Accueil🇫🇷Chercher

Retournement de la sphère

En mathématiques, et plus précisément en topologie différentielle, le retournement de la sphère (ou éversion de la sphère) est une transformation faisant passer l'intérieur d'une sphère à l'extérieur dans l'espace usuel à trois dimensions, en autorisant la traversée de la surface par elle-même, mais en interdisant la formation de plis. Le fait qu'un tel processus soit possible a un caractère surprenant, ce qui fait que l'existence de ce retournement est parfois connue aussi sous le nom de paradoxe de Smale, d'après Stephen Smale qui le découvrit en 1958.

Surface de Morin, vue de dessus ; c'est une des étapes du retournement de la sphère construit par Bernard Morin.

Historique

L'existence d'un retournement paradoxal fut découvert par Stephen Smale en 1958[1]. Il est difficile de visualiser un tel retournement, bien que des animations infographiques aient été produites, rendant la tâche plus aisée ; le premier exemple explicite fut construit grâce aux efforts de plusieurs mathématiciens, parmi lesquels Arnold S. Shapiro (en) et Bernard Morin, qui était aveugle. Il est plus facile de démontrer qu'un tel « retournement » existe sans le construire, comme le fit Smale.

Raoul Bott, qui était le directeur de recherche de Smale, lui déclara d'abord que son résultat était évidemment faux[2], faisant remarquer que le degré de l'application de Gauss serait invariant dans un tel retournement — c'est la raison qui fait qu'on ne peut retourner le cercle S1 dans le plan R2. Mais les degrés des applications i (l'immersion canonique de S2 dans R3) et –i sont tous deux égaux à 1, et cet argument ne s'applique donc pas. De fait, il ne semble pas qu'il y ait eu avant le travail de Smale une analyse de la possibilité (ou non) de retourner la sphère.

Énoncé et démonstration

Le « retournement » de la sphère dont Smale démontre l'existence est techniquement une homotopie, c'est-à-dire une suite continue d'immersions (des « plongements » autorisant la surface à se « croiser » elle-même) de la sphère dans l'espace ordinaire R3.

Plus rigoureusement, il s'agit d'une homotopie régulière (en) « retournant » la sphère, c'est-à-dire d'une application f différentiable (on peut d'ailleurs rendre f indéfiniment différentiable) de [0, 1]×S2 dans R3 (donc une déformation continue de la sphère), telle que sa restriction à {0}×S2 soit l'injection canonique i et que sa restriction à {1}×S2 soit -i (ce qui modélise le retournement), cette application étant sans singularité (les « plis » de la définition informelle), c'est-à-dire que chaque restriction de f à {t}×S2 est une immersion.

La démonstration de Smale était indirecte, consistant à identifier des classes d'homotopie régulière d'immersions de sphères et de démontrer qu'on pouvait construire à partir de celles-ci une éversion de la sphère.

Animation de la surface de Boy.

Il existe à présent plusieurs constructions explicites permettant une visualisation de ce retournement :

