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Phanostratê

Phanostratê[n 1] (en grec ancien : Φανοστράτη / Phanostratê) est une sage-femme et médecine grecque de l'époque hellénistique, ayant vécu au IVe siècle av. J.-C. dans le dème de Mélité (Attique). Connue uniquement par deux stèles exécutées entre et , elle est la première femme à être appelée « médecin » dans l'histoire de la Grèce antique.

Phanostratê
Biographie
Naissance Ve siècle av. J.-C. ou IVe siècle av. J.-C.
Attique (Grèce)
Décès Entre et
Dème de Mélité (Grèce)
Nationalité Athénienne (?)
Thématique
Profession Sage-femme, médecine
Auteurs associés
Influencé par Hippocrate

Sources

Phanostratê est connue par deux stèles de marbre datant du IVe siècle av. J.-C. (v. -) : la première (IG II/III² 6873) trouvée à Menídi est une stèle funéraire, et la seconde (IG II³ 4 700), trouvée sur le versant sud de l'Acropole d'Athènes, est un remerciement pour ses services[1]. En 1972, Georges Daux est le premier à reconstruire le texte de la stèle de Menídi.

Stèle IG II/III² 6873

Image externe
Stèle funéraire de Menídi en l'honneur de Phanostratê, dite IG II/III² 6873, photographie de Véronique Dasen en (d'après Chr. Clairmont, Classical Attic Tombstones, Kilchberg, 1993, n° 2.890).

Au-dessus du bas-relief de la stèle IG II/III² 6873 est écrit :

« Φανοστράτη [---,---]
Μελιτέως »

« Phanostratê, [fille de ou épouse de],
du dème de Mélité. »

trad. Véronique Dasen.

Dans le bas-relief, le nom « Antiphilê » (’Αντιφίλη) est écrit au-dessus de la femme debout à gauche, et « Phanostratê » (Φανοστράτη) au-dessus de la femme assise à droite. L'inscription en hexamètres en dessous du bas-relief dit :

« Μαῖα καὶ ἰατρὸς Φανοστράτη ἐνθάδε κεῖται
[ο]ὐθενὶ λυπη<ρ>ά, πᾶσιν δὲ θανοῦσα ποθεινή. »

« Sage-femme et médecin [sic][n 2], Phanostratê repose ici,
à nul elle ne causa de chagrin et tous, à sa mort, la regrettent. »

trad. Véronique Dasen.

Sur la stèle de Menídi, conservée au musée national archéologique d'Athènes, Phanostratê est représentée assise sur un klismos (à droite) et serrant la main d'Antiphilê (à gauche, dans une pose codifiée exprimant la tristesse), toutes deux habillées d'un chiton et d'un himation. Son rapport avec la doctoresse n'est pas précisé, il a donné lieu à diverses hypothèses (amie, parente, mécène, cliente ou assistante). Il est très probable que c'est une de ses proches, peut-être celle ayant commandé la stèle en l'honneur de Phanostratê[1] - [2] - [C 1] - [D 2].

Quatre petits enfants (nombre inhabituel dans les stèles funéraires) accompagnent la scène, Antiphilê est entre deux petites filles qui la regardent. Phanostratê a deux enfants de sexes indéterminé près d'elle, un à sa droite (une fille ?) derrière sa chaise, et un accroupit en-dessous de la chaise. Il y a là plusieurs hypothèses proposées : ce sont les enfants de Phanostratê, ou ceux d'Antiphilê ou d'autres personnes qu'elle a accouché et soigné[2] - [D 2]. V. Dasen suggère que « les enfants pourraient aussi servir d’attributs de la compétence de Phanostratê à un deuxième niveau, en la désignant comme une mère accomplie, conformément à la description de Socrate qui recommande de recourir à des femmes ayant enfanté [pour diriger des accouchements][D 2]. »

Contrairement aux stèles funéraires des hommes médecins, il n'y a aucun indice de sa qualité de citoyenne ou de médecine (instrument, geste, habit ou accessoire distinctif). Le bas-relief de Phanostratê ressemble à celui d'une nourrice (titthê) dans les vêtements, personnages et positions, et leur métier n'est identifiable que grâce à l'inscription sous le bas-relief[D 3].

Stèle IG II³ 4 700

Statue d'Asclépios, dieu grec de la médecine. Copie romaine des années - d'après un original grec de la fin du IVe siècle av. J.-C. (Musée archéologique de Naples)

La seconde stèle est retrouvée sur le versant sud de l'Acropole d'Athènes, dans l'asclépiéion de la ville ; elle est conservée au musée épigraphique. On a longtemps lut le nom masculin Phanostratos (Φανόστρατος), avant que Jaime Curbera démontre le contraire en 2017[C 2]. Il est le premier à supposer qu'il s'agit de la Phanostratê nommée sur la stèle funéraire de Menídi, ce que le reste de la recherche a estimé « plausible »[T 1].

