transit Ă PruszkĂłw, la plupart dâentre eux seront envoyĂ©s aux travaux forcĂ©s en Allemagne ou dĂ©portĂ©s vers les districts de lâouest du Gouvernement gĂ©nĂ©ral. LâĂ©vacuation des blessĂ©s et des malades se termine le . Le mĂȘme jour, les conseils gĂ©nĂ©ral et rĂ©gional de la Croix-Rouge polonaise sont Ă©vacuĂ©s Ă Radom[1]. Le , lâordre interdisant aux civils de rester dans la ville, entre en vigueur[2]. Ă partir de ce jour, Varsovie est dĂ©clarĂ©e zone militaire allemande (Festung Warschau) alors que les unitĂ©s allemandes de lâAide technique d'urgence se livrent Ă la destruction de la capitale et au pillage des biens restants.
Cependant, certaines personnes se sont dĂ©libĂ©rĂ©ment cachĂ©es dans la ville dĂ©sertĂ©e et presque totalement dĂ©truite, sans aucune intention de la quitter. L'histoire les a surnommĂ©es « Les Robinson CrusoĂ© de Varsovie », en faisant rĂ©fĂ©rence au roman de SĆonimski et au roman « Robinson CrusoĂ© » de Defoe. Aujourdâhui, il est difficile d'en estimer un nombre exact. Selon Jadwiga Marczak, il y en avait environ 400 alors que StanisĆaw Kopf les estime Ă environ 1000[1]. Identifiant aussi bien les hommes que les femmes, "les Robinsons" sont aussi des personnes ĂągĂ©es. En revanche aucune information ne fait Ă©tat de la prĂ©sence d'enfants[3].
Les « Robinsons » dĂ©cidĂšrent de rester Ă Varsovie pour de nombreuses et diffĂ©rentes raisons. Parmi eux, certains Ă©taient entre autres des survivants des exĂ©cutions massives faites par les soldats de Heinz Reinefarth et de Oskar Dirlewanger, et se cachaient dĂ©jĂ dans les ruines. Ils vivaient dans lâisolement le plus complet et beaucoup d'entre eux ignoraient l'Ă©chec de lâinsurrection. Parmi les personnes restĂ©es Ă Varsovie, il y avait de nombreux habitants dâorigine juive et des insurgĂ©s qui ne croyaient pas aux promesses allemandes concernant l'application et le respect de la Convention de La Haye sur le traitement des prisonniers. Aussi les personnes ĂągĂ©es et malades sont restĂ©es dans la ville, tout comme les gens voulant continuer la lutte contre les Allemands. Probablement, le goĂ»t de lâaventure a pu jouer un rĂŽle pour certains jeunes[3] - [4].
Le plus souvent, les « Robinsons » se cachaient dans les sous-sols et dans les greniers de maisons abandonnĂ©es. Ils choisissaient les bĂątiments les plus dĂ©truits pour Ă©viter la menace de lâincendie ou le bombardement par les unitĂ©s allemandes. Ils transformaient les sous-sols en casemates bien cachĂ©es et bien ventilĂ©es, avec plusieurs entrĂ©es. Parfois, ils brisaient les murs dans les sous-sols pour crĂ©er le plus possible de voies de communication souterraines. Dans les ruines, il y avait aussi bien des groupes d'une dizaine de personnes que des personnes prĂ©fĂ©rant vivre seules. Le plus nombreux des groupes, comptant 37 personnes, se cachait dans les ruines de la maison de la rue Sienna[3]. Bien que les « Robinsons » aient Ă©tĂ© prĂ©sents dans tous les quartiers de Varsovie, ils Ă©taient les plus nombreux Ă ĆrĂłdmieĆcie, Ć»oliborz et Ochota[3].
Conditions de vie
Les conditions de vie des « Robinsons » Ă©taient dĂ©plorables. Le plus grand problĂšme consistait Ă trouver de lâeau et de la nourriture. Les fugitifs devaient ĂȘtre attentifs Ă ne pas dĂ©voiler, ni par le bruit ni par les odeurs, leurs prĂ©sences aux Allemands. Ils ne pouvaient quitter leurs casemates quâen cas de nĂ©cessitĂ©. Certains fugitifs avaient des blessures plus ou moins graves, certains avaient des problĂšmes psychologiques Ă cause de lâisolement et de la solitude[5]. Selon le tĂ©moignage de lâun des « Robinsons », « en hiver, nous chauffions la piĂšce avec le poĂȘle de fer. Nous avions beaucoup de combustible mais nous ne pouvions chauffer la piĂšce que durant la nuit Ă cause des Allemands. Nous dormions pendant le jour, la nuit tombĂ©e, la vie commençait »[4].
