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RĂ©seaux d'interactions mutualistes

Un rĂ©seau mutualiste est la reprĂ©sentation des interactions mutuellement bĂ©nĂ©fiques entre des individus d'espĂšces diffĂ©rentes. Les espĂšces impliquĂ©es sont reprĂ©sentĂ©es par des "nƓuds" et les interactions, nommĂ©es “connexions” sont des traits reliant ces nƓuds[1].

La pollinisation d'une fleur par une abeille sauvage, une interaction mutualiste.

Dans ce contexte, le mutualisme est une interaction Ă©cologique entre au moins deux individus d’espĂšces diffĂ©rentes. Cette relation apporte un bĂ©nĂ©fice pour toutes les espĂšces impliquĂ©es, de diffĂ©rentes maniĂšres: augmentation de la protection, de la nutrition, de la reproduction ou de la dispersion par exemple. Ce bĂ©nĂ©fice se traduit toujours par une augmentation de la valeur sĂ©lective de l’individu. Toutefois, le mutualisme est Ă  distinguer de la symbiose, qui est une interaction oĂč les diffĂ©rents acteurs sont aussi gagnants mais oĂč l’interaction est plus intime et durable dans le temps. Ainsi, dans le cas du mutualisme, les organismes vont interagir avec de nombreuses autres espĂšces au cours de leur vie et vont alors avoir tendance Ă  former naturellement des rĂ©seaux inter- et multi-spĂ©cifiques. Cela va favoriser la mise en place et l’évolution de modes de vie dĂ©pendants de la diversitĂ© des mutualistes[2].

Au sein d’un rĂ©seau d’interaction, chaque nƓud est liĂ© Ă  d’autres nƓuds. On appelle degrĂ© (degree) le nombre de liens que prĂ©sente chacun des nƓuds. Il correspond ainsi au nombre d’interactions d’une espĂšce au sein du rĂ©seau. On peut affiner cette notion en prenant en compte l’intensitĂ© de chaque interaction. C’est la force de l’espĂšce (species strength), correspondant Ă  la somme des poids des interactions qu’elle rĂ©alise, et donc Ă  son importance au sein du rĂ©seau[3].

Les animaux jouent un rĂŽle essentiel pour la dispersion des plantes, et cela par deux principaux rĂ©seaux d’interactions. Le premier est le rĂ©seau plantes-pollinisateurs, qui est aussi le plus communĂ©ment Ă©tudiĂ©, et le second est le rĂ©seau d’acheminement des graines vers le site de germination[4]. Ces rĂ©seaux ont donc un fort intĂ©rĂȘt agronomique (production maraĂźchĂšre) et Ă©cologique (maintien de la diversitĂ© vĂ©gĂ©tale). Dans le contexte actuel de perte de biodiversitĂ©, la comprĂ©hension de la structure et de la stabilitĂ© des rĂ©seaux mutualistes permet une meilleure adaptation de nos stratĂ©gies de conservation.

Structure

La structure d’un rĂ©seau est liĂ©e Ă  quatre paramĂštres qui sont la diversitĂ© spĂ©cifique du rĂ©seau, la connectance, la modularitĂ© et la nestedness[5].

Ils sont particuliÚrement utiles pour caractériser la structure du réseau, ainsi que sa stabilité face à des perturbations telles que la fragmentation des habitats ou le changement climatique[6].

Diversité

La diversitĂ© est un facteur important de la structure d’un rĂ©seau d’interactions Ă©cologiques. Elle correspond au nombre d'espĂšces prĂ©sentes dans le rĂ©seau.

À partir de cette valeur, il est possible de calculer la taille du rĂ©seau qui est le produit du nombre total d’espĂšces animales et du nombre total d’espĂšces vĂ©gĂ©tales interagissant dans le rĂ©seau[7].

Ce facteur permet de mieux reprĂ©senter les interactions entre espĂšces plutĂŽt que les espĂšces elles-mĂȘmes.

Connectance

La connectance est le nombre d’interactions observĂ©es par rapport au nombre total d’interactions possibles[5].

Elle peut ĂȘtre calculĂ©e par la formule[7]:

Figure 1. ReprĂ©sentation de la connectance d’un rĂ©seau en fonction du nombre d’espĂšces. Plus une communautĂ© est riche, plus sa connectance est faible.

Avec la connectance, le nombre d’interactions observĂ©es et le nombre total d’interactions possibles dans le cas oĂč toutes les espĂšces animales interagissent avec toutes les espĂšces vĂ©gĂ©tales. La connectance est donc un nombre entre 0 et 1.

Le nombre absolu d’interactions augmente avec le nombre d’espĂšces impliquĂ©es dans un rĂ©seau, donc la diversitĂ© de ce rĂ©seau. Mais la connectance, quant Ă  elle, diminue avec le nombre d’espĂšces. Cela est dĂ» au fait qu’une espĂšce ne rĂ©alise jamais toutes les interactions possibles d’un rĂ©seau [4].

En considérant cela, il est possible de déduire une autre maniÚre de calculer la connectance[8] - [9]:

Avec est la richesse spécifique du réseau.

Ainsi, une connectance faible indique, par exemple, qu’un individu particulier du rĂ©seau rĂ©alise peu d’interactions par rapport Ă  toutes les interactions du rĂ©seau.

Les altĂ©rations d’un rĂ©seau sont en partie liĂ©es Ă  des modifications de la diversitĂ© et de la connectance[5].

Modularité

Figure 2. ReprĂ©sentation d’une matrice de modularitĂ© pour un rĂ©seau plantes-pollinisateurs Ă  16 espĂšces et 16 interactions. Les carrĂ©s pleins correspondent Ă  l'interaction entre 2 espĂšces, et les encadrements font rĂ©fĂ©rence aux modules du rĂ©seau. Ainsi, la matrice montre 4 modules, chacun composĂ© de 4 espĂšces interagissant fortement entre elles (2 espĂšces de plantes et 2 espĂšces de pollinisateurs).

La modularitĂ© caractĂ©rise le degrĂ© de compartimentation d’un rĂ©seau[5] en modules. Un module est composĂ© d’espĂšces interagissant fortement entre elles, et faiblement avec les espĂšces externes Ă  ce module[6].

Un rĂ©seau modulaire peut ĂȘtre le rĂ©sultat d’espĂšces proches phylogĂ©nĂ©tiquement ou d’un habitat hĂ©tĂ©rogĂšne, conduisant ainsi Ă  des interactions non alĂ©atoires et complexes au sein du rĂ©seau[10].

Cependant, ce paramĂštre peut ĂȘtre difficile Ă  quantifier face aux manques d’algorithmes suffisamment puissants pour dĂ©tecter l’ensemble des modules[10].

Il est possible de mesurer la modularité par la formule[11]:

Dans cette formule :

= nombre de modules

= nombre de liens dans le réseau

= nombre de liens entre la totalité des espÚces du module

= nombre de liens total des espĂšces du module au sein de celui-ci et avec les autres modules.

Dans ce calcul, mesure donc la modularitĂ©. Dans le cas d’un rĂ©seau parfaitement modulaire, prendra la valeur de 0. Et Ă  l’inverse, dans le cas d’un rĂ©seau trĂšs peu modulaire, tendra vers .

Nestedness

Figure 3. Matrices reprĂ©sentant un rĂ©seau d’interactions entre 18 espĂšces classĂ©es en fonction de leur degrĂ© de gĂ©nĂ©ralisation. Les carrĂ©s verts reprĂ©sentent les 45 interactions entre 9 espĂšces de pollinisateurs et 9 espĂšces de plantes, classĂ©es de la plus gĂ©nĂ©raliste (rang 1) Ă  la moins gĂ©nĂ©raliste (rang 9). La droite rouge correspond Ă  l’isocline de parfaite nestedness. La figure a. reprĂ©sente un rĂ©seau Ă  nestedness parfaite, la figure b. un rĂ©seau Ă  nestedness plus faible. Dans le cas d’une parfaite nestedness, aucune interaction entre deux espĂšces spĂ©cialistes n’est observable. Plus prĂ©cisĂ©ment, les espĂšces de rang 6 ou supĂ©rieur n’interagissent jamais entre elles, mais sont en interaction avec les espĂšces les plus gĂ©nĂ©ralistes.

La nestedness, aussi appelée imbrication ou emboßtement, est caractérisée par des interactions entre espÚces généralistes-généralistes et spécialistes-généraliste principalement, les interactions entre deux espÚces spécialistes étant peu fréquentes[12] ; on parle alors de spécialisation asymétrique.

Un rĂ©seau d’interactions plantes-pollinisateurs avec une nestedness parfaite peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© comme sur la figure 3. Un tel rĂ©seau prĂ©sente premiĂšrement un ensemble d’espĂšces de plantes et de pollinisateurs gĂ©nĂ©ralistes interagissant tous entre eux (carrĂ©s vert foncĂ©), induisant ainsi une redondance fonctionnelle au sein du rĂ©seau. De ce fait, si l’une des espĂšces impliquĂ©es disparaĂźt, l’interaction perdue pourra ĂȘtre compensĂ©e par les autres espĂšces gĂ©nĂ©ralistes[13]. De plus, aucune interaction entre deux espĂšces spĂ©cialistes n’est observable. A ajouter que la modularitĂ© est corrĂ©lĂ©e nĂ©gativement avec la nestedness[6], ce qui concorde avec le fait que les rĂ©seaux d’interactions mutualistes sont fortement imbriquĂ©s et peu modulaires.

De nombreuses mesures ont Ă©tĂ© proposĂ©es pour quantifier la nestedness au sein des rĂ©seaux d’interactions mutualistes. Parmi ces propositions, deux sont particuliĂšrement utilisĂ©es: la tempĂ©rature [14] et la NODF[15] (Nestedness metric based on Overlap and Decreasing Fill). Il est cependant important de noter que le choix des mĂ©triques ne se fait pas au hasard, celui-ci dĂ©pend de ce qui est testĂ© : nestedness de la composition en espĂšces ou de l’incidence des espĂšces[16]. De plus, ces formules peuvent ĂȘtre vouĂ©es Ă  de multiples modifications, comme ça a Ă©tĂ© le cas avec la mesure de la tempĂ©rature T proposĂ©e pour la premiĂšre fois par Atmar et Patterson en 1993 et pour laquelle des modifications ont Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©es par Rodriguez-Girones et Santamaria en 2006.

Force des interactions

Figure 4. ReprĂ©sentation de la force et l’asymĂ©trie des interactions. La force des interactions est reprĂ©sentĂ©e par l’épaisseur des flĂšches. La majoritĂ© des espĂšces prĂ©sente des interactions faibles avec les autres espĂšces.

Pour Ă©tudier la structure de ces rĂ©seaux, deux notions Ă©galement importantes sont la force et l’asymĂ©trie des liens. En effet les liens unissant deux espĂšces peuvent ĂȘtre plus ou moins fort. La force des liens peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par l’impact d’une espĂšce sur la fitness de l’autre. Et l’asymĂ©trie peut ĂȘtre observĂ©e en comparant l’impact de deux espĂšces l’une sur l’autre. Si une espĂšce a un impact plus fort sur l’autre alors la relation est asymĂ©trique. En pratique, la mesure de la force est souvent rĂ©sumĂ©e au nombre d'occurrences de l’interaction entre une espĂšce et une autre. Cette mesure est pratique mais nĂ©glige les diffĂ©rentes intensitĂ©s que chaque occurrence de l’interaction peut avoir en fonction des espĂšces (les pollinisateurs ne vont pas tous transmettre le pollen aussi efficacement)[17].




Structure des rĂ©seaux d’interactions mutualistes

Figure 5. SchĂ©ma d’un rĂ©seau mutualiste simplifiĂ© plante-pollinisateur. Les chiffres dans les figures reprĂ©sentent le degree de chaque nƓud, c’est-Ă -dire le nombre d’interactions que fait l’espĂšce. On retrouve une structure hĂ©tĂ©rogĂšne, avec des spĂ©cialistes et un nƓud de gĂ©nĂ©ralistes et imbriquĂ©e, avec les spĂ©cialistes qui interagissent avec un sous-ensemble des espĂšces avec qui les gĂ©nĂ©ralistes interagissent.

Dans la nature, la majoritĂ© des rĂ©seaux d’interaction plantes-pollinisateurs et plantes-frugivores sont des rĂ©seaux :

  • hĂ©tĂ©rogĂšnes: la majoritĂ© des espĂšces prĂ©sente peu d’interactions, mais quelques-unes ont de nombreuses connexions, il s’agit d’un noyau de gĂ©nĂ©ralistes
  • imbriquĂ©s: les espĂšces spĂ©cialistes interagissent avec des sous-groupes des espĂšces avec lesquelles des gĂ©nĂ©ralistes interagissent
  • construits sur des interactions faibles et asymĂ©triques : les espĂšces au sein d’une paire ne dĂ©pendent pas fortement l’une de l’autre. Dans le cas oĂč l’interaction est forte, elle est souvent unilatĂ©rale, c’est-Ă -dire qu’un des partenaires dĂ©pend beaucoup de l’autre, mais ce n’est pas rĂ©ciproque[17].



Influence des tricheurs sur la structure des réseaux

DĂ©finition

Ce qui a Ă©tĂ© dĂ©crit prĂ©cĂ©demment considĂšre que les interactions dans le rĂ©seau sont toutes mutualistes et Ă  bĂ©nĂ©fices rĂ©ciproques. Or, la rĂ©alitĂ© est bien plus complexe et les interactions dans un rĂ©seau beaucoup plus diverses. Dans le cas du mutualisme, on peut notamment s’intĂ©resser Ă  un cas rĂ©current qui est celui de la prĂ©sence de tricheurs. Ici, la triche est dĂ©finie comme l’exploitation par une espĂšce d’une interaction mutualiste sans apporter de gain de fitness, et donc de bĂ©nĂ©fices, aux autres espĂšces[2]. Par exemple, dans le cas des interactions plantes-pollinisateurs, ces tricheurs peuvent ĂȘtre des organismes non-mutualistes qui vont chercher Ă  rĂ©cupĂ©rer la rĂ©compense de l’interaction (nectar et pollen par exemple), sans rien donner en retour[18]. Ces organismes reprĂ©sentent un coĂ»t obligatoire du mutualisme pour les espĂšces impliquĂ©es. De plus, l’augmentation du nombre d’espĂšces dans un rĂ©seau mutualiste entraĂźne un accroissement de la proportion de tricheurs[2].

Étude de cas: tricheurs au sein de deux rĂ©seaux plantes-pollinisateurs

L’étude rĂ©alisĂ©e en 2010 par Genini et collaborateurs[18] a cherchĂ© Ă  comprendre l’impact des tricheurs sur la structure des rĂ©seaux d’interactions mutualistes. Elle se base sur les rĂ©seaux plantes-animaux de deux familles de plantes tropicales: les Malpighiaceae et les Bignoniaceae dont les fleurs sont plus diverses et donc attirent un plus grand Ă©ventail de visiteurs tels que des insectes, des oiseaux ou des chauves-souris. Les rĂ©sultats montrent que les tricheurs sont bien plus communs (75% des visiteurs) au sein du rĂ©seau des Bignoniaceae, qui est donc majoritairement un rĂ©seau plantes-tricheurs, qu’au sein de celui des Malpighiaceae (25% des visiteurs) qui est principalement mutualiste. Selon Genini et ses collaborateurs, cette diffĂ©rence dans la proportion des tricheurs peut expliquer la structure du rĂ©seau. En effet, le rĂ©seau de Malpighiceae est imbriquĂ© mais non modulaire, tandis que celui des Bignoniaceae est modulaire mais non imbriquĂ©. Ainsi, une augmentation de la tricherie dans un rĂ©seau d’interactions mutualistes peut entraĂźner une baisse de la nestedness et une augmentation de la modularitĂ©. En effet, la triche par vol de pollen est Ă©quivalente Ă  l’herbivorie, dont les rĂ©seaux sont fortement modulaires[18]. De plus, ils ont Ă©galement observĂ© lors de cette Ă©tude que le retrait des tricheurs du rĂ©seau des Bignoniaceae a entraĂźnĂ© une diminution importante de la modularitĂ©, tandis que leur retrait du rĂ©seau des Malpighiceae n’a eu aucun impact consĂ©quent.

Possibles conséquences des tricheurs sur la structure

On peut alors penser que les tricheurs ont seulement un impact nĂ©gatif sur la stabilitĂ© des rĂ©seaux mutualistes, en rĂ©duisant la nestedness qui renforce le rĂ©seau. Cependant, il est possible que la modularitĂ© rĂ©duise la progression d’une perturbation dans le rĂ©seau. Ainsi, les tricheurs, qui sont ubiquistes dans le mutualisme, semblent jouer un rĂŽle important dans la stabilitĂ© et la structure de ces rĂ©seaux[18].

Coévolution

La coĂ©volution peut ĂȘtre dĂ©finie comme un changement Ă©volutif rĂ©ciproque entre des espĂšces qui interagissent, du fait de l’action de la sĂ©lection naturelle. Il s’agit de l’un des processus Ă©cologiques et gĂ©nĂ©tiques les plus importants dans la mise en place de la biodiversitĂ©, l’évolution de cette derniĂšre concernant en grande partie la diversitĂ© des interactions entre les espĂšces[2].

Deux forces de coévolution au sein des réseaux mutualistes

Le mutualisme est une interaction coĂ©volutive. De ce fait, la structure des rĂ©seaux mutualistes n’est pas issue de processus alĂ©atoires non explicables, mais elle est le rĂ©sultat d’une sĂ©lection coĂ©volutive[2] - [3]. Deux forces de coĂ©volution agissent pour former un rĂ©seau spĂ©cialisĂ© autour d’un noyau de traits mutualistes: la complĂ©mentaritĂ© et la convergence[13] - [3]. Pour la complĂ©mentaritĂ©, une interaction mutualiste entre deux espĂšces, par exemple une plante et son pollinisateur, va se construire sur la complĂ©mentaritĂ© de traits phĂ©notypiques qui influencent la fitness rĂ©sultante de l’interaction entre les deux partenaires. La complĂ©mentaritĂ© entre la longueur de la langue d’un pollinisateur et celle de la corolle de la fleur est un bon exemple. Cette notion est la clĂ© du succĂšs ou de l’échec de l’interaction mutualiste entre une plante et un animal. Une fois cette interaction dĂ©finie, d’autres espĂšces non apparentĂ©es vont pouvoir venir se greffer au rĂ©seau par convergence des traits[3]. On peut alors parler de coĂ©volution diffuse. C’est un phĂ©nomĂšne de coĂ©volution qui s’observe au sein d’un groupe d’espĂšces en interaction, et qui peut affecter l’ensemble du rĂ©seau, en raison des pressions sĂ©lectives qui s’exercent et des rĂ©ponses Ă©volutives rĂ©ciproques entre les espĂšces. Cette coĂ©volution diffuse peut se mettre en place dans les rĂ©seaux d’interactions mutualistes, par exemple plantes-pollinisateurs. C’est ce qui explique la convergence coĂ©volutive qui se met en place au sein de ces rĂ©seaux. Celle-ci est d’autant plus importante en prĂ©sence de gĂ©nĂ©ralistes qui interagissent avec plusieurs groupes d’espĂšces[1].

Un noyau de traits mutualistes dirige la coévolution

En raison de la complĂ©mentaritĂ© et de la convergence, le mutualisme semble gĂ©nĂ©ralement coĂ©voluer autour d’un noyau de traits mutualistes chez les espĂšces impliquĂ©es dans le rĂ©seau[2]. Plus le rĂ©seau grandit, plus ce noyau devient une stratĂ©gie Ă©volutive stable. Plus la coĂ©volution progresse, plus la sĂ©lection agit sur chaque espĂšce pour maximiser la fitness et minimiser le coĂ»t qu’elles tirent des interactions. À partir de tout ça, Thompson Ă©crit dans le chapitre 14 de son livre The Geographic Mosaic of Coevolution une hypothĂšse sur la convergence au sein des rĂ©seaux mutualistes :

« Reciprocal selection on mutualisms between free-living species favors genetically variable, multispecific networks in which species converge and specialize on a core set of mutualistic traits rather than directly on other species. »