« Φανόστρατη [---].
Δηλοφάνης ἀνέθηκε Χο[λαργεὺς εἰκόνα τήνδε],
τῆς αὑτοῦ θυγατρὸς Δ[--- εὐξαμένης].
Λυσιμάχηι γὰρ μητρὶ [---]
χεῖρα μέγας σωτὴρ [---]
ἐπὶ Πατ[αίκου ἱερέως »

« Phanostratê [---].
Délophanès de Cholargos dédia [cette image]
Sa propre fille D[--- l'ayant juré]
pour [sa ?] mère Lysimache [---]
[tu as posé ta ?] main, grand sauveur [---]
Durant le sacerdoce de Pat[aïkos]. »

trad. Stephen Lambert.

.

L'inscription est exécutée durant le sacerdoce d'un prêtre nommé Pataïkos, c'est-à-dire avant / selon Sara Aleshire. Malgré les lacunes textuelles, Phanostratê est ici remerciée pour avoir secouru Lysimache, épouse de Délophanès de Cholargos (dème à six kilomètres au nord-ouest d'Athènes) et mère d'une fille, dont le nom perdu commence par delta (Δ)[T 1]. Le texte suggère que la statue était à l'image de Phanostraté, ce qui permet d'estimer l'importance qu'avait la sage-femme dans la société de son temps, car avoir une statue dans l'asclépiéion était un grand et rare honneur pour un médecin. L'existence de cette statue prouve que les guérisseuses étaient respectées et pouvaient avoir les mêmes honneurs réservés aux hommes[C 2]. Les dons de guérisons de Phanostratê sont cependant subordonnés au « grand sauveur » de Lysimache, Asclépios, dieu de la médecine à la main guérisseuse[T 1].

Théories biographiques

Origines et statut social

Au premier plan de la photo, un plateau rocheux avec de la végétation sur les côtés, des gens sont dans le fond. Au second plan, la mer, les montagnes au loin et le ciel dominent le reste de la photo.
Plateau de l'ancien dème de Mélité, en Attique.

L'étude des stèles ont fait l'objet d'interprétations diverses pour connaître la vie de Phanostratê. F. Retief et L. Cilliers croient que Phanostratê est originaire d'Acharnés (ville en Attique) et qu'elle avait épousé un citoyen milésien[R&C 1]. Bien que s'accordant à dire qu'elle était une femme libre, c'est-à-dire non esclave, V. Dasen est moins tranchée sur son origine et pense que Phanostratê peut être ou fille ou épouse d'un citoyen athénien du dème de Mélité[D 4].

Si Phanostratê a la pose et la tenue d'une dame de qualité sur sa stèle funéraire, rien n'exclut qu'elle était ou fut pendant un moment l'esclave d'un Mélitois pour S. Lambert et L. Totelin : cette condition sociale ne l'empêchait pas d'effectuer des tâches importantes ; selon cette hypothèse, le nom suivant celui de Phanostratê n'est pas celui de son époux ou de son père, mais de son propriétaire[T 2].

La reconstruction du nom Mélitéos par G. Daux est couramment reprise, mais en 2014, Rebecca Futo Kennedy propose des alternatives (Μελιταίς, Μελιταιέως ou Μιλησια) qui peuvent laisser penser que Phanostratê était une métèque, mention rare sur les pierres tombales des femmes de son temps[T 3].

Études et compétences médicales

Serment d'Hippocrate, manuscrit byzantin du XIIe siècle.

Il semblerait que les domaines de Phanostratê furent la santé des femmes et celle des enfants. Décrite comme sage-femme (maia), son cas est d'autant plus intéressant car c'est la première fois qu'une femme est désignée comme « médecin » (iatros) dans les sources grecques antiques. Le fait que « tous, à sa mort, la regrettent » laisse penser que son domaine de compétences était large, qu'elle pratiquait sa science en dehors de la sphère familiale[1] - [D 4] - [T 4]. Cette supposition est non seulement renforcée par son titre de « médecin », mais aussi par sa guérison de Lysimache, habitante d'un autre dème, qu'Antiphilê était une possible cliente et la statue disparue de l'asclépiéion[C 3] - [R&C 2]. Comme les autres membres du corps médical grec antique, il y a une probabilité pour que Phanostratê eut une dévotion particulière envers le dieu guérisseur, Asclépios[T 5].

Pour Lesley Dean-Jones, iatros (« médecin ») semble désigner les filles de médecins, qui reçoivent une formation médicale comme leur frères et semblable à leurs homologues masculins[D 4]. Les hommes ont un contrôle important de la médecine, les femmes sont généralement assistantes lorsqu'ils auscultent d'autres femmes. Pour L. Dean-Jones, Phanostratê s'est masculinisée en prêtant le serment d'Hippocrate, et comme d'autres femmes très instruite en médecine, elle aurait revendiqué personnellement le titre « médecin ». Cette masculinisation se retrouve dans l'expression pasin potheiné (« tous la regrettent »), qu'on trouve en majorité dans les épitaphes masculines[T 6]. L'utilisation de formules épitaphiques et d'un titre masculins n'est pas banale, elle sert à légitimer sa position dans un corps médical en grande partie composé d'hommes, sans pour autant renoncer à sa féminité, comme en témoigne le bas-relief de sa stèle funéraire[C 4].

