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Plus tard ou jamais

Plus tard ou jamais (titre original : Call Me by Your Name) est un roman en anglais d'André Aciman paru en 2007, traduit en français par Jean-Pierre Aoustin[1].

Plus tard ou jamais
Auteur André Aciman
Pays États-Unis
Distinctions Prix Lambda Literary 2007
Version originale
Langue Anglais
Titre Call Me by Your Name
Éditeur Farrar, Straus and Giroux
Lieu de parution New York
Date de parution 2007
ISBN 978-0-374-29921-7
Version française
Traducteur Jean-Pierre Aoustin
Éditeur Éditions de l'Olivier
Lieu de parution Paris
Date de parution 2008
ISBN 978-2-87929-575-6

Prix Lambda Literary en 2007, il est adapté au cinéma en 2017 sous le titre Call Me by Your Name, écrit, produit et réalisé par Luca Guadagnino avec Armie Hammer et Timothée Chalamet. Son scénario a valu à James Ivory l'Oscar du meilleur scénario adapté (2018).

À la suite de la sortie du film en France, le livre est rĂ©Ă©ditĂ© et retitrĂ© Appelle-moi par ton nom par les Ă©ditions Grasset[2].

Personnages

Elio P.

Elio a 17 ans au moment de l'intrigue. Il est prĂ©sentĂ© comme solitaire et plutĂŽt introverti au dĂ©but du roman, mĂȘme si cela ne l’empĂȘche pas de facilement discuter avec le libraire, des touristes inconnus ou Ă  aborder l’écrivain silencieux Ă  B. qu’il retrouvera Ă  Rome. TrĂšs cultivĂ© pour son Ăąge, il accuse cependant son inexpĂ©rience de la vie et des sentiments ; le roman peut ĂȘtre lu comme l’apprentissage que fait Elio du dĂ©sir, sous toutes ses formes.

Oliver

Doctorant ; parcours brillant, nombreuses connaissances (littĂ©ratures modernes et antiques, philosophie, linguistique historique, barista) ; assez sĂ©ducteur et charismatique. Il est surnommĂ© muvi star et cauboi (cow-boy) par la mĂšre d’Elio. Son travail sur HĂ©raclite rencontre un succĂšs rapide puisqu’il est rapidement publiĂ© au Royaume-Uni, en France et en Italie[3]. Il se marie l’étĂ© suivant et a deux enfants[4].

Vimini

Une jeune voisine de 10 ans, atteinte d’une leucĂ©mie. Elle apparaĂźt comme une figure de vĂ©ritĂ©, intermĂ©diaire dans les relations entre Oliver et Elio, sans doute du fait de sa prescience de sa propre finitude. Se lie Ă  Oliver Ă  qui elle Ă©crira quotidiennement dans les annĂ©es qui suivent son dĂ©part, jusqu’à son dĂ©cĂšs. Elle dĂ©cĂšde un an aprĂšs le mariage d’Oliver. GrĂące Ă  elle, Elio comprend que l’indiffĂ©rence apparente d’Oliver cache une affection sincĂšre.

Lors de la derniĂšre rencontre d’Elio et Oliver, un an avant le moment de l’énonciation, il est indiquĂ© qu’elle aurait 30 ans, ce qui permet d’unifier la chronologie du roman Ă  partir de ce personnage absent[5].

Marzia

Une voisine d'Elio avec qui il noue une liaison. Elio partage avec elle ses lectures et, durant une discussion, elle suggĂšre Ă  Elio qu'elle n'est pas Ă  l'aise avec la lecture car les gens qui lisent seraient plus enclins Ă  cacher leur vraie nature.

« Mr. P. », pÚre d'Elio (Samuel Perlman)

Dans la quatriĂšme partie, il discute avec Oliver de la nature de l’amitiĂ©, en citant Montaigne et La BoĂ©tie ; il fait une allusion obscure Ă  sa jeunesse passĂ©e. Durant le roman, il se montre comme une personne ouverte, parlant librement de dĂ©sir (avec Oliver ou Elio).