« La sĂ©lection rĂ©ciproque qui s’exerce dans le mutualisme entre des espĂšces libres favorise des rĂ©seaux gĂ©nĂ©tiquement variables et plurispĂ©cifiques au sein desquels les espĂšces convergent et se spĂ©cialisent autour d’un noyau de traits mutualistes plutĂŽt que directement entre espĂšces. »

L’évolution de la pollinisation des plantes est un exemple classique d’un tel phĂ©nomĂšne. C’est notamment le cas de celles qui sont pollinisĂ©es par des papillons de la famille des Sphinx. Ces plantes sont de plusieurs familles diffĂ©rentes et sont de formes variĂ©es. Cependant, elles partagent certaines combinaisons de traits qui augmentent la pollinisation par les Sphinx, tels que des fleurs blanches et tubulaires, du nectar composĂ© de saccharose ou encore la dĂ©hiscence au crĂ©puscule[2]. De tels traits vont former le noyau autour duquel la coĂ©volution se met en place.

Impact de la coévolution sur la structure du réseau

Cette coĂ©volution qui a lieu au sein des rĂ©seaux d’interactions mutualistes favorise une structure imbriquĂ©e de ces derniers[1]. En effet, en raison du noyau de traits qui dirige la coĂ©volution au sein du rĂ©seau, ce dernier s’organise autour d’un ensemble cohĂ©sif d’espĂšces gĂ©nĂ©ralistes qui interagissent les unes avec les autres et qui forment une ressource stable que les autres espĂšces peuvent exploiter, ce que font les spĂ©cialistes dont l’évolution est guidĂ©e par les interactions avec les gĂ©nĂ©ralistes. Cependant, les spĂ©cialistes sont rares car, plus le nombre d’espĂšces augmente, plus les alternatives Ă©volutives Ă  la spĂ©cialisation se font nombreuses. La sĂ©lection coĂ©volutive favorise alors une asymĂ©trie avec une grande abondance des gĂ©nĂ©ralistes[2].

Ainsi, deux forces de coĂ©volution renforcent la structure imbriquĂ©e et asymĂ©trique des rĂ©seaux d’interactions mutualistes: la complĂ©mentaritĂ© des traits mutualistes et la convergence entre des espĂšces non apparentĂ©es du fait de leurs interactions.

Stabilité

DĂ©finition

La stabilitĂ© d’un systĂšme Ă©cologique est sa capacitĂ© Ă  retourner Ă  son Ă©quilibre aprĂšs une petite perturbation. Deux indices de stabilitĂ© frĂ©quemment utilisĂ©s sont la persistance et la rĂ©silience.

La persistance correspond Ă  la proportion d’espĂšces dans la communautĂ© Ă  son Ă©quilibre. La rĂ©silience est la vitesse Ă  laquelle la communautĂ© retourne Ă  l’équilibre aprĂšs une perturbation[5]. Il est Ă©galement possible de parler de la robustesse d’un rĂ©seau, qui reprĂ©sente l’intensitĂ© de la perturbation qui entraĂźnera la perte de 50% des espĂšces[19]. Un rĂ©seau robuste sera donc peu sensible aux perturbations, dans la mesure oĂč celles-ci ne sont pas trop drastiques.

Facteurs impactant la stabilité

Figure 6. RĂ©sumĂ© de l’influence des paramĂštres structuraux sur la stabilitĂ©. Les flĂšches oranges reprĂ©sentent un effet nĂ©gatif. Les flĂšches bleues reprĂ©sentent un effet positif. L’épaisseur des flĂšches reprĂ©sente l’intensitĂ© de l’effet. Les lignes continues reprĂ©sentent les effets directs. Les lignes pointillĂ©es reprĂ©sentent les effets indirects.

Le modĂšle largement utilisĂ© pour Ă©tudier la stabilitĂ© des rĂ©seaux d’interaction mutualistes est un modĂšle frĂ©quence-dĂ©pendant dans lequel les bĂ©nĂ©fices saturent avec la densitĂ© de partenaires.

Les différents paramÚtres de la structure des réseaux jouent un rÎle dans leur stabilité. La modularité et la nestedness influencent directement la persistance et la résilience des réseaux. La modularité a notamment un effet négatif sur la persistance, tandis que la nestedness favorise la résilience.