Il n'est pas impossible que Phanostratê connaissait l’Iliade du poète Homère, la pièce Hippolyte du dramaturge Euripide, écrite en , ainsi que le Des airs, des eaux et des lieux du corpus hippocratique. Il se peut qu'elle connaissait les discussions autour de la lupe (peine, chagrin) qu'il faut éviter à tout le monde, notamment aux patients , et que Phanostratê prenait part aux débats entre collègues sur l'art et la manière de soigner. L'épitaphe défend Phanostratê contre l'accusation d'avoir fait souffrir de son vivant, et elle semble affirmer que la dame de Mélité a toujours soulagé ou atténué les douleurs, conformément à ce que doivent faire médecins et médecines dans Des Épidémies du corpus hippocratique[T 7].

Statut matrimonial

Phanostratê devait avoir eu des enfants et être ménopausée au moment où elle devint sage-femme, car cela était les conditions sine qua non pour exercer[3]. Afin de comprendre l'absence inhabituel d'hommes dans le bas-relief, Anne Bielman Sánchez croit que Phanostratê est « probablement une veuve » : sans époux ni descendance, elle est « entièrement consacrée à son métier », et la lacune au-dessus du bas-relief serait par conséquent « fille de »[4]. La stèle IG II/III² 6873 ayant été trouvée à Acharnés, Phanostratê put y avoir épousé un citoyen décédé avant elle, et/ou vivait et exerçait la médecine dans cette ville sans tutelle masculine.

Notes et références

Notes

  1. Aussi orthographié Phanostraté. Le grec moderne prononce et se transcrit Fanostrati.
  2. Phanostratê était considérée comme « médecin » à son époque, la forme féminine iatreinê ou iatrine n'est attesté qu'à partir des IIe et Ier siècles, sur la stèle funéraire de Mousa, fille d'Agathoclès, à Istanbul/Byzance[D 1].

Références

  1. Dasen, p. 13.
  2. Dasen, p. 10-11.
  3. Dasen, p. 12-13.
  4. Dasen, p. 10.
  1. Totelin, p. 13.
  2. Totelin, p. 4.
  3. Totelin, p. 5.
  4. Totelin, p. 6.
  5. Totelin, p. 12.
  6. Totelin, p. 5-6.
  7. Totelin, p. 8-9.
  1. Cremo, p. 9.
  2. Cremo, p. 12-13.
  3. Cremo, p. 39.
  4. Cremo, p. 42.

Autres références

  1. Sebillotte.
  2. Evelyne Samama, Les médecins dans le monde grec : sources épigraphiques sur la naissance d'un corps médical, Genève, Librairie Droz, , 612 p. (ISBN 2-600-00847-0), p. 109-110.
  3. Anne Bielman Sanchez, Femmes en public dans le monde hellénistique, (lire en ligne)
  4. Anne Bielman Sánchez, « L’éternité des femmes actives », dans F. Bertholet, A. Bielman Sanchez et R. Frei-Stolba, Égypte – Grèce – Rome. Les différents visages des femmes antiques, Bern, F. Bertholet, A. Bielman Sanchez et R. Frei-Stolba, (lire en ligne), p. 147-194.

Annexes

Bibliographie et sitographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : Tout ou une partie de cette source a servi à l'article.

  • Véronique Dasen, « L’ars medica au féminin », Eugesta: Revue sur le Genre dans l'Antiquité, no 6, , p. 1-40 (lire en ligne, consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Violaine Sebillotte, « Phanostratê, médecin », sur Eurykleia (consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • (en) Hannah Cremo, « Phanostrate and the Legitimization of Professional Female Healers in Fourth Century Athens », Senior Projects Fall 2021, (lire en ligne, consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • (en) Laurence Totelin, « Do no harm: Phanostrate's midwifery practice », Technai, An International Journal for Ancient Science and Technology, (lire en ligne [PDF]). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • (en) F. Retief et L. Cilliers, « The healing hand : the role of women in ancient medicine : the Graeco-Roman world », Acta Theologica Supplementum, (lire en ligne, consulté le ) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Natacha Massar, « À la vie, à la mort. Les monuments funéraires de médecins de langue grecque, du VIe au Ier siècle avant notre ère », Histoire, médecine et santé, no 8, , p. 17–30 (ISSN 2263-8911, DOI 10.4000/hms.843, lire en ligne, consulté le )
  • Hélène Castelli, « Les gestes d'Hécamède. Femmes pourvoyeuses de soin en Grèce archaïque et classique », Clio. Femmes, Genre, Histoire, vol. 49, no 1, , p. 23–42 (ISSN 1252-7017, lire en ligne, consulté le ).

Articles connexes

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