Il dĂ©cĂšde dans des circonstances troubles, peut-ĂȘtre un crime antisĂ©mite puisqu’il est fait mention de la suspicion de la mĂšre d’Elio Ă  l’égard des colis apportĂ©s par les Ă©trangers depuis la mort de son Ă©poux[6].

« Mrs P. », mĂšre d’Elio (Annella Perlman)

Elle est assez ironique devant les maniĂšres d’AmĂ©ricain d’Oliver.

Mafalda

Intendante de la maison, d’origine napolitaine. Elle est responsable de la blanchisserie et des repas. Elle connaĂźt Elio depuis qu’il est petit et Elio sent Ă  plusieurs reprises qu’elle devine ses pensĂ©es.

Manfredi

Chauffeur et mari de Mafalda.

Anchise

Solitaire, pĂ©cheur et jardinier ; Elio le soupçonne un temps d’avoir des sentiments pour Oliver ; il meurt d’un cancer avant d’avoir atteint la cinquantaine, dans la chambre du grand-pĂšre d’Elio[7].

Chiara

Propose ses services de traductrice et semble entretenir une liaison avec Oliver.

Les amis d’Elio

Peu identifiĂ© ; Elio n’en semble pas satisfait, mais ses parents insistent sur l’importance qu’il y a Ă  cultiver ses relations amicales.

Les joueurs de carte

Oliver retrouve des gens au village le soir pour jouer aux cartes.

Maynard

Le prédécesseur d'Oliver (deux étés auparavant), ami de Pavel prédécesseur immédiat d'Oliver, Maynard semble avoir troublé Elio ; c'est lui qui lui a offert la carte postale représentant le tertre de Monet qu'Oliver prendra ensuite avec lui[8].

Résumé

La narration se fait Ă  partir du point de vue du jeune Elio. Le narrateur situe son rĂ©cit l’étĂ© « au milieu des annĂ©es 80 » (le film situe l'action en 1983), Elio a alors 17 ans ; on assiste Ă  un effort d’appropriation des Ă©vĂ©nements et des sentiments, par tĂątonnements et redĂ©finitions successives. Les dialogues avec les personnages permettent de donner voix Ă  d’autres points de vue sur les Ă©vĂ©nements, mais sont toujours dĂ©pendant de la narration principale par Elio.

On distingue deux séquences narratives :

  • L’étĂ© fondateur : six semaines Ă  B. et quelques jours Ă  Rome, parties 1 Ă  3. Plusieurs thĂ©matiques structurent cette sĂ©quence : la rencontre d’un personnage singulier, Oliver, et le miroir qu’il offre Ă  l’adolescent, Elio, de sa propre identitĂ© ; l’intrigue amoureuse (tĂątonnements, fantasmes, doutes, puis communion et partage, qui culminent dans la troisiĂšme partie Ă  Rome) ; la question lancinante de l’origine de la fascination pour Oliver (fluctuante, se construit tout au long de l’Ɠuvre : depuis le « Later ! » initial, jusqu'aux spĂ©culations sur les tenues vestimentaires qui retiennent son attention ou Ă  la concurrence possible avec Chiara (sujet jamais tout Ă  fait Ă©clairĂ©), ou Ă  l’idĂ©e que dĂšs la photo du dossier de candidature, il savait).
  • La derniĂšre partie opĂšre par ellipses : quatre ans plus tard et vingt ans plus tard, jusqu’à l’étĂ© prĂ©cĂ©dent la rĂ©daction fictive du roman[9].

Le traitement de la temporalitĂ© narrative est assez proche de celui du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le GuĂ©pard[10] : les deux derniĂšres parties du roman de Lampedusa donnent Ă  voir le sort des protagonistes de l’intrigue principale vingt ans et trente ans aprĂšs.

Les lieux de l'intrigue

Le roman ne situe pas prĂ©cisĂ©ment le cadre de l’intrigue ; il fait rĂ©fĂ©rence aux lieux par des majuscules, procĂ©dĂ© courant du genre romanesque.

B., Ă  proximitĂ© de la mer ; la villa de la famille P. est un peu en marge de la ville (qui est accessible Ă  vĂ©lo). B. semble ĂȘtre une petite ville cĂŽtiĂšre, accessible en train depuis Rome par un direttissimo et situĂ©e sur la route entre Rome et Menton[11], sans doute Bordighera puisque c'est Ă  cet endroit que Monet aurait peint (janvier-), sur la Riviera ligure, en face de La Spezia oĂč Mary Shelley a sĂ©journĂ©. DiffĂ©rents endroits sont Ă©voquĂ©s dans cette petite ville : le bureau de poste, le cafĂ© oĂč Oliver joue aux cartes le soir, la librairie, la pharmacie, le club dansant nommĂ© Le Danzing, un monument aux morts. La ville offre une vue de surplomb sur la baie. Au nord, N. est une ville un peu plus grande, oĂč les jeunes sortent danser le soir.

À Rome, l’hîtel donne via Santa Maria dell’Anima, non loin de la Piazza Navona, dans le centre historique[12].

PremiĂšre partie : Si ce n'est plus tard, quand ?

Le roman s’ouvre in medias res sur cette maniĂšre fascinante autant que dĂ©rangeante qu’a le nouvel hĂŽte de la villa, Oliver, de prendre congĂ© nonchalamment, « Later ! », « Ă  plus ». D’emblĂ©e, les bornes temporelles du sĂ©jour de l’hĂŽte, six semaines, dĂ©finissent une temporalitĂ© Ă  laquelle il sera toujours fait rĂ©fĂ©rence dans la premiĂšre sĂ©quence narrative.

Cette premiĂšre partie est rythmĂ©e par les hypothĂšses que formule le narrateur sur l’origine de son trouble plutĂŽt que par une narration linĂ©aire stricte : façon de parler (Later !), judĂ©itĂ© partagĂ©e, physique.

La figure d’Oliver Ă©chappe peu Ă  peu au narrateur qui tente de se la rĂ©approprier en s’immisçant dans la relation qui naĂźt entre Oliver et Chiara. Le narrateur souffre qu’Oliver semble l’ignorer et qu'il paraisse si bien se passer de lui Ă  l’extĂ©rieur, entre ses activitĂ©s de recherche avec le professeur P. et ses loisirs Ă  B.

La partie s’achĂšve lorsqu’Elio se masturbe seul dans le lit d’Oliver. Une allusion Ă  une histoire tirĂ©e de l’HeptamĂ©ron de Marguerite de Navarre formule la nĂ©cessitĂ© de parler directement Ă  Olivier plutĂŽt que de rester dans la fascination, le dĂ©sir incontrĂŽlable et le silence : « Is it better to speak or to die?[13] »

DeuxiĂšme partie : Le tertre de Monet

Fin juillet. L’allusion Ă  l’HeptamĂ©ron permet d’engager la conversation avec Oliver : Elio est maintenant prĂȘt Ă  parler[14]. Il accompagne Oliver au village chercher son manuscrit ; c’est aussi l’occasion de mentionner la mort du mari de Mary Shelley, dont le corps noyĂ© est retrouvĂ© sur le rivage de Viareggio en 1822 et auquel elle extrait le cƓur (cor cordium) avant l’incinĂ©ration[15].

Elio fait alors comprendre son trouble Ă  Oliver — sans mĂȘme prononcer le mot d’amour — sur une place Ă  proximitĂ© d’un monument aux morts de la PremiĂšre Guerre mondiale (bataille de Vittorio Veneto, au Piave en VĂ©nĂ©tie)[16].

Elio propose alors Ă  Oliver de lui montrer un endroit oĂč il aime s’isoler dans la nature et oĂč Monet aimait peindre. C’est sur ce sentier de Monet que les deux protagonistes vont pour la premiĂšre fois tenter de clarifier la situation. Oliver est rĂ©ticent, mais finit par embrasser Elio[17] ; Elio rĂ©pond Ă  ce baiser par un baiser, mais Oliver refuse d’aller plus loin, malgrĂ© les avances d’Elio qui a posĂ© sa main sur son sexe[17].

Oliver prend ses distances dans les jours qui suivent ; son comportement laisse Elio dans la confusion alors qu’il espĂ©rait avoir clarifiĂ© leur relation. Elio se rapproche alors de Marzia avec qui il a plusieurs rapports sexuels dont il se rĂ©jouit.

