Procès des sorcières de Bury St Edmunds
Les procès des sorcières de Bury St Edmunds furent conduits de façon intermittente entre 1599 et 1694 dans la ville de Bury St Edmunds au Suffolk en Angleterre. De cette série de procès, deux, tenus en 1645 et en 1662, sont historiquement bien connus. Le procès de 1645, suscité par Matthew Hopkins, qui s'auto-proclamait Witch Finder Generall (« chasseur de sorcières en chef »), mena à l'exécution de dix-huit personnes en une seule journée. Le jugement rendu par le futur lord juge en chef d'Angleterre et du pays de Galles Matthew Hale en 1662 servit de puissant incitatif à la poursuite des persécutions des prétendues sorcières en Angleterre et dans les colonies américaines[1].
Juridiction
Bury St Edmunds était le lieu où se tenaient des Courts of Piepowders, cours de justice qui s'occupaient des affaires touchant le marché (par exemple, disputes entre commerçants, vols ou violences physiques), et le siège des assizes du comté de Suffolk, ce dernier depuis que l'abbaye bénédictine de Bury St Edmunds fut nommée responsable d'une liberty, c'est-à-dire un lieu où le droit d'un monarque de recevoir des revenus d'une propriété d'un diocèse ou d'une abbaye était révoqué et la terre détenue par un mesne lord[2] - [3] - [4]. Pour les fins du gouvernement civil, la ville et le reste du comté étaient très distincts, chacun fournissant un grand jury aux assizes[5].
Les procès
Le premier compte-rendu d'un procès pour sorcellerie à Bury St Edmunds remonte à 1599 quand Jone Jordan de Shadbrook (Stradbroke aujourd'hui[6]) et Joane Nayler furent jugés, mais il n'existe aucun compte-rendu des accusations ou du verdict. La même année, Oliffe Bartham de Shadbrook fut exécuté[7] pour « avoir envoyé trois crapauds ravager le sommeil de Joan Jordan[trad 1] »[6].
Le procès de 1645
Le procès de 1645 fut suscité par Matthew Hopkins, Witch Finder Generall auto-proclamé[8], sous la supervision de John Godbolt dans une cour spéciale[9]. Le , pas moins de 18 « sorcières » furent pendues à Bury St Edmunds[10] :
- Anne Alderman, Rebecca Morris et Mary Bacon de Chattisham ;
- Mary Clowes de Yoxford ;
- Sarah Spindler, Jane Linstead, Thomas Everard (tonnelier) et sa femme Mary de Halesworth ;
- Mary Fuller de Combs au Suffolk, près de Stowmarket ;
- John Lowes, vicaire de Brandeston ;
- Susan Manners, Jane Rivet et Mary Skipper de Copdock, près d'Ipswich ;
- Mary Smith de Glemham ;
- Margery Sparham de Mendham au Suffolk ;
- Katherine Tooly de Westleton ;
- Anne Leech et Anne Wright[11].
Sharpe a estimé que tous les procès pour sorcellerie tenus en Angleterre entre le début du XVe siècle et le début du XVIIIe siècle ont mené à l'exécution d'environ 500 femmes. Ce procès pèse donc pour environ 3,6 % du total[12].
Dans son livre A Confirmation and Discovery of Witchcraft, John Stearne, un associé de Matthew Hopkins[13] surnommé de temps à autre « chasseur de sorcières »[14] - [15] et « piqueur de sorcières »[note 1] - [16], écrit qu'il y avait 120 autres personnes emprisonnées en attente d'être jugées, dont 17 hommes[17]. En 1665, Thomas Ady affirma qu'il y en avait une centaine[18], alors que d'autres mentionnèrent presque 200[19]. À la suite d'un ajournement de trois jours provoqué par l'avance de l'armée du roi[20], la deuxième séance de la cour mena à 68 condamnations[20] - [21], alors que des rapports indiquent des « exécutions de masse de 60 ou 70 sorcières »[22] - [23]. La chasse et le procès des prétendues sorcières furent menés par Hopkins et Stearne comme s'il s'agissait d'une campagne militaire. En effet, ils utilisèrent le langage militaire pour obtenir de l'aide et décrire leurs entreprises[24]. Les têtes rondes de l'époque avaient fort à faire alors que les cavaliers de l'armée du roi se dirigeaient vers Cambridgeshire, mais des voix s'élevèrent contre ces agissements. Avant le procès, un rapport fut remis au parlement anglais : « ... comme si des hommes industrieux avaient utilisé des arts nocifs pour soutirer une telle confession[trad 2] - [10] ». Un tribunal spécial dirigé par un juge d'assises fut mis sur pied pour juger ces sorcières[10]. Après le procès et les exécutions, le Moderate Intelligencer, un journal parlementaire publié pendant la Première guerre civile anglaise, exprima son malaise dans un éditorial du 4-11 :
