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R. c. Labaye

R. c. Labaye [1] est un arrĂȘt de principe de la Cour suprĂȘme du Canada rendu en 2005 sur la notion d'indĂ©cence en droit pĂ©nal et concernant la lĂ©galitĂ© des clubs Ă©changistes.

Les faits

Jean-Paul Labaye de Montréal a été accusé d'avoir exploité une « maison de débauche », une infraction en vertu de l'article 210 (1) du Code criminel, pour avoir été propriétaire du club l'Orage, dans lequel les personnes qui ont payé des frais d'adhésion et leurs invités pouvaient se réunir et se livrer à des relations sexuelles en groupe, du sexe oral et de la masturbation. Toutes ces activités étaient consensuelles et, alors que les membres payaient les frais d'adhésion au club, les membres ne se payaient pas les uns les autres en échange de relations sexuelles. Ayant été reconnu coupable, M. Labaye a été condamné à une amende de 2 500 $[2].

Jugement de la Cour suprĂȘme

Les juges majoritaires de la Cour suprĂȘme, dont la juge en chef Beverley McLachlin, ont conclu que M. Labaye n'aurait pas dĂ» ĂȘtre dĂ©clarĂ© coupable. Ils ont accueilli son pourvoi et ont ainsi renversĂ© la dĂ©cision de la Cour d'appel du QuĂ©bec.

Motifs du jugement

Pour dĂ©terminer si M. Labaye Ă©tait rĂ©ellement coupable de possĂ©der une maison de dĂ©bauche, la Cour devait dĂ©cider si les activitĂ©s qui s'y dĂ©roulaient devaient ĂȘtre qualifiĂ©es d'indĂ©centes, puisque les maisons de dĂ©bauche sont, par dĂ©finition, des maisons dans lesquelles se produisent la prostitution ou l'indĂ©cence ou bien oĂč on prĂ©voit se livrer Ă  ces activitĂ©s. La Cour a d'abord notĂ© que la moralitĂ© n'Ă©tait d'aucune utilitĂ© pour dĂ©terminer si ces activitĂ©s Ă©taient indĂ©centes. Seules les normes objectives de dĂ©cence Ă©tablies dans le droit canadien seraient utiles, et ces normes visaient Ă  dĂ©terminer si un prĂ©judice a Ă©tĂ© causĂ©. En examinant la jurisprudence, qui comprenait Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine[3] (1985) et R. c. Butler[4] (1992), la Cour a observĂ© qu'il a Ă©tĂ© Ă©tabli, d'abord dans l'affaire Towne Cinema Theatres Ltd. de 1985, que l'« obscĂ©nitĂ© » est dĂ©finie comme dĂ©passant ce que les Canadiens seraient en mesure d'accepter socialement (bien qu'il y ait certaines choses que certains Canadiens n'aimeront pas mais qu'ils accepteront nĂ©anmoins). De plus, l'obscĂ©nitĂ© doit ĂȘtre prĂ©judiciable Ă  certaines personnes.

Dans R. c. Butler et Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada[5], il a en outre Ă©tĂ© Ă©tabli que le fait de savoir si quelque chose fait ou menace de nuire Ă  certaines personnes est important pour dĂ©terminer si quelque chose est indĂ©cent et si, en fait, le prĂ©judice est devenu la seule mesure d'indĂ©cence en droit canadien. (La dissidence a contestĂ© ce point, arguant que ce n'est que maintenant, avec cette dĂ©cision, que le prĂ©judice est devenu la seule mesure.) En tout cas, dans R. c. Labaye, la Cour a approuvĂ© l'approche fondĂ©e exclusivement sur le prĂ©judice et a Ă©crit que « Le prĂ©judice ou le risque apprĂ©ciable de prĂ©judice est plus facile Ă  prouver qu’une norme sociale »[6]. La Cour a ensuite Ă©tabli des lignes directrices sur la façon de mesurer le prĂ©judice.

PremiĂšrement, la Cour a Ă©crit que ce qui est indĂ©cent en vertu du Code criminel est ce qui est contraire aux principes des lois constitutionnelles ou d'autres lois importantes. L'ensemble de la sociĂ©tĂ© a des croyances sur ce dont elle a besoin pour fonctionner ; les croyances des individus ou certaines croyances politiques selon lesquelles quelque chose pourrait ĂȘtre nuisible ne suffisent, en revanche, pas. De plus, le prĂ©judice d'indĂ©cence doit ĂȘtre grave. La Cour a examinĂ© ces dĂ©finitions en profondeur, observant que les valeurs qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme essentielles Ă  la sociĂ©tĂ© incluent la libertĂ© et l'Ă©galitĂ©. La libertĂ© de religion, une autre valeur canadienne importante, indique qu'aucune religion en particulier ne façonnera la dĂ©finition de l'indĂ©cence. Par consĂ©quent, l'indĂ©cence en droit canadien est quelque chose qui menace la libertĂ© de quelqu'un, expose quelque chose d'indĂ©sirable aux gens, force quelqu'un Ă  commettre un mĂ©fait (ce qui inclut du matĂ©riel qui peut « [dĂ©praver] et [corrompre] les personnes vulnĂ©rables entre les mains desquelles il pourrait se retrouver »[7]), ou qui nuit Ă  quelqu'un se livrant Ă  certains actes.