La distance sera rompue par un mot d’Elio glissĂ© sous la porte de la chambre d’Oliver. Oliver y rĂ©pond en convenant d’un rendez-vous Ă  minuit. Cette fois-ci, la parole cĂšde le pas au dĂ©sir : les deux protagonistes partagent leur premier rapport sexuel sans conversation (contrairement Ă  l’échange au sentier de Monet). Mais lĂ  encore, Elio accuse l’écart entre le fantasme de satisfaction du dĂ©sir et la dĂ©ception, voire la honte, qui lui succĂšde. Il pense pouvoir profiter de l’assouvissement du dĂ©sir pour s’éloigner d’Oliver ; mais Oliver lui-mĂȘme est maintenant prĂȘt Ă  vivre ses dĂ©sirs pour Elio et ils finissent par faire rĂ©guliĂšrement l’amour.

Elio continue de frĂ©quenter Marzia et partage ses journĂ©es et ses plaisirs sexuels entre elle et Oliver. Il offre Ă  Marzia un exemple du livre Se l’amore (Si l’amour) dont l’auteur est en dĂ©dicace Ă  la librairie locale[18], tandis qu’il avait offert un exemplaire d’Armance, le premier roman de Stendhal, Ă  Oliver, avec une dĂ©dicace qui, il l’espĂšre, laissera une trace de cet Ă©tĂ© pour Oliver.

Les dix derniers jours Ă  B. sont l’occasion de revenir, aprĂšs ces semaines torrides, sur les malentendus du dĂ©part[19]. C’est l’occasion, par le dialogue, d’obtenir le point de vue d’Oliver, alors que le lecteur ne connaissait que le point de vue d’Elio ; Oliver restitue une conversation sur l’auteur italien Giacomo Leopardi durant laquelle il a compris, Ă  la maniĂšre qu’avait Elio de rougir, qu’il se passait quelque chose. La partie prĂ©sente alors le rĂ©sumĂ© d’une routine heureuse, avant de s’achever sur le dĂ©part pour Rome. Les valises d’Oliver Ă  nouveau emballĂ©e dans la chambre d’Elio, comme au dĂ©but du roman : « The symmetry of it all, or was it the emptied, seemingly ransacked neatness of his room, tied a knot in my throat »[20]. Cette premiĂšre clĂŽture du roman insiste sur l’expĂ©rience d'une temporalitĂ© concentrĂ©e, peut-ĂȘtre propre Ă  la mise en rĂ©cit de l’expĂ©rience du bonheur par le narrateur : les six semaines Ă  B., les trois jours Ă  Rome ; elle s’oppose Ă  la derniĂšre partie du roman qui est ouverte sur le futur et l’incertain.

TroisiĂšme partie : Le syndrome de San Clemente

Cette partie retrace le sĂ©jour (bref) d’Elio et Oliver Ă  Rome : le temps narrĂ© couvre trois jours tout au plus, mais cette partie reprĂ©sente presque un quart du roman. Elle correspond Ă  l’acmĂ© de la relation entre les deux protagonistes dont le bonheur partagĂ© est officialisĂ© au public (et c’est ainsi qu’Oliver s’en souviendra en quatriĂšme partie). Elio mentionne aussi sa premiĂšre expĂ©rience du trouble vis-Ă -vis d’un homme, lorsqu’il a croisĂ© le regard d’un garçon dans une rue de Rome ; ce dernier s’était arrĂȘtĂ©, mais Elio n’avait pas souhaitĂ© aller plus loin.

Cette troisiĂšme partie formule, par l’intermĂ©diaire du rĂ©cit enchĂąssĂ© fait par le poĂšte d’un sĂ©jour en ThaĂŻlande et de la rencontre avec une personne aux traits androgynes, une mĂ©taphore du trouble amoureux, baptisĂ©e « San Clemente Syndrome »[21].

La confrontation au milieu littĂ©raire romain permet de faire intervenir des personnages rencontrĂ©s Ă  B., mais dans le contexte de la capitale romaine. Elio ne semble plus en quĂȘte de son identitĂ©, mais pleinement dans le partage de sa vie avec Oliver ; certains personnages viennent formuler des verdicts Ă©nigmatiques, notamment Lucia, qui insiste sur le fait qu'Elio est « dissoluto ».

La partie s’achĂšve sur la fin de soirĂ©e : Elio et Oliver se retirent pour se promener seuls dans la nuit. Elio a trop bu, Oliver l’aide Ă  vomir au pied de la statue du Pasquin (Ă  proximitĂ© de la Piazza Navona, quartier du Parione) ; ils croisent un touriste allemand et Ă©coutent un chanteur Ă  la guitare qui entonne une chanson napolitaine. Elio reconnaĂźt une chanson que lui chantait Mafalda dans son enfance. En quatriĂšme partie, on apprendra par Oliver qu’Elio a ensuite pris la guitare pour se mettre Ă  jouer lui-mĂȘme Haendel[22].

QuatriĂšme partie : Coins fantĂŽmes

Cette derniĂšre partie est la plus brĂšve, mais elle couvre plus de vingt ans de la vie du protagoniste. Elle s’ouvre sur le retour d’Elio Ă  B. aprĂšs sa sĂ©paration avec Oliver Ă  Rome. Elle clĂŽt donc la sĂ©quence narrative fondamentale avant d’ouvrir sur la suite de la vie des protagonistes : le retour d’Oliver Ă  B. le NoĂ«l suivant. C’est l’occasion aussi d’examiner les nouvelles candidatures de jeunes chercheurs et de replonger Elio dans celle d’Oliver l’annĂ©e passĂ©e. Avec le mariage d’Oliver, les liens se dĂ©nouent[23]. On comprend qu’Elio avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© troublĂ© par l’attitude de Maynard, le prĂ©dĂ©cesseur d'Oliver.

Neuf ans aprĂšs, alors qu’Elio est aux États-Unis, ses parents lui apprennent qu'Oliver passe Ă  la villa avec sa femme et ses deux enfants, ĂągĂ©s de 8 et 6 ans[24] ; c’est l’occasion d’un Ă©change tĂ©lĂ©phonique.

Quatre ans aprĂšs, Elio passe dans la ville oĂč Oliver enseigne Ă  l’universitĂ©[25]. Il refuse de rencontrer sa famille et prĂ©fĂšre partager un verre avec lui. Oliver montre qu’il a suivi toute la carriĂšre acadĂ©mique d’Elio et lui montre la carte postale de Monet qu’il avait prise dans la chambre d’Elio Ă  son dĂ©part ; il a ajoutĂ© Ă  destination d’Elio sur la carte postale « Cor cordium », « cƓur de mes cƓurs, mon plus cher cƓur »[26].

La derniĂšre section du roman prend place l’étĂ© avant le temps de la narration[11]. Les deux protagonistes retournent sur les lieux de leurs souvenirs communs. L’arrivĂ©e d’Oliver en taxi reproduit celle du dĂ©but du roman. Elio entend montrer Ă  Oliver qu’il a conservĂ© comme fĂ©tiche la chemise ample que portait Oliver (« Billowy »)[11].

Thématiques importantes

Un roman d’apprentissage autour d’une amitiĂ© particuliĂšre

Jamais dĂ©finie en termes d’orientation sexuelle : les dĂ©sirs sont dĂ©crits, en termes d’impressions, d’envie et de plaisirs, sans distinguer a priori des catĂ©gories comme l’homosexualitĂ© ou la bisexualitĂ©.

Il y a une continuité et un aller-retour constant entre ce que le narrateur éprouve pour Marzia et ce qu'il éprouve pour Oliver ; petit à petit, Elio reconstitue, en archéologue de son désir, ses troubles antérieurs liés à des hommes avant Oliver (comme un jeune Romain ou Maynard), mais aussi aprÚs Oliver (et il semble nuancer un temps l'importance qu'a eue Oliver pour lui, en comparaison avec des amants ultérieurs)[24]. Cette continuité est aussi une méthode expérimentale qui permet au narrateur de formuler des hypothÚses sur la construction de son désir : il assume son attirance pour Marzia, mais cherche à comprendre pourquoi, malgré les similitudes (odeurs, désirs, caresses), son sentiment pour Oliver est si difficile à définir ; sa relation avec Oliver est aussi accompagnée de symptÎmes physiques (dégoût ponctuel, obsession, etc.) qu'il ne connaßt pas avec Marzia.