« Mais d'où vient que les démons ne s'associent qu'avec des femmes stupides qui ne savent pas reconnaître leur main droite de leur main gauche ? C'est un grand mystère... Il semble qu'ils ne s'intéressent à personne d'autre que de pauvres vieilles femmes, si l'on en croit les nouvelles qui nous viennent de Bury, ces jours-ci. Plusieurs ont été condamnées, certaines exécutées et d'autres vont l'être. La vie est précieuse et une inquisition sérieuse est nécessaire pour qu'elle soit enlevée[trad 3] - [24] - [25]. »
Le procès de 1662
Un autre procès se tint le 10 [26] quand deux veuves âgées, Rose Cullender et Amy Denny (Deny / Duny), demeurant à Lowestoft, furent accusées de sorcellerie par leurs voisins. Elles firent face à treize accusations d'ensorcellement contre plusieurs enfants dont l'âge allait de quelques mois à 18 ans, activité qui aurait provoqué la mort d'un des enfants[27]. Il est possible que les deux aient été au courant des « pouvoirs » de l'autre, car elles demeuraient dans le même village[28]. Cullender était membre d'une famille de propriétaires, alors que Denny était la veuve d'un travailleur[29]. Le seul autre lien connu entre les deux était une tentative d'acheter des harengs à un commerçant de Lowestoft, Samuel Pacy, dont les deux filles, Elizabeth[30] et Deborah[31], furent « victimes » des accusées. Samuel Pacy et sa sœur Margaret fournirent des preuves contre les deux veuves[32] qui furent jugées au tribunal des Assizes tenu à Bury St Edmunds selon les termes du Witchcraft Act de 1604[33] par l'un des plus éminents juges de l'époque, Matthew Hale, le Lord Chief Baron of the Exchequer du moment[34]. Le jury les déclara coupables des treize chefs d'accusation de sorcellerie malveillante et le juge les condamna à être exécutées. Elles furent pendues à Bury St Edmunds le 17 .
Le philosophe, médecin et auteur Thomas Browne assista au procès[35]. Le compte-rendu d'évènements similaires survenus au Danemark par quelqu'un d'aussi éminent que Browne semblait confirmer la culpabilité des accusées[36] - [37]. Il témoigna que « les jeunes accusatrices de Denny et Cullander étaient affligées de problèmes organiques, mais elles avaient sans l'ombre d'un doute été ensorcelées[trad 4] - [38] ». Il avait déjà exprimé sa croyance dans l'existence des sorcières vingt ans auparavant[36] dans sa Religio Medici, publiée en 1643 : « ceux qui doutent d'elles, ne font pas que les dénier elles, mais les esprits aussi, et sont obliquement, en conséquence, une sorte non pas d'infidèles, mais d'athéistes[trad 5] - [39] ».
Ce procès devint un modèle, et fut référencé, pour les procès des sorcières de Salem au Massachusetts, États-Unis, lorsque des magistrats tentèrent de rendre légitime l'usage de preuves spectrales, preuves s'appuyant sur des rêves et des visions, dans une cour de justice[40] - [41] - [42]. Le révérend John Hale, dont la femme fut accusée de sorcellerie à Salem, fit observer dans son ouvrage Modest Inquiry into the Nature of Witchcraft que les juges cherchèrent des précédents et mentionna A Tryal of Witches parmi les ouvrages consultés[23]. À propos des procès tenus à Salem, Cotton Mather, dans son Wonders of the Invisible World publié en 1693, attira l'attention sur le procès tenu au Suffolk[43] et écrivit que le juge indiqua que les preuves spectrales pouvaient servir à lancer des enquêtes, mais n'étaient pas admissibles en cour[44].
Procès postérieurs
Une femme et sa fille, de la famille Boram, furent jugées lors d'un procès tenu en 1655 et probablement pendues. Le dernier procès fut tenu en 1694 quand le lord juge en chef John Holt (en), « qui fit plus que tout autre homme de l'histoire anglaise pour faire cesser les persécutions contre les sorcières[trad 6] - [45] », parvint à faire acquitter Mother Munnings' du village d'Hartis (Hartest aujourd'hui[46]) accusée de « prognostications » qui provoquaient la mort[47]. John Holt « dirigea si bien le jury qu'elle fut acquittée[trad 7] - [48] ».
Notes et références
Notes
- Selon certaines légendes, les sorcières présentent sur leur corps une marque, la marque des sorcières, qui est insensible aux piqures et qui ne saigne pas si elle est piquée. Cette croyance date du milieu du XVIIe siècle, intense période de chasse aux sorcières en Angleterre.