La connectance ainsi que la diversitĂ© ont des effets directs sur la stabilitĂ© du rĂ©seau ainsi que des effets indirects, par la modification de la modularitĂ© et de la nestedness. Les effets directs de la connectance et la diversitĂ© sur la persistance du rĂ©seau sont faibles par rapport aux effets indirects. On observe l’inverse pour la rĂ©silience.

Ainsi, une forte connectance et diversité diminuent la modularité et favorisent la nestedness, entraßnant une augmentation de la persistance et la résilience[5].

La notion de force d'interaction joue elle aussi un rĂŽle important dans la stabilitĂ© d’un systĂšme. Le retrait d’une espĂšce avec une forte connectance mais des interactions faibles aura un effet plus limitĂ© qu’une espĂšce avec la mĂȘme connectance mais de fortes interactions.

Les informations sur la force des interactions doivent donc aussi ĂȘtre prises en compte dans les stratĂ©gies de conservation.


Extinction

L’extinction d’une espĂšce peut en priver une autre d’une interaction qui lui serait vitale. Dans ce cas-lĂ , la premiĂšre extinction en entraĂźne une deuxiĂšme. Cet effet peut se produire Ă  nouveau, ce qui amĂšnerait Ă  la perte de nombreuses espĂšces. Ce phĂ©nomĂšne se nomme “cascade de coextinction”.

La structure hĂ©tĂ©rogĂšne et imbriquĂ©e des rĂ©seaux d’interactions mutualistes les rend robustes face Ă  la perte d’espĂšces. Dans ces rĂ©seaux, on retrouve des espĂšces avec peu de connexions diffĂ©rentes (spĂ©cialistes) et d’autres avec beaucoup (gĂ©nĂ©ralistes). La perte des espĂšces les plus spĂ©cialistes n’aura pas un grand effet sur la stabilitĂ© du rĂ©seau, et ne provoquera donc probablement pas de coextinction.

Figure 7. ReprĂ©sentation d’évĂ©nements d’extinction au sein d’un rĂ©seau d’interactions mutualistes. Lorsqu’une espĂšce gĂ©nĂ©raliste s’éteint, les espĂšces spĂ©cialistes qui en dĂ©pendaient s’éteignent Ă  leur tour. Lorsqu’une espĂšce spĂ©cialiste s’éteint, cela n’impacte pas beaucoup la structure du rĂ©seau

A l’inverse, la perte d’espĂšces plus gĂ©nĂ©ralistes peut provoquer l'extinction d’espĂšces dĂ©pendantes Ă  cette derniĂšre, par leur spĂ©cialisation.

On en dĂ©duit donc qu’une extinction alĂ©atoire d'espĂšces aurait peu d’effet car la majoritĂ© des espĂšces sont spĂ©cialistes. A l’inverse, l’extinction ciblĂ©e des espĂšces les plus gĂ©nĂ©ralistes pourrait entraĂźner de nombreuses extinctions Ă  cause des cascades de coextinction[1].

À prĂ©ciser que la phylogĂ©nie des espĂšces a Ă©galement un impact sur les cascades de coextinction. En effet, les espĂšces les plus proches phylogĂ©nĂ©tiquement ont un rĂŽle fonctionnel souvent similaire[1]. Cela va entraĂźner un effet de cascade plus fort pour les espĂšces proches dans l’arbre phylogĂ©nĂ©tique et donc augmenter l’effet des cascades de coextinction sur la perte de biodiversitĂ© taxonomique.

Dans le contexte actuel de changements globaux, des bouleversements affectent les interactions au sein des rĂ©seaux mutualistes. L’augmentation moyenne des tempĂ©ratures et les diffĂ©rentes variabilitĂ©s climatiques vont modifier la phĂ©nologie des plantes et des insectes. Ces modifications peuvent diminuer les possibilitĂ©s  des interactions dans le temps, voire crĂ©er une incompatibilitĂ© entre deux espĂšces.

La modification du climat peut aussi changer la composition du rĂ©seau en provoquant la perte de certaines espĂšces et l'arrivĂ©e d’autres.

Références

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