L’obsession qu’a Elio de ne faire qu’un avec Oliver, aussi bien physiquement que mentalement, dans une communautĂ© de pensĂ©e et d’identitĂ©, se retrouve dans la distribution des chambres : Oliver occupe la chambre d’adolescent d’Elio Ă  laquelle Elio n’a accĂšs que par le balcon Ă©troit. Au cƓur de son intimitĂ© vit Oliver. Elio a besoin de sentir et de caresser les vĂȘtements d’Oliver dans sa chambre (comme Ă  la fin de la premiĂšre partie), une maniĂšre d’apprivoiser l’étrangetĂ© qui le travaille au cƓur de son ĂȘtre. Lorsque la relation amoureuse est ouverte, elle culmine avec l’échange de vĂȘtements Ă  Rome et le partage d’une chambre dans l’hĂŽtel. Enfin, le retour d’Elio Ă  la villa, au dĂ©but de la quatriĂšme partie, est marquĂ© par la restitution de la chambre dans son Ă©tat originel : cela recouvre la formulation que fait Elio de son propre cheminement intĂ©rieur, tout est comme avant matĂ©riellement (il retrouve sa vie, ses habitudes, les mĂȘmes personnes et les mĂȘmes lieux), mais rien n’est comme avant, maintenant qu’il a connu Oliver.

L’intimitĂ© fusionnelle s’exprime aussi par l’unitĂ© « physiologique » : au dĂ©but de la relation, lorsqu’Oliver pose son pied sur celui d’Elio, la rĂ©action immĂ©diate est un saignement de nez. Quand la relation sera mieux dĂ©finie, la communion physique pourra s'installer : Oliver mange la pĂȘche dans laquelle Elio a joui ; ils partagent leur douche Ă  l’hĂŽtel (troisiĂšme partie) ; Oliver aide Elio Ă  vomir.

Références culturelles : un bon savoir

Le roman est situĂ© dans un milieu intellectuel et Ă©rudit ; il fait allusion, de maniĂšre directe ou oblique, Ă  de nombreuses Ɠuvres de la littĂ©rature europĂ©enne (domaines italophone, francophone, anglophone et germanophone) ; la philosophie est aussi reprĂ©sentĂ©e (HĂ©raclite, Platon ou Nietzsche), ainsi que la musique, puisque Elio est prĂ©sentĂ© comme un jeune homme maĂźtrisant le piano et toujours occupĂ© Ă  transcrire des Ɠuvres musicales (Bach, Haendel, Haydn).

C’est en discutant de la question de la traduction des vers du poĂšme Alla luna de Giacomo Leopardi qu’Oliver remarque le trouble qu’il cause Ă  Elio[27]. La question de l’intraductibilitĂ© (en particulier des derniers vers), dans ce contexte, fait Ă©cho Ă  celle de la difficultĂ© Ă  mettre des mots sur les dĂ©sirs, chez Elio. Le poĂšme, adressĂ© Ă  la lune, dans une veine Ă©lĂ©giaque, exprime la difficultĂ© du poĂšte, Ă  un Ăąge avancĂ©, Ă  se rappeler ses chagrins amoureux passĂ©s, qu’il confiait dĂ©jĂ  Ă  la lune. L’expĂ©rience du chagrin amoureux est prĂ©sentĂ©e comme nĂ©cessaire Ă  l’existence humaine, comme dans le monologue du pĂšre d’Elio au dĂ©but de la quatriĂšme partie.

À la fin du roman, les deux protagonistes mentionnent le roman de Thomas Hardy, The Well-Beloved (en), oĂč un homme, Ă  la mort de son Ă©pouse, s’éprend successivement de toutes les femmes qui ont un lien de filiation avec elle. Oliver et Elio imaginent la possibilitĂ© fantaisiste que leurs pĂšres respectifs aient eu une liaison. Ce questionnement interroge le caractĂšre sĂ©riel des sentiments amoureux, type d'interrogation structurant pour le genre romanesque depuis l'Ă©poque moderne.