Traductions
- (en) « sending three toads to destroy the rest of Joan Jordan »
- (en) « ...as if some busie men had made use of some ill Arts to extort such confession »
- (en) « But whence is it that Devils should choose to be conversant with silly Women that know not their right hands from their left, is the great wonder ... The(y) will meddle with none but poore old women: as appears by what we receive this day from Bury ... Divers are condemned and some executed and more like to be. Life is precious and there is need of great inquisition before it is taken away. »
- (en) « the young girls accusing Denny and Cullander were afflicted with organic problems, but that they undoubtedly also had been bewitched »
- (en) « they that doubt of these, do not only deny them, but spirits; and are obliquely, and upon consequence a sort not of infidels, but atheists »
- (en) « who did more than any other man in English history to end the prosecution of witches »
- (en) « so well directed the jury that she was acquitted »
Références
- Notestein 1911, p. 261-262
- (en) Coredon, Dictionary of Medieval Terms and Phrases, p. 236
- (en) Simon Knott, « The Abbey Church of St Edmund, Bury St Edmunds » (consulté le )
- (en) « The history of Bury St. Edmunds markets », St Edmundsbury Borough Council (consulté le )
- (en) « Houses of Benedictine monks; Abbey of Bury St Edmunds », British History Online (consulté le )
- Wright et Wright 2005, p. 13
- Notestein 1911, p. 393
- Geis et Bunn 1997, p. 188
- (en) Montague Summers, Geography of Witchcraft, Kessinger Publishing, LLC, , 632 p. (ISBN 978-0-7661-4536-8, lire en ligne)
- Notestein 1911, p. 178
- Robbins 1959, p. 252
- Sharpe et Poole 2002, p. 3.
- Un compte-rendu détaillé des agissements de Hopkins et de John Stearne sont décrits dans l'ouvrage de Malcolm Gaskill : Witchfinders: A Seventeenth Century English Tragedy, Harvard, 2005.
- (en) « Reformation and Civil War 1539-1699 », St Edmundsbury Borough Council (consulté le )
- Notestein 1911, p. 166
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- Wright et Wright 2005, p. 26
- Robbins 1959, p. 252
- Robbins 1959, p. 251
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- (en) John Stearne, A Confirmation and Discovery of Witchcraft, Essex Witch Trials, (lire en ligne)
- Notestein 1911, p. 404
- Robbins 1959, p. 66
- (en) Diane Purkiss, « Desire and Its Deformities: Fantasies of Witchcraft in the English Civil War » (consulté le )
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- Geis et Bunn 1997, p. 125
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- (en) Ivan Bunn, « The Lowestoft Witches - Elizabeth Pacy » (consulté le )
- (en) Ivan Bunn, « The Lowestoft Witches - Deborah Pacy » (consulté le )
- (en) Ivan Bunn, « The Lowestoft Witches - Samuel Pacy » (consulté le )
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- (en) Ivan Bunn, « The Lowestoft Witches » (consulté le )
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- (en) Ivan Bunn, « The Lowestoft Witches » (consulté le )
- Mather 1693, p. 44
- Mather 1693, p. 42
- Notestein 1911, p. 320
- Wright et Wright 2005, p. 37
- Robbins 1959, p. 69
- Robbins 1959, p. 248
Annexes
Bibliographie
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- (en) Malcolm Gaskill, Witchfinders : A Seventeenth-Century English Tragedy, Harvard University Press, , 364 p. (ISBN 0-674-01976-8)
- (en) Gilbert Geis et Ivan Bunn, A Trial of Witches : A Seventeenth-century Witchcraft Prosecution, Londres et New York, Routledge, (ISBN 0-415-17109-1)
- (en) Gary F. Jensen, The Path of the Devil : Early Modern Witch Hunts, Lanham, Angleterre, Rowman & Littlefield, , 283 p. (ISBN 0-7425-4697-7, lire en ligne)
- [PDF] (en) Cotton Mather (préf. Reiner Smolinski), The Wonders of the Invisible World. Observations as Well Historical as Theological, upon the Nature, the Number, and the Operations of the Devils [1693] by Cotton Mather, Nebraska, États-Unis, University of Nebraska-Lincoln, (réimpr. 2007) (lire en ligne)Numérisation de l'ouvrage original paru en 1693
- (en) Wallace Notestein, A History of Witchcraft In England from 1558 to 1718, États-Unis, Kessinger Publishing, , 460 p. (ISBN 0-7661-7918-4)
- (en) Wallace Notestein, A History of Witchcraft In England from 1558 to 1718, New York, American Historical Association, Ouvrage re-imprimé en 1965 par Russell & Russell à New York
- (en) Rossell Hope Robbins, The Encyclopedia of Witchcraft and Demonology, Londres, Peter Nevill Limited, , 557 p. (ISBN 0-517-36245-7)
- (en) Robert Seth, Children Against Witches, Londres, Robert Hale Co., (ISBN 978-0-8008-1445-8)
- (en) James Sharpe et Robert Poole (dir.), The Lancashire Witches : Histories and Stories, Manchester, Manchester University Press, , 226 p. (ISBN 978-0-7190-6204-9, lire en ligne), « The Lancaster witches in historical context », p. 1-18
- (en) Keith Thomas, Religion and the Decline of Magic – studies in popular beliefs in sixteenth and seventeenth century England, Londres, Penguin Books, , 880 p. (ISBN 0-14-013744-0)
- (en) Pip Wright et Joy Wright, Witches in and Around Suffolk, Stowmarket, Paw-print Publishing, (ISBN 0-9548298-1-6)