Sauf cas singuliers, les « Robinsons » Ă©vitaient tout contact avec les Allemands. Cependant, ces derniers considĂ©raient les fugitifs comme une menace et les traitaient « dâagents bolcheviques ». Le , le gĂ©nĂ©ral Smilo von LĂŒttwitz, commandant de la 9e armĂ©e allemande, a averti ses unitĂ©s de la façon suivante : « Les Polonais rusĂ©s restent encore dans les ruines de Varsovie. Ils constituent toujours une menace pour les troupes de combattants allemands ». On a ordonnĂ© aux trois rĂ©giments de la police (n° 34, 17 et 23) de faire une grande rafle pour nettoyer dĂ©finitivement la ville[6]. Les « Robinsons » capturĂ©s Ă©taient tuĂ©s immĂ©diatement, Ă lâexception de ceux capturĂ©s le 15 novembre 1944, transportĂ©s au camp de transit Ă PruszkĂłw[7].
Les destinĂ©es des « Robinsons » furent diverses. Certaines personnes ont rĂ©ussi Ă informer des gens demeurant Ă lâextĂ©rieur de la ville, sur leur situation et rĂ©ussi Ă quitter Varsovie, soit grĂące aux ouvriers polonais transportant les matĂ©riaux prĂ©cieux, soit grĂące aux employĂ©s de Rada GĆĂłwna OpiekuĆcza ou grĂące Ă la Croix-Rouge polonaise. D'autres ont Ă©tĂ© trouvĂ©s et assassinĂ©s par les Allemands. Une grande partie des « Robinsons » sâest cachĂ©e jusquâĂ la libĂ©ration de Varsovie par lâArmĂ©e rouge et lâArmĂ©e populaire polonaise, en [1].
Le plus cĂ©lĂšbre « Robinson CrusoĂ© de Varsovie » est WĆadysĆaw Szpilman. Pendant quelques semaines, dans les ruines, se sont cachĂ©s aussi Marek Edelman et WacĆaw Gluth-Nowowiejski, publiciste et chroniqueur de lâinsurrection de Varsovie.
Commémoration
Le , sur le mur du bĂątiment de la rue MarszaĆkowska 21/25, a Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©e une plaque commĂ©morant les quatre « Robinsons CrusoĂ© de Varsovie » : Antoni (Dudek) Czarkowski, Jan ĆatwiĆski, ZdzisĆaw Michalik et WĆadysĆaw TymiĆski, qui se sont cachĂ©s dans les ruines du bĂątiment Ă lâintersection des rues MarszaĆkowska et OleandrĂłw[8].
Filmographie
- CzesĆaw MiĆosz et Jerzy Andrzejewski ont crĂ©Ă© le scĂ©nario sur la base des tĂ©moignages de Szpilman. Ensuite, on lâa rĂ©crit conformĂ©ment Ă la propagande communiste pour crĂ©er un film « La Ville indomptĂ©e » (pol. Miasto nieujarzmione).
- Le film Le Pianiste de Roman Polanski, palme d'or au festival de Cannes en 2002, retrace la vie Ă Varsovie durant la Seconde Guerre mondiale de WĆadysĆaw Szpilman, un des « Robinsons » survivants.
Bibliographie
- Krzysztof Dunin-WÄ sowicz: Warszawa w latach 1939-1945. Warszawa: PaĆstwowe Wydawnictwo Naukowe, 1984. (ISBN 83-01-04207-9).
- WacĆaw Gluth-Nowowiejski: Stolica JaskiĆ. Plus-Minus, Rzeczpospolita, 14 wrzeĆnia 2002. [dostÄp 13 paĆșdziernika 2009].
- StanisĆaw Kopf: Wyrok na miasto. Warszawskie Termopile 1944-1945. Warszawa: Wydawnictwo Askon, 2001.
- Exodus Warszawy. Ludzie i miasto po Powstaniu 1944. T. I: PamiÄtniki, relacje. Warszawa: PaĆstwowy Instytut Wydawniczy, 1992. (ISBN 83-06-01589-4).
Références
- Berezowska, MaĆgorzata., Borecka, Emilia., Kazimierski, JĂłzef. et Muzeum Historyczne m. st. Warszawy., Exodus Warszawy : ludzie i miasto po Powstaniu 1944, Warszawa, PaĆstwowy Instytut Wydawniczy, 1992- (ISBN 83-06-01589-4 et 9788306015898, OCLC 32087853, lire en ligne)
- StanisĆaw Kopf: Wyrok na miasto. Warszawskie Termopile 1944-1945. Warszawa: Wydawnictwo Askon, 2001, p. 17.
- (pl) Dunin-WÄ sowicz, Krzysztof., Warszawa w latach 1939-1945, Warszawa, PaĆstwowe Wydawn. Nauk, , 407 p. (ISBN 83-01-04207-9 et 9788301042073, OCLC 12336455, lire en ligne)
- StanisĆaw Kopf: Wyrok na miasto. Warszawskie Termopile 1944-1945, op.cit.. p. 68.
- WacĆaw Gluth-Nowowiejski: Stolica JaskiĆ. Plus-Minus, Rzeczpospolita, 14 wrzeĆnia 2002.
- StanisĆaw Kopf: Wyrok na miasto. Warszawskie Termopile 1944-1945, op.cit.. p. 67.
- StanisĆaw Kopf: Wyrok na miasto. Warszawskie Termopile 1944-1945, op.cit.. p. 30.
- Robinsonowie warszawscy. âStolicaâ, p. 10, Janvier-FĂ©vrier 2016.