HĂ©raclite d’ÉphĂšse est le philosophe prĂ©socratique sur lequel travaille Oliver. Elio utilise des fragments cĂ©lĂšbres pour ironiser sur l’échec de ses premiers aveux : « φύσÎčς ÎșρύπτΔσΞαÎč φÎčλΔῖ » « Nature aime se cacher » (frg. 123 DK), « ጐΎÎčÎ¶Î·ÏƒÎŹÎŒÎ·Îœ ጐΌΔωυτόΜ » « Je me mis en quĂȘte de moi-mĂȘme » (frg. 101 DK)[28].

La tonalitĂ© platonicienne permet d’éclairer le lien entre connaissance et Ă©rotique : le personnage d’Elio a besoin de l’élan amoureux pour Oliver pour accĂ©der Ă  la connaissance ultime (de lui-mĂȘme ou du monde), connaissance qui saurait ĂȘtre trouvĂ©e dans les livres et la solitude (Platon, et sa rĂ©ception Ă  la Renaissance chez Boccace, PĂ©trarque, Marguerite de Navarre, Marcile Ficin ou plus tard Thomas Mann dans La Mort Ă  Venise). Un cĂ©lĂšbre vers de l’Enfer de Dante scande la progression du personnage et les redĂ©finitions successives qu’il donne Ă  ses sentiments (pour Marzia comme pour Oliver) : « Amor, ch'a nullo amato amar perdona ».

L'HeptamĂ©ron de Marguerite de Navarre est une Ɠuvre oĂč, entre nouvelles picaresques et grivoises, est formulĂ©e la question du vrai amour, dans un contexte platonisant. Cette Ɠuvre littĂ©raire sert d’interface entre le narrateur et le monde ; elle permet d’éclaircir la vie de formuler ses sentiments pour avancer (il sortira de son mutisme et ouvrira son cƓur Ă  Oliver entre la premiĂšre et la seconde partie). La dixiĂšme histoire de la premiĂšre journĂ©e relate l’histoire d’amour entre Amador et Floride, deux amants que la condition sociale sĂ©pare ; Amador confie ses sentiments Ă  Floride tout en sachant que c'est dĂ©placĂ© (« M’amye, je vous supplie me conseiller lequel vault mieulx parler ou mourir ? »). L'Ɠuvre est citĂ©e par AndrĂ© Aciman dans un article sur les romans d'amour[29].

Le peintre Claude Monet est aussi Ă©voquĂ©, pour les paysages qu’il aurait peints de la campagne autour de B. ; la carte postale laissĂ©e par Maynard, qui a Ă©tĂ© hĂŽte deux ans avant Oliver, reprĂ©sente un tableau de Monet datĂ© de 1905 environ[11].

Les allusions picturales ou littĂ©raires permettent aussi de qualifier des situations : le rĂȘve Ă©veillĂ© Ă©voque l’OdyssĂ©e[30], cruautĂ© imputĂ©e Ă  Oliver comparĂ©e Ă  l’Ɠuvre de Maurits C. Escher[14] ; pĂąleur excessive digne de Lip Van Winkle[31], ou un paysage automnal comparĂ© Ă  un tableau de Van Gogh (Nuit Ă©toilĂ©e sur le RhĂŽne)[26], par exemple.

L'Ă©crivaine Mary Shelley apparaĂźt rĂ©guliĂšrement. L'allusion Ă  la fin tragique de son Ă©poux et Ă  l'extraction du cƓur de son cadavre apparaĂźt dĂšs la seconde partie (cor cordium, Ă  la fin de la troisiĂšme partie), jusqu'au mot laissĂ© par Oliver sur la carte postale subtilisĂ©e (quatriĂšme partie).

Comparaison avec le film réalisé par Luca Guadagnino (2017)

Le film Call Me By Your Name est l'adaptation de ce roman. Le scĂ©nario est le fruit du travail de James Ivory ; un effort de recomposition a Ă©tĂ© fait pour adapter l’Ɠuvre d'Aciman dans le format d’un film de 132 minutes. Comme le roman, le film prĂ©sente la naissance des sentiments et du dĂ©sir sans porter de jugement moral.

La derniĂšre partie du film s’éloigne assez fortement du roman : l’escapade Ă  Rome est remplacĂ©e par un bref sĂ©jour dans une petite ville proche et Elio est incapable de revenir seul aprĂšs le dĂ©part d’Oliver. Sur le retour, dans la voiture de sa mĂšre, il croise Marzia avec qui il se rĂ©concilie.

Le personnage de Marzia est dĂ©veloppĂ© dans le film dans une direction un peu diffĂ©rente. Dans le roman, le dĂ©sir pour Marzia sert d’aune Ă  Elio pour explorer la singularitĂ© de son dĂ©sir pour Oliver (sans jamais, nĂ©anmoins, qu’il soit question de hiĂ©rarchiser ou de juger moralement la qualitĂ© d’un dĂ©sir ou d’un autre)[32] ; elle disparaĂźt physiquement quand la relation avec Oliver se noue, mais reste prĂ©sente, en tant qu’absente, dans la mĂ©moire du narrateur (mĂ©moire sensuelle).

Le film joue sur le pathĂ©tique : Marzia, comme dans le roman, craint d’ĂȘtre blessĂ©e par Elio ; mais le film donne un contour plus prĂ©cis Ă  cette crainte : dĂšs qu’Elio trouve Oliver, elle disparaĂźt et l’on comprend alors que ses craintes Ă©taient justifiĂ©es, tandis que le roman laisse coexister les deux relations[33]. Elle rĂ©apparaĂźt Ă  la fin du film, utilisant le prĂ©texte d’une lecture pour engager la conversation avec Elio qui est sous le choc du dĂ©part d’Oliver. Sa capacitĂ© Ă  pardonner et Ă  sceller son amitiĂ© avec Elio l’émancipe de son statut de victime (d’Elio) dans lequel le film l’avait enfermĂ©e jusque-lĂ .

Notes et références

  1. Aciman 2008
  2. Multiple, « Livres en bref », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  3. Aciman 2008, p. 226.
  4. Aciman 2008, p. 230-231.
  5. Aciman 2008, p. 245.
  6. Aciman 2008, p. 238 et p. 244.
  7. Aciman 2008, p. 246.
  8. Aciman 2008, p. 220-221.
  9. Aciman 2008, p. 244. Dans la quatriĂšme partie, Oliver s’y arrĂȘte pendant que Elio est aux USA.
  10. Le roman est mentionnĂ© sans ĂȘtre citĂ©, lorsqu’Elio le recommande aux touristes, dans la librairie de B., p. 112-113 de l'Ă©dition anglaise.
  11. Aciman 2008, p. 244.
  12. Aciman 2008, p. 234.
  13. Marguerite de Navarre (éd. Salminen), L'Heptaméron, partie I, chap. 10, p. 75
    « Madame, je vous supplie de me conseiller lequel il vault myeulx, ou parler ou mourir »
  14. Aciman 2008, p. 68.
  15. Aciman 2008, p. 71.
  16. Aciman 2008, p. 72-73.
  17. Aciman 2008, p. 80.
  18. Aciman 2008, p. 113.
  19. Aciman 2008, p. 158.
  20. Aciman 2008, p. 164.
  21. Aciman 2008, p. 186-197.
  22. Aciman 2008, p. 239.
  23. Aciman 2008, p. 230. « Then came the blank years »
  24. Aciman 2008, p. 231.
  25. Aciman 2008, p. 232.
  26. Aciman 2008, p. 242.
  27. Aciman 2008, p. 158-159.
  28. Aciman 2008, p. 74.
  29. (en) AndrĂ© Aciman, « Book Bag: AndrĂ© Aciman’s Favorite Novellas of Unconsummated Loves », sur The Daily Beast,
  30. Aciman 2008, p. 15.
  31. Aciman 2008, p. 240.
  32. Aciman 2008, p. 84 s. et 105 ; voir aussi la troisiĂšme partie.
  33. Aciman 2008. Voir la deuxiĂšme partie.

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

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