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Projet de constitution sénatoriale du 6 avril 1814

Le projet de constitution du 6 avril 1814 est une proposition de constitution faite par le Sénat conservateur, lors de la chute du Premier Empire. Elle fut rejetée par Louis XVIII dans sa « Déclaration de Saint-Ouen ».

Peinture de Louis dix-huit, en grand costume de sacre, assis sur un trône que son ample vêtement fleudelisé et d'hermine cache
Le roi Louis XVIII restaurateur de la monarchie en France.

Contexte

La campagne de France tourne à l'avantage de la Sixième Coalition. Malgré les succès remportées par Napoléon au cours de la campagne des Six-Jours (9 au ), les alliés investissent Paris le . Avant même que Napoléon soit contraint d'abdiquer le à Fontainebleau, Talleyrand obtient le d'une partie du Sénat (64 sénateurs sur 140) la déchéance de l'Empereur et la nomination d'un gouvernement provisoire. Les puissances alliées sont encore partagées sur la suite à donner au futur gouvernement de la France. À la hâte, le Sénat adopte le une Charte constitutionnelle inspirée par Talleyrand qui se rallie après quelques hésitations au retour des Bourbons[1].

DĂ©cret constitutionnel du 6 avril 1814

Le Sénat-Conservateur, délibérant sur le projet de constitution qui lui a été présenté par le Gouvernement provisoire, en exécution de l'acte du Sénat du 1er de ce mois. Après avoir entendu le rapport d'une commission spéciale de sept membres, Décrète ce qui suit :

  • Article 1. Le Gouvernement français est monarchique et hĂ©rĂ©ditaire de mâle en mâle, par ordre de primogĂ©niture.
  • Article 2. Le peuple français appelle librement au trĂ´ne de France Louis-Stanislas-Xavier de France, frère du dernier Roi, et, après lui, les autres membres de la maison de Bourbon, dans l'ordre ancien.
  • Article 3. La noblesse ancienne reprend ses titres, la nouvelle conserve les siens hĂ©rĂ©ditairement. La LĂ©gion-d'Honneur est maintenue avec ses prĂ©rogatives ; le Roi dĂ©terminera la dĂ©coration.
  • Article 4. Le pouvoir exĂ©cutif appartient au Roi.
  • Article 5. Le Roi, le SĂ©nat et le Corps-LĂ©gislatif concourent Ă  la formation des lois. Les projets de loi peuvent ĂŞtre Ă©galement proposĂ©s dans le SĂ©nat et dans le Corps-LĂ©gislatif. Ceux relatifs aux contributions ne peuvent l'ĂŞtre que dans le Corps-LĂ©gislatif. Le Roi peut inviter Ă©galement les deux corps Ă  s'occuper des objets qu'il juge convenables. La sanction du Roi est nĂ©cessaire pour le complĂ©ment de la loi.
  • Article 6. Il y a cent cinquante sĂ©nateurs au moins et deux cents au plus. Leur dignitĂ© est inamovible et hĂ©rĂ©ditaire de mâle en mâle, par primogĂ©niture. Ils sont nommĂ©s par le Roi. Les sĂ©nateurs actuels, Ă  l'exception de ceux qui renonceraient Ă  la qualitĂ© de citoyen français, sont maintenus et font partie de ce nombre. La dotation actuelle du SĂ©nat et des sĂ©natoreries leur appartient. Les revenus en sont partagĂ©s Ă©galement entre eux, et passent Ă  leurs successeurs. Le cas Ă©chĂ©ant de la mort d'un sĂ©nateur sans postĂ©ritĂ© masculine directe, sa portion retourne au TrĂ©sor public. Les sĂ©nateurs qui seront nommĂ©s Ă  l'avenir ne peuvent avoir part Ă  cette dotation.
  • Article 7. Les princes de la famille royale et les princes du sang sont, de droit, membres du SĂ©nat. On ne peut exercer les fonctions de sĂ©nateur qu'après avoir atteint l'âge de majoritĂ©.
  • Article 8. Le SĂ©nat dĂ©termine le cas oĂą la discussion des objets qu'il traite doit ĂŞtre publique ou secrète.
  • Article 9. Chaque dĂ©partement nommera au Corps-LĂ©gislatif le mĂŞme nombre de dĂ©putĂ©s qu'il y envoyait. Les dĂ©putĂ©s qui siĂ©geaient au Corps LĂ©gislatif lors du dernier ajournement, continueront Ă  y siĂ©ger jusqu'Ă  leur remplacement. Tous conservent leur traitement. A l'avenir ils seront choisis immĂ©diatement par les collèges Ă©lectoraux, lesquels sont conservĂ©s, sauf les changements qui pourraient ĂŞtre faits par une loi Ă  leur organisation. La durĂ©e des fonctions des dĂ©putĂ©s au Corps-LĂ©gislatif est fixĂ©e Ă  cinq annĂ©es. Les nouvelles Ă©lections auront lieu pour la session de 1816.
  • Article 10. Le Corps-LĂ©gislatif s'assemble de droit chaque annĂ©e le 1er octobre. Le Roi peut le convoquer extraordinairement. Il peut l'ajourner ; il peut aussi le dissoudre mais, dans ce dernier cas, un autre Corps-LĂ©gislatif doit ĂŞtre formĂ©, au plus tard dans les trois mois, par les collèges Ă©lectoraux.
  • Article 11. Le Corps-LĂ©gislatif a le droit de discussion. Les sĂ©ances sont publiques, sauf le cas oĂą il juge Ă  propos de se former en comitĂ© gĂ©nĂ©ral.
  • Article 12. Le SĂ©nat, le Corps-LĂ©gislatif, les collèges Ă©lectoraux et les assemblĂ©es de canton, Ă©lisent leur prĂ©sident dans leur sein.
  • Article 13. Aucun membre du SĂ©nat ou du Corps-LĂ©gislatif ne peut ĂŞtre arrĂŞtĂ© sans une autorisation prĂ©alable du corps auquel il appartient. Le jugement d'un membre du SĂ©nat ou du Corps-LĂ©gislatif, accusĂ©, appartient exclusivement au SĂ©nat.
  • Article 14. Les ministres peuvent ĂŞtre membres, soit du SĂ©nat, soit du Corps-LĂ©gislatif.
  • Article 15. L'Ă©galitĂ© de proportion dans l'impĂ´t est de droit. Aucun impĂ´t ne peut ĂŞtre Ă©tabli ni perçu, s'il n'a Ă©tĂ© librement consenti par le Corps-LĂ©gislatif et par le SĂ©nat. L'impĂ´t foncier ne peut ĂŞtre Ă©tabli que pour un an. Le budget de l'annĂ©e suivante et les comptes de l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente sont prĂ©sentĂ©s, chaque annĂ©e, au Corps-LĂ©gislatif et au SĂ©nat, Ă  l'ouverture de la session du Corps-LĂ©gislatif.
  • Article 16. La loi dĂ©terminera le mode et la quotitĂ© du recrutement de l'armĂ©e.
  • Article 17. L'indĂ©pendance du pouvoir judiciaire est garantie. Nul ne peut ĂŞtre distrait de ses juges naturels. L'institution des jurĂ©s est conservĂ©e, ainsi que la publicitĂ© des dĂ©bats en matière criminelle. La peine de la confiscation des biens est abolie. Le Roi a le droit de faire grâce.
  • Article 18. Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus, leur nombre ne pourra ĂŞtre diminuĂ© ou augmentĂ© qu'en vertu d'une loi. Les juges sont Ă  vie et inamovibles, Ă  l'exception des juges-de-paix et des juges de commerce. Les commissions et les tribunaux extraordinaires sont supprimĂ©s, et ne pourront ĂŞtre rĂ©tablis.
  • Article 19. La cour de cassation, les cours d'appel et les tribunaux de première instance proposent au Roi trois candidats pour chaque place de juge vacante dans leur sein : le Roi choisit l'un des trois. Le Roi nomme les premiers prĂ©sidents et le ministère public des cours et des tribunaux.
  • Article 20. Les militaires en activitĂ©, les officiers et soldats en retraite, les veuves et les officiers pensionnĂ©s, conservent leurs grades, leurs honneurs et leurs pensions.
  • Article 21. La personne du Roi est inviolable et sacrĂ©e. Tous les actes du Gouvernement sont signĂ©s par un ministre. Les ministres sont responsables de tout ce que ces actes contiendraient d'attentatoire aux lois, Ă  la libertĂ© publique et individuelle, et aux droits des citoyens.
  • Article 22. La libertĂ© des cultes et des consciences est garantie. Les ministres des cultes sont Ă©galement traitĂ©s et protĂ©gĂ©s.
  • Article 23. La libertĂ© de la presse est entière, sauf la rĂ©pression lĂ©gale des dĂ©lits qui pourraient rĂ©sulter de l'abus de cette libertĂ©. Les commissions sĂ©natoriales de la libertĂ© de la presse et de la libertĂ© individuelle sont conservĂ©es.
  • Article 24. La dette publique est garantie. Les ventes des Domaines nationaux sont irrĂ©vocablement maintenues.
  • Article 25. Aucun Français ne peut ĂŞtre recherchĂ© pour les opinions ou les votes qu'il a pu Ă©mettre.
  • Article 26. Toute personne a le droit d'adresser des pĂ©titions individuelles Ă  toute autoritĂ© constituĂ©e.
  • Article 27. Tous les Français sont Ă©galement admissibles Ă  tous les emplois civils et militaires.
  • Article 28. Toutes les lois actuellement existantes restent en vigueur, jusqu'Ă  ce qu'il y soit lĂ©galement dĂ©rogĂ©. Le Code des lois civiles sera intitulĂ© Code civil des Français.
  • Article 29. La prĂ©sente constitution sera soumise Ă  l'acceptation du peuple français dans la forme qui sera rĂ©glĂ©e. Louis-Stanislas-Xavier sera proclamĂ© Roi des Français, aussitĂ´t qu'il aura jurĂ© et signĂ© par un acte portant : "J'accepte la Constitution; je jure de l'observer et de la faire observer". Ce serment sera rĂ©itĂ©rĂ© dans la solennitĂ© oĂą il recevra le serment de fidĂ©litĂ© des Français.

Signé le prince de Bénévent, président du Sénat ; les comtes de Valence et de Pastoret, secrétaires.
Ont voté pour : Le prince Architrésorier; les comtes Abrial, Barbé-Marbois, Emmery, Barthélemy, Belderbusch, Berthollet, Beurnonville, Cornet, Carbonara, Legrand, Chasseloup, Cholet, Colaud, Davous, Degregory, Decroy, Depère, d'Embarrère, d'Aubersaert, Destutt-Tracy, d'Harville, d'Hédouville, Fabre (de l'Aude), Ferino, Dubois-Dubais, de Fontanes, Garat, Grégoire, Harwyn de Neoele, Jaucourt, Klein, Journu-Aubert, Lambrechts, Lanjuinais, Lejeas, Lebrun de Rochemont, Lemercier, Meerman, de Lespinasse, de Monbadon, Lenoir-Laroche, de Maleville, Redon, Roger-Ducos, Péré, Tascher, Porcher de Richebourg, de Pontécoulant, Saur, Rigal, Saint-Martin de la Motte, Sainte-Suzanne, Sieyes, Schimmelpenninck, Van-Den, Van de Gelder, Van-Depoll, Venturi, Vaubois, duc de Valmy, Villetard, Vimar, Van-Zuylen, Van Nyevelt.

Contenu

La constitution sénatoriale prévoyait en effet, tout en rétablissant la maison de Bourbon sur le trône de France, que « le peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France » (article 2 du projet). Le projet est assez proche d'esprit de la Constitution de 1791. Il s'agissait ici clairement d'une négation de la légitimité monarchique de droit divin, ce que Louis XVIII ne pouvait tolérer — et le fait que sa Déclaration de Saint-Ouen du commence par les mots « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre », était un démenti aussi symbolique qu'éloquent à la thèse de la légitimité populaire de la monarchie, portée par le projet[2].

Néanmoins, à la différence de la Constitution monocamérale de 1791, Talleyrand préfère l'équilibre des pouvoirs sur le modèle anglais : une chambre héréditaire représentant l'élite et l'autre élective représentant la nation, enfin des garanties pour les hommes de la Révolution et les libertés. L'un des buts recherchés est également de préserver les intérêts de tous ceux qui ont su profiter de la Révolution[3].

Talleyrand n'a pas oubliĂ© non plus de penser aux intĂ©rĂŞts de ses amis sĂ©nateurs en prĂ©servant leurs lucratives sĂ©natories impĂ©riales, ce dont ne manqueront pas de se moquer les royalistes traitant la Constitution de « constitution de rentes Â»[4].

La souveraineté monarchique, de droit divin, fut confirmée par la charte constitutionnelle du 4 juin 1814, dont les mécanismes sont semblables à ceux du projet sénatorial, mais dont l'esprit était tout à fait différent. En effet, bien que confirmant les demandes libérales des sénateurs de l'Empire (Talleyrand en tête), le roi désire asseoir son pouvoir et le conserver au mieux. La Charte constitutionnelle devient dès lors le point de départ des monarchies françaises successives de la première moitié du XIXe siècle : les monarchies censitaires.

Bien qu'imparfaite et rapidement rédigée, la Constitution du pose les bases du régime monarchique et parlementaire qui durera jusqu'en 1848[5].

Notes

  1. Francis DĂ©mier, La France de la Restauration (1814-1830), gallimard 2012, collection folio histoire, p. 46-49
  2. M. Morabito, op. cit., p. 167.
  3. Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand : Le Prince immobile, Fayard, 2003, p.453
  4. Emmanuel de Waresquiel, idem, p.453
  5. Emmanuel de Waresquiel, idem, p.454

Bibliographie

Source

  • Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien, coll. « Domat / Droit public », , 8e Ă©d., 431 p. (ISBN 2-7076-1389-4, BNF 39192374).
  • RenĂ© RĂ©mond, La vie politique en France depuis 1789, Tome 1 (1789-1848), Paris:Colin, Collection U / Histoire contemporaine, 1965, p. 423, (ISBN 2-266-13651-8)

Ouvrages complémentaires

  • Scandar Fahmy, La France de 1814 et le gouvernement provisoire, Paris, Les Presses modernes, (BNF 34030451).
  • J. de Soto, « La constitution sĂ©natoriale du 6 avril 1814 », Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, Paris, Presses universitaires de France,‎ , p. 268.

Voir aussi

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