Procrastination
La procrastination (du latin pro « en avant » et crastinus « du lendemain ») est une tendance à remettre systématiquement à plus tard des actions, qu’elles soient limitées à un domaine précis de la vie quotidienne ou non. Le « retardataire chronique », appelé procrastinateur, n’arrive pas à se « mettre au travail », surtout lorsque cela ne lui procure pas de satisfaction immédiate.
Profil et comportements types
Être un retardataire chronique ne signifie pas ne rien faire. Au contraire, le sujet peut être pris d’une véritable frénésie d’activités (aller faire les courses, entamer un grand ménage de printemps, repeindre les volets, prendre des nouvelles de la grand-mère, faire de la maintenance informatique, etc.), tant que celles-ci ne possèdent aucun rapport avec la tâche problématique[1].
Psychologie
Les causes psychologiques de procrastination sont toujours sujettes aux débats. Par étude clinique, il y aurait une connexion avec l'anxiété et une faible estime de soi. D'un autre côté, par étude méta-analytique, l'anxiété et le perfectionnisme n'ont aucune connexion ou, au mieux, une connexion extrêmement faible avec la procrastination. À la place, la procrastination est fortement connectée avec un manque de confiance en soi (par exemple l'impuissance apprise), l'ennui et l'apathie. La plus forte connexion avec la procrastination, cependant, est l'impulsivité[2].
Selon le psychologue Walter Mischel de l'université Stanford, qui a mené des expériences dans les années 1960, ce phénomène est principalement dû à un manque d'apprentissage de la maîtrise de soi. Selon lui, et quelques autres universitaires à sa suite, on peut apprendre cela « vite et bien », ce qui est le cas des enfants, lorsque les parents les guident dans cet apprentissage[3] - [4].
René Le Senne distingue, en caractérologie, le sous-type actif, qui fait ce qu'il doit faire indépendamment du plaisir qu'il y trouve, du sous-type émotif, qui agit seulement quand il est porté par l'enthousiasme, et sur ce qui lui apporte des satisfactions immédiates. Le groupement « E nA » (émotif-non actif) peut donc donner une apparence trompeuse d'activité pour un domaine donné, tandis que le groupement nE nA sera le plus propice à la procrastination.
Neurologie
Une étude parue en 2022 établit un lien entre la pénibilité, le délai et la récompense pour des tâches fastidieuses[5] ; elle montre que le cerveau des personnes qui procrastinent dévalue la pénibilité d'une tâche si elle est remise à plus tard, mais que la récompense n'est pas dévaluée. A l'inverse, les personnes ne procrastinant pas ne voient pas la tâche comme moins pénible, mais moins gratifiante, en la réalisant rapidement.
La zone du cerveau impliquée dans ce processus serait le cortex cingulaire antérieur, qui établit un calcul coût-bénéfice lorsqu'il est confronté à un choix de repousser ou non une tâche[5].
Génétique
L'héritabilité de la procrastination a été démontrée grâce à des études sur des jumeaux expliquant les liens entre impulsivité et procrastination[6]. Elles ont notamment montré que :
- la procrastination est un trait héritable,
- l'impulsivité et la procrastination partagent une variabilité génétique importante,
- la capacité de gestion des objectifs est une composante importante de cette variation.
Procrastination scolaire
Différentes études tendent à montrer que des étudiants en phase de stress développent la procrastination et ont tendance à avoir une « addiction à l'internet »[7] - [8] - [9] - [10] - [11].
Journée mondiale de la procrastination
Le est la « journée mondiale de la procrastination » lancée en 2010 par David d'Équainville, fondateur de la maison d'édition Anabet[12] - [13].
En littérature
- La procrastination est le symptôme de l'oblomovisme, thème principal d'Oblomov, d'Ivan Gontcharov.
- Un leitmotiv dans le fameux Journal intime d'Henri-Frédéric Amiel : « […] Je ne lis toujours rien, sauf les journaux, et je ne trouve le temps pour rien. Une immense paresse engourdit de plus en plus mon être, et la procrastination du vieux professeur réduit à zéro ma vie utile. Toujours ni but, ni volonté, ni plan, ni énergie, ni espérance ; vie au jour le jour et à vau-l’eau[14]. »
- L'expression est utilisée par Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu : « Les difficultés que ma santé, mon indécision, ma « procrastination », comme disait Saint-Loup, mettaient à réaliser n'importe quoi, m'avaient fait remettre de jour en jour, de mois en mois, d'année en année, l'éclaircissement de certains soupçons comme l'accomplissement de certains désirs[15]. »
- La version française de l'un des tomes des Annales du Disque-monde de Terry Pratchett s'intitule Procrastination.
- Élisabeth Canitrot, La Tentation du lendemain (2010).
- Le philosophe John Perry a publié en 2012 un essai intitulé La Procrastination : L'Art de remettre au lendemain[16].
- Le premier chapitre de La Conscience de Zeno d'Italo Svevo traite du rapport entre son héros et le tabac. Il est ainsi question de sa résolution reconduite de jour en jour d'arrêter de fumer dès le lendemain et donc de procrastination.
Notes et références
Notes
Références
- (en) John Perry, « How to procrastinate and still get things done », The Chronicle of Higher Education (en),‎ (lire en ligne).
- (en) Steel Piers, The procrastination equation : how to stop putting things off and start getting stuff done, New York, HarperCollins, (ISBN 978-0-06-170361-4, lire en ligne).
- Pourquoi remettons-nous souvent les choses au lendemain ?, article du Le Monde, daté du 7 janvier 2011.
- Pourquoi remettons-nous souvent les choses au lendemain ?, Hubert Guillaud, publié le 7 décembre 2010 sur InertnetActu.net.