  • Les modèles intermĂ©diaires (en) : ces homotopies utilisent une forme intermĂ©diaire symĂ©trique. Cette mĂ©thode, initialement dĂ©veloppĂ©e par Shapiro et Phillips en passant par une surface de Boy, fut par la suite amĂ©liorĂ©e par de nombreux autres auteurs, car les homotopies initialement construites Ă  la main Ă©taient loin d'ĂŞtre minimales. Nelson Max mit sept annĂ©es pour construire un film d'animation montrant cette Ă©version, en se basant sur les modèles de Charles Pugh faits avec du grillage de cage Ă  poules ; ce tour de force graphique sur ordinateur (pour l'Ă©poque) allait servir pendant de nombreuses annĂ©es de rĂ©fĂ©rence pour des animations informatiques. Dans les annĂ©es 1980, une optimisation de cette construction vint de la mĂ©thode du minimax (en), une application du calcul des variations aux homotopies rĂ©gulières, dĂ©terminant le chemin le plus court relativement Ă  l'Ă©nergie de Wiimore (en). Inversement, la comprĂ©hension du comportement de l'Ă©nergie de Willmore demande de rĂ©soudre des Ă©quations aux dĂ©rivĂ©es partielles du quatrième ordre ; ainsi, ces images splendides concrĂ©tisent des mathĂ©matiques très profondes, allant bien au-delĂ  de la dĂ©monstration abstraite de Smale.
  • Les corrugations de Thurston : cette mĂ©thode, topologique et gĂ©nĂ©rique, part d'une homotopie plus ou moins arbitraire, et la transforme en une homotopie rĂ©gulière[3].
  • La construction de François ApĂ©ry (1986),Ă©lève de Bernard Morin Ă  Strasbourg, a Ă©tĂ© basĂ©e Ă  partir d'Ă©quations analytiques pour une surface non orientable[4] - [5] - [6].
  • La construction d'Aitchison (2010) : elle utilise une combinaison de topologie et de gĂ©omĂ©trie, et ne s'applique qu'au retournement de la sphère. Elle permet une comprĂ©hension conceptuelle de la transformation, apparaissant comme issue de la structure mĂ©trique de la 3-sphère et de sa fibration de Hopf (les dĂ©tails de cette fibration ne sont pas vraiment nĂ©cessaires, il suffit de manipuler un plongement spĂ©cifique d'un cercle dans le tore[7]). Conceptuellement plus simple, cette construction se visualise cependant moins aisĂ©ment[8].

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Smale's paradox » (voir la liste des auteurs).
  1. (en) Stephen Smale, « A classification of immersions of the two-sphere », Trans. Amer. Math. Soc., vol. 90,‎ , p. 281–290 (JSTOR 1993205, lire en ligne).
  2. (en) Silvio Levy, Making waves, Wellesley, MA, A K Peters, (ISBN 978-1-56881-049-2, MR 1357900, lire en ligne), « A brief history of sphere eversions ».
  3. Une illustration graphique de la méthode et des raisons pour lesquelles elle fonctionne est donnée dans la (en) vidéo « Outside In » sur YouTube.
  4. Apéry, F. Modèles du Plan Projectif Réel: Infographie de Steiner et Boy Surfaces. Braunschweig, Allemagne: Vieweg, 1987.
  5. Apéry, F. Un modèle algébrique à mi-chemin pour l'éversion de la sphère, Tôhoku Math. J. 44 , 103-150, 1992.
  6. Apéry, F .; et Franzoni, G. L'éversion de la sphère: un modèle matériel de la phase centrale. Rendiconti Sem. Fac. Sc. Univ. Cagliari 69 , 1-18, 1999.
  7. Formé des points (x, y, z, t) de R4 tels que x2 + y2 = z2 + t2 = 1.
  8. En voici une animation partielle utilisant POV-Ray.

Voir aussi

Article connexe

Homotopie régulière (en)

Bibliographie

  • (en) Iain R. Aitchison, « The `Holiverse': holistic eversion of the 2-sphere in R3 », preprint, 2010, arXiv:1008.0916.
  • (en) John B. Etnyre, « Review of "h-principles and flexibility in geometry" », 2004, lien Math Reviews.
  • (en) George K. Francis, A Topological Picturebook, Berlin, New York, Springer-Verlag, , 194 p. (ISBN 978-0-387-34542-0, MR 2265679, lire en ligne)
  • (en) George K. Francis et Bernard Morin, « Arnold Shapiro's Eversion of the Sphere », The Mathematical Intelligencer, vol. 2, no 4,‎ , p. 200-203.
  • Bernard Morin et Jean-Pierre Petit, « Le retournement de la sphère », Pour la Science, no 15,‎ , p. 34-49 (lire en ligne) (republiĂ© dans Les progrès des mathĂ©matiques, 1980 (ISBN 978-2-90291814-0), p. 32-45).
  • (en) Anthony Phillips, « Turning a surface inside out », Scientific American, , p. 112–120.

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.