En examinant la question de savoir dans quels cas on peut considĂ©rer cela indĂ©cent lorsque des personnes sont exposĂ©es Ă  des choses qu'elles ne veulent pas voir, la Cour est consciente que le sexe est un sujet plus ouvert dans la sociĂ©tĂ©, mais nĂ©anmoins « la reprĂ©sentation publique de certains types de comportements sexuels peut nuire sĂ©rieusement Ă  la qualitĂ© de vie qu’offre un environnement et restreindre sensiblement l’autonomie »[8]. Cette considĂ©ration est trĂšs importante pour le droit applicable dans cette affaire. Il a Ă©tĂ© jugĂ© que dans ce cas particulier, M. Labaye n'est pas coupable d'indĂ©cence en raison des mesures qu'il a prises pour s'assurer que seules des personnes consentantes verraient le comportement sexuel.

En examinant la question de savoir si le prĂ©judice est grave, la Cour a Ă©crit que « le critĂšre applicable est exigeant »[9] ; certaines choses que certains Canadiens n'aimeront pas devraient pouvoir exister, Ă  moins qu'elles ne deviennent si graves qu'elles menacent la sociĂ©tĂ©. Alors que la mesure de la gravitĂ© de l'indĂ©cence impliquerait certains « jugements de valeur »[10], la Cour a Ă©crit que certains guides objectifs pourraient ĂȘtre fournis en Ă©vitant les valeurs non Ă©crites et en tenant compte des circonstances.

Dans les cas oĂč l'indĂ©cence est telle que les personnes sont exposĂ©es Ă  des choses indĂ©sirables, un accusĂ© serait coupable si « cette conduite risque rĂ©ellement d’avoir des effets importants et nĂ©gatifs sur la façon de vivre des gens »[11]. Le consentement Ă  voir l'activitĂ© n'Ă©quivaut pas Ă  un prĂ©judice ou Ă  de l'indĂ©cence. Dans ce cas particulier, la Cour a conclu qu'il n'est mĂȘme pas nĂ©cessaire d'examiner la gravitĂ© du prĂ©judice parce qu'aucune preuve de prĂ©judice n'avait Ă©tĂ© trouvĂ©e, et mĂȘme dans ce cas « aucune preuve ne semble Ă©tablir que le prĂ©judice allĂ©guĂ© atteindrait le degrĂ© requis pour qu’il y ait incompatibilitĂ© avec le bon fonctionnement de la sociĂ©tĂ©. On ne peut guĂšre prĂ©tendre qu’une conduite consensuelle se dĂ©roulant derriĂšre des portes closes, protĂ©gĂ©es par une serrure numĂ©rique, puisse mettre en pĂ©ril une sociĂ©tĂ© aussi vigoureuse et tolĂ©rante que la sociĂ©tĂ© canadienne »[12].

La Cour a ajoutĂ© que l'affaire Ă©tait diffĂ©rente de l'arrĂȘt R. c. Butler parce que rien en cause n'encourageait les attitudes sexistes. « La preuve n’établit l’existence d’aucun comportement antisocial envers les femmes, ni d'ailleurs envers les hommes »[12]. Car toute l'activitĂ© sexuelle est consensuelle et qu'il ne s'agit pas de la prostitution. La menace de maladies sexuellement transmissibles n'Ă©tait pas non plus suffisante pour constituer un prĂ©judice au regard de l'accusation spĂ©cifique d'indĂ©cence. C'est parce que ces maladies sont davantage un problĂšme de santĂ© qu'un prĂ©judice qui provient exclusivement d'activitĂ©s sexuelles dĂ©viantes.

Jugement dissident

Un long jugement dissident a été rédigé par les juges Michel Bastarache et Louis LeBel. Les juges dissidents ont critiqué la définition majoritaire de l'indécence comme étant « ni souhaitable ni fonctionnelle »[13], car elle ne suivait pas certains précédents et a rejeté « l'analyse contextuelle de la norme de tolérance de la société canadienne »[13].

Bien que le prĂ©judice soit une considĂ©ration importante, cela ne signifie pas que les Canadiens seraient en mesure d'accepter certains comportements sexuels. Les normes peuvent ĂȘtre fondĂ©es sur des « principes de moralitĂ© sociale qui ressortent de la lĂ©gislation »[14].

De plus, le test fondĂ© sur le prĂ©judice dans R. c. Butler a Ă©tĂ© « adoptĂ© afin de combler un vide »[15], pour relier la jurisprudence antĂ©rieure concernant les normes communautaires aux opinions selon lesquelles certains documents encouragent les attitudes sexistes, et « les arrĂȘts Butler, Tremblay et Mara ne permettent pas de conclure que les tribunaux doivent dĂ©terminer ce que la sociĂ©tĂ© tolĂšre en fonction du degrĂ© de prĂ©judice seulement »[16]. En l'espĂšce, les juges dissidents ont estimĂ© que la sĂ©lection des personnes qui ne voulaient pas voir le comportement sexuel n'Ă©tait pas assez rigoureuse et que « La sociĂ©tĂ© ne tolĂšre pas, Ă  notre avis, que des actes de cette nature surviennent dans un lieu commercial auquel le public a facilement accĂšs »[17].

Notes et références

  1. [2005] 3 RCS 728
  2. CBC News, "Swingers clubs don't harm society, top court rules », 21 décembre 2005, URL consultée le 23 décembre 2005
  3. [1985] 1 SCR 494
  4. [1992] 1 RCS 452
  5. [2000] 2 RCS 1120
  6. par. 24
  7. par. 45 de la décision
  8. par. 41 de la décision
  9. par. 52 de la décision
  10. par. 53 de la décision
  11. par. 57 de la décision
  12. par. 71 de la décision.
  13. par. 75 de la décision.
  14. par. 88 de la décision
  15. par. 93 de la décision
  16. par. 96 de la décision
  17. par. 137 de la décision

Lien externe

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