- (en) Raphaël Le Bouc et Mathias Pessiglione, « A neuro-computational account of procrastination behavior », Nature Communications, vol. 13, no 1,‎ , p. 5639 (ISSN 2041-1723, DOI 10.1038/s41467-022-33119-w, lire en ligne, consulté le ).
- (en) Daniel E. Gustavson, Akira Miyake, John K. Hewitt et Naomi P. Friedman, « Genetic Relations Among Procrastination, Impulsivity, and Goal-Management Ability: Implications for the Evolutionary Origin of Procrastination », Psychological Science, vol. 25, no 6,‎ , p. 1178–1188 (ISSN 0956-7976 et 1467-9280, PMID 24705635, PMCID PMC4185275, DOI 10.1177/0956797614526260, lire en ligne, consulté le ).
- (en) nha Kim, Hyeongi Hong, Jungeun Lee et Myoung-Ho Hyun, « Effects of time perspective and self-control on procrastination and Internet addiction », Journal of Behavioral Addictions, vol. 6, no 2,‎ , p. 229–236 (ISSN 2062-5871, DOI 10.1556/2006.6.2017.017, lire en ligne) (licence CC)
- (en) Shuai-lei Lian, Xiao-jun Sun, Zong-kui Zhou, Cui-ying Fan, Geng-feng Niu et Qing-qi Liu, « Social networking site addiction and undergraduate students’ irrational procrastination: The mediating role of social networking site fatigue and the moderating role of effortful control », PLoS ONE, vol. 13, no 12,‎ (DOI 10.1371/journal.pone.0208162) (licence CC)
- (en) Mehmet Kandemir, « Predictors of Academic Procrastination: Coping with Stress, Internet Addiction and Academic Motivation », World Applied Sciences Journal, vol. 32, no 5,‎ , p. 930-938 (ISSN 1818-4952)
- Kimberly S. Yong et Robert C. Rogers, « The Relationship Between Depression and Internet Addiction », CyberPsychology & Behavior, vol. 1, no 1,‎ (DOI 10.1089/cpb.1998.1.25)
- (es) Silvia Castro Bolaños et Karime Mahamud RodrĂguez, « Investigaciones ProcrastinaciĂłn acadĂ©mica y adicciĂłn a internet en estudiantes universitarios de Lima Metropolitana », Avances en PsicologĂa: Revista de la Facultad de PsicologĂa y Humanidades, vol. 25, no 2,‎ (lire en ligne) (licence CC)
- « Journée mondiale de la procrastination : « Ce n'est pas un problème, c'est une solution » », sur 20minutes.fr, .
- Nicolas Basse, « Sept astuces pour éviter de tout remettre au lendemain », (consulté le ).
- Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, t. III, édition L'âge d'homme, 1980, p. 618.
- Marcel Proust, Albertine disparue, Gallimard, 1988, p. 93.
- Perry 2012.
Annexes
Ouvrages
- Jane B. Burka et Lenora M. Yuen, Pourquoi remettre à plus tard ?, trad. par Brigitte Fréger, Montréal, Le Jour, 1987 (ISBN 2-89044-372-8).
- Rita Emmett, Ces gens qui remettent tout à demain, trad. par Normand Paiement, Montréal, Éd. de l’Homme, 2001 (ISBN 2-7619-1589-5).
- Stéphanie Hahusseau, Comment ne pas se gâcher la vie, Paris, Odile Jacob, 2003 (ISBN 2-7381-1276-5).
- Bruno Koeltz, Comment ne pas tout remettre au lendemain, Paris, Odile Jacob, 2006 (ISBN 2-7381-1710-4).
- (en) Neil A. Fiore, The now habit : a strategic program for overcoming procrastination and enjoying guilt-free play, Ă©d. revue, New York, Penguin, 2007 (ISBN 978-1-58542-552-5) [la 1re Ă©d. date de 1989].
- Kathrin Passig et Sascha Lobo, Demain, c'est bien aussi : apprendre à gérer sa vie sans aucune discipline personnelle, trad. par Amélie de Maupeou, Paris, Anabet Éd., 2010 (ISBN 978-2-35266-064-4).
- Piers Steel, Procrastination : pourquoi remet-on à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui ?, trad. par Pascal Loubet, Paris, Éd. Privé, 2010 (ISBN 978-2-35076-102-2).
- John Perry (trad. de l'anglais par Myriam Dennehy), La Procrastination : L'Art de reporter au lendemain [« The Art of Procrastination: A Guide to Effective Dawdling, Lollygagging and Postponing »], Paris, Autrement, coll. « Les grands mots », , 136 p. (ISBN 978-2-7467-3341-1 et 978-2-7467-3378-7, lire en ligne).
- Monique Richter, Aujourd'hui (et non demain), j'arrête de procrastiner ! : plan de bataille pour se réaliser, Paris, Éd. First, 2015 (ISBN 978-2-7540-7254-0).
- Ludwig Petr, En finir avec la procrastination, Paris, Maxima, 2016 (ISBN 978-2-84001-865-0).
- Diane Ballonad Rolland, J'arrĂŞte de procrastiner ! : 21 jours pour arrĂŞter de tout remettre au lendemain, Paris, Eyrolles, 2016 (ISBN 978-2-212-56279-8).
Articles
- (en) Ted O'Donoghue et Matthew Rabin, « Doing it now or later », The American Economic Review, vol. 89, no 1,‎ , p. 103-124 (JSTOR 116981).
Filmographie
- On verra demain : Excursion en Procrasti-Nation (2019), série de films de la chaîne Arte portant sur la procrastination, faisant intervenir une pluralité d’invités dont l’historien Pascal Ory [voir en ligne].
Articles connexes
Liens externes
- Informations lexicographiques et étymologiques de « procrastination » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
- Ressource relative à